Baldassare Castiglione a rédigé un best seller de la Renaissance avec son livre du courtisan qui retrace ses années de bonheur à Urbin, en compagnie d’une pléiade d’auteurs talentueux qui vont faire d’Urbin, sous l’autorité du duc Guidobaldo et de la duchesse Elisabeth Gonzague, la cour la plus emblématique de la Renaissance.
A dix kms au sud de Varese, sur les hauteurs dominant la plaine et la ville de Castiglione d’Olona, s’élevait un antique château, aujourd’hui disparu, celui de la famille Castiglione. Le paysage alentour est romantique avec ses cascades dévalant les pentes. On aperçoit au loin la masse du Mont Rose qui bouche l’horizon avec ses neiges éternelles[i] .
Il paraîtrait que ce château s’est implanté au dixième siècle sur le site d’un ancien castrum établi là par Stilicon (360-408), général romain de Théodose 1er (347-395) puis régent de l’empire jusqu’à son assassinat en 408. Car le nom de Castiglione est déformé de celui de castellum en latin.
Les capitaines de la forteresse de Castiglione ont crû en renommée sous les règnes de l’empereur Otton 1er (912-973) et de ses successeurs: deux membres de la famille Castiglione sont élevés à la dignité d’archevêques de Milan, sous le règne d’Henri IV (1050-1106). Au treizième siècle, la rivalité puis l’affrontement avec Otton Visconti (1207-1295), archevêque de Milan, qui va imposer la famille Visconti à la tête de Milan, aboutissent à la destruction de la forteresse. Le site ne sera reconstruit que cent cinquante ans plus tard par le cardinal Branda Castiglione (1350-1443), sur l’autorisation expresse du duc de Milan, Philippe-Marie Visconti (1392-1447).
Il va y faire élever, par l’architecte Giovanni Solari (1400-1482) une élégante demeure Renaissance, aujourd’hui disparue, et une splendide collégiale, qui subsiste aujourd’hui, décorée de fresques de Masolino. Le cardinal Brenda a rendu d’éminents services en Allemagne et en Hongrie à l’empereur Sigismond, qui l’a élevé, à Budapest, à la dignité de comte palatin de Castiglione, avec exonération perpétuelle de toutes taxes et coutumes impériales et le droit de transmettre le titre à tous ses successeurs.
Un autre membre de la famille, qui, entre-temps s’est alliée aux Visconti, s’est illustré dans les lettres, Franchino Castiglione, qui a occupé la chaire de jurisprudence à l’Université de Pavie pendant de longues années et qui a été ambassadeur de Milan, à plusieurs reprises. Bien qu’ayant pris une part active à la république ambrosienne de 1447 à 1450 (voir sur ce Blog, l’article sur les ducs de Milan), le duc Francesco Sforza le choisit pour faire partie de son conseil. Il est nommé évêque de Côme. Plus tard, il sera ambassadeur de Milan à la cour de Louis XI, puis commandant de la flotte du pape dans la guerre contre Venise. Sixte IV va le nommer Evêque gouverneur de Rome.
L’un de ses neveux, un autre Branda, va lui succéder à l’évêché de Côme, devenir conseiller du duc de Milan et il s’illustrera notamment, en portant secours à la demi-sœur du duc Ludovic le More, Caterina Sforza (voir sur ce Blog l’article sur Caterina Sforza l’indomptable lionne de Forli). D’autres parents vont s’élever dans les carrières religieuses et diplomatiques. La famille Castiglione est devenue à la fin du XVème siècle un très important lignage du duché de Milan.
Baldassare Castiglione, quant à lui, est issu d’une branche collatérale de la famille. Son arrière-grand-père, Cristoforo, cousin et contemporain du cardinal Branda, a occupé la chaire de jurisprudence à l’Université de Pavie mais il ne bénéficie pas de la faveur des ducs de Milan. Après l’assassinat du duc de Milan, Jean Marie Visconti, en 1412, il juge plus prudent de s’éloigner et de s’installer à Parme. C’est là qu’il reçoit le titre de comte palatin que lui transmet l’empereur Sigismond sur la recommandation du cardinal Branda.
Il épouse une très belle jeune femme, Polissena, fille d’Alessandro Lisca de Verone, qui lui apporte en dot la cité et les terres de Casatica, près de la seigneurie de Marcaria, à vingt kms à l’ouest de Mantoue. Les enfants Castiglione vont grandir en compagnie de ceux du marquis de Mantoue, et l’un d’entre eux va épouser Aloysia Gonzague, une cousine du marquis régnant, ce qui explique la double obédience des Castiglione aux principautés voisines de Milan et de Mantoue. Du reste, la noblesse des Castiglione est reconnue par le marquis de Mantoue qui place ces derniers immédiatement après les membres de la famille régnante.
Jeunesse de Baldassare Castiglione: Mantoue et Milan
Le jeune Baldassare naît à Casatica, le 6 décembre 1478. La fille aînée du marquis Frédéric 1er de Mantoue, Claire Gonzague épouse le 25 février 1481, le comte de Montpensier, qui deviendra vice-roi de Naples et duc de Sessa : il est cousin du roi de France et père du Connétable Charles III de Bourbon, qui justifie le nom de ce Blog. Le père de Baldassare, Cristoforo est désigné par le duc pour accompagner Chiara à Montpensier en Auvergne.
Baldassare est élevé sous l’œil vigilant de sa mère, qui lui instille le sens de l’honneur, dans le respect des valeurs chevaleresques. Il a pour compagnons ses cousins, les fils de Giampetro Gonzaga (1459-1515), Luigi et Cesare, qui vont l’aider à cultiver son sens de la poésie et de la musique.
En 1492, les trois jeunes gens sont expédiés à Milan, pour y compléter leurs études à l’Université. Ils sont placés à Milan sous la responsabilité de l’oncle maternel de Luigi et Cesare, le marquis Stanga de Cremone, secrétaire et chambellan du tout-puissant duc de Milan, Ludovic le More. Ils vont y séjourner sept ans, de 1492 à 1499, dans une période fertile en événements et péripéties diverses, racontés dans de nombreux articles de ce Blog.
A Milan, Baldassare étudie les lettres latines avec le grand humaniste Giorgio Mereula (1430-1494) et il apprend le grec auprès de Démétrios Chalcondyle (1423-1511). Il suit les conférences de rhétorique et sur les auteurs latins de Philippe Beroalde le vieux (voir sur ce Blog l’article sur la Bibliothèque Vaticane et ses préfets), revenu de Paris.
Ses auteurs latins favoris sont, pour la prose, Cicéron et, pour la poésie, Virgile et Tibulle. Il étudie également les auteurs en langue vulgaire comme Dante et Petrarque. Les liens entre la cour de Laurent le Magnifique et celle du duc de Milan ont développé la connaissance des poètes de Florence et notamment du Politien (voir sur ce Blog l’article sur Le Printemps et la naissance de vénus de Botticelli, entre épicurisme et néoplatonisme), dont les Stances vont être l’un des livres de chevet du jeune homme.
Il apprend les disciplines militaires de l’escrime et de la joute avec Messer Pietro Monte (traité d’escrime de Pietro Monte imprimé à Milan en 1509), le grand prévôt installé à Milan, à la fin du quinzième siècle, qui a également formé Galeazzo di San Severino, le gendre du duc Ludovic le More, le meilleur cavalier d’Europe, qui fera une longue et belle carrière au service des rois de France. Le jeune Baldassare se perfectionne en équitation et il s’entraîne à la quintaine à l’anneau où il devient un expert. Il s’exerce à la lance et aux autres jeux de guerre que se doivent de connaître tous les gentilshommes.
A l’époque du mariage de Bianca Maria, la fille aîné de Ludovic le More avec l’empereur, Maximilien 1er, il est dans les meilleurs termes avec le très élégant Vincenzo Calmeta, secrétaire de la duchesse Béatrice d’Este. Il est éperdu d’admiration devant les performances de Galeazzo de Sanseverino, qui triomphe de tous ses adversaires au grand tournoi donné en l’honneur du mariage de Bianca et qui en gagne le prix. Lorsqu’il s’entraîne lui-même, dans la cour du Castello, il n’est pas rare qu’il rencontre l’un des nombreux artistes au service du grand mécène qu’est Ludovic Sforza. Il n’hésite pas alors, à échanger avec eux sur le sujet de leur art, ce qui lui permettra d’acquérir un rare discernement en matière artistique.
En 1496, Baldassare vient d’avoir dix-huit ans. Il entre au service de Ludovic Le More, devenu duc de Milan depuis la mort, deux ans plus tôt, de Gian Maria Sforza (1469-1494), son neveu: en réalité, il exerce le pouvoir effectif depuis qu’il a ôté le jeune duc à la garde de sa mère, Bonne de Savoie, en 1480.
La fortune s’est montrée clémente avec Ludovic le More, qui n’était pas destiné à régner. Ses manoeuvres tortueuses lui ont permis de devenir duc de Milan en 1494 (on le soupçonne d’avoir empoisonné son neveu pour prendre sa place) mais il va connaître, coup sur coup deux très graves déconvenues. Son épouse, la jeune et splendide duchesse, Béatrice d’Este, meurt prématurément, en couches. C’était l’emblème de cette cour magnifique de Milan, le centre de gravité de tous les artistes qui sont obligés désormais, de rechercher un autre asile. D’autant que, à la suite de ce décès, les relations entre Ludovic et son beau-frère, Francesco Gonzaga (1466-1519), le marquis de Mantoue, se détériorent progressivement.
- Ludovic Sforza Le More Duc de Milan Zanetto Bugatto MuséeThyssen-Bornemisza, Madrid
- Portrait présumé de Béatrice d’Este (1475-1497) par Ambrogio de Predis Pinacoteca Ambrosiana Milan
Les relations entre Ludovic et le roi Charles VIII ne sont pas non plus très faciles. Car, bien que Ludovic soit l’allié du roi Charles VIII, ne voilà-t-il pas que le premier prince du sang, le duc d’Orléans, héritier en ligne directe du duché de Milan par Valentine Visconti, sa grand-mère, morte cinquante quatre ans avant sa naissance, (voir sur ce Blog l’article sur Georges d’Amboise, premier ministre de Louis XII, cardinal et mécène) est venu revendiquer le duché de Milan en s’enfermant à Novare avec quelques milliers d’hommes, en 1495, envers et contre tous les ordres de Charles VIII, provoquant un renversement d’alliances, au plus mauvais moment pour la France. L’affaire va être réglée diplomatiquement, mais le duc d’Orléans s’est bien juré de revenir dès qu’il sera roi…
Il faut croire que les services rendus par Baldassare Castiglione à la cour de Ludovic le More sont appréciés, car s’adressant, en février 1499, au père de Baldassare, alors ambassadeur de Mantoue à la cour de Naples, un Castiglione de ses parents, juriste à Milan, déclare: “Je dois dire à votre Magnificence que votre fils, Messire Baldassare, est très bien et hautement estimé à la cour, non seulement par notre illustre Seigneur, le Duc, mais par chacun, ici-bas, et ceci, pour la bonne raison qu’il ne saurait être un jeune homme plus charmant et talentueux“.
Christoforo Castiglione meurt deux mois plus tard et il est enterré dans la petite chapelle familiale Sainte Agnès, située sur le rivage du Lago di Mezzo à Mantoue. Baldassare est revenu à Mantoue pour conforter sa mère. Il prend la place de son père dans la gestion des affaires familiales. Il a trois soeurs dont deux sont déjà mariées auprès de nobles, courtisans de la cour de Mantoue. La dernière soeur, à laquelle il est le plus attaché, Anna, prendra le voile en 1504, chez les pauvres dames (Clarisses) du couvent Santa Paola de Mantoue. Il a également un très jeune frère, Jeronimo, que sa mère souhaite garder auprès d’elle à Casatico. Il recrute alors un maître, nommé Falcone, qu’il a connu à Milan et dont il a la plus haute opinion: ce dernier se destine à une carrière ecclésiastique et Baldassare et sa mère s’efforcent de lui obtenir un bénéfice.
Au moment précis où Baldassare est revenu à Mantoue pour la mort de son père, le sort de Ludovic le More vient d’être scellé par le nouveau roi de France, Louis XII, depuis la mort accidentelle de Charles VIII. Evidemment, le deuxième souci de Louis XII, après son divorce et son remariage avec Anne de Bretagne, est de conquérir son héritage, le duché de Milan. Il fait alliance en avril 1499 avec les Vénitiens, le duc de Savoie et le pape, Alexandre VI Borgia. Pendant l’été, l’armée française passe les Alpes et en septembre, bousculant tout sur son passage, elle conquiert Milan, contraignant Ludovic le More à l’exil, à Innsbrück, chez son gendre, l’empereur Maximilien, duc d’Autriche.
Le rapport de forces est totalement transformé en Italie centrale: le marquis de Mantoue Francesco Gonzaga et son beau-père, le duc de Ferrare, Ercole d’Este, se précipitent pour faire leur cour auprès de Louis XII, qu’ils rencontrent le 2 octobre à Pavie. Quatre jours plus tard, Louis XII fait son entrée solennelle à Milan. Baldassare accompagne évidemment son maître, le marquis de Mantoue, dans les rues de Milan. Dans une longue lettre adressée à l’un de ses beaux-frères, datée du 8 octobre 1499, il raconte dans le détail, l’entrée des troupes françaises dans Milan et la cérémonie d’intronisation du roi comme duc de Milan.
Un témoin vénitien de l’entrée des troupes françaises à Milan, s’écrira: “les Français sont sales. Partout dans le Castello, ce n’est que saletés et grossièretés. Les capitaines crachent sur les planchers de ces salles splendides et leurs soldats outragent ouvertement les dames dans les rues“. Avec un soupçon de mépris, pour les rudes paroles et manières de ces envahisseurs ultramontains, certains passages du Livre du Courtisan montrent que ces premières impressions négatives ne seront pas contredites, ultérieurement. Il écrira notamment: “les Français ne croient qu’en la noblesse de leurs armes et ils comptent tout le reste pour rien. Ils ne se contentent pas de mépriser les études, ils les détestent et tiennent les hommes instruits pour les plus viles créatures: ils estiment que le pire reproche que l’on puisse adresser à quelqu’un, est de le traiter de clerc” !
Au service du marquis de Mantoue, Francesco Gonzague
Pour l’heure, cependant, il n’est pas question de laisser éclater au grand jour cette opinion. Le roi et le marquis de Mantoue sont devenus les meilleurs amis du monde et le marquis a déposé aux pieds du conquérant les plus grandes richesses de Mantoue: ses faucons, ses chevaux de prix et les toiles de Mantegna.
Carte Le Marquisat de Mantoue en 1500 carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
Pendant les cinq ans qui vont suivre la conquête du duché de Milan, Baldassare va rester au service de son seigneur naturel, le marquis de Mantoue, qui le considère avec une grande faveur. La principauté n’a pas tardé à se rendre compte de l’apport important de Baldassare à la petite cour de Mantoue. Il est jeune et bel homme. Il est de taille moyenne, bien proportionnée, il a des yeux gris et un regard profond, un front large et ouvert, des cheveux bruns, qu’il porte courts, avec une barbe courte également et une fine moustache. Ses manières sont exquises et raffinées. Il affiche une expression empreinte de noblesse et de douceur: il est le parfait courtisan qu’il décrit, sans peur dans les batailles, homme d’honneur dans les affrontements courtois, homme de lettres accompli, poète élégant, un plaisant compagnon et un ami fidèle.
Immédiatement, le brillant cavalier attire les regards féminins. Et six mois ne se sont pas passés à Mantoue, qu’il a déjà reçu deux propositions en mariage. La marquise cherche à placer son protégé et elle envisage tout d’abord la fille d’un ancien serviteur de Ludovic le More, le seigneur Girolamo Stanga de Crémone qui ne considère pas la fortune de Baldassare comme suffisante. Après la duchesse, c’est au tour de l’oncle du marquis, l’évêque Ludovic Gonzague de s’occuper de trouver un parti honorable pour le courtisan. Mais ses efforts ne seront pas davantage couronnés de succès, peut-être parce que Baldassare n’a pour l’heure, pas du tout envie de se marier et peut-être ne s’entend-il pas avec le caractère de Francesco Gonzague, un militaire aux manières rudes et peu raffinées. Evidemment, avec la marquise, Isabelle d’Este, les relations sont tout à fait différentes. Elle est la soeur aînée de feue la duchesse de Milan, Béatrice d’Este et c’est une très belle femme, l’arbitre des élégances. Elle a tout pour séduire le jeune courtisan. Une étroite relation de complicité va rapidement s’établir entre la marquise et son protégé, relation qui va devenir une amitié, solide et durable, pendant la vie entière de la marquise, jusqu’à sa mort en 1539.
En 1502, le duc et la duchesse d’Urbin, chassés de leur duché par Cesare Borgia qui s’est emparé traîtreusement de leurs biens, arrivent à Mantoue, chez leur beau-frère et frère, le marquis Frédéric. C’est la première rencontre du courtisan avec les très raffinés ducs d’Urbin. Baldassare a suivi le marquis, qui s’est déplacé à Milan en juillet 1502, avec le duc Guidobaldo, venu plaider sa cause auprès du roi Louis XII. Mais le roi a besoin du soutien d’Alexandre VI et il n’est pas disposé à écouter le duc d’Urbin.
- Guidobaldo de Montefeltre Raphael Les Offices
- Elisabetta Gonzaga Duchesse d’Urbin Raphael Les Offices
L’année suivante, en mars 1503, Baldassare est expédié à Rome par le marquis, soucieux de rester en bons termes avec le duc de Valentinois, Cesare Borgia, dont les appétits territoriaux semblent sans limite. De retour à Mantoue, il suit son seigneur, appelé par le roi Louis XII à joindre ses forces à celles du roi, qui se réunissent à Parme, en vue de reconquérir le royaume de Naples, traîtreusement capturé par le vice-roi Gonzalve de Cordoue pour le compte de son maître, le roi d’Aragon. L’armée part pour Naples le 20 août 1503.
C’est alors qu’un courrier arrive de Rome, annonçant la mort du pape Alexandre VI, une mort qui arrange bien les affaires de tous. Baldassare a été envoyé en urgence à Mantoue, pour prévenir le duc et la duchesse d’Urbin, pendant que La Trémouille qui a avancé à marche forcée est bientôt arrêté par le cardinal d’Amboise qui espère être élu pape et qui entend participer au conclave. Mais les espoirs du cardinal d’Amboise sont trompés car c’est un italien qui est élu, sous le nom de Pie III, le 22 septembre 1503. L’armée française a perdu un mois, permettant à Gonzalve de Cordoue de se retrancher en renforçant ses défenses. Le généralissime français La Trémouille est tombé gravement malade. Il est remplacé par le Marquis de Mantoue à la tête des troupes royales. Il se porte vers le Garigliano où il peut apercevoir, sur l’autre rive, les forces espagnoles, inférieures en nombre mais retranchées et fortifiées.
Malgré son désir de rattraper Francesco Gonzague, Baldassare, parti de Mantoue, n’arrive à Rome que le 4 octobre 1503. Le marquis de Mantoue est tombé malade à son tour ou a feint de tomber malade car il a des peines infinies à assurer l’approvisionnement et les forces françaises ne lui obéissent pas. Il a dû résigner son commandement entre les mains du marquis de Saluces. Frédéric Gonzague est parti en litière pour Traetto puis de là pour Rome, suivi de Baldassare, qui a fini par le rejoindre. Le 20 décembre, la défaite de l’armée française sur le Garigliano va établir de façon définitive le contrôle par les Espagnols, du royaume de Naples. L’armée française reflue en désordre. Tout l’ordre politique en Italie est à nouveau chamboulé.
De surcroît, trente-six jours à peine, après son élection, le pontife Pie III décède. Il faut se réunir à nouveau en conclave. Cette fois, le cardinal della Rovere a eu le temps de se préparer. Usant de procédés empruntés à Cesare Borgia, il n’hésite pas à faire accroire à ce dernier qu’il va le maintenir dans son duché de Romagne, pour obtenir le soutien des cardinaux espagnols, un parti très influent de la Curie (voir sur ce Blog Cesare Borgia Section II Le duc de Valentinois). Evidemment, à peine élu, le pape Jules II va faire l’inverse de ce qu’il a laissé entendre. L’heure est aux règlements de comptes. Cesare Borgia est assigné à résidence. Le duché d’Urbin est rendu à ses possesseurs légitimes.
A leur retour à Urbino, le duc Guidobaldo de Montefeltre et la duchesse Elisabeth de Gonzague retrouvent leurs Etats dans la liesse générale. Comme il l’écrira un peu plus tard en latin, au roi Henry VII d’Angleterre, à l’occasion d’une ambassade: “Guidobaldo est revenu dans sa ville d’Urbin dont il a été si injustement privé, dans une joie générale et la ferveur de ses sujets. Des troupes d’enfants se sont massées vers lui tenant à la main des rameaux d’olivier, chantant leur joie à la vue de leur prince bien-aimé. Les vieux, chancelant sous le poids des ans, se sont précipités avec des larmes de joie coulant sur leurs joues, les femmes, avec leurs bébés dans les bras et des personnes de tous sexes et âges se sont joints à la foule qui encombrait les rues. Même les pierres semblaient exulter et danser de joie à son retour“. Evidemment, cet hymne emphatique est tout politique: il est destiné à grandir le duc d’Urbin auprès du roi d’Angleterre, par le compte rendu de l’affection que lui portent ses sujets.
En rétablissant le duc d’Urbin, le pape Jules II engage une politique destinée à asseoir l’ascension de la famille della Rovere. En effet, le duc et la duchesse d’Urbin, n’ont pas d’enfant. Pourquoi ne pas proposer à ces derniers d’adopter pour successeur, le neveu du pontife, qui est également celui du duc d’Urbin ? Car le frère du pape, le condottiere Giovanni della Rovere (1457-1501), a épousé, en 1484, la fille aîné du grand condottiere et duc d’Urbin, Frédéric de Montefeltre (voir sur ce Blog les deux articles sur Frederic de Montefeltre, le grand condottiere invaincu) Giovanna (1463-1514): de leur union est né un fils, François Marie della Rovere (1490-1538). Il s’agit du reste d’un bon parti pour le duché d’Urbin, car celle que l’on ne désigne plus que comme la préfétesse de Rome, est également duchesse de Sora et d’Arce, dans le Latium, domaines qui entreront dans le duché d’Urbin si le duc accepte la transaction. Ce dernier ne se fait pas prier car, ultime revanche sur les Borgia, le pape Jules II a promis de le nommer Gonfalonier de l’Eglise à la place de Cesare Borgia !
Le cousin de Baldassare, Cesare de Gonzague, a suivi l’armée d’Urbin en Romagne, venue éliminer les garnisons résiduelles de Cesare Borgia, avant de suivre le duc à Rome. A son arrivée dans la ville éternelle, le 7 décembre 1503, en compagnie de son maître, le marquis de Mantoue, Baldassare retrouve donc son parent établi au Vatican, en compagnie du duc d’Urbin. Ce dernier qui a subi, du fait du pillage de son palais par Cesare Borgia, une perte énorme de 200 000 ducats de livres, oeuvres d’art, statues, peintures, dispersées par le ruffian déchu, rencontre ce dernier par hasard au Vatican. L’attitude de Cesare a changé du tout au tout. Il s’excuse des torts qu’il lui a causés et il promet de lui rendre sa bibliothèque (qui va rester définitivement à la Bibliothèque vaticane) et tout ce qu’il lui a volé. A en croire Castiglione, le duc répond avec sa bénignité habituelle et intervient en faveur de son ennemi auprès du pape qui expédie Cesare à Ostie, où il sera arrêté.
Le marquis de Mantoue est reparti passer Noël auprès des siens. Baldassare a obtenu son congé et reste à Rome où il va frayer pendant plusieurs mois avec le duc d’Urbin dont le caractère, les manières, l’éducation, s’accommodent si fortement aux siens qu’il va en ressentir un ardent désir de se mettre à son service. D’autant plus que plusieurs de ses parents et amis dont son cousin Cesare de Gonzague et son ami intime, Ludovico, comte de Canossa, ont choisi le même parti. Les manières de Baldassare ont, a contrario, agi d’accoutumée, et le duc est séduit par ce parfait courtisan. Lorsque Baldassare repart à Mantoue, en mai 1504, à l’appel de son maître, il a juré de venir à Urbino dès qu’il obtiendrait son congé du marquis de Mantoue.
Guidobaldo lui-même a hâte de retourner à Urbin retrouver son épouse qui gère son Etat en son absence. Mais Jules II veut garder son Gonfalonier sous la main jusqu’à ce que l’adoption de son neveu soit entérinée, ce qui est chose faite le 10 mai 1504. Deux jours après, arrivent à Rome, les ambassadeurs du roi d’Angleterre, Henry VII, venus féliciter le pape Jules II de son élection et apporter au duc d’Urbin, le collier de chevalier de la Jarretière, déjà porté par son père, Frédéric de Montefeltre.
Le duc d’Urbin est officiellement proclamé Gonfalonier capitaine de l’Eglise, avec un revenu annuel de cinq mille ducats et solennellement investi des insignes de chevalier de la Jarretière (robe pourpre, manteau de velours bleu ciel, collier et jarretelles), en présence du pape et des cardinaux . Avant de repartir pour Urbin, le duc a défilé dans Rome, revêtu de ses insignes. Le 27 mai, de retour dans ses Etats, il a adressé à son beau-frère, le marquis de Mantoue, une note sollicitant l’entrée à son service de Baldassare Castiglione, sujet et serviteur du marquis.
La demande est exprimée en des termes fleuris et diplomatiques tels qu’il est difficile et discourtois de refuser. Francesco répond à son beau-frère, le 9 juin, de façon laconique, que Baldassare a choisi d’entrer à son service. Le Marquis a été secrètement blessé que son homme de confiance ait choisi un autre maître que lui. Il marquera plus tard à de multiples occasions de nouvelles preuves de son ressentiment à l’égard de celui qu’il estime l’avoir trahi. Baldassare, arrivé à Urbin, est immédiatement nommé capitaine d’une compagnie de cinquante hommes d’armes, aux appointements de 400 ducats par an.
Au service du duc d’Urbin: Guidobaldo
L’armée du pape, dans laquelle sert Baldassare, sous le commandement du duc d’Urbin, est venue mettre le siège devant la citadelle de Forli, encore entre les mains de lieutenants de Cesare Borgia: elle s’est rendue le 11 août 1504. A la suite de cette expédition militaire, Baldassare Castiglione va passer les dix années suivantes de sa vie à la cour d’Urbin, qui deviendra, lors de son passage, la première d’Italie.
La petite ville d’Urbin a été le siège, du temps du comte de Montefeltre, le célèbre condottiere, de la plus brillante cour d’Italie (voir sur ce Blog l’article sur la cour fastueuse du duc d’Urbin, mécénat et grandeur). Le duché d’Urbin est un territoire d’un peu moins de cent kilomètres de long, s’étendant entre l’Ombrie, la marche d’Ancône et la mer Adriatique, rendu célèbre en Italie et dans le reste de l’Europe par la brillante conduite du grand condottiere Frédéric de Montefeltre, le héros de l’Italie et le protecteur des arts.
Carte Le duché d’Urbin en 1500 carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
Le duc Frédéric, le père de Guidobaldo, a été célébré par le Politien, l’égal de Laurent le Magnifique dans le patronage des lettres, par Marsile Ficin, le modèle des princes et des sages, et son propre sujet, Giovanni Santi, le père de Raphael, l’exalte comme l’idéal du bon et grand prince. Baldassare n’est pas en reste : “le duc Frédéric, de glorieuse mémoire, était la lumière de l’Italie et il ne manque pas de survivants en mesure de témoigner de sa prudence, son humanité, sa justice, sa libéralité, son courage indomptable et son talent militaire“. Modèle des princes, le duc vivait en harmonie avec ses sujets et à proximité d’eux, se baladant comme le commun des mortels sur le marché, échangeant quelques mots avec les uns et les autres, ainsi que le décrit le poète urbinate Antonio di Mercatello.
Grand constructeur, le duc a érigé nombre de citadelles et forteresses mais son oeuvre la plus remarquable est le palais d’Urbin, qui va faire une très grosse impression sur le jeune Baldassare ainsi qu’il le relate dans son Livre du Courtisan: “sur les hauteurs escarpées d’Urbin, Frédéric a élevé un palais qui est l’un des plus fins d’Italie et il l’a équipe si richement, avec tant de belles choses pleines d’attraits, qu’il semble être davantage une ville, qu’un palais. Il l’a orné non seulement des ustensiles d’usage quotidien, tels que des plats d’argent et des tentures de brocard et d’or, mais également d’un nombre infini d’antiques statues de marbre et de bronze, de peintures précieuses et d’instruments de musique de chaque variété. Il ne voulut jamais laisser entrer quoi que ce soit dans ses murs, qui ne soit rare et excellent”…
Les portraits qui subsistent de la duchesse d’Urbin (1471-1526), et notamment celui de Raphael aux Offices, ne rendent pas justice à sa beauté. Tous les auteurs en revanche, lui reconnaissent une indéniable majesté d’allure, une noblesse de traits et de caractère et un concentré de toutes les vertus, comme le souligne le futur cardinal Bembo (voir sur ce Blog l’article sur le cardinal Bembo, la religion de l’amour), qui a vécu plusieurs années à la cour d’Urbin avec Baldassare: “j’ai connu dans ma vie de nombreuses bonnes et excellentes dames, certaines d’entre elles possédaient des vertus tout à fait remarquables mais chez elle, toutes les vertus étaient élevées à leur sommet“.
La duchesse allie une douceur de caractère à une âme sereine qui touche profondément tous ses admirateurs. Elle sympathise rapidement, passant sans transition de la tristesse à la joie: elle est toujours disposée à aider les nécessiteux et voler au secours des opprimés.
De telles qualités, on s’en doute, rencontrent un sérieux écho dans l’âme noble et chevaleresque de Baldassare. D’ailleurs, tous ceux qui l’approchent, à la cour d’Urbin, reconnaissent l’amour qu’elle porte à tout un chacun et l’aide qu’elle ne cesse de leur dispenser pour leur propre carrière. A tous, jeunes et vieux, elle inspire un égal respect et dévotion, y compris à sa brillante belle-soeur, Isabelle d’Este, la marquise de Mantoue, au tempérament exigeant et jaloux, qui n’a pour elle que des compliments.
Splendeurs de la cour d’Urbin
En dépit de l’absence d’enfants, l’union de Guidobaldo (1482-1508) et d’Elisabeth sera sans nuage depuis leur mariage en 1489 jusqu’à la mort du duc en 1508. Ils vont donner à la cour d’Urbin le lustre inégalé d’une école des arts et des lettres comme celle du maître d’Urbin, pupille de Francesco Francia, Timoteo Viti, qui revient de Bologne en 1495 et qui succède comme peintre de cour à Giovanni Santi. Il va devenir le formateur de son fils Raphael, le maître incontesté de la peinture de la renaissance.
Timoteo Viti Autoportrait le maître d’ Urbin British Museum
Parmi les artistes employés par le duc d’Urbin, il y a Luca Signorelli, Girolamo Genga et Francesco Francia. Il y a également Cristoforo Romano, le sculpteur et musicien, accueilli à Urbin comme un hôte de choix et qui va y faire de fréquents séjours. Il a peint et sculpté d’admirables portraits des deux princesses d’Este, si chères au coeur de Baldassare.
- Giancristoforo Romano Buste en terre cuite d’Isabelle d’Este Marquise de Mantoue Image Web Gallery of Art
- Portrait présumé de Béatrice d’Este (1475-1497) par Ambrogio de Predis Pinacoteca Ambrosiana Milan
La splendeur du palais d’Urbin a ébloui tous ses contemporains et notamment la belle-soeur Isabelle d’Este, qui n’a pu contenir son admiration devant les splendides tapisseries et les trésors d’arts exposés à ses yeux. Baldassare, à son tour peut venir se repaître des tableaux de Melozzo da Forli, de Piero della Francesca ou de Juste de Gand. Il peut librement avoir accès à l’une des plus grandes bibliothèques du monde, au choix le plus savant et ecclectique, qui soit.
Avec un talent certain, le duc a réuni autour de lui un grand nombre d’hommes de lettres qui viennent de toute l’Italie, attirés par le lustre de la cour d’Urbin. Quelques uns des hôtes de la cour deviendront des amis personnels de Baldassare Castiglione. Il y a notamment Julien de Médicis, le fils cadet de Laurent le Magnifique, qui deviendra plus tard duc de Nemours et oncle du roi de France, François 1er, Pietro Bembo qui a fui Venise pour ne pas devenir commerçant. Sans parler des propres cousins de Baldassare ni du comte de Canossa son ami, il y a les deux fils de Gentile de Montefeltre, la demi-soeur illégitime, du duc, qu’elle a eus de Agostino Fregoso: Ottaviano et Frédéric Fregoso, qui ont été chassés de Gênes par les luttes intestines entre grandes familles. Ottaviano a servi comme condottiere et Frédéric est l’évêque de Gubbio: il deviendra archevêque de Salerne en 1507 et, à Rome, sept ans plus tard, le protecteur de Pietro Bembo et de Jacques Sadolet. Les deux frères Fregoso taquinent volontiers les muses et n’hésitent pas à venir concurrencer Baldassare et ses cousins lors des joutes poétiques d’Urbin.
Il y a également le jeune comte lombard Gaspare Pallavicino, qui interviendra dans le dialogue du livre du courtisan et qui, en dépit de son aversion déclarée pour les femmes, était excessivement populaire auprès des deux sexes de la cour d’Urbin. Il y a le capitaine milanais Alexandro Trivulzio, cousin du maréchal de France Jean Jacques Trivulzio, le vieux baron napolitain Sigismondo Morello d’Ortona, qui possède de très vastes domaines dans les Abruzzes, l’écrivain Luigi da Porto, de Vicence,
Parmi les femmes qui entourent la duchesse, il y a tout d’abord sa belle-soeur, Emilia Pia, qui a épousé Antonio Guidobaldo, le demi-frère, illégitime du duc. Son épouse est la soeur de Giberto, cousin du comte Alberto Pio de Carpi, ce dernier étant un homme de la trempe de Baldassare Castiglione, courtisan, ambassadeur et co-fondateur de l’académie Aldine (voir à ce sujet l’article sur ce Blog sur le cardinal Aleandro, l’humaniste et le glaive de l’Eglise). La soeur aînée d’Emilia, Alda, a épousé le comte Gambara de Brescia, de qui elle a eu une fille qui deviendra la fameuse comtesse de Correggio, la poétesse Veronica Gambara.
- Bernardino Loschi Alberto III Pio Prince de Carpi National Gallery Londres
- Raphael Portrait d’Emilia Pia Baltimore Museum of Arts
Alberto Pio, prince de Carpi et neveu de Giovanni Pico de la Mirandole, vient, du reste, faire de fréquents séjours à Urbin, lorsqu’il passe par Rome.
A Urbin, Baldassare croise quotidiennement la duchesse à laquelle le jeune homme va vouer une dévotion extraordinaire. Brûle-t-il d’un amour secret ? Ou bien est-il emporté par sa verve poétique, inspirée par la concurrence entre de si grands esprits ?
Les jeux de cour
En tout cas, la plus belle période de la vie de Baldassare sera son séjour à la cour d’Urbin, du temps du duc Guidobaldo. D’autres survivants de ce petit groupe de grands esprits, comme Piettro Bembo, évoqueront les jours heureux d’Urbin. La matière du livre du Courtisan, sera, tout entière, issue des épisodes de la vie de la cour d’Urbin. Le succès international du livre du Courtisan va contribuer à répandre dans le monde, la légende de la cour d’Urbin, au début du seizième siècle.
A la cour d’Urbin, les activités sont partagées entre les disciplines du corps et celles de l’esprit. La haute société italienne est profondément convaincue que l’éducation littéraire fait partie de la panoplie du parfait chevalier. Et les dames sont ici présentes, pour stimuler la capacité littéraire créatrice des courtisans. Chacun y va de son sonnet, de ses stances, rimes ou chansons. Chacun se fait l’écho de bons mots, de poèmes composés ici ou là, de toutes parts en Italie. On joue des pastorales et des comédies devant les parterres de dames. Le vieux Calmetta, l’ancien secrétaire de la duchesse Béatrice d’Este, visite Urbin au printemps 1504 et il y fait représenter une comédie de sa composition. L’année suivante, ce seront Baldassare et Cesare de Gonzague qui seront les pourvoyeurs des plaisirs intellectuels. L’année suivante, d’autres encore.
Les discussions entre tous ces intellectuels sont passionnées. Il n’est peu qui le soient autant que la controverse entre les performances relatives de la poésie en langue latine et italienne. La question est importante car la culture qui se manifeste essentiellement par un retour à la Rome antique est toute entière, symbolisée par les auteurs classiques latins. Mais Pietro Bembo, le premier, a bousculé cet ordre des choses, en publiant des poèmes en langue vulgaire, ses Asolani (voir sur ce Blog l’article sur le Cardinal Bembo, la religion de l’amour) . Il s’efforce de travailler également à une grammaire de la langue italienne vulgaire. Et pourtant, il fait partie des linguistes qui ont l’écriture latine la plus élégante d’Italie.
Aux premiers temps de l’arrivée de la duchesse Elisabeth à Urbin, le duc organisait de fréquents tournois et joutes. En 1489, l’année de son mariage, il avait notamment invité le célèbre jouteur Pietro da Monte, qui deviendra quelques années plus tard le professeur d’escrime et de lance de Baldassare à Milan, le fameux auteur du traité d’escrime. Mais depuis que le duc est atteint par la goutte, les activités physiques ont largement laissé la place à des plaisirs plus intellectuels ou à des jeux.
En cette matière, c’est la confidente de la duchesse, Emilia Pia, qui est la grande ordonnatrice. Elle fait notamment se placer en cercles, des groupes de cavaliers et de dames, assis le plus loin possible les uns des autres, puis la duchesse, ou plus fréquemment, sa dame de compagnie, décide ce que sera la réjouissance de la soirée: lorsque les dames sont présentes, on préfère la musique et le chant. On joue des quatuors à cordes ou des motets de Josquin des Prés, le fameux compositeur flamand, qui, ayant quitté le service du pape Sixte IV et de Laurent le Magnifique est devenu aujourd’hui le chef de choeur du duc de Ferrare. Quelquefois, la duchesse elle-même prend son luth pour chanter des vers de Pétrarque ou les lamentations de Didon, de Virgile, qui sont l’un de ses morceaux préférés. Quelquefois, c’est au tour de Jacopo di Sansecondo de prendre la viole qu’il joue en musicien chevronné, voire au vieux seigneur Ortona, qui est un maître au luth.
Puis, c’est au tour de Magharita et Constanzo Fregoso de joindre leurs mains et d’engager une danse basse espagnole, savante. La danse est l’art du courtisan, par excellence et chacun se doit d’être un parfait danseur. Pendant les longues soirées d’hiver, des bals sont organisés où tous les membres de la cour, hommes et femmes, sont conviés à la danse.
Un autre jour, ce sont des joutes de récits et de bons mots. On raconte des histoires, des énigmes qu’il s’agit de faire deviner au public. On fait un concours de devises. On fait un jeu de sonnets improvisés à la base d’un mot ou d’un thème. Les courtisans sont si agiles que les mots d’esprit abondent et chacun prend un plaisir infini à ces joutes oratoires.
Mais il est défendu d’être grivois ou de se laisser aller à la vulgarité.
Bientôt, ces joutes intellectuelles d’Urbin, commencent à être connues de toutes les régions d’Italie. Et on vient de plus en plus loin et de plus en plus nombreux, à Urbin pour présenter son respect aux souverains et profiter des plaisirs de la cour. Car l’atmosphère y est totalement libre, dépourvue de contrainte et empreinte de familiarité de bon ton. Quel que soit le rang du visiteur, prince de l’église ou simple étudiant, il est certain d’être accueilli avec la même bonhomie. Comme le dira Bembo plus tard: “Je suis venu à Urbin avec quarante ducats en poche et j’y suis resté six ans“. Les passeports pour cette noble assemblée se nomment le mérite, l’excellence et la vertu.
En 1505, le duc décide d’envoyer Baldassare en qualité d’ambassadeur en Angleterre, afin de prêter son serment de chevalier de l’ordre de la Jarretière. Baldassarre, en sa qualité de noble et de comte est plus crédible que quiconque, aux yeux des Anglais, pour traiter de questions d’honneur. Mais la mission est retardée à plusieurs reprises pour des raisons diverses et sera reportée à l’année suivante.
En décembre 1505, la plupart des invités de la cour sont repartis. Le duc décide d’expédier Baldassare en ambassade auprès de son beau-frère le marquis de Mantoue, pour l’informer confidentiellement des intentions du pape Jules II dans sa guerre avec Venise. Le pape réfléchit actuellement à un coup de main contre Pérouse. Le duc sait qu’il peut avoir une totale confiance dans la rectitude morale de son serviteur, qui n’est que trop heureux de pouvoir revenir à Mantoue pour voir sa mère. Il part avant noël et il est à peine arrivé à Ferrare, que son optimisme est douché: il reçoit de nombreux avis de la part de tous ses amis de ne pas se rendre à Mantoue car le Marquis a décidé de le faire emprisonner s’il se présente. Il demande de nouvelles instructions à son maître qui décide de le rappeler à Urbin.
Les fêtes du carnaval de 1506 sont inhabituellement joyeuses à Urbin car le duc, obligé d’assurer son service à Rome, auprès du pape, est resté près d’un an absent. Ses sujets lui font alors une fête extraordinaire. Les festivités du carnaval vont être couronnées par la représentation que donne Baldassare avec son cousin, Cesare Gonzague, devant le duc et la duchesse et une brillante compagnie. Il s’agit d’une pièce pastorale en vers, en langue vulgaire, baptisée par Pietro Bembo, “l‘églogue de Messire Baldassare“. Une magnifique Moresca (danse morisque – voir sur ce Blog l’article sur les danses morisques), la plus belle jamais représentée à Urbin, a conclu la soirée, les bergers, nymphes, cavaliers et dames, défilant devant la grande table du duc et de la duchesse, la main dans la main, en chantant.
Ambassade à Londres auprès de Henry VII
En mai 1506, Baldassare se prépare à partir pour Londres. En plus des cadeaux habituels, faucons et chevaux de prix, cette fois ci, le duc souhaite un présent plus personnel, qui pourra témoigner, à l’étranger, du niveau atteint par les arts en Italie. il a donc confié à un artiste originaire d’Urbin, qui se trouve justement revenu pour quelques dans sa ville natale: il s’agit de Raphael. Le sujet de la peinture est Saint Georges, le saint patron de l’Ordre de la Jarretière, terrassant le dragon.
Avant son départ, Baldassare doit absolument être sacré chevalier car, en sa qualité de représentant du duc d’Urbin, il va devoir plaider devant une assistance à laquelle l’accès n’est autorisé que pour les chevaliers. Mais le départ pour l’Angleterre est encore retardé de quelques mois, par suite de la mauvaise humeur manifestée à son encontre par le marquis de Mantoue, qui retarde exprès la remise à son beau-frère des chevaux de luxe qu’il a promis. Pour finir, Baldassare adresse, fin mai, à son ancien maître une lettre humble et soumise par laquelle il réclame l’honneur de venir lui présenter ses respects en partant pour l’Angleterre.
Le marquis a-t-il été convaincu par cette lettre ou a-t-il renoncé à faire patienter le duc ? Il expédie, le 8 juillet 1506, les faucons et les chevaux, promis à son beau-frère. Baldassare s’est déjà mis en route. Il aura encore maille à partir avec le marquis de Mantoue qui va le faire patienter à Milan, dix jours encore. Mais Baldassare a décidé de faire le dos rond car il vient d’apprendre la mort de son jeune frère, pour l’avancement duquel, il a remué ciel et terre. Le 20 septembre, il est à Lyon. Aussi vite qu’il ait voyagé, il arrive à proximité de l’atlantique à une époque défavorable pour la traversée. Le pape Jules II, lorsqu’il n’était que cardinal, n’a-t-il pas lui-même renoncé à traverser par suite des tempêtes à répétition ? Fort heureusement pour lui, il trouve des conditions clémentes et atterrit à Douvres, le 20 octobre 1506. Il est accueilli par Sir Thomas brandon, venu à sa rencontre.
Henry VII Ecole anglaise 1600 Collection Society of Antiquaries of London Accredited Museums
A Londres, Baldassare rencontre de nombreux Italiens, attirés par la politique d’ouverture d’Henry VII, qui encourage les commerçants de Florence et de Venise à s’établir en Angleterre. De plus, Henry VII aime à s’entourer d’Italiens, comme Silvestro Gigi, qui a succédé à son oncle comme évêque de Worcester, que le roi a conservé auprès de lui comme Maître de cérémonies. Baldassare a très bien connu l’évêque lorsqu’il était à Rome, ce qui va, bien sûr, lui faciliter l’accès au souverain.
Le comte reçoit un accueil cordial de la part du roi anglais qui dialogue avec lui en italien. Comme il va rapidement s’en rendre compte, le souverain anglais est parfaitement informé de la situation politique en Italie et du caractère de chacun de ses princes. Le 7 novembre, au château de Windsor, il reçoit l’envoyé ducal comme chevalier de l’ordre, au nom du duc absent et lui offre à souper.
Cérémonie de réception à l’Ordre de la Jarretière
Le lendemain, Baldassare entre dans le choeur de la chapelle Saint George du château de Windsor, où trois chevaliers vêtus de leur manteau bleu, l’attendent pour le conduire à la stalle assignée au duc. Ensuite, le “proxie“, suivant la terminologie de l’Ordre de la Jarretière, agenouillé devant l’autel, prête solennellement serment devant les évangiles, au nom de son seigneur le duc et promet de protéger les statuts de l’ordre et défendre, du mieux qu’il peut, les libertés et franchises du Collège Saint George, où le très noble ordre a été fondé.
Une fois la cérémonie d’intronisation terminée, le “proxie” est conduit par ses frères chevaliers à la grande salle attenante, où un banquet a été préparé. Castiglione s’assied alors à la place d’honneur, servi par les autres chevaliers qui prennent place en bout de table. Il y a une tradition, pour les nouveaux membres de l’Ordre, de verser de grandes aumônes et dons aux prêtres, vicaires, sacristains et sonneurs de cloches, du collège de Windsor et aux pauvres chevaliers de l’Ordre. Mais fort heureusement pour les finances de Baldassare, c’est le roi qui se charge de ces dons, s’agissant de la réception des étrangers.
A l’occasion de la réception qui lui est donnée par le roi, il a dû rencontrer le prince de Galles, si l’on en croie les compliments élogieux qu’il décerne à ce prince dans le livre du Courtisan. Le 26 janvier il atteint Lyon et le 9 février 1507, il peut écrire de Milan à sa mère qu’il est revenu sain et sauf et en bonne santé.
La grande réussite de sa mission à Londres fait de Baldassare le serviteur le plus écouté et le plus proche du duc. A Mantoue, ses amis et sa mère s’évertuent à essayer d’apaiser la frustration et la colère du Marquis contre son ancien favori. Ce dernier n’a aucun ressentiment à l’égard des membres de la cour d’Urbin, puisqu’il reçoit très cordialement le comte de Canossa, l’un des meilleurs amis de Baldassare, venu plaider sa cause à Mantoue. Mais en pure perte. Et Baldassare songe alors à échanger ses terres de Mantoue, qui rapportent 700 ducats par an, contre un patrimoine équivalent près de Bologne, avec le condottiere Ercole Betivoglio (1459-1507). Mais l’affaire ne se fera pas car le condottiere va mourir quelques semaines plus tard.
Pour l’heure, le duc a décidé de lui confier une nouvelle mission de confiance, celle de prêter serment d’hommage, à la suite d’Alphonse d’este, duc de Ferrare et de François de Gonzague, au roi de France Louis XII, venu réduire sa cité de Gênes, révoltée (voir l’article sur ce Blog sur Gênes, entre insurrection et soumission 1352-1512). Cependant, arrivé à Bologne le 19 mai, Baldassare apprend que le roi, ayant triomphé des Génois, est reparti sur Milan où il décide de se rendre.
Mais il est arrêté à Bologne par suite de soucis financiers car les missions d’ambassade coûtent cher et les problèmes financiers seront, toute sa vie, l’un de ses principaux soucis. Il est dépanné par le cardinal Ippolito d’Este, le frère du duc de Ferrare, ce qui lui permet d’être avec le roi, lors de son entrée fastueuse à Milan, le 24 mai 1507.
Il observe avec des yeux admiratifs: passent tout d’abord les enfants de Milan, portant des fleurs de lys, puis les trois cents chevaliers milanais en armure argentée étincelante. Les femmes sont belles et parées comme dans un rêve, vêtues de drap d’or et de velours cramoisi (l’étoffe la plus chère) et portant des bijoux compliqués enroulés autour de leurs cheveux torsadés.
Les cardinaux d’Amboise, de Ferrare et de Sanseverino, entourent le roi, immédiatement suivis de Jean Jacques Trivulzio, le maréchal de France qui a conquis Milan, huit ans plus tôt et par le jeune duc de Bourbon, âgé de dix-sept ans, le futur connétable de France, qui fait l’objet du nom de ce Blog. Baldassare regarde avec intérêt ce jeune homme qui est le fils de Chiara Gonzague que son père a accompagnée, trois ans après sa naissance, à Montpensier en Auvergne, pour y épouser le vice-roi de Naples, Gilbert de Montpensier: le jeune cadet de famille est devenu, entre temps, par suite de la mort sans héritier de plusieurs proches parents, le deuxième prince du sang dans l’ordre de succession à la couronne et, par mariage avec sa cousine, le seigneur le plus riche d’Europe.
A côté du roi, il observe également le héros de son enfance à Milan, le meilleur cavalier d’Europe, le gendre de Ludovic le More, devenu, depuis deux ans, le grand écuyer de France, Galeas de Sanseverino.
- Léonard de Vinci Galeas de Sanseverino 1483 Pinacoteca Ambrosiana Milan
- Leonard de Vinci La belle princesse Bianca Sforza fille illégitime de Ludovic le More Epouse de Galeazzo Sanseverino Collection privée Feuille détachée au XVIIIème siècle du manuscrit Sforziada – 1490 Librairie Nationale de Pologne
Il aperçoit également Jacques de Crussol, vicomte d’Uzès, le gigantesque capitaine des archers, qui a capturé sept ans plus tôt Ludovic le More à Novare, en 1500, puis le duc de Ferrare et le marquis de Mantoue, qu’il n’a plus vu depuis bientôt quatre ans.
Après la messe au Dôme de Milan, le roi s’est rendu au Castello pour y recevoir les ambassadeurs, dont Baldassare. Il est invité ensuite à la grande réception donnée par le vieux maréchal Trivulzio, où se presse toute la bonne société italienne. Nombreuses sont les femmes qui ont aperçu le jeune courtisan dans l’une ou l’autre cour de Milan, de Mantoue ou d’Urbin et qui lui adressent un signe de reconnaissance : il retrouve notamment Margharita Pia, la soeur d’Emilia Pia d’Urbin, qui a épousé le jeune Antonio Sanseverino, la comtesse de Musocho, belle-fille du maréchal Trivulce. Mais aucune n’arrive à la cheville de la magnifique marquise Isabella d’Este de Mantoue, l’arbitre des élégances, qui est le point de mire de tous les regards dès qu’elle entre dans la salle et que le roi va inviter à danser.
Titien Isabella d’Este en noir 1534-1536 Kunsthistorisches Museum Wien ARTstor.
Le climat à Urbin en cette année 1507 est capricieux. L’hiver exceptionnellement froid et rigoureux sera suivi d’un été caniculaire et la pluie ne va pas tomber pendant plus de dix mois. A la cour, par contre, le voyage du pape à Urbin, l’année précédente, pendant le voyage de Baldassare en Angleterre, a attiré le regard de toute l’Europe, qui s’est mise à défiler : le roi catholique Ferdinand d’Aragon et sa toute nouvelle épouse, Germaine de Foix, la nièce de Louis XII, ont tenu absolument à visiter Urbin. Un visiteur plus prestigieux encore, l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Maximilien 1er, très curieux de voir le palais extraordinaire d’Urbin, a annoncé sa prochaine visite. Les hommes de lettres se succèdent à leur rythme habituel: Philippe Béroalde le jeune (voir l’article sur ce Blog sur la bibliothèque vaticane et ses préfets à la renaissance) est venu avec le jeune poète Latino Giovenale Manetti (1486-1553), l’ami de Pietro Bembo, Bernardo Dovizi da Bibbiena, le futur cardinal et auteur, est venu également, en août, Margharita Gonzaga que Baldassare a courtisée plusieurs années auparavant et qu’il appelle sa fiancée, dans ses lettres, a fait également le déplacement, et, en octobre, c’est au tour de Raphael, le peintre, grand ami de Baldassare, qui l’a connu à son arrivée à Urbin. Le duc et la duchesse, pareils à eux-mêmes, ont accueilli chaque visiteur avec grâce et amitié. Comme le répètent Pietro Bembo et Baldassare, la cour d’Urbin à cette époque, c’est “la maison de la joie et de la fraternité, un abri, un havre où les âmes troublées peuvent trouver la paix de l’esprit“.
A Urbin, l’atmosphère est habitée des auteurs classiques et de poésies. Pietro Bembo qui est en correspondance avec la terre entière, ne cesse d’apporter des poèmes qu’il reçoit de Rome et d’ailleurs, et notamment de la jeune comtesse de Correggio, Veronica Gambara, dont il a encadré et formé le talent, dès 1504 : les poèmes de la jeune comtesse se passent de main en main. Lorsque la soirée s’achève, “la compagnie se lève et prend congé de la Dame, par une révérence, et rejoint ses chambres à la lumière des torches” comme le dira plus tard le livre du Courtisan (Livre IV – 73).
La mort du duc Guidobaldo
En décembre 1507, un décès plonge la cour d’Urbin dans le deuil: Bembo est alors reparti à Rome, chez Bernardo Bibbiena, le secrétaire du cardinal Jean de Médicis, qui habite le Vatican, du côté de la villa du Belvédère (voir l’article sur ce Blog sur L’Antiquarium, le jardin d’un pape esthète de la renaissance). Julien de Médicis le plus jeune frère du cardinal, les a rejoints, à la fin décembre.
En janvier, le duc est brutalement tombé malade d’une sévère attaque de goutte qui va le maintenir au lit pendant de longues semaines. La neige a fait son apparition. Le temps est devenu brutalement très froid. Sur le conseil de son médecin, le duc est transporté à Fossombrone dont on espère que le climat l’aidera à se rétablir. Effectivement, le 4 février, Baldassare peut adresser un rapport favorable sur l’état de santé du duc.
Mais, début avril 1508, son état se détériore brutalement. Le 11 avril il réclame les saints sacrements que lui administre l’évêque de Fossombrone. Il adresse ses dernières volontés à son fils adoptif et héritier, François Maria della Rovere, préfet de Rome (1490-1538), et lui demande de traiter avec respect et amour filial, sa belle-mère, Elisabeth Gonzague et de lui obéir en tout. Il lui recommande de gouverner son peuple avec humanité et de prendre pour modèles son oncle, le pape Jules II et son grand-père, le grand condottiere Frédéric de Montefeltre.
Francois Marie della Rovere, jeune, neveu de Guidobaldo da Montefeltro et du pape Jules II Raphael Galerie des Offices Florence
Puis, à peine une heure plus tard, le duc s’éteint doucement, sans que Baldassare, agenouillé aux pieds du lit, ne s’en rende compte. Comme le dira plus tard Pietro Bembo dans une lettre “Personne n’est mort d’une manière plus calme et noble ni plus chrétienne“.
Pendant toute la maladie de son époux, la duchesse a bravement tenu le coup. Mais à l’annonce de la mort de son époux tant aimé, elle s’est effondrée entre les bras de Madonna Emilia. En début de soirée, le 12 avril, toute la maison du duc est alignée à l’extérieur, des torches à la main, et des contadini de Fossombrone ont porté le corps du duc sur leurs épaules, depuis sa chambre, jusqu’à l’église San Bernardino où les ont retrouvés la duchesse, arrivée en litière d’Urbin et le préfet, venu à cheval de Rome.
Le lendemain, les dernières volontés du duc sont ouvertes. La régence du duché est confiée à la duchesse douairière, jusqu’à ce que le prince-héritier ait atteint l’âge de 26 ans. Puis, le nouveau duc est officiellement investi, il reçoit les clefs de la ville dans une coupe d’argent et, suivi de la toute jeune Eléonore de Mantoue (1493-1550), qu’il a épousée l’année précédente, il va faire le tour de la ville.
Mais l’excitation populaire est telle que son beau manteau de satin blanc doublé de drap d’or, est mis en pièces et, pour satisfaire la foule, le nouveau duc se trouve placé dans l’obligation de leur offrir à la place une robe de velours noir et un manteau de brocart d’or.
Puis, la duchesse a reçu les habitants de Fossombrone, venus lui présenter leurs condoléances: “j’ai perdu un époux bien-aimé et vous, un prince dévoué et un père” leur répond-elle.
La mort du duc d’Urbin va être universellement pleurée d’un bout à l’autre de l’Italie et à l’étranger, tant est forte et durable l’influence des princes lorsqu’elle s’appuie sur la république des lettres.
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[i] Cet article a été réalisé à partir du livre I et du livre II de “Baldassare Castiglione, the perfect courtier, his life and letters, 1478-1529″ par Julia Mary Cartwright, LONDON JOHN MURRAY, ALBEMARLE STREET, W. 1908.
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