Boccace est aujourd’hui universellement connu pour ses contes du Décameron, qui ont eu une influence énorme sur la littérature du Moyen-Age et suscité de très nombreuses imitations, de Chaucer à Marguerite de Navarre. Mais le lecteur pourra être surpris que ce métier de conteur soit resté relativement marginal dans l’oeuvre du grand écrivain. “Boccace est avec Dante et Pétrarque, le fondateur à la fois de la plus illustre tradition littéraire italienne et de la culture humaniste, qui inspirera toute la Renaissance européenne. Son influence sur William Shakespeare et Geoffrey Chaucer est notoire et si Dante est considéré comme le père fondateur de la poésie italienne, Boccace est généralement reconnu comme le créateur de la prose italienne” (BNF).
Le fils d’un changeur de Certaldo
Giovanni Boccaccio est né à Paris, en 1313, d’après Emmanuel Rodocanachi, d’une jeune veuve de la bourgeoisie parisienne, que son père, un important homme d’affaires florentin, a séduite, puis qu’il a abandonnée, en emportant l’enfant. Il est mort à Certaldo, en Toscane, en 1375, à cinquante kms au sud-ouest de Florence, à l’âge de soixante-deux ans[i] .
Pendant son séjour à Paris, le père de Giovanni, Boccaccino di Chelino, originaire de Certaldo, qui exerce le métier de changeur et de prêteur, assiste aux événements dramatiques du procès des Templiers. Puis il rentre à Florence où il épouse sa femme, Margherita di Gian Donato de Martolis, qui lui apporte une grosse fortune. Dans sa jeunesse, le jeune Giovanni est employé par son père aux travaux de banque, de comptabilité, ce qui va susciter, sa vie durant, une aversion contre le commerce et la banque.
Son père ayant reconnu qu’il n’avait aucune aptitude pour les activités de banque, le place chez un marchand florentin où, “pendant six années, il apprend surtout à perdre son temps“. Son père se rend bien compte que Giovanni est plus doué pour les activités littéraires que pour le commerce mais il cherche à l’établir dans l’Eglise en lui faisant faire des études de droit canonique auprès d’un maître fameux, dans lesquelles, il perd à nouveau six ans, n’ayant aucun goût pour ces études. Il profite néanmoins de cette période pour suivre les cours de grammaire du père de son ami Zanobi, Giovanni di Domenico da Strada.
Les vertiges de Naples
A Florence, Giovanni est confronté à sa belle-mère, Margherita et à son demi-frère, qui a quatorze ans et qui lui rendent le séjour insupportable. A l’appel d’un de ses amis, un jeune Florentin, de trois ans plus âgé que lui, qui vient de s’installer à Naples, Niccolo Acciaiuoli, il est introduit dans la bonne société de la noblesse napolitaine. Giovanni a vingt ans et il passe les meilleures années de sa vie dans une ambiance grisante de fêtes continuelles, à danser, chanter, jouer de la musique, parler d’amour, épisodes qu’il évoque dans son Filocopo.
Les nouvellistes de Boccace Simonazzi Antonio (1824-1908) n° d’inventaire CSE-S-002383-7586 Huile sur toile Italie, Modène, Museo Civico d’Arte Medievale e Moderna
Boccace n’est pas beau: il a des lèvres épaisses, des cheveux roux, un visage rond, une taille haute, mais il est gai, spirituel et il a le rire facile, ce qui lui attire les sympathies. Il aime les causeries et c’est un conteur-né. Il s’éprend… Le “merle noir“? La “blanche colombe” du Filocopo ?
Boccace par Andrea del Castagno (1423/1428-1457) n° d’inventaire CSE-S-001215-8551 Série des Hommes et Femmes célèbres. Vers 1455.
Provenance : villa Carducci-Pandolfini (Florence) Italie, Florence, Galerie des Offices
A Naples, Boccace profite de la présence de grands esprits réunis par le roi, pour s’instruire: il est assidu au cours de droit du poète Cino da Pistoia, admirateur de Dante et de Pétrarque, qui l’initie aux oeuvres de ces deux grands esprits. Il étudie la géométrie, l’astronomie et l’arithmétique auprès de Palo de Dagonari et l’Astronomie et la Médecine, brièvement, auprès du Maitre Andalone del Negro. Boccace est prodigieusement doué et doté d’une étonnante capacité s’assimilation. Il apprend tout dans toutes les matières et devient bientôt un expert en divers domaines: l’astronomie, la botanique, l’histoire, la médecine, n’ont bientôt plus de secrets pour lui. Mais ce qui le passionne, c’est la recherche de textes anciens, de manuscrits vénérables. Boccace parle couramment l’italien, le dialecte napolitain, le français et le provençal.
Un grand amour ?
A Naples, il distingue une femme de noble ascendance: Maria, ou Fiametta d’Aquino. Ne passe-t-elle pas pour être la fille adultérine du roi de Naples ? Elle a des cheveux longs, abondants et blonds. Est-ce son véritable portrait ou celui de la beauté pour Boccace ? Car une belle femme doit porter de beaux vêtements et des pierreries étincelantes. Les sourcils doivent être noirs, bien arqués, les yeux graves, longs, de couleur sombre, les joues pleines sans être grosses, le menton creux au milieu, rond et non proéminent, le nez aquilin, la bouche vermeille, les dents d’ivoire, la poitrine doit être large et blanche, les épaules droites et les doigts effilés….
Boccace a raconté sa rencontre avec Fiametta à de nombreuses reprises dans ses oeuvres (notamment Ameto et Filocoppo): à la différence des portraits de femmes de Dante et de Petrarque, Fiametta est une femme, douée de sentiments, passionnée et faible, qui cède à son désir. Ayant soupiré longtemps, le héros, désespérant de fléchir sa belle, soudoie une servante, qui l’introduit dans la chambre à coucher : tout en déshabillant sa maîtresse, elle lui vante les charmes du jeune homme et irrite ses désirs. Dès qu’elle est seule, le héros paraît: elle s’effare. Mais il déclare sa passion. Elle se lève et le conjure de repartir. Mais il promet de se tuer si la belle le renvoie, en produisant un couteau qu’il manoeuvre théâtralement… Alors, elle se précipite sur lui, lui arrache son arme et le prend dans ses bras en murmurant: “ton intrépidité m’a désarmée” !
A vision of Fiametta par Dante Gabriel Rossetti 1878 Collection privée
Cela, c’est la comédie de la rencontre. La vérité, c’est que Boccace est très épris de Fiametta. Ne fallait-il pas qu’il tombe au moins une fois, violemment amoureux pour pouvoir, à l’instar de Pétrarque, son aîné de neuf ans, parler d’amour dans ses poésies ? En tout cas, sa rencontre avec Fiametta décide de son avenir: il sera poète élégiaque.
Les oeuvres de Jeunesse
Il compose ses oeuvres de jeunesse: la caccia di Diana [1334], Filocolo [1336–1338), Filostrato [1335, 1340 ?], Teseida, [1339–1341], Comedia delle ninfe fiorentine [1341–1342].
A Naples, Boccace rencontre Giotto, venu peindre quantités de travaux allégoriques, au château de l’Oeuf ou au Monastère de Santa Chiara. Et ce fut sans doute Giotto qui inspira à Boccace l’Amorosa visione, composée en 1340, qui servit de prototype aux Triomphes de Pétrarque en 1343.
En 1341, Boccace quitte Naples en raison de tensions avec Florence où il retourne. Il retrouve son père qui se remarie en 1343.
Jusque là, Boccace s’est complu à écrire des poésies sur son rêve d’amour avec Fiametta. Mais voici un certain temps que du côté de la belle, la passion s’est tarie. Boccace n’espère plus réchauffer la passion de Fiametta. Le moment est venu de raconter son histoire (1343). Puis, après avoir achevé son Ninfale (1344-1345), il retourne à Naples en 1345. Le roi Robert est mort. Les artistes, savants et poètes qu’il avait réunis à sa cour, se sont dispersés. La reine Jeanne, la demi-soeur de Fiametta a succédé à Robert sur le trône de Naples. Pour épouser son amant, elle vient de faire assassiner son mari avec des raffinements de cruauté. La délation et la terreur règnent sur la ville. le charme de la vie merveilleuse de ses années de jeunesse s’est enfui. Il revoit Fiametta : la femme dont il était épris n’existe plus. désenchanté, il quitte Naples et se retire à Forli pendant trois ans. Il est rappelé à Florence par la maladie puis la mort de son père, en 1349.
Une rencontre décisive
Il succède à son père dans sa vie publique et, si la république ne lui confie pas de magistrature, elle n’hésite pas à le charger de missions diplomatiques extérieures importantes. On le retrouve ensuite le 26 janvier 1350, lorsqu’il agit comme tuteur de son jeune frère Jacopo (les autres membres de la fratrie étant décédés lors de la grande peste de 1347). A la fin du mois d’octobre 1350, Boccace rencontre Petrarque, qui se rend à Rome pour le jubilé et qui s’arrête à Florence. C’est la deuxième fois que Boccace rencontre le grand poète: il avait assisté en 1341 à Naples, à l’examen qu’avait subi Petrarque devant le roi Robert de Naples, avant d’aller recueillir au Capitole, le laurier poétique. Mais c’est la première fois que les deux hommes se reconnaissent mutuellement comme poètes et qu’ils peuvent échanger familièrement. Plus tard, Boccace fera remonter son amitié pour Petrarque à l’année 1333, probablement l’année de sa première rencontre avec les oeuvres du grand homme? lorsqu’il suivait les cours de Cino da Pistoia.
Portrait de Francesco Petrarca dit Pétrarque Photo RMN
Vasari Giorgio (1511-1574)N° d’inventaire MFA852.1.920 jaccio, Palais Fesch, musée des Beaux-Arts
Entre les deux hommes, c’est le coup de foudre: un Oreste et Pylade. D’après le biographe de Boccace, Filippo Villani, “c’est une âme dans deux corps“. Boccace voyait en Petrarque un modèle, un guide: il se plaisait à l’appeler “son Maître très vénérable, son frère et son seigneur” ce qui flattait la vanité de Petrarque. Tous les deux sont des curieux d’érudition, des passionnés de l’antiquité, des amoureux, des poètes. Boccace ne tolérait pas l’imperfection: il avait détruit ses poésies de jeunesse en langue italienne.
“Très soucieux de la forme, scrupuleux à l’excès, il remaniait constamment ses ouvrages et il préféra supprimer plutôt qu’amender ses premiers ouvrages. Au fond, c’était orgueil chez tous les deux: seulement chez l’un, l’orgueil se manifestait par une recherche assidue et industrieuse de la gloire; chez l’autre, il exaspérait l’amour-propre, et rendait toute critique insupportable. Ce fut à Petrarque que Boccace eut recours dans toutes les crises morales qu’il traversa, et Petrarque, qui l’enveloppait d’une affection un peu dominante, sut toujours le réconforter et l’encourager”[ii] .
La république florentine ayant décidé de créer une Université pour concurrencer celles de Bologne et de Pise, le pape Clément VI, par une bulle du 21 mai 1349, lui accorda les mêmes privilèges que Paris et Bologne. Cependant cette université végétait et elle devait du reste disparaître un peu plus tard. C’est pour lui redonner quelque lustre, qu’une chaire est offerte en 1351 à Pétrarque, sur recommandation de Boccace, qui vient à Padoue, lui-même, en apporter la nouvelle à Pétrarque: ils passent ensemble de longues journées à deviser dans le jardin de Petrarque. Puis ce dernier souhaite revoir la Provence où il va passer deux ans avant de revenir en 1353 en Italie. Mais c’est à Milan du duc Visconti, l’ennemi irréductible de Florence, qu’il vient enseigner, délaissant Florence, ce qui suscite immédiatement l’indignation des Florentins. Boccace qui fait figure d’un sot, est contraint de prendre parti contre lui et il adresse à son ami une lettre véhémente.
Les oeuvres de maturité
C’est en 1353 que Boccace termine son Decameron.
John William Waterhouse Une scène du Decameron 1916 Lady Lever Art Gallery, Liverpool, England via Wikimedia Commons
Il s’agit parmi toutes ses oeuvres, de celle où il se livre le moins. Maintenant que sa passion est amortie, il conte pour le plaisir. Sa fiction est surprenante de réalisme tant les détails sur les personnages et leur milieu social sont précis et minutieux. Il puise son inspiration parmi ses propres anecdotes, parmi les milieux populaires florentins ou dans ceux de la bonne société napolitaine. Petrarque lui-même n’a pas vraiment lu l’oeuvre de son ami. Pendant près de cent ans, l’oeuvre n’est pas lue, même lorsque de nombreuses autres oeuvres de Boccace figurent déjà dans les bibliothèques. Il faudra attendre l’invention de l’imprimerie pour voir se succéder les impressions, avec cinq éditions successives en sept années, de 1471 à 1478 (Venise en 1471, Mantoue en 1472, Bologne en 1476, Vicenza en 1478 plus une sans lieu ni date).
Maître de l’Echevinage de Rouen Epidémie de peste à Florence (1348) et entretien des conteurs du Décaméron Francais 129 Folio 1 BNF
Lorsqu’il publie le Decameron, Boccace n’est plus très jeune: il a quarante ans, ce qui n’est pas encore un âge canonique mais qui le place “de l’autre côté de la pente”. Il n’a jamais été beau mais il commence à devenir obèse. Il a les cheveux entre-mêlés et la barbe déjà blanche. Mais il ne peut se résoudre à ne plus parler d’amour. C’est alors qu’il rencontre une fort belle veuve pour laquelle, immédiatement, il s’éprend profondément, car, comme il le dit lui-même, “si le poireau a la tête blanche, il a pourtant la racine verte“[ii] . Mais la belle ne songe qu’à s’amuser à ses dépens. Elle l’encourage à lui écrire des lettres enflammées, puis elle publie le tout en faisant des gorges chaudes avec ses amies, se moquant de sa roture. Le scandale à Florence est énorme car Boccace est un homme public.
Le mépris de la veuve, l’exaspèra profondément, d’autant plus que Boccace avait toujours été un tantinet misogyne. Le reproche de roture le blesse au vif, lui qui a exercé pour le compte de la république des missions de confiance auprès du pape et de certains des plus grands princes de la Chrétienté. Il rédige le Corbaccio (l’invective contre une mauvaise femme) en 1354-1355. Rapidement, le propos, destiné initialement à ridiculiser la femme qui l’avait ridiculisé, échappe à son auteur pour devenir une diatribe tournée contre le sexe féminin dans son ensemble.
La découverte des auteurs grecs anciens
Vers 1358 “une manière d’érudit à tournure de pédant, parcourait alors l’Italie: il avait un visage hideux, une longue barbe, une chevelure noire, des façons rogues, un caractère intraitable. Il était ou se prétendait l’élève du moine Barlaam, et voulait se faire passer pour Grec, bien que, selon toute apparence, il fût né en Calabre: on le nommait Léon ou Léonce Pilate“[ii] . Petrarque l’a rencontré à Padoue durant l’hiver 1358-59. Boccace est venu voir Petrarque au printemps de 1359: ensemble, ils ont planté symboliquement un laurier le 16 mars. Les deux hommes s’entretiennent de poésie et de littérature grecque antique: c’est alors que Boccace entend parler de Léonce pour la première fois.
Aussitôt, Boccace enthousiaste, espère connaître grâce à Léonce Pilate, le grec et la littérature grecque. Il l’invite à Florence où il lui fait obtenir une chaire à l’Université. Pilate traduit pour Boccace, pour la première fois, l‘Iliade et l’Odyssée et Platon. Rodocanachi, l’auteur de la biographie de Boccace dont cet article est inspiré, a lu la traduction réalisée par Pilate pour Boccace, dans un opuscule qui se trouve à la BNF: elle fait apparaître que Pilate avait une connaissance rudimentaire du grec ancien car sa traduction ne dépasse pas le niveau du mot-à-mot. Mais sur ce terreau fragile va s’élever une flamme, qui va révolutionner le monde. Ne fut-ce pas moi, écrit-il dans la Généalogie des Dieux, “qui eus la gloire et l’honneur de me servir le premier de vers grecs parmi les Toscans ? Ne fut-ce pas moi qui amenai par mes prières, Pilate à s’établir à Florence et qui l’y logeai ? J’ai fait venir à mes frais des exemplaires d’Homère et d’autres auteurs grecs alors qu’il n’en existait pas en Toscane. Je fus le premier des Italiens à qui fut expliqué en particulier, Homère, et je le fis ensuite expliquer en public“[ii] .
En 1362, Pilate quitte Florence pour Constantinople, d’où Boccace le charge de rechercher des manuscrits grecs. Il fut frappé par la foudre, en 1365, sur le navire qui le ramenait en Italie.
Les oeuvres en latin de la vieillesse
Pourquoi Pilate est-il parti ? D’abord parce que Boccace commence à en avoir assez de son caractère intraitable. Ensuite et surtout, parce que Boccace commence à avoir des regrets sur sa vie passée: il devient dévot ! Ce grand changement dans son comportement date de l’achèvement de son Corbaccio en 1355. Avec cette crise, il renonce à la poésie. Les descriptions très réalistes de ses contes, ne doivent pas faire oublier ses conclusions très sages. Le Traité des femmes illustres, “de Mulieribus Claris” (ou encore Traité des cleres et nobles femmes) contient un portrait de la femme chaste.
Le livre des cas des nobles hommes et femmes par Boccace Maitre de Dunois Ms860 folio 296 recto Chantilly, Image RMN musée Condé
En 1362, Boccace retourne à Naples. Fiametta (Maria d’Aquino) n’existe plus depuis longtemps. Il se peut qu’elle soit morte lors de la grande peste de 1347-48. La reine Jeanne vient de revenir dans un royaume pacifié. Boccace a cru répondre à une invitation de son vieil ami Niccolo Acciaiuoli, qui s’est taillé une illustre carrière, en devenant le grand sénéchal du royaume napolitain. Il croit être reçu au château de Niccolo en ami mais il est logé dans les communs, comme un sous-muletier ce dont sa vanité s’avère extrêmement froissée. La description qu’il rapporte de ce rapide épisode napolitain doit sans doute davantage à son caractère impatient et emporté qu’à la stricte vérité historique. Cependant, il quitte Naples pour rejoindre Petrarque à Venise, en 1363, en évitant Florence où sévit une épidémie de peste.
Gustaaf Wappers Boccacce lisant le Decameron à la reine Jeanne de Naples 1849 n° d’inventaire 12092 Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles / photo : J. Geleyns
Depuis quelques trente ans, Boccace relève systématiquement dans ses nombreuses lectures, tout ce qui est relatif aux personnages fameux de la Mythologie et de l’antiquité. Il mène à bien ce travail, dans les années qui suivent sa conversion, entre 1360 et 1375, la date de sa mort. La plupart de ses œuvres postérieures au Décaméron auront un caractère doctrinal ou érudit et seront écrites en latin : Genealogia deorum gentilium [<1350], De casibus virorum illustrium [1355, 1373, 1374], De claris mulieribus [1361 et 1362] De montibus, silvis, fontibus, lacubus, fluminibus, stagnis seu paludis, et de nominibus maris liber, publié en 1360. Citons aussi ses Rime, recueil de poésies de thème amoureux” (BNF)[iii] Ses notes sont partagées entre quatres groupes: celles relatives aux Hommes illustres, celles relatives aux femmes illustres, celles relatives aux Dieux et l’encyclopédie de son dictionnaire géographique.
Dans le Traité des femmes illustres, qui est terminé en 1362, Boccace donne davantage de place aux femmes de l’Antiquité qu’à celles de l’époque moderne. Il dédie son Traité à la soeur de Niccolo Acciaiuoli, Andrea, comtesse de Hauteville (d’Altavilla en italien), d’où l’on peut inférer que son ouvrage a été achevé avant la date de sa querelle de 1363 avec le sénéchal.
Boccace écrivant l’Histoire d’Adam et Eve : Adam et Eve chassés du Paradis
Maître des Illustrations du Boccace de 1476 (actif en 1476) n° d’inventaire 79LR Paris, musée du Louvre, collection Rothschild
Le Traité des Infortunes des Hommes illustres, est une oeuvre bien plus considérable que celui des femmes illustres: elle représente une somme de lectures extraordinaires. Boccace y travaille longtemps sans beaucoup d’ardeur et doit s’y reprendre à plusieurs fois avant de l’achever. Il se fait tancer par Petrarque qui lui reproche son oisiveté. Finalement, il publie son livre en 1364 avant d’en avoir suffisamment travaillé la forme, ce qui donnera lieu à de multiples versions successives au cours des dix années qui suivront. Il dédie son travail à Mainardo de Cavalcanti, un autre des Florentins partis s’installer à Naples, qui avait recueilli Bocacce lors du désastreux épisode de 1363, ce dont l’auteur avait été infiniment reconnaissant.
“A l’image de son maître Petrarque, qui avait jadis composé un Traité de la Vie solitaire, et qui venait de publier son ouvrage sur les Remèdes à l’une et à l’autre Fortune, Boccace se propose d’enseigner aux Hommes et surtout aux princes, qui en ont particulièrement besoin, les règles de la vertu. Ses Infortunes serviront d’exemples proposés à la méditation: ainsi, la mésaventure d’Adam et Eve est-elle destinée aux désobéissants et aux incrédules, celle d’Agamemnon, aux orgueilleux, celle de Darius, un avertissement aux tyrans, celle de Samson, aux débauchés, “etc…
Histoire d Adam et Eve Maître de Bedford FRANCAIS 226 Folio 6verso Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Le goût de Boccace pour l’Antiquité s’exprime davantage dans la Généalogie des Dieux, traité que lui avait réclamé un ami de son père, en 1333, le roi de Chypre, Hugues IV de Lusignan (1284-1359). Chacune des légendes qu’il rapporte devient le prétexte d’une allégorie. La fable de Prométhée est, selon lui, destinée à démontrer comment l’homme rude et ignorant est élevé par la science et la spéculation, aux hauteurs divines où luit la lumière éternelle. Les quatre fils du Temps non dévorés par leur père, sont les quatre éléments contre lesquels le temps ne peut rien.
Qu’est-ce que la poésie ? La poésie est l’oeuvre des hommes, à la différence de la théologie qui procède du Saint-Esprit. Mais pour Aristote, la théologie est poésie et la poésie est théologie. Boccace assimile les poètes à des philosophes, et notamment, le premier d’entre eux, celui auquel il voue une admiration éperdue, Dante Alighieri. C’est dans sa Biographie de Dante, que Boccace s’exprime ainsi. Il s’est constamment inspiré de Dante dans ses poèmes. Mais la passion éthérée de Dante pour Béatrice, l’embarrasse. Car pour Boccace l’amour est d’abord une relation physique entre un homme et une femme. Boccace admire chez Dante, davantage le savant universel, le profond théologien, que le poète. Mais Boccace a fort à faire pour concilier son admiration éperdue de Dante et son affection pour Pétrarque, car ce dernier ne pardonne pas à Dante d’être le tout premier dans l’admiration de ses contemporains et dans celui de Boccace….
L’homme public de Florence
En 1365, Boccace est envoyé en mission auprès du Pape, à Avignon, pour convaincre sa Sainteté que les Florentins sont des serviteurs fidèles et dévoués. Cette mission est un honneur, faiblement défrayé par la chiche république, de sorte qu’elle ne fait qu’aggraver les difficultés financières de l’auteur. Deux ans plus tard, en 1367, Boccace fait un nouveau voyage à Venise, pour retrouver Petrarque. Il quitte sa retraite de Certaldo le 24 mars. En chemin, il apprend que Petrarque est parti à Pavie, à l’appel de ses amis du duché de Milan. Boccace décide de poursuivre son voyage. Il est accueilli à Venise par un jeune homme, Francesco Allegri, en compagnie duquel il a fait le voyage. Il se rend à la maison de Petrarque où il est reçu par son épouse, Tullia, n’ayant pas voulu accepter l’offre d’hébergement de son mari, en son absence. Là il peut prendre dans ses bras la fille de Pétrarque, Eletta, qui lui rappelle furieusement, sa propre fille, Eletta, disparue à l’âge de cinq ans.
Pendant l’hiver 1367-1368, Boccace est appelé à exercer pendant quatre mois des fonctions politiques à Florence: celle de camerlingue, c’est-à-dire de payeur de la commune, puis celle de payeur des milices. Puis il se retire à Certaldo qu’il considère comme sa patrie, davantage que Florence.
Au début de 1370, Boccace est alors âgé de cinquante-six ans: il se rend une nouvelle fois à Naples, cette fois-ci, sur l’invitation de Niccolo da Montefalcone, abbé du Monastère de San Stefano. Lorsqu’il arrive au monastère, situé au fin fond de la Calabre, c’est pour trouver l’abbé absent. Il s’en montre très froissé et adresse de Naples, le 13 février, à l’abbé, une lettre violente , comme sept ans auparavant, lorsqu’il avait cru avoir été sciemment maltraité par Niccolo Acciaiuoli.
Des cours pour populariser Dante Alighieri
Quoique profondément dévot, Boccace élève le poète à une dimension qui l’absout du contrôle de l’Eglise: “Boccace fut un danger pour l’Eglise, par la prétention qu’il avait, comme Pétrarque, d’exalter le rôle du poète, d’en faire désormais le détenteur et l’explicateur de la science et de la vérité, une manière de docteur universel, enseignant aux hommes, sans s’occuper des doctrines imposées par l’Eglise, non seulement leur histoire et les secrets de l’Univers, mais les conséquences morales qu’ils devaient en tirer. Le poète lettré du XIVème siècle a été le destructeur du mysticisme et de la scholastique, a dit un auteur fort instruit en ces matières“[ii].
Boccace commentant Dante Monti Niccolo (1780-1854) Photo RMN N°d’inventaire RF54763-recto Feuille provenant du “Liber amicorum” de Teresa Barzelloti, fille du peintre Pietro Benvenuti Dessin Paris, musée du Louvre, D.A.G.
Depuis longtemps déjà, on commentait à Florence, la Divine Comédie de Dante, non à cause de la langue, mais en raison de l’immense érudition de Dante qui mettait en défaut celle de ses lecteurs. Benvenuto Ramboli d’Imola s’était attelé à cette tâche le 23 octobre 1373: il est bientôt remplacé par Boccace. dans l’Eglise San Stephano, à Florence. Mais, arrivé au chant XVII, il cesse brusquement. Sa santé s’est-elle brutalement altérée ou bien considère-t-il ses auditeurs comme incapables de comprendre le génie de Dante ? Peut-être un peu des deux. En tout cas son caractère s’est aigri. La république lui verse 100 florins par an pour ce travail. Il rédige alors un long Commentaire de la divine Comédie, “à partir des cours qu’il avait préparés, dans lequel il en interprète le texte, en analyse l’ordonnance, en dévoile le sens caché et les allégories, et souvent, s’étend en longues dissertations sur les personnages et les faits auxquels il est fait allusion“[ii] .
La fin
Dans les premiers jours du mois d’août 1373, Boccace est pris, comme Pétrarque, quelques années auparavant, d’une maladie de la peau, “qu’il qualifie de gale sèche. Une démangeaison brûlante envahit tout son corps, le couvrant de squames et de boutons. Il a en outre des douleurs dans les reins, des incommodités dans le ventre, un gonflement de la rate, une inflammation du foie, une toux suffocante, une extinction de voix, un mal de tête aigu et quantité d’autres maux firent languir tout son corps et mirent en guerre, dit-il, les unes contre les autres, toutes les humeurs qui étaient en lui“[ii].
Son état s’étant brutalement détérioré, ses proches le conjurent d’appeler un médecin. Il n’en veut pas, s’en étant passé à chacune de ses affections précédentes. Il cède pourtant. On lui amène, raconte-t-il, “un médecin de campagne accoutumé à soigner des paysans, néanmoins affable et avisé“[iI]. Il démontre au patient “que si on lui enlève pas sur le champ les matières superflues et nocives, qui étaient en lui, en quatre jours il serait mort. On apporte alors devant le patient un cautère, un fourneau et d’autres instruments de torture, puis on fit au patient de larges brûlures, puis, à coups de rasoir, on lui taillada la peau. Il souffrit terriblement mais le médecin lui dit qu’il était guéri. De fait, il dormit cette nuit-là, pour la première fois et, peu à peu, les forces lui revinrent“[ii].
Petrarque était déjà mort depuis deux mois, lorsque Boccace en est informé par le gendre de ce dernier, Franceschino da Brossano, qui l’avait reçu à Venise en l’absence de Petrarque. Boccace mourut à Certaldo, le 21 décembre de l’année suivante, en 1375. Il avait demandé à être enterré, s’il mourrait à Certaldo, en l’église San Jacobo, appelée aussi la Canonica. C’est là qu’un tombeau surmonté d’une statue de marbre, lui fut érigé.
On assure qu’il se composa l’épitaphe suivante:
“Sous cette pierre, gisent les os et les cendres de Jean,
Son âme est devant Dieu, ornée des mérites
D’une vie de travail. Son père fut Boccace;
Sa patrie, Certaldo; son étude, la poésie”.
Les trois vieux poètes de profil (Boccace, Pétrarque, Dante?) d’après Léonard de
Vinci (1452-1519) Paris, Image RMN musée du Louvre, D.A.G.
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[i] Project Gutemberg Self-Publishing Press Bocaccio.
[ii] “. L’histoire de la naissance de l’auteur est habillée et contée par Boccace lui-même dans sa première oeuvre, le Filocopo, un conte dans lequel on retrouve avec Gharamita, l’anagramme de Margherita, l’épouse légitime de Boccaccino di Chelino.
[iii] BOCCACCIO (1313–1375) Bibliographie sélective Bibliothèque nationale de France.
[…] femme, véritable diatribe contre la perfidie féminine (voir sur ce Bloc l’article sur Boccace), il a pris suffisamment de recul en 1362 pour ne pas laisser ses émotions le dépasser. “Il […]