Boccace De mulieribus claris Français Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard 599, fol. 22, Démophilè lisant BNF
Il s’agit du vingt-quatrième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici la Sibylle de Cumes, Amalthée ou Démophilè.
Le mythe de la sibylle de Cumes a été raconté par Ovide, dans les Métamorphoses[i]: “”Après avoir franchi ces îles, et laissé à droite les murs de Parthénope, à gauche le tombeau du trompette Misène, Énée aborde aux rivages de Cumes (Naples), qu’infecte l’algue marécageux. Il pénètre dans l’antre de la Sibylle antique, et la prie de le conduire, par l’Averne, auprès des mânes de son père. La Sibylle lève enfin les yeux qu’elle a longtemps tenus baissés vers la terre, et, pleine du dieu qui l’agite et l’inspire :
“Tu demandes, dit-elle, de grandes choses, héros célèbre dont le bras s’est signalé par l’épée, dont la piété a été éprouvée dans les flammes. Mais rassure-toi, ta prière est accordée. Je vais te conduire : tu verras les demeures de l’Élysée, et les derniers royaumes du monde, et l’ombre de ton père. Il n’est point de chemin inaccessible à la vertu.” Elle dit, et, montrant le rameau d’or dans la forêt de la déesse de l’Averne, elle commande au héros de le détacher du tronc : il obéit, et vit les richesses du formidable Pluton, les mânes de ses aïeux, et la vieille ombre du magnanime Anchise. Il connut les lois de l’empire des morts, et les dangers qui l’attendaient dans de nouvelles guerres
“Revenant sur ses pas, toujours guidé par la Sibylle, Énée trompe, en s’entretenant avec elle, la fatigue du retour.
“Tandis qu’à travers d’épais crépuscules, il poursuit cet horrible chemin : “Que tu sois, dit-il, une déesse favorable aux mortels, ou que tu sois seulement une mortelle agréable aux dieux, je t’honorerai toujours comme une divinité, et je reconnaîtrai que, par toi, j’ai pu descendre aux sombres lieux où règne la mort, et m’échapper vivant de son empire. Pour des bienfaits si grands, dès que j’aurai revu la lumière des cieux, j’élèverai des temples en ton honneur, et l’encens fumera sur tes autels.”
“La Sibylle le regarde, soupire, et dit : “Je ne suis point déesse : ne juge point digne de l’honneur de l’encens une faible mortelle. Et, afin qu’ignorant mon destin, tu ne t’égares, apprends qui je suis. L’immortalité m’était promise par Apollon, des jours sans fin m’étaient offerts pour prix de ma virginité. Mais, tandis qu’il espère, et que, par ses dons, il cherche à me séduire : “Choisis, dit-il, vierge de Cumes, forme des voeux, et tes vœux seront accomplis.” Je lui montre du sable amassé dans ma main, et je le prie, insensée que j’étais, de m’accorder des années égales en nombre à ces grains de poussière.
“J’oubliai de demander, en même temps, le don de ne point vieillir; cependant il me l’offrait, il me promettait une jeunesse éternelle, si je voulais répondre à ses désirs. Je rejetai les dons d’Apollon, et je suis vierge encore. Mais l’âge le plus heureux a fui; la pesante vieillesse est venue d’un pas chancelant, et je dois la supporter longtemps; car, quoique déjà sept siècles se soient écoulés devant moi, il me reste à voir encore trois cents moissons et trois cents vendanges, avant que mes années égalent en nombre les grains de sable qui mesurent ma vie. Le temps viendra où un plus long âge raccourcira mon corps, où, consumés par la vieillesse, mes membres seront réduits à la plus légère étendue. Alors je ne paraîtrai avoir pu ni charmer un dieu, ni mériter de lui plaire. Peut-être Apollon lui-même ne me reconnaîtra plus, ou il niera de m’avoir aimée. Et tel sera mon changement, qu’invisible à tous les yeux, je ne serai connue que par la voix : les destins me laisseront la voix.”
Le grand dictionnaire historique [ii] rapporte l’anecdote suivante, à propos de la sibylle de Cumes; “Elle avait composé neuf livres de prédictions des choses à venir qui concernaient l’empire de Rome. S’étant adressée à Tarquin le Superbe, Roi de Rome, elle les lui présenta, lui demandant 3000 écus d’or de la monnaie de Philippe. Mais le roi refusa son présent. Indignée de ce refus, elle en brûla trois en présence du Prince.
“La Sibylle étant revenue, à quelques jours de là, elle demanda pareille somme pour les six qui restaient, et, voyant qu’on les lui refusait, elle en brûla encore trois. Cela étonna le roi. Enfin, comme on voulait savoir ce qu’elle prétendait avoir des trois derniers, elle exigea le même prix de 3000 pièces d’or. Tarquin consulta les Pontifes sur cette proposition, et, par leur avis, il paya ce que demandait cette femme.
“Cela arriva vers l’an 219 de la fondation de Rome, c’est à dire vers -535 avant JC.
“Au reste, ces livres furent en telle vénération dans cette ville, qu’on créa deux magistrats qui n’avaient pas d’autre fonction que de les garder et les consulter dans les occasions, parce qu’ils contenaient les destinées de l’Empire. Car on ne les ouvrait que dans les pressantes nécessités de la République, que pour y chercher la manière d’expier les prodiges et de détourner les misères publiques“. (Lactance, Tite-Live)
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[i] Ovide – Les Métamorphoses – Livre XIV Traduction (légèrement adaptée) de G.T. Villenave, Paris, 1806.
[ii] Le grand dictionnaire historique Volume 1 par Louis Moreri Bâle 1731. Google Book
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