
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 33, Métabus fuyant avec Camille BNF
Il s’agit du trente-septième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici le mythe de l’enfance de Camille, reine des Volsques. Le personnage est une création littéraire de Virgile, dans l’Enéide (. Au ciel, Diane raconte à Opis, une de ses nymphes, l’histoire de Camille, particulièrement chère à son coeur. Élevée dans les bois, elle mena la vie d’une vierge chasseresse, jusqu’au jour où elle s’engagea dans la guerre contre les Troyens. Son destin ayant été d’y périr, Diane charge Opis de la venger, s’engageant elle-même à protéger et honorer son cadavre.
L’excellent article de Gérard Capdeville permet de reconstituer le récit de son histoire telle qu’elle ressort des vers épars de l’Enéide[i];
« Parmi les personnages secondaires de l’Enéide, Camille est l’une des figures les plus fortes et les plus attachantes, bien qu’elle combatte dans le camp opposé à celui d’Enée, en tant que reine des Volsques et alliée de Turnus. En effet, c’est une femme guerrière, la seule dans tout le poème : les autres reines – à commencer par Didon — n’ont qu’un rôle «politique», alors que Camille n’exerce ici sa souveraineté que comme chef militaire.
« C’est en prélude à ce récit que se trouve le développement où sont évoquées son origine et son enfance, dans un discours que tient Diane à l’une de ses suivantes, Opis7, pour lui annoncer la mort prochaine de l’héroïne et la charger de la venger. Diane justifie son intérêt pour la jeune fille par le fait que celle-ci lui est consacrée, et elle expose donc les circonstances de cette consécration, qui remonte à sa plus tendre enfance.
« C’est ainsi que nous apprenons d’abord que Camilla est la fille de Metabus, roi de Privernum, chassé par ses sujets pour son comportement tyrannique, et que son nom provient, avec une légère altération, de celui de sa mère, Casmilla. Puis le poète raconte les circonstances de la fuite dramatique du père et de son enfant, fuite solitaire, sans escorte, Métabus portant lui-même la fillette, sous les traits des insurgés qui les poursuivent.
« Dans cette fuite apparaît un obstacle, le fleuve Amasene, grossi par les pluies. Et c’est l’exploit de Métabus, qui attache sa fille à son javelot et l’expédie ainsi sur la rive opposée. Virgile raconte tout l’épisode avec un luxe de détails, qui semblent avoir pour but de le rendre à peu près vraisemblable. Ainsi, le premier mouvement du fugitif est de traverser le fleuve à la nage: mais que faire de l’enfant, que ce «tyran» aime tant?
« Alors il réfléchit, jusqu’à ce qu’il trouve la solution qui est décrite avec une grande précision : la fillette est liée au javelot de son père à l’aide de liège sauvage, au milieu du trait pour préserver son équilibre. Tout en le brandissant, Métabus invoque Diane, et lui consacre l’enfant.
L’audacieux lancer réussit, Camille atterrit sans dommage sur la rive opposée. Métabus se jette à l’eau, traverse le fleuve et récupère sa fille, désormais vouée à Diane.
Commence alors, pour les deux fugitifs, une vie d’exil particulièrement éprouvante: aucune ville ne les reçoit, Métabus lui-même étant trop fier pour accepter aucun compromis. Ils vivent dans des montagnes solitaires, avec des bergers parmi les repaires des bêtes sauvages, et le père nourrit sa fille du lait d’une cavale sauvage. Dès qu’elle sait marcher, il l’initie à la chasse et Virgile détaille son équipement, javelot, arc et flèches, fronde, dépouille de tigre, mais avec des adjectifs qui rappellent que c’est toujours une enfant. Cette éducation semble durer jusqu’à la fin de l’adolescence, puisque la déesse évoque le moment où la jeune fille est convoitée comme bru par les matrones étrusques.
Mais Camille refuse le mariage et reste vierge, par fidélité à sa consécration à Diane.
Curieusement, la déesse s’arrête ici et n’explique pas comment cette fille de roi exilé a pu reprendre le trône de son père, puisqu’elle se trouve maintenant à la tête du contingent Volsque, avec le titre de reine. »
Mais l’Enéide se poursuit[ii]:
« Les cavaleries des Rutules et des Troyens s’affrontent, en une succession d’attaques et de retraites, comparées au flux et au reflux de la mer. Finalement un troisième combat très meurtrier pour les deux camps s’engage, qui sert de préliminaires à l’intervention de Camille qui est présentée comme une Amazone, entourée de ses compagnes. Elle massacre de nombreux ennemis, en les affrontant successivement, toujours avec des méthodes différentes et appropriées. Son ardeur et sa vaillance sont décrites comme surhumaines. Elle tue notamment un Ligure, dont elle a réussi à déjouer la ruse« .
Le texte de Virgile décrit avec fougue la violence des combats et la vaillance de la vierge de Diane:
« Mais au milieu des massacres bondit une Amazone, le flanc découvert pour mieux combattre: c’est Camille avec son carquois. Tantôt son bras répand une pluie serrée de souples javelots, tantôt sa droite infatigable brandit une forte hache à deux tranchants. Sur son épaule, sonnent l’arc d’or et les armes de Diane. Et quand, repoussée le dos tourné, elle se replie et fuit, elle retourne encore son arc et lance ses traits rapides.
Elle est entourée de ses compagnes de prédilection, la jeune Larina, et Tulla, et Tarpéia brandissant une hache de bronze: ce sont des filles d’Italie que la divine Camille s’est choisies, pour qu’elles l’honorent et la servent, dans la paix et dans la guerre : telles ces femmes de Thrace qui frappent les flots du Thermodon, ces Amazones qui guerroient avec des armes peintes, soit autour d’Hippolyté, soit, autour de Penthésilée, la fille de Mars, se retirant sur son char, ces troupes de femmes qui bondissent dans le tumulte et les hurlements avec des boucliers en forme de lune.
Qui est la première victime de ton trait, vierge farouche ? Qui est la dernière ? Combien de corps moribonds étends-tu sur le sol ? Il y a d’abord là devant elle, Eunée, le fils de Clytius,la poitrine découverte, qu’elle transperce d’une longue pique de bois. Vomissant des flots de sang, il tombe, mord la terre sanglante et en mourant se tord autour de sa blessure. Ensuite Liris, et sur lui Pagase ; l’un, jeté à terre par son cheval effondré sous lui, rassemblait les rênes, l’autre s’approchait de lui et, le voyant glisser, lui tendait une main désarmée. Tous deux, tête en avant, se sont écroulés en même temps. Amastrus, fils d’Hippotès les rejoint et, les pressant de sa lance, Camille poursuit de loin Térée et Harpalycus, Démophoon et Chromis.
Aussi nombreux sont les traits que brandit et lance la main de Camille, aussi nombreux tombent les héros phrygiens. Au loin paraît Ornytus, le chasseur, avec ses armes singulières et son cheval iapyge : une peau de jeune taureau couvre les larges épaules du guerrier ; la gueule béante et les mâchoires d’un loup aux crocs blancs protègent son énorme tête et un épieu grossier arme ses mains ; il va et vient parmi les escadrons qu’il domine de toute la tête. Sans peine, Camille le cueille, sa colonne venant de tourner bride, elle le transperce et, pleine d’agressivité, ajoute : « Croyais-tu, Tyrrhénien, poursuivre des bêtes dans tes forêts ? Il ewst arrivé le jour où les armes d’une femme confondront votre jactance. Pourtant, le titre que tu emporteras chez les mânes de tes pères n’est pas sans éclat : celui d’être tombé sous le trait de Camille. »
Et aussitôt elle abat Orsiloque et Boutès, deux des Troyens les plus élevés en taille. Comme Boutès lui tournait le dos, elle le transperça d’une pique entre la cuirasse et le casque, là où luit le cou du cavalier, au bras gauche, là où pend son bouclier. Fuyant Orsiloque qui l’a pourchassée dans un large cercle, elle, de l’intérieur du cercle, l’esquive par une volte et de poursuivie, devient poursuivante. Dressée alors de toute sa taille, par deux fois de sa hache puissante elle frappe l’armure et les os de l’homme qui la prie et la supplie ; la cervelle s’échappe toute tiède de la blessure et lui inonde le visage.
Survient un guerrier qui, effrayé par cette vue soudaine, s’arrête figé : le fils d’Aunus, du pays des Apennins, n’était pas le dernier des Ligures, au temps où les destins permettaient de pratiquer la fourberie. Dès qu’il a vu qu’il ne pourrait pas compter sur la course pour échapper au combat ni écarter la reine qui le menaçait, il s’est mis à imaginer diverses ruses et dit avec astuce : « Que fais-tu de si extraordinaire, toi, une femme, qui ne comptes que sur la vaillance d’un cheval ? Renonce à fuir, fie-toi comme moi à un sol où nous serons égaux, combats debout, corps à corps, alors tu sauras qui la gloire capricieuse comme le vent, taxe d’imposture ».
Il dit et, elle, pleine de fureur, brûlant d’un violent ressentiment, laisse son cheval à une compagne et fait face à armes égales, à pied, l’épée nue, intrépide avec son bouclier sans emblème. Le jeune homme lui, croyant sa ruse aboutie, s’envole aussitôt ; il fait tourner bride à son cheval qui l’emporte, s’enfuit et, à coups de talons ferrés, épuise sa rapide monture.
« Inconsistant Ligure, tu es gonflé d’orgueil, mais c’est en vain ; dans ta duplicité, tu as tenté d’user des artifices de tes pères, mais, ta fourberie ne te ramènera pas vivant chez Aunus le perfide ». Ainsi parle la vierge, fille de feu aux pieds agiles: à la course, elle dépasse le cheval et, lui faisant face, elle saisit ses rênes, affronte son ennemi et se venge en répandant un sang abhorré : elle a l’aisance d’un épervier oiseau sacré fonçant du haut d’un rocher, pour poursuivre une colombe qui en son vol s’est élevée jusqu’aux nuages. Il l’attrape et la tient, il la déchire de ses serres crochues, tandis que du ciel tombent le sang et les plumes arrachées« .
________________
[i] Gérard Capdeville. La jeunesse de Camille. Mélanges de l’Ecole française de Rome. Antiquité T. 104, N°1. 1992. pp. 303- 338.
[ii] Biblioteca Classica Selecta Enéide, Livre XI La Geste de Camille. Faculté de Philosophie et Lettres de Louvain à l’initiative de Jean Schumacher.
Laisser un commentaire