L’histoire de Barberousse est en réalité l’histoire successive de deux frères, Aruj et Khaïr Eddine, pirates en Mediterranée, qui vont fonder un royaume, celui d’Alger, au début du seizième siècle. Ils sont les plus terribles ennemis des rois d’Espagne avec lesquels ils vont rester en guerre toute leur vie. Meurtriers, criminels, ils vont tracer à la pointe de leurs cimeterres, une longue traînée de sang mais ils pourront prétendre également à l’immortalité des grands guerriers.
Les frères Yacoub de Mytilène
Les frères Barberousse, de leur vrai nom Yakoub[i], sont originaires de Mytilène, une île conquise par les Turcs au XVème siècle. Le père, Yakoub, un renégat, ancien marin du sultan, s’est fixé dans l’île après la conquête et a épousé Catalina, la veuve d’un prêtre grec. Elle lui a donné six enfants : deux filles, chrétiennes comme leur mère, qui deviennent religieuses dans un couvent de Mytilène et quatre fils, tous musulmans : Elias, Ishak, Aruj (prononcer Aroudj), né en 1474 et Khirz, né en 1478.
Yakoub, qui est potier, va vendre ses produits par cabotage entre les îles de l’archipel : il prend avec lui son troisième fils, Aruj, tandis que Khirz devient potier, Ishak, charpentier et qu’Elias s’adonne aux études religieuses. Le jeune Aruj devient un marin expérimenté qui, tout en se livrant au commerce, s’adonne, sur sa petite barque, à la piraterie quand il ne se trouve pas à portée des navires des chevaliers de Rhodes, qui assurent la police maritime de toutes les côtes occidentales de l’empire turc.
A la mort de son père, Aruj renonce à sa barque et va chercher fortune à Constantinople, où il sollicite, en tant que fils d’un guerrier du sultan, un emploi dans la marine. Il est nommé « comite »[ii] d’une galère engagée dans la lutte contre les chevaliers de Rhodes.
Carte de Constantinople par Georg Braun 1572 Civitates Orbis Terrarum Biblioteca Nacional de Espana
Près de l’île de Candie (la Crète), la galère est prise à l’abordage par deux vaisseaux Hospitaliers (voir sur ce Blog l’article sur les Chevaliers de Rhodes) qui la contraignent à déposer les armes. Aruj, qui est fait prisonnier et vendu comme esclave à deux chevaliers de Rhodes, adresse de ses nouvelles à ses frères. Khirz se déplace aussitôt avec un marchand chrétien jusqu’à Bodrum (Halicarnasse), une ville turque à une petite distance de Rhodes. Le marchand chrétien parvient à prendre contact avec Aruj. Le montant de la rançon est trop élevé pour les moyens de la famille. Aruj reste prisonnier.
Ile de Rhodes Orbis Civitates Terrarum BNF
Il en profite pour apprendre l’italien, le français et à se familiariser avec les rouages de cette grande puissance maritime. Mais bientôt, les Hospitaliers se lassent de nourrir cette bouche inutile et ils l’enchaînent au banc de rame pour de longs mois épuisants où le jeune Aruj forge sa haine des Hospitaliers. Une nuit, alors que sa galère est amarrée à proximité des côtes turques, où elle était venue s’emboucher pour discuter des conditions de libération d’un certain nombre de prisonniers, de part et d’autre, une violente tempête survient. La galère, ballottée en tous sens, toute la nuit, chasse sur ses ancres. A bord c’est le désordre, partout. Aruj parvient, en se blessant à la jambe, à se libérer de ses fers et à se jeter à l’eau, d’où, manquant vingt fois de périr, il réussit à rejoindre la côte et à se hisser sur un rocher. Il est recueilli au petit matin par des paysans, tandis que les Hospitaliers, alertés par sa disparition, se lancent à sa recherche.
Il réussit à regagner Constantinople où les trésoriers, loin de plaindre son infortune, lui reprochent la perte de son navire. Il fait alors toutes sortes de petits métiers journaliers, avant de trouver un engagement comme timonier, à bord d’un brigantin, armé en course et conduit par deux patrons. L’un des patrons meurt fortuitement au cours d’une relâche dans un port. Aruj organise une mutinerie de l’équipage, au cours de laquelle l’autre patron est assassiné : il réussit à se faire élire capitaine par les matelots. Il se rend alors à Mitylène et, sans doute peu confiant dans la vertu de son équipage, propose à ses frères de venir le seconder.
Le pirate Aruj en Méditerranée occidentale
Aruj, mis au ban de Constantinople par cette action, se met à attaquer, vers 1503, indifféremment vaisseaux turcs et chrétiens, qu’il capture. Il dispose maintenant d’une flottille de trois navires lorsqu’il croise près de Lipari (Iles Eoliennes au nord de la Sicile), en 1505, un fort navire espagnol qui transporte 60 gentilshommes et leur suite, de près de trois cents personnes. Aruj attaque férocement mais les Espagnols parviennent à repousser plusieurs assauts. Pour finir, une attaque combinée avec son frère permet de créer le surnombre. Les équipages réunis des deux navires parviennent à forcer les Espagnols à se rendre.
Aruj, blessé, conduit alors triomphalement sa prise à Tunis où il demande au sultan Mohammed Moulay Hassan, le droit de refuge pour lui et ses hommes, dans les ports de Tunisie, droit qui lui est immédiatement accordé. Il appartiendra à son frère Khair Eddine, de conduire, dans un défilé des Mille et une nuits, le splendide cortège des captifs qu’il va offrir au sultan, pour le prix de sa protection.
Le sultan accepte le présent, retourne à celui qui vient de devenir son corsaire, une aigrette en diamant et il l’autorise à choisir son meilleur navire pour se livrer à la guerre de course. Leur route croise un riche navire hollandais. Il faut rentrer à Tunis pour revendre la cargaison. Mais une révolution de palais a remplacé Moulay Hassan par l’un de ses frères, qui accroît ses prétentions et exige désormais de se voir remettre la totalité du butin en échange de sa protection. Aruj ne cède pas et il part aussitôt se réfugier aux îles Gelves (Djerba) où se sont regroupés plusieurs corsaires.
C’est vers cette époque qu’Aruj conquiert son surnon de Baba Aruj (père Aruj), qui va bientôt devenir pour les Chrétiens, un véritable patronyme, celui de Barberousse, par la déformation française du nom arabe. Patronyme que Khayr Eddine va récupérer à la mort de son frère et qui deviendra le sien au regard de l’histoire.
A partir de cette base, Aruj va se livrer, pendant cinq ans, à une succession de brillants et heureux coups de main sur les côtes italiennes, de France et d’Espagne. Une opération va contribuer notamment à son renom[iii]. En 1509, Aruj vogue avec un brigantin de dix-huit bancs de rames, lorsque sa route croise deux puissantes galères du pape. Il tente de fuir mais il est rapidement rattrapé par l’une des deux galères, tandis que la seconde est distancée. La galère papale lance l’abordage : ils sont dix fois plus nombreux que l’équipage d’Aruj, qui finit par se rendre. Le capitaine, Paolo Vittorio fait transborder les prisonniers barbaresques sur son navire pour les mettre aux fers. Arrivé sur la galère du pape, Aruj constate que le désordre est total, car tous les marins tentent de se ruer sur son brigantin pour participer au pillage.
Il crie alors à ses hommes de faire comme lui. Il se rue sur le capitaine, qu’il assomme, avant de s’emparer de son épée et de reprendre le combat. Ses hommes se libèrent, pillent le ratelier d’armes et reprennent le combat. Dans le désordre le plus total, la résistance est faible et les pirates se rendent rapidement maîtres de la galère, qui est remise en route, trainant derrière elle le brigantin. Il n’est que temps, l’autre galère se présente, sans méfiance, pour participer au pillage, tandis qu’Aruj se dirige vers elle nonchalamment.
Les galères sont maintenant l’une à côté de l’autre : les grappins sont jetés et l’autre galère est capturée avant même que les armes aient pu être distribuées.
Aruj va ensuite piller les côtes d’Espagne. Il en repart, pourchassé par la flotte de Don Berenguel Doms et son chemin le jette du côté du port de Bougie qui vient d’être capturé, en 1510, par les Espagnols[iv]. La ville de Bougie avait été pendant longtemps vassale du sultan de Tunis. Il n’est donc pas très difficile à Aruj, de convaincre Moulay Ahmed de lancer une attaque sur Bougie.
Aruj fait le siège des Espagnols à Bougie
Ce dernier lui donne deux fustes équipées et armées, qui, jointes aux trois navires d’Aruj, le mettent à la tête de cinq cents hommes.
Modèle de Fuste portugaise BNF
Il part en 1513 attaquer Bougie. Aruj fait débarquer ses hommes et lance plusieurs assauts furieux sur la ville. Mais la place se défend énergiquement Au cours du premier assaut, une pièce de petit calibre, un fauconneau, vient lui briser le bras. L’amputation est nécessaire pour éviter la gangrène. Cet accident interrompt la campagne. Les frères Yacoub reprennent la mer pour l’Espagne car Aruj, qui ne souhaite pas rentrer bredouille, a formé le projet de rapatrier des maures chassés d’Espagne par les rois catholiques. Il vient croiser, du côté de Minorque, un marché d’esclaves florissant, que tous les navires ont déserté à la vue des voiles barbaresques. Khayr Eddine décide de débarquer 150 hommes.
Puis il avise un château, non loin de là, entouré de magnifiques jardins. Encouragé par ses hommes, excités par la perspective d’un butin, il lance l’assaut. Au bout de plusieurs heures d’une lutte farouche, il parvient à prendre pied dans le château et à capturer quarante-cinq chrétiens et un riche butin. Avisant un autre château, non loin de là, il divise sa troupe et expédie les trois quarts au navire, ne retenant qu’une quarantaine d’hommes. Mais il aperçoit une troupe de trois-cents Minorquins qui lui barrent la route. La position devient critique pour le pirate de Tunis. Mais prenant la tête de ses hommes, il se rue à l’attaque et les disperse rapidement. Après Minorque, les deux frères passent par la Corse où ils font quelques prises, avant de rentrer à Tunis.
En 1515, Aruj se prépare à une nouvelle expédition contre Bougie. Cette fois, une opération combinée par terre et par mer est prévue. Le sultan de Tunis a pris contact avec un cheik kabyle de Jijel, Ahmed Ben-el-Gadhi, qui a été chargé de lever des troupes pour venir assiéger la ville. Aruj a réuni douze galiotes[v] soit un millier d’hommes. Il a laissé ses galiotes à l’ancre dans l’Oued El Kebir.
Aruj a débarqué ses forces, ses approvisionnements et son artillerie, qu’il a positionnés sur la montagne qui commande la rade. Il lance plusieurs assauts contre le château neuf, qui sont tous repoussés, ce qui lui coûte la perte de près d’un tiers de son effectif, pendant que la garnison de Bougie reçoit un renfort de près d’un millier de combattants espagnols. Son frère Ishak est tué lors de l’un de ces assauts. Au bout de trois mois de siège stérile, ses navires se sont échoués avec le reflux des eaux de l’Oued en été. La mort dans l’âme, il met le feu à ses navires pour qu’ils ne tombent pas dans les mains de ses ennemis et il lève le siège de Bougie. Il se réfugie chez Ahmed Ben-el-Gadhi à Jijel. Tous les corsaires et ses amis l’ont abandonné. Avec un tel résultat, la route de Tunis lui est fermée. Il n’a autour de lui qu’une quarantaine d’hommes. Ses deux frères sont retournés à Tunis.
Aruj, roi d’Alger
Mais c’est à Jijel que la fortune va venir le chercher, pour le faire roi. Car le 23 janvier 1516, le roi Ferdinand d’Aragon, est mort. Et la population d’Alger veut se soulever contre la domination espagnole. La forteresse du Penon, qui contrôle la rade, empêche la ville de poursuivre son activité de course, source de sa richesse. La ville a décidé de se soulever. Mais elle a une confiance modérée dans son émir, Salim at-Toumi, faible et pusillanime, qui paraît plus soucieux de préserver les intérêts espagnols que ceux de la ville. L’émir ne peut pas s’opposer à l’envoi par l’oligarchie commerçante de la ville, d’émissaires auprès du seul homme qui a osé se dresser contre les Espagnols, Aruj.
Algerii Saracenorum vrbis fortissimae Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
La décision de ce dernier est vite prise. En fait sa situation était désespérée. Cette offre providentielle lui permet de disposer d’une base sûre pour ses navires, pour remplacer celle de Tunis, devenue inaccessible.
A l’arrivée d’Aruj à Alger, la population tout entière, l’accueille comme un libérateur. Aruj devient l’hôte de Salim at-Toumi. Il écrit à son frère, Khayr Eddine, de recruter le plus grand nombre possible de soldats turcs. Ils sont nombreux ceux qui souhaitent participer à l’aventure que promet ce diable d’homme, qui paraît remonter plus haut à chaque échec qu’il rencontre.
Aruj reçoit donc un premier contingent de deux cents quatre vingts turcs triés sur le volet, auxquels il promet double solde. Puis plusieurs contingents supplémentaires lui parviennent, de sorte qu’il se trouve à la tête de près d’un millier de solides combattants aguerris. Il décide alors de lancer l’attaque sur le Penon, non sans avoir proposé à la garnison espagnole de deux cents hommes, de se rendre. Il bombarde le fort pendant trois semaines environ avec des pièces de calibre insuffisant n’infligeant aucun dégât sérieux aux Espagnols. Mais ce tir lui permet d’occuper les Algérois pendant que ses effectifs continuent de se renforcer.
Se sentant désormais suffisamment fort, Aruj a décidé d’assassiner l’émir d’Alger. Il se fait accompagner d’un sicaire turc qui étrangle proprement l’émir au moment où il prend son bain. Puis il se retire subrepticement. Il revient ensuite, théâtralement pour constater avec de hauts cris la mort de l’Emir qui se répand dans Alger. Il est trop tard pour les Algérois, qui n’ont fait que remplacer leur sujétion par une autre, plus dure encore. Aruj se fait acclamer par ses troupes qui le déclarent roi en le suivant partout dans la ville, calfeutrée.
Dès les premiers instants de sa prise de pouvoir Aruj fait feu de tout bois, dans tous les domaines : défensif, économique, financier, monétaire, religieux. Il fait venir ses frères et notamment son frère aîné, Elias, dont il espère que le zèle religieux lui conciliera les Ulémas de la ville. Il étend la zone d’influence de la ville vers le sud, l’est et l’ouest, jusqu’à Cherchell.
Les Algérois confrontés aux abus d’une soldatesque impitoyable, aux rapts de femmes, aux violences qui émaillent la vie quotidienne, commencent à regretter l’équité des Espagnols. Ils se mettent alors à ourdir une dangereuse conspiration, avec la complicité de la garnison espagnole du Penon. Ils ont prévu d’incendier les galiotes qui ont été tirées sur le rivage, afin d’attirer les Turcs pour éteindre l’incendie. Toute la population d’Alger pourrait alors acculer les Turcs à la mer et les éliminer un à un.
Mais un tel secret ne peut pas être partagé par une multitude. Aruj est bientôt informé du plan des mutins, dans tous ses détails. Il se contente de renforcer sa garde auprès des vaisseaux et des portes de la ville et il vaque à ses occupations habituelles puis il se rend à la mosquée. Les principaux notables, auteurs de la conspiration l’ont à peine rejoint que les portes se referment et vingt-deux conjurés sont promptement passés de vie à trépas et leurs corps trainés dans les rues et jetés dans de grands cloaques qui existaient alors au centre de la ville. Les Algérois se le tiennent pour dit et ne tenteront plus jamais de se révolter.
Siège d’Alger par les Espagnols en 1516
Mais Aruj doit bientôt affronter une menace beaucoup plus consistante car le cardinal Jiménez de Cisneros, régent de Castille, dans l’attente de l’accession au pouvoir du jeune duc de Luxembourg (futur Charles Quint), sitôt informé de l’arrivée des pirates turcs à Alger, a décidé de les déloger en levant huit mille hommes, dont il confie le commandement à Diego de Vera.
Portrait du cardinal Francisco Jimenez Cisneros Régent d’Espagne par Eugenio Caxes 1604 Ministère de l’Education et des Sciences, Madrid.
La flotte espagnole arrive en vue d’Alger dans les derniers jours de septembre 1516. Elle débarque l’armée qui se positionne aussitôt autour des murs de la ville. Car Alger est entourée de murs de tous côtés, murs sur lesquels de nombreuses maisons se sont adossées à l’intérieur de la ville, qui nuisent à la capacité de défense et dont les fossés au pied des remparts, ne sont ni suffisamment profonds ni assez larges.
Le fils de l’émir assassiné, Salim at-Toumi, se trouve dans les troupes de débarquement. Sa présence doit encourager les maures à se révolter contre leurs oppresseurs. Mais ces derniers, depuis la conspiration ratée, n’ont pas la moindre velléité de se soulever.
Selon les informations des Espagnols, sans doute obtenues du fils de l’émir, la ville n’est défendue que par six cents Turcs. Vera divise donc son armée en quatre corps, qui attaquent simultanément la ville de plusieurs côtés à la fois, pensant que le surnombre face à des défenseurs réduits, sera plus facile à établir.
Mais Aruj a laissé ouvertes les portes de la ville. Craignant avec raison un piège, les Espagnols escaladent les murs mais leur premier assaut est repoussé.
Car ce qu’ignore le fils de l’émir, c’est qu’Aruj a, depuis lors, fortement renforcé ses troupes, notamment par des Maures chassés par les rois catholiques, qui sont maintenant plusieurs milliers de combattants aguerris. Fidèle à sa tactique habituelle, Aruj organise, le 30 septembre, une sortie de toutes ses forces, en fonçant droit sur ce qui apparaît comme les troupes les plus solides de l’attaquant. Il crée la surprise car les troupes espagnoles sont psychologiquement en position pour le siège de la ville, et non pas soudées en position de combat. Le corps compact des turcs vociférants, disperse les troupes inorganisées qui sont culbutées, corps après corps. La dispersion de l’armée fondée sur des renseignements inexacts, a créé le surnombre … en faveur des défenseurs, qui battent, à tour de rôle, chacune des troupes espagnoles.
Au terme de cette journée d’humiliation, les Espagnols ont perdu trois mille hommes et cinq cents prisonniers, tandis que le reste de la troupe parvient tout juste à rembarquer.
Conquête du royaume de Tlemcen
C’est le jour de gloire pour Aruj, qui imprime sa gloire, désormais, dans tous ses actes. En 1517, il conquiert Tenes, à 200 km à l’est d’Alger, doublant ainsi le territoire contrôlé à l’Est par Alger. L’émir de Tenes, de la famille des rois de Tlemcen, effrayé des progrès de Barberousse, a levé, en effet, une armée de dix mille hommes qui commence, en juin 1517, à s’approcher de la ville. Aruj a réuni, à la hâte, un millier d’arquebusiers et cinq cents maures venus de Grenade. Il rencontre les troupes ennemies à douze lieues à l’Est d’Alger, non loin de Cherchell. L’émir de Tenes est à six contre un. Mais les Turcs sont disciplinés et les arquebusades successives finissent par avoir raison des charges de cavalerie, qui sont décimées, à tour de rôle.
La nouvelle de cette victoire étonnante est portée aux confins du Maghreb et Aruj reçoit bientôt la visite à Tenes, dont toutes les richesses viennent de tomber entre ses mains, de deux émissaires de Tlemcen, venus lui réclamer son aide pour soutenir leur sultan Moulay Abou Zein, détrôné par son frère, Abou Hammou, allié aux Espagnols. Aruj réclame aussitôt à son frère Khayr Eddine, resté à Alger, des renforts, des munitions et de l’artillerie, que ce dernier lui adresse bientôt par deux galiotes. Aruj se met en route, renforcé en chemin par plusieurs tribus qui se soumettent à son autorité. Le sultan Abou Hammou s’est porté à sa rencontre. Les deux armées se trouvent face à face dans la plaine d’Aganel, à quatre lieues d’Oran. La domination de l’arquebuse, ici aussi, est totale. L’armée de Tlemcen est écrasée.
Aroudj ou Oruç Reis Lithographie de Charles Motte d’après un dessin d’Achille Dévéria
Aruj fait alors son entrée, triomphale, dans Tlemcen. Avant d’entrer, on lui a fait jurer de respecter les biens des citoyens de la ville et de rétablir le sultan Moulay Abou Zein sur son trône. Bientôt, ce dernier est sorti de sa geôle et invité au palais avec ses fils. Aruj les fait pendre, par leurs turbans, aux piliers de la galerie du palais, lui et ses fils. Puis il fait saisir tous les membres de sa famille qui sont noyés dans un étang.
Après neuf mois d’un règne impitoyable, il annonce qu’il va partir de Tlemcen et remettre le pouvoir entre les mains de ses habitants. Il invite au palais soixante-dix des principaux notables, qui sont massacrés, afin qu’ils ne le trahissent pas comme ils avaient trahi leur maître.
La réaction espagnole: la fin d’Aruj
Mais le sultan détrôné, Abou Hammou, est parvenu, lui, à fuir Tlemcen à temps, avec ses femmes et sa famille. Il s’est réfugié à Oran, commandée par Diego Hernandez de Cordoba, marquis de Comares, qui lui suggère de partir demander du secours auprès du roi d’Espagne à Madrid. Pendant ce temps, les vexations d’Aruj se sont poursuivies et c’est au tour de l’un des cheiks des tribus arabes qui s’étaient soumises à lui, l’émir Bor Al Caba, de venir se présenter à Oran pour chercher des secours. Comares décide, immédiatement, de prêter 300 Espagnols au cheikh rebelle qui se met alors à presser si vivement Arudj, que ce dernier est dans l’obligation de réclamer de nouveaux secours à son frère.
Khayr Eddine lui adresse alors six cents turcs, conduits par Elias, le frère aîné et Eskander, dit « le Corse », en déclarant rester à Alger pour contrôler la ville. Dès qu’on est informés à Oran, de la marche de cette troupe, Comares, sans attendre les renforts attendus d’Espagne, expédie six cents hommes d’infanterie. Les turcs se réfugient dans un fort qui est cerné par l’armée adverse. Cerné mais mal gardé, car, profitant de la nuit, Eskander surprend ses adversaires endormis et fait plus de quatre cents victimes. Les survivants n’ont que le temps de rejoindre Oran où, entre-temps, les renforts sont arrivés d’Espagne.
Sans perdre un instant, le colonel Martin Argote, prend la tête d’une colonne d’infanterie de deux mille hommes qui va à la rencontre des Turcs, qui sont restés dans leur fort pour fêter leur victoire. Sans perdre un instant, les Espagnols creusent une mine sous les remparts, qui s’effondrent et il force les Turcs à capituler avec promesse de la vie sauve si ces derniers renoncent à aller à Tlemcen. Mais une altercation survient entre un Espagnol, sans doute un rescapé de la bataille de la veille et l’un des prisonniers, qui est tué. Aussitôt les captifs, indignés, se ruent sur leurs armes. Un impitoyable carnage des Turcs, s’ensuit au cours duquel le frère aîné d’Aruj est tué.
Après cette victoire, le colonel espagnol ne perd pas un instant pour rejoindre l’Emir Bor Al Caba, qui fait déjà le siège de Tlemcen. Aruj comprend alors que son salut ne peut dépendre que de sa fuite. A la faveur de la nuit, il jaillit de la ville par une poterne dérobée, emmenant tous ses trésors, ses alliés, notamment le fidèle Ahmed BenEl Kadi et la garnison turque.
Les Espagnols, au matin, se rendent compte de sa fuite et se mettent à sa recherche. Il est rejoint à trente lieues de Tlemcen. C’est le moment que choisit, Ben El Cadi, son vieil ami, opportunément, pour l’abandonner. Dans l’espoir de ralentir ses poursuivants, Aruj sème tous ses trésors sur la route. Mais son objectif n’est pas atteint, ou tout au moins, ne lui laisse pas un répit satisfaisant, car il est bientôt rattrapé et contraint de s’enfermer dans un village entouré d’un mur de pierres sèches. Il y fait une résistance désespérée, d’une valeur sans égale. Ses hommes sont abattus l’un après l’autre jusqu’au dernier. Aruj est décapité.
Sa tête est portée en triomphe à Oran. La mort d’Aruj « Barberousse », dans sa quarante-quatrième année, en mai 1518, est fêtée sur toutes les côtes méditerranéennes qui espèrent qu’elle mettra fin à la domination des pirates barbaresques. Ses vêtements sont portés au monastère de Saint-Jérôme à Cordoue, où les religieux en firent une châsse, qu’on appelait la châsse de Barberousse.
Abou Hammou est rétabli sur son trône à Tlemcen, avec un tribut annuel de douze mille ducats d’or, douze chevaux et six gerfauts femelles (faucons de grande taille au plumage clair).
Siège d’Alger par les Espagnols d’Hugo de Moncade
Après une période d’abattement où il pense un moment à fuir d’Alger, avec ses vingt-deux galiotes, Khayr Eddine se reprend. Il renforce les défenses de la ville, les garnisons dans les forts, procède à quelques massacres d’esclaves chrétiens pour l’exemple et il proclame que les vêtements d’Aruj ont le don de faire des miracles. Il relève le surnom de son frère et réussit ainsi à rétablir l’ordre.
Comares, vainqueur à Tlemcen, redoute les dangers d’une expédition de soixante lieues en pays ennemi. Il fait appel à Charles, le roi d’Espagne, qui charge Hugo de Moncade, de monter une expédition pour éradiquer Alger de ses pirates. De Moncade, un ancien capitaine de Cesare Borgia, passé au service du roi d’Espagne en Italie, est un capitaine avisé, bien décidé à ne pas commettre les mêmes erreurs que son prédécesseur malheureux, Diego de Vera. Il fait appel à des soldats expérimentés, qu’il tire notamment, des garnisons de Bougie et d’Oran.
Hugo de Moncade extrait des Portraits d’Espagnols illustres 1791
Hugo de Moncade se présente devant Alger, le 17 août 1518, avec une flotte de trente navires, dont huit galères, transportant une armée de 5 000 hommes. Il mouille sa flotte dans la zone de marécages à l’embouchure de l’Oued El Harrach, et débarque ses hommes. Après les semonces d’usage, il entreprend le siège de la ville en positionnant une troupe de 1 500 hommes sur la colline d’El Biar, dominant Alger, et une autre, à l’est de la ville, pendant qu’il bloque l’accès à la mer par sa flotte, préparatifs qui lui prennent deux jours environ.
Moncade veut attaquer sans perdre de temps. Mais ses capitaines souhaitent attendre de faire leur jonction avec les tribus de l’intérieur, qui ont promis leur aide. Moncade obtempère et six jours se passent dans l’inaction. Au huitième jour de leur débarquement, les renforts promis ne sont toujours pas annoncés. En revanche, le ciel, inquiétant, s’est lourdement chargé. Une tempête d’une violence extraordinaire se déchaîne alors. Les vaisseaux sont brutalement projetés les uns contre les autres, les amarres cèdent et ils sont poussés par les courants, de l’est vers l’ouest de la ville, vers le cap Caxine, à trois lieues d’Alger où ils se brisent comme verre. Plus de vingt navires vont couler bas.
A la vue de ces désastres, Khaïr Eddine a fait une sortie : il attaque avec tous ses hommes, les Espagnols, qui se sont regroupés sur la colline au-dessus d’Alger. Ces derniers, harcelés, sont contraints à la retraite et, acculés à la mer, ils parviennent à se retrancher, en luttant désespérément, ce qui laisse le temps à Moncade, à bord des vaisseaux qui restent, de les rembarquer.
Sur ce, un galion chargé d’artillerie, vient s’échouer. Les Maures veulent monter à l’assaut pour s’en emparer. Mais les gentilshommes présents organisent la résistance. Un envoyé de Khaïr Eddine lève un drapeau blanc et promet la vie sauve à tous ceux qui se rendront. La proposition est acceptée. Arrivés devant le pirate, ce dernier leur demande s’ils vont respecter leur parole de gentilhomme. Ils se récrient. Alors, Barberousse leur rappelle le précédent du colonel Argote qui avait fait massacrer les Turcs qui s’étaient rendus sur la foi de sa parole et il leur déclare que lui, plus humain, se contentera de leur ôter la liberté !
Mais les prisons d’Alger sont pleines à craquer de prisonniers de guerre. Barberousse, qui manque de soldats, craint-il une mutinerie ? Il fait rassembler plus de trois mille prisonniers chrétiens sur la plage et les fait massacrer par ses Turcs, cimeterre au poing.
Khaïr Eddine Barberousse fait allégeance à la Porte
Charles Quint, à qui l’on rapporte le massacre d’Alger, propose cent-vingt mille ducats à Barberousse, via le commandant du Penon, pour racheter les esclaves survivants parmi lesquels se trouvent de nombreux officiers. Mais Barberousse refuse la somme et renvoie en réponse, les têtes de trente-six prisonniers dont les corps sont refusés aux Espagnols et jetés à la mer. Khaïr Eddine a juré la lutte à mort contre les Espagnols qui ont occis ses deux frères aînés et qui ont laissé sur le rivage, plus de 400 canons qui vont venir renforcer les défenses de la ville.
Galiote turque devant Alger par Mohammed Racim Voir le site Archipress
Mais il se rend bien compte, malgré ses rodomontades, de la précarité de sa situation. Les Espagnols s’appuient sur les ressources d’un grand royaume. Tôt ou tard, il succombera sous le nombre de ses ennemis. Il doit absolument trouver un point d’appui. Vers qui se tourner ? Le sultan de Tunis ? Trop versatile et pas assez puissant ! Le sultan du Caire, qui règne sur le grand empire mamelouk depuis plusieurs siècles ? Il vient tout juste de tomber en 1517, entre les mains de l’Empire Ottoman, qui vient d’un seul coup de s’étendre de tout le moyen orient, jusqu’à l’Egypte. Une Egypte si proche, puisqu’elle se situe également en Afrique septentrionale…
La question est réglée : Khaïr Eddine va offrir les nouveaux territoires d’Alger à Constantinople, où règne Sélim 1er qui vient de conquérir l’empire Mamelouk. Mais, au préalable, il faut que cette décision soit acceptée par les notables de la ville, si l’on veut éviter une nouvelle révolte.
Très habilement, il réunit les notables en leur déclarant qu’il compte se rendre à Constantinople pour servir le sultan et porter la guerre chez les chrétiens. Il leur demande à qui ils souhaitent confier le pouvoir en son absence. Les notables se récrient en assurant Barberousse qu’il est le seul à pouvoir les défendre. Alors le grand pirate se lève et leur déclare que pour résister aux espagnols, alliés aux sultans de Tlemcen et de Tunis, il leur faut une alliance très forte à l’Est, à Constantinople. Dans l’euphorie, la proposition de Barberousse est acceptée et un émissaire est envoyé au sultan, Sélim.
L’émissaire revient bientôt de Constantinople, porteur d’un étendard et d’un firman, nommant Khaïr Eddine son lieutenant à Alger et autorisant les Turcs à émigrer à Alger. On est en 1518. Khaïr Eddine le pirate est devenu le corsaire Barberousse.
Cet article a une suite: Barberousse, l’Amiral de Soliman.
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[i] Cette histoire a pour source « L’Histoire d’Alger et de la piraterie des Turcs dans la Méditerranée » Volume 1 par le vicomte Charles Édouard Joseph Rotalier.
[ii] Le « comite » est le responsable de la « vogue » d’une galère, c’est-à-dire de l’ensemble des manœuvres du navire. Il évalue les forces des rameurs qu’il répartit sur les bancs et il anime les manœuvres du navire à l’aide de son sifflet dont il joue comme « un maître de chapelle »
[iii] Voir « Histoire d’Alger et de la piraterie des Turcs dans la Méditerranée ». Volume 1 Par le vicomte Charles Édouard Joseph Rotalier. Page 83.
[iv] Les offensives espagnoles, commencées en 1505, avaient permis de capturer Mers-el-Kebir, puis, en 1509, Oran, et, en 1510, Bougie, Tripoli et Alger : une forteresse espagnole est construite dans la rade d’Alger, au Penon. Par contre, Pedro Navarro et sa flotte, échouent devant Djerba. En 1511, c’est au tour des villes de Dellis, Mostaganem et Cherchell de se soumettre au roi d’Espagne. D’après Léon l’Africain, (de son vrai nom Hassan al Wazan), vers 1529, le nombre d’habitants à Bougie était de 8000, 6000 à Oran, 13000 à Tlemcen et 4000 à Alger.
[v] Demi galère. «On raccourcissait la galère standard de manière à en faire un navire beaucoup plus léger et maniable ». Voir l’article du site Navy story sur la Galiote turque
ahmed ben kadi etait le roi de koukou -ain el hammam (en grande kabyle)…il n’etait pas de jijel…il y a beaucoup de fautes et de faisification historque dans votre récit
Il est parfaitement possible de n’être pas d’accord avec ce que j’écris: je ne suis pas en train d’écrire une thèse, c’est juste un “digest” dont je cite mes sources. Comme je l’indique en note 1, cette histoire a pour source « L’Histoire d’Alger et de la piraterie des Turcs dans la Méditerranée » Volume 1 par le vicomte Charles Édouard Joseph Rotalier avec un lien vers l’ouvrage que vous pourrez consulter en ligne.Je fais le résumé le plus vivant possible d’une oeuvre littéraire que j’estime pertinente. S’il y a des erreurs et des falsifications historiques, c’est toujours possible, personne ne pouvant prétendre à l’exhaustivité: je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’expliquer lesquelles, la généralité d’une accusation ne valant évidemment pas une preuve historique. Il est cependant possible qu’en dehors de Ain el Hammam que vous semblez bien connaître, vous ayez été vous même induit en erreur par vos lectures. Le sujet historique est une matière dans laquelle il faut apprendre l’humilité. La meilleure démonstration est de s’attacher à écrire pour montrer que les autres se trompent.
bonjour, j’ai lu le récit que vous avez écris, je le trouve non seulement magnifique, mais en plus j’y ai trouvé ce que je recherchais comme information, êtes-vous historien ou une personne passionnée d’histoire?
Bonjour Abd,
Je suis passionné d’histoire. J’ai rédigé mes 3 articles sur les frères Barberousse dans l’idée d’utiliser ces recherches pour le 4ème opus de ma série consacrée aux évènements de la renaissance italienne qui a vu la parution de “Les Roses de Camerino” puis “le capitaine Rodomont” puis “Adieu Florence” en cours de parution. Mon quatrième roman en cours de rédaction sera consacré partiellement à l’Alger de 1530 et je pourrai y réutiliser la matière de ces articles.
La matière de ces articles est issue de recherches effectuées par plusieurs biographes et historiens des frères Barberousse que je cite dans mes articles. Vous pouvez vous procurer les ouvrages que j’ai utilisés en téléchargeant ces derniers en cliquant simplement sur leur lien en fin d’article.
J’essaie dans tous mes articles non seulement de restituer l’atmosphère mais également de renouveler l’intérêt du lecteur par un début et une fin tout en respectant étroitement les données historiques qui me sont offertes par les ouvrages qui me servent de source.
Bien cordialement
Philippe