Agnolo Firenzuola, cet écrivain florentin de la première moitié du seizième siècle a développé une oeuvre littéraire d’une très grande originalité basée sur la recherche des critères de beauté des femmes et sur des nouvelles ou fables inspirées du Pantchatantra.
Dans son Discours sur la beauté des femmes[i], Agnolo Firenzuola développe une discussion sur la nature humaine et la beauté des femmes, basée sur le Banquet de Platon. Son propos sur l’égalité des sexes est très en avance sur la pensée des humanistes ultérieurs. Cette vision est cependant largement partagée par l’aristocratie florentine de l’époque, bien davantage que par les humanistes de cour.
De très nombreux traités littéraires de la Renaissance italienne ont été rédigés sous forme de dialogues : on peut notamment citer Le livre du courtisan, de Baldassare Castiglione et le Discours sur la beauté des Dames, d’Agnolo Firenzuola.
Ces deux derniers ouvrages délaissent le latin, la langue des élites littéraires, pour l’italien, afin de mieux disséminer les valeurs de la culture humaniste, une évolution largement encouragée par Aldo Manuzio, le célèbre imprimeur de Venise et l’Académie Aldine.
Qui est Agnolo Firenzuola ?
Agnolo Firenzuola est né à Florence le 28 septembre 1493 dans un milieu humaniste. Il est le fils du notaire Sebastian Giovannini de Firenzuola et de Lucrezia Braccesi, laquelle est la fille de l’humaniste Alessandro, auprès duquel Sebastian a longtemps exercé la fonction de secrétaire. Sa famille, originaire du bourg de Firenzuola entre Bologne et Florence, a émigré à Florence au cours du quinzième siècle, et a exercé depuis lors, des charges publiques au sein de la république.
Son père, qui était chancelier de la deuxième chancellerie des seigneurs, a perdu son poste, le 19 juin 1498, au profit de Niccolo Machiavel (voir sur ce Blog l’article sur Niccolo Machiavel, une œuvre qui a bouleversé le monde). Depuis lors, il a rédigé des actes, notamment pour l’ordre bénédiction de l’abbaye de Vallombrosa, et il a exercé de façon temporaire, de 1531 à 1537, la fonction publique de magistrat aux routes.
A Florence, où il passe ses jeunes années, Agnolo baigne dans un milieu humaniste marqué par l’influence de Marsile Ficin. Puis il part à Sienne, suivre des études de droit : il y rencontre notamment Claudio Tolomei, de l’illustre famille des seigneurs de Pérouse, qui deviendra évêque et grand poète. A Pérouse, où il termine ses études, en 1516, il fait la connaissance de Pierre l’Aretin (voir sur ce Blog, l’article sur Pierre l’Aretin : l’homme qui rançonnait les rois).
Grâce à son père, il entre dans l’ordre bénédictin à l’abbaye de Vallombrosa, qui lui offre un logement pérenne sans le priver de sa liberté de circulation et d’étude. C’est en cette qualité qu’il arrive à Rome, en 1518, pour occuper le poste de procureur de l’Ordre à la Curie, sous le pontificat de Léon X. Il y rencontre alors les conseillers de Léon X, les futurs cardinaux Jacques Sadolet et Pietro Bembo (voir sur ce Blog, l’article sur Pietro Bembo : la religion de l’amour). Il y renforce également ses liens avec les grands intellectuels du moment comme Annibal Caro, le poète et traducteur ou Francesco Maria Molza, le grand poète italien.
Pendant le bref pontificat d’Adrien VI, il retourne à Florence puis il revient à Rome, avec l’élection du cardinal Jules de Médicis, cousin de Léon X, sous le nom de Clément VII. Il a choisi de quitter son emploi à la Curie, en 1521, pour se consacrer aux travaux littéraires.
Le motif ? Très probablement, sa rencontre avec une noble dame romaine d’origine florentine, connue de la postérité sous le pseudonyme de Constance Amaretta (d’après l’œuvre des Ragionamenti de Firenzuola). Sensible et cultivée, la dame est l’épouse d’un avocat romain, avide et matérialiste : elle a choisi de s’évader d’un mariage malheureux en se consacrant à l’étude de la poésie et de la philosophie. Son amitié platonique et spirituelle avec Constance, est l’occasion pour Firenzuola d’achever ses Ragionamenti, en janvier 1525, peu de temps après la mort de Constance et d’entreprendre sa traduction de l’Ane d’or, d’Apulée.
Firenzuola a soumis son travail à son ami Claudio Tolomei, qui a exprimé des réserves sur le fait de faire intervenir une interlocutrice féminine dans un discours philosophique. Firenzuola a alors répondu, le 7 février 1525, par son Epître à la défense des femmes, une galerie de portraits de femmes illustres depuis l’antiquité. Les Ragionamenti ont été dédiés par la suite à la nièce du pape Clément VII, la duchesse Caterina de Camerino.
Dans les mois qui suivent, Firenzuola tombe malade de la fièvre tierce (le paludisme ?), ce qui le contraint à se retirer à Florence, à l’abbaye de Vallombrosa. Le 8 mai 1526, il demande et obtient de ne pas avoir à prononcer ses vœux, tout en continuant à profiter des avantages de sa situation dans l’ordre. On le retrouve à Florence en 1529 où Claudio Tolomei lui écrit pour lui demander de participer à une réunion d’écrivains qui se tient à Bologne, à l’occasion de la rencontre entre le pape et l’empereur Charles Quint mais Firenzuola décline l’invitation.
En 1530, il participe à la première réunion de l’Académie des Vignerons, formée à Rome par Umberto Strozzi, qui comprend notamment, de façon sporadique, entre 1530 et 1537, le poète Molza, Annibal Caro, Porrino Gandolfo, Tryphon Benci, Mattio Franzesi, Mauro Della Casa, le Bini et Agnolo Firenzuola. Il est revenu dans l’Etat pontifical sans doute pour obtenir du pontife un bénéfice. Il subit en 1533 une nouvelle crise de malaria et il quitte Rome, à l’occasion de la mort de clément VII, en 1534, pour n’y plus revenir.
En 1538, on le retrouve à Prato où il jouit désormais de bonnes conditions financières, ayant été nommé abbé de l’abbaye San Salvatore, à Vaiano. Il semble être guéri de sa maladie et intégré dans la vie sociale de Prato. Il rédige deux comédies, I Lucidi, à la manière des Menechmes de Plaute et Trinuzia.
A Prato, en 1540, il est à l’initiative de la création de l’Académie dell’Addiaccio puis il rédige son dialogue sur la beauté des femmes. Néanmoins, ayant souhaité impliquer les femmes de Prato, dans sa recherche sur la beauté idéale, un thème à la mode à l’époque, il ne parviendra pas à éviter les fâcheries, les vexations involontaires, qui vont le brouiller définitivement avec la bonne société de Prato.
Il rédige alors des Nouvelles et des Fables, qui vont être considérées comme des œuvres parmi les plus originales du début du seizième siècle. Ses contes sont des libres inspirations du Pañchatantra, un livre de contes indiens mettant en scène des animaux au comportement anthropomorphe.
« Ses ouvrages, en vers ou en prose, portent tous l’empreinte d’un esprit vif, naturellement porté à la satire et à la licence, et qui, en dépit de son état (monastique), cédait sans scrupule à ces deux penchants »[ii].
La fin de sa vie, après 1540 est assombrie par les difficultés financières liées à la perte de son bénéfice de Vaiano, et par ses difficultés familiales et notamment le litige qui l’oppose depuis 1538, avec sa sœur Alessandra, à propos de la succession de leur père. Quand il meurt, en 1543, dans une solitude absolue, ses frères mettront quinze jours à apprendre son décès.
Toutes ses œuvres seront publiées après sa mort. Le Discours sur la beauté des Dames a fait l’objet d’une publication en France (ouvrage disponible à la BNF dont on peut se procurer comme je l’ai fait, un fac-simile), dans une traduction de Jean Pallet, Saintongeois, publiée à Paris en 1578 chez Abel Langelier.
Le Dialogue sur la beauté des Dames
Ce dialogue a été écrit le 18 janvier 1541. Il vise à présenter l’image d’une beauté idéale, par la réunion des critères de beauté de plusieurs types de femmes. Cette vision de la beauté féminine de Firenzuola servira d’ailleurs de modèle, ultérieurement, pour les artistes. Jacob Burckhardt dans sa Civilisation de la Renaissance en Italie, a jugé le travail de Firenzuola très original et il note qu’aucune œuvre de la Renaissance ne lui ressemble.
L’œuvre se compose de deux dialogues dont le premier se déroule dans le jardin de l’abbaye de Grignano, pendant l’été 1533. Le principal protagoniste, Celso, engage la discussion avec quatre belles femmes sur leurs caractères de beauté.
Il est clair d’après l’auteure de l’article, que Celso, le noble chevalier, est calqué sur le modèle du courtisan idéal, du livre de Baldassare Castiglione, publié en 1530. Mais Celso se présente également comme un humaniste. Selon la vision néoplatonicienne, la vision de la beauté parfaite, participe du rapprochement de Dieu. Le dialogue se nourrit d’observations de grands écrivains et philosophes, comme Cicéron, Aristote, Platon, Marsile Ficin et Dante Alighieri.
Firenzuola était familier tant du Banquet de Platon, que des Commentaires de Marsile Ficin. Le propos de Firenzuola est, à travers une discussion sur l’amour néoplatonicien, de décrire les relations entre la beauté et l’amour, des hommes et des femmes. Or, toujours d’après l’auteure de l’article, Jacqueline Murray, les philosophes de la renaissance, tous des hommes, estiment généralement que les hommes et les femmes ont des âmes capables, à égalité, de contempler la beauté idéale. En revanche, la femme y est jugée, tout aussi généralement, d’un rang inférieur à l’homme. Dans ses discussions sur la réciprocité de l’amour, dans ses Commentaires, Ficin utilise ainsi exclusivement un langage masculin, de même que Boccace.
Pour Firenzuola au contraire, il existe trois sexes : il y a quelques hommes qui sont des mâles, quelques femmes qui sont des femmes, mais la plupart sont mi-homme, mi-femme. Il n’hésite pas à évoquer, fait rarissime dans la littérature, l’homosexualité féminine, à propos des nonnes. Il éprouve un grand respect pour l’amour platonique entre deux femmes.
Très loin des humanistes néoplatoniciens qui le précèdent, il énonce une doctrine de la réciprocité de l’amour entre les hommes et les femmes où ces dernières, sont parfaitement équivalentes aux hommes.
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[i] Agnolo Firenzuola on Female Sexuality and Women’s Equality par Jacqueline Murray in The Sixteenth Century Journal Vol. 22, No. 2 (Summer, 1991), pp. 199-213 Published by: Sixteenth Century Journal DOI: 10.2307/2542732.
L’article s’est également inspiré des articles en italien de l’encyclopédie Treccani sur Agnolo Firenzuola et notamment, de Agnolo Firenzuola, Encyclopédie de Dante Agnolo Firenzuola, Encyclopedie Italienne. Voir également l’ouvrage On the Beauty of Women Agnolo Firenzuola . En ce qui concerne le Pantchatantra, ou Les cinq livres : recueil d’apologues et de contes / traduit du sanscrit par Edouard Lancereau, Paris 1871, qui a servi de modèle aux contes d’animaux de Firenzuola, on peut trouver l’ouvrage à la BNF avec le lien suivant.
[ii]Biographie universelle, ancienne et moderne, Volume 14 chez Michaud Paris 1815. Article Ange Firenzuola p 558.
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