Le 6 Mai 1527, un peu plus de mille ans après les Vandales, une armée, commandée par l’ex-connétable de Bourbon, composée d’Allemands luthériens réunis avec des Italiens et des Espagnols catholiques va se livrer pendant plus de six mois au pillage le plus long de l’histoire. Rome, ville martyre, va subir les assauts renouvelés d’une soldatesque impitoyable, puis la famine, puis la peste. Au terme de ce douloureux épisode, la population de la ville a été divisée par cinq et les richesses artistiques de la cité, ont été détruites ou dispersées produisant l’exode de tous les artistes, poètes et écrivains, vers d’autres cités italiennes ou européennes. Le terme Goth va devenir un synonyme de barbare en Italie. Mais les Allemands luthériens ne sont nullement les seuls responsables, à l’inverse de la présentation que s’acharne à en accréditer la propagande impériale.
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi Rome, la ville sainte de la Chrétienté est-elle agressée par le prince censé la protéger, Charles Quint ? Comment l’Empereur qui domine les trois quarts de l’Europe a-t-il laissé faire un tel crime contre l’humanité ?
A la base de cette histoire[i], il y a le conflit entre la puissance temporelle de l’Empereur du Saint Empire Romain Germanique et celle du pape Clément VII, sur fond de rivalité entre François 1er et Charles Quint.
La septième guerre d’Italie : la ligue de Cognac
A l’origine du sac de Rome, il y a les ambitions françaises[ii] en Italie qui ont conduit les trois rois de France, Charles VIII, Louis XII et François 1er à lancer les guerres d’Italie pour la récupération de leurs héritages de Naples et de Milan et qui verront la victoire finale des Espagnols. La dernière guerre d’Italie s’est soldée par la défaite de François 1er et sa capture à Pavie.
Au terme d’un an de détention, François 1er a été contraint de signer un traité humiliant, le Traité de Madrid, le 14 janvier 1526, par lequel il cède à l’Empereur, la Bourgogne et par lequel il réhabilite le connétable de Bourbon dans tous ses biens et possessions. Mais François 1er, avant de signer ce traité, a fait rédiger solennellement par son notaire à Madrid, un acte par lequel il décide par avance de ne pas respecter les termes d’un traité arraché par la force. Machiavel dans ses « Pensées diverses » énonçait déjà dans sa pensée n°19 : « Il n’y a pas de honte à violer les promesses arrachées par la force. L’on rompra les engagements relatifs à l’intérêt public, toutes les fois que la force qui aura obligé à les contracter, ne subsistera plus » [iii].
Après la libération de François 1er et la remise de ses enfants (François, le dauphin, duc de Bretagne, né en 1518 et Henri, son frère cadet, né en 1519) en garantie de l’exécution du Traité de Madrid, l’empereur Charles Quint expédie ses ambassadeurs, Lannoy et Du Praet en France pour procéder, de concert avec le roi à l’exécution de l’accord.
Mais François 1er fait recevoir Lannoy par le chancelier Duprat qui lui notifie le refus de la cession par les Etats de Bourgogne. Au même moment, le roi de France reçoit en grande pompe les émissaires du roi d’Angleterre, qui a signé en septembre précédent, à la suite d’une brillante négociation de sa mère, Louise de Savoie, alors Régente, le Traité de Moore, qui détache les Anglais de l’alliance espagnole.
Il faut dire que le roi d’Angleterre, Henry VIII n’a pas réussi à avoir un fils de la reine, Catherine d’Aragon, fille des rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon et cousine de Charles Quint (Voir l’article sur ce Blog sur la Généalogie des Habsbourg). Il songe donc à répudier Catherine d’Aragon, ce qui le détachera inéluctablement de l’alliance avec l’Espagne.
François 1er en retour, reprend les mêmes propositions préconisées par Louise de Savoie depuis le début de sa captivité, d’une rançon, en substitution de la Bourgogne. Ce qui suscite une « crise de nerfs » de Charles Quint qui en va jusqu’à provoquer François 1er, le prince déloyal, en combat singulier, considérant ainsi la position française comme un affront personnel.
Les positions sont irréconciliables entre les deux souverains. Le sort des princes de France, en captivité, va s’en ressentir. Ils vont être soumis à un régime d’une extrême sévérité et soumis, par décision de Charles Quint, à toute une série de sévices qui laisseront des traces, notamment chez l’aîné, François, qui mourra jeune, à l’âge de dix-huit ans, en 1536, peut-être des conséquences de ces sévices.
En même temps, la politique italienne de Louise de Savoie porte ses fruits car, en Italie, depuis Pavie, ce n’est plus la France qui fait peur : c’est l’Espagne. L’Empereur contrôle en effet le royaume napolitain annexé à la couronne d’Aragon depuis la guerre perdue par les Français, en 1503, et il contrôle depuis Pavie, le duché de Milan, plus ou moins occupé, excepté Milan, par l’armée impériale. Les visées impériales sur Florence et sur les territoires du nord de l’Italie font peur aux Vénitiens et au Pape qui ne souhaitent pas que la France soit trop abaissée par l’Espagne. Des messages pressants ont donc été expédiés par le Pape et par Venise, à la Régente, Louise de Savoie, et au roi, son fils, pour l’exhorter à ne pas respecter le traité de Madrid et à signer une alliance pour la défense de l’Italie.
Ce sera l’objet du Traité de la Ligue de Cognac signé le 22 mai 1526 entre la France, le Pape Clément VII, Venise, Florence et Milan du duc Francesco Sforza revenu au pouvoir en 1521 après le retrait français de Milan et la défaite du maréchal Lautrec en 1523 à la bataille de la Bicoque. Cette alliance défensive promet de rétablir le duc de Milan sur son trône et d’aider le Pape et Venise contre l’Empire, tout au moins jusqu’à la conclusion d’un accord de paix avec l’Espagne et la restitution des princes de France. L’Angleterre ne signe pas le Traité mais promet des secours.
Charles Quint, déçu, doit donc se résoudre à reprendre la guerre. Il laisse entendre au duc de Bourbon, l’ex-connétable de France, qu’il pourra lui donner le duché de Milan et le désigne comme généralissime en Italie. La France ne souhaite pas entrer de front dans la guerre, soucieuse de maintenir, en pensant aux petits princes captifs, des relations minimales avec l’Espagne. En Italie, les armées de la ligue, sont conduites par le duc d’Urbin, nommé par Venise, François Marie de la Rovere, petit-fils du premier duc d’Urbin, Federico de Montefeltre (voir les deux articles consacrés à ce grand condottiere sur ce Blog : Les Premières armes et le grand condottiere invaincu). Le duc d’Urbin (1490-1538) a été adopté par son oncle, Guidobaldo, qui ne pouvait pas avoir d’enfant de son épouse, Elisabeth de Gonzague (voir l’article de ce Blog sur Cesar Borgia le duc de Valentinois).
Le duc d’Urbin, qui a su mener des campagnes militaires pour récupérer son duché capturé par Jean de Medicis des Bandes Noires pour Léon X et Laurent de Médicis (Voir l’article de ce Blog sur Jean de Medicis des Bandes Noires), n’a cependant pas le génie militaire de son grand-père. Il est pusillanime et connaît bien la faible valeur des troupes italiennes qu’il commande. Il craint en revanche, celle du duc de Bourbon qui passe, à l’époque, depuis la victoire de la France à Marignan, pour l’un des meilleurs généraux d’Europe. Il hait enfin, le clan Medicis qui gouverne à Rome et le pape Clément VII qui lui a prouvé à plusieurs reprises son inimitié. Le duc d’Urbin va donc procéder par marches et contre marches, à des mouvements destinés à le positionner par rapport aux Impériaux sans jamais entrer au contact. Il sait qu’une défaite lui sera personnellement imputée mais que son poids politique restera intact tant qu’il disposera d’une armée.
Bourbon réussit à faire entrer 800 Espagnols à Milan, où l’armée impériale continue le siège du château de Milan où s’est retranché Francesco Sforza. Pendant ce temps le duc d’Urbin s’est retranché à Lodi d’où il peut intervenir à tout moment pour écraser le petit contingent de l’armée impériale. Il donne l’ordre finalement d’attaquer Milan. Mais à peine a-t-il rencontré un semblant de résistance, qu’il décide de faire retraite le 8 juillet 1526. Les Milanais sont alors dans le désespoir. L’activité économique de la ville la plus industrieuse d’Europe, s’est arrêtée. Les échoppes des artisans sont fermées. Les soldats prennent tout ce qui les intéresse et ils empêchent la population de sortir. Nombreux sont les Milanais à tenter le suicide pour échapper à cette tyrannie.
A l’arrivée de Bourbon, les Milanais reprennent espoir. On se souvient de son habile gestion du duché pendant un an, après la victoire de Marignan, alors qu’il était vice-roi de Milan. Bourbon leur déclare que s’ils remettent 30 000 écus, il fera sortir la troupe de Milan. On lui remet la somme mais la troupe reste dans Milan et Bourbon oublie toutes ses précédentes promesses.
Car le duc d’Urbin menace d’intervenir. Il arrive finalement à Milan où il vient prendre position le 22 juillet 1526. Faut-il se risquer à l’assaut ou pas ? Il délibère encore lorsqu’il apprend le 24 juillet que le duc Fransco Sforza, à bout de vivres et de munitions, s’est rendu aux Espagnols de Bourbon : ce dernier l’a autorisé à se rendre où il veut. Cette reddition inespérée permet au duc d’Urbin de retirer son armée sans combat, une armée qui continue à représenter plus de trois fois celle des Espagnols.
Le conflit entre le Pape et le cardinal Pompeo Colonna
L’inefficacité de l’armée de la ligue, le manque d’intérêt marqué par la France et l’Angleterre pour les affaires d’Italie, conduisent le Pape à chercher à se réconcilier avec les Colonna, les plus chauds partisans de l’Empereur Charles Quint à Rome. Il avait dû son élection au concours inespéré du cardinal Pompeo Colonna qui, plutôt que de voir un Orsini accéder au trône de Saint-Pierre, préférait encore y voir un Médicis ennemi. Mais par la suite, le Pape avait été dans l’incapacité de satisfaire les demandes successives du Cardinal Pompeo Colonna. Une guerre privée s’était alors installée, les troupes de Clément VII étant venues défendre la ville d’Agnani, assiégée par les Colonna.
Vespasiano Colonna, le fils aîné du célèbre général Prospero Colonna, duc de Traetto, comte de Fondi et autres lieux, était l’homme fort de la famille Colonna. Il vient proposer à Clement VII une trêve. Un traité est signé le 22 août par lequel les Colonna s’engagent à retirer leurs troupes en territoire napolitain, le pape acceptant de retirer ses sanctions contre le cardinal Pompeo Colonna et un pardon général. Fort de ce traité, le Pape commet l’imprudence de licencier immédiatement toutes ses troupes.
Mais Pompeo Colonna n’avait fait engager cette négociation que pour mieux surprendre le Pape : depuis la mort en 1523 du fils de Gonzalve de Cordoue, le duc de Sessa, le cardinal Colonna était conseillé par Hugo de Moncada, formé par César Borgia.
Avec une manœuvre renouvelant le stratagème d’Urbino de César Borgia (voir les articles de ce Blog sur César Borgia Le duc de Valentinois et La conjuration de Magione), il tarde à lever, comme il s’y était engagé, le siège de la ville d’Anagni, que le Pape défendait avec deux cents lances. Ce qui lui permet de concentrer 800 cavaliers et 3 000 hommes d’infanterie, ramassés à la hâte, qui sont conduits à Rome, à marche forcée. Ils entrent dans Rome dans la nuit du 19 au 20 septembre 1526. Ils s’emparent de trois portes dont Saint-Jean de Latran et s’introduisent dans la ville éternelle, conduits par le négociateur de la trêve, Vespasiano, par Hugo de Moncade, Ascanio Colonna et le cardinal Pompeo Colonna.
Le pape Clement VII apprend en même temps que la rue, que Rome est envahie. Il ne peut compter que sur les deux-cents Suisses d’Etienne Colonna, qui sont rapidement culbutés après une brève mais intense résistance. A onze heures du matin, le pape, pressé par ses cardinaux, court se réfugier au château Saint-Ange pendant que le palais pontifical et la basilique Saint-Pierre de Rome sont mis à sac par les Colonna.
Puis les troupes de Moncade se dispersent pour mettre leurs rapines en lieu sûr et Moncade vient négocier la paix avec Clement VII qui n’est que trop heureux de signer car il n’a aucune provision au Château Saint-Ange. Aux termes de cette trêve, valable pour quatre mois, le Pape s’engageait à ramener en deçà du Po ses troupes et à payer 30 000 écus aux Colonna.
Le roi de France conseille à Clement VII de ne pas respecter une trêve obtenue par la force. Les troupes florentines, recrutées à la hâte par le Saint-Père, conduites par Vitello, le condottiere de Citta di Castello, viennent mettre à sac les seigneuries des Colonna (Montfortino, Gallicano, Tagarolo et Marino), près du lac d’Albano. Clément VII excommunie tous les Colonna rebelles et le cardinal Pompeo Colonna qui est déchu de toutes ses dignités et de la pourpre cardinalice. Dès lors, le cardinal Colonna va devenir le plus farouche ennemi du Pape Clément VII et il va s’acharner à obtenir de Bourbon qu’il dirige son armée vers Rome.
Le Duc de Bourbon à la tête de l’armée impériale
Car le duc de Bourbon fortifié par la jonction prochaine avec les 14 000 hommes de Frundsberg, arrivés d’Allemagne, souhaite faire sortir son armée de Milan.
Mais les Espagnols se mutinent car ils ne sont pas payés. Bourbon sort alors de sa geôle Girolamo Morone, l’ancien chancelier de Milan, qui avait monté l’année précédente sa conspiration contre l’empire (voir sur ce Blog l’article Vittoria Colonna), et lui promet la liberté contre une rançon de 30 000 écus qui permet un premier règlement des troupes : l’armée se met alors en marche.
Le 20 février 1527, le duc de Bourbon passe la Trebbia avec 5 000 gens d’armes, 3 000 chevau-légers, 12 000 fantassins allemands, 5 000 fantassins espagnols, et 2 000 volontaires italiens, soit 27 000 hommes. L’armée ne comporte pas d’artillerie, ce qui l’empêche de se saisir des places fortes. Le 14 mars, c’est au tour des Espagnols et des Allemands de se mutiner. Le duc de Bourbon manque d’être assassiné. Le marquis del Vasto, neveu du marquis de Pescara, vainqueur de Pavie (voir l’article Vittoria Colonna sur ce Blog) est dépêché en urgence à Ferrare pour se procurer des ressources, qui permettent, momentanément de reprendre en main les mutins. Sur ce, Frundsberg subit une attaque d’apoplexie et, frappé de paralysie, il est contraint de s’aliter à Ferrare, laissant ses luthériens sans chef, sous le contrôle provisoire de Bourbon.
Le Pape, qui désespère du duc d’Urbin et qui voit arriver, impuissant, l’armée formidable de Bourbon, qui s’apprête à ravager la Toscane, la Romagne et les Etats pontificaux, se résout à négocier avec l’Empire. Il rencontre à cet effet, François Angeli, général de l’Ordre de Saint-François et confesseur de Charles Quint, qui lui est expédié par ce dernier. Le 15 mars est signé un traité par lequel le Pape rétablit le cardinal Colonna, règle 60 000 écus à Bourbon pour l’armée impériale et Lannoy, vice-roi de Naples, se constitue otage à Rome en garantie de l’accord. Le marquis del Vasto, napolitain, reçoit l’ordre de quitter l’armée impériale et de rejoindre Naples.
Aussitôt, Clément VII, pourtant bien payé pour savoir que les accords n’engagent que ceux qui en ont besoin, licencie ses troupes. Rome n’a plus d’armée pour la garder. Le premier acte de la tragédie est consommé.
Car le duc de Bourbon fait savoir haut et fort que 60 000 écus ne suffisent pas pour contenter l’armée : il aurait fallu évoquer le chiffre de 200 000 écus ! Le vice-roi de Naples, Charles de Lannoy, est alors expédié en toute hâte à Florence par le Pape Clément VII, avec les lettres de change requises, pour mobiliser 200 000 écus. Il revient ensuite au camp de Bourbon avec une proposition de versement de 80 000 écus comptant et 70 000 à trois mois (où est passée la différence ?). Les soldats, mis au courant de ces propositions et peut-être instrumentés en sous-main par leurs chefs, refusent avec indignation ces propositions : Lannoy, découragé, renvoie l’argent à Florence et retourne à Naples.
Le 21 avril, l’armée impériale est arrivée à Montevarchi, près d’Arezzo, au sud de la Toscane. Elle s’est considérablement renforcée de troupes italiennes attirées par la perspective du pillage de Florence ou de Rome, car le but de l’expédition n’est pas encore définitivement fixé et Bourbon n’a pas à supporter le coût financier de ces nouvelles recrues qui s’enrôlent à crédit. L’amée compte alors près de 40 000 hommes.
Entre temps, le duc d’Urbin est venu renforcer Florence de sorte que la voie de la Toscane s’est refermée derrière l’armée impériale. Le cardinal Colonna, aussitôt rétabli par le Pape s’est remis à le trahir et adresse message sur message au duc de Bourbon, pour l’assurer que Rome n’est pas défendue.
Le duc a besoin de la neutralité de Sienne qui pourvoit son armée en vivres. Il convainc alors facilement ses capitaines que Rome doit être le but ultime de l’expédition. Informé, le duc d’Urbin décide de se presser lentement. Il ne tient toujours pas à affronter Bourbon et moins encore, depuis que l’armée de ce dernier est devenue plus forte que la sienne.
Et le 5 mai 1527, à vingt et une heures soit quatre heures de l’après-midi, l’armée impériale arrive sous les murs de Rome. Le duc d’Urbin lui, est encore à Pérouse, à 170 km au nord de Rome.
L’attaque de la ville et la mort du duc de Bourbon
Bourbon souhaite donner l’assaut immédiatement car l’armée ne dispose que de deux jours de vivres. Les premiers assauts sont repoussés avec des pertes sévères. Les capitaines ne sont pas convaincus de lancer l’attaque le soir même. Ils préfèrent reconnaître les lieux avant de tenter l’assaut le lendemain.
L’armée a d’abord pris position près de la villa Madama, construite par le Cardinal Jules de Médicis, devenu le pape Clement VII.
Elle s’est ensuite installée à la lisière du quartier du Borgo Le duc de Bourbon a installé son quartier général au monastère Sant’Onofrio sur le Janicule, la huitième colline de Rome qui culmine à 85 m au-dessus du Tibre. Du monastère, le duc a une vue imprenable sur les fortifications qui entourent la ville.
Il harangue alors ses soldats à une heure, cinq heures après son arrivée, soit vers neuf heures du soir en leur disant qu’ils trouveront dans Rome « des gens mous, efféminés, voués à la rapine ». Aux luthériens il leur dit que c’est Luther lui-même qui leur a promis Rome. Les soldats répondent favorablement. Leur combativité réveillée, il leur demande de prendre du repos pour être prêts à se lancer à l’attaque, le lendemain.
Le projet des impériaux est de se lancer, d’après André Chastel, à l’attaque des trois zones du Borgo, du Trastevere et de la rive gauche du Tibre, en passant par les portes San Pancrazio au bas du Janicule, Septimania, pour le Trastevere et San Spirito pour le corridor du Borgo. Les soldats reçoivent l’instruction de fabriquer des « échelles de bois et de jonc assez larges pour faire passer six hommes ». Bourbon a expédié les lansquenets à l’entrée sud du Borgo, à la porta Santo Spirito, au bas du monastère Sant’Onofrio.
Transportons-nous dans Rome, où le pape Clément VII se rend compte de sa folie d’avoir licencié son armée sur la foi des promesses de Charles Quint. Le défaut de ce Pape est sa pusillanimité et son irrésolution. Dans l’action, il est incapable de prendre une décision et de s’y tenir. Faut-il aller négocier avec Bourbon ? Faut-il combattre ? Le Pape ne sait à quel saint se vouer ! Parmi les militaires restés à Rome à son service, il y a Renzo da Ceri. Ce célèbre condottiere, de son vrai nom Lorenzo Orsini, a été jusqu’à l’année 1525, au service de la France. C’est un spécialiste de la guerre de siège et il a défendu victorieusement Marseille contre l’armée impériale de Bourbon et du marquis de Pescara, trois ans auparavant, pendant trois mois.
On demande à ce soldat d’élite [iv], de former en urgence une troupe de défense de Rome. Il recrute 3 000 soldats parmi les journaliers, les palefreniers et les artisans. Mais sans cacher au pontife, son scepticisme quant à la valeur militaire des troupes ainsi mobilisées. Le pape convoque alors les bourgeois de Rome, réclamant leur soutien pour la défense de la cité et leur argent. Mais les bourgeois de Rome sont convaincus qu’ils n’ont rien à perdre de la substitution de l’Empereur au Pape. Ils pensent que les envahisseurs se comporteront comme les troupes Colonna, neuf mois plus tôt. Ils ne croient pas les Cassandre qui leur prédisent le pire.
Les riches qui refusent de prêter 100 écus au Pape, ce jour-là, supplieront le lendemain leurs tortionnaires, d’accepter 50 000 écus pour leur laisser la vie sauve.
Clément VII ordonne ensuite aux officiers de vérifier l’état des fortifications de la ville et, s’il le faut, d’en édifier de nouvelles.
Les premières attaques des lansquenets commandés par le Prince d’Orange, Philibert de Chalon, sont repoussées très vigoureusement par la défense romaine, avec de grosses pertes. Mais un brouillard très épais tombe alors sur la ville empêchant la mitraille et sauvant les impériaux qui peuvent installer leurs échelles et prendre appui sur le toit d’une maison, saillant hors des remparts.
Jacques Bonaparte, un contemporain note dans son récit, qu’un petit groupe d’espagnols, sans doute informés de cette faiblesse des fortifications, réussit à passer par une cave, à proximité de la porta Santo Spirito, dont l’ouverture, bien camouflée, donnait sur l’extérieur. Ils se répandent alors en criant « tue, tue » dans la ville semant l’épouvante parmi les défenseurs, terrorisés par une irruption si soudaine. Puis ce détachement serait venu ouvrir de l’intérieur, la porte Santo Spirito aux lansquenets allemands qui pénètrent alors dans la ville. Cet épisode n’est pas raconté dans l’itinéraire du sac de Rome par Fréderic Bidouze et Fabienne Coudin, qui se sont appuyés sur le travail d’André Chastel. Il est donc possible que l’épisode ne soit pas vérifié.
Les espagnols quant à eux, s’emparent de la porte Torrione, par laquelle ils pénètrent dans la cité.
Le duc de Bourbon, quant à lui, se trouvait entre la porte Santo Spirito et la Porte Cavallegeri.
Il tient une échelle appuyée contre le mur de la main gauche, tout en faisant des signes de la main droite, encourageant les soldats à grimper à l’assaut. Soudain une balle d’arquebuse le touche et le traverse de haut en bas. Il s’écroule, mortellement blessé. Il a le temps de dire quelques mots avant d’expirer pour encourager les soldats à poursuivre l’attaque.
La mort du duc de Bourbon produit un tumulte extraordinaire et provoque un brutal flottement chez les Impériaux, jusqu’à ce que Philibert de Chalon reprenne les choses en main et relance ses troupes à l’attaque. Aux cris de rage « Borbon, Borbon » les troupes s’élancent alors pour un nouvel assaut victorieux tandis que la pluie commence à tomber en dissipant le brouillard.
Qui est le responsable de la mort du duc de Bourbon ? Personne ne le sait car le brouillard n’était pas encore percé. Alors pourquoi est-il mort ? Certains documents plus tardifs (vers 1550) font état d’une balle d’arquebuse venus de l’arrière ? Beaucoup de témoins revendiquent le coup salvateur, avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est impossible de le prouver. Benvenuto Cellini, le célèbre orfèvre, qui est sur les murs au moment de l’attaque, est de ceux-là.
Les 189 gardes suisses du Vatican ont pris position au Campo Santo, près de l’obélisque, à l’emplacement de l’ancien cirque de Caligula, pour laisser au pape le temps de s’enfuir au château Saint-Ange. Leur capitaine, Kaspar Roust est massacré avec toute sa compagnie par les lansquenets. Des 189 gardes, seuls 42 ont réussi à en réchapper, ceux qui, au dernier moment ont été chargés d’accompagner le pape au château Saint Ange Ils vont être à l’origine de la légende du sacrifice de la garde Suisse du pape. Depuis cette date, le 6 mai, les gardes Suisses commémorent leur sacrifice en prêtant serment.
Encadré par les Suisses conduits par Hercule Göldli, le pape, suivi de quatorze cardinaux a réussi à rejoindre le Fort Saint Ange, par le « passetto » (corridor) aménagé par Alexandre VI. Le cardinal Farnese (futur pape Paul III) est infirme : il doit être porté par ses collègues. De nombreux romains pourchassés (plus de deux mille et la plupart des cardinaux) réussissent à se réfugier au château Saint Ange, dont Benvenuto Cellini, dont les compétences en matière d’artillerie, sont appréciées par le pape.
La panique s’est emparée de tous. La foule qui reflue des remparts, poursuivie par la meute des lansquenets, des Espagnols, des Italiens, assoiffés de sang, bouscule tout sur son passage. Le cardinal Pucci qui court depuis la porte Santo Spirito qu’il défendait, est piétiné par la foule et miraculeusement hissé dans le château par une fenêtre, alors que la forteresse s’est déjà refermée. De même que le cardinal Armellino, dont le palais jouxte les murs de Rome du côté de l’attaque impériale : immensément riche, le cardinal va mourir quelques mois après l’assaut, du chagrin d’avoir perdu ses immenses collections. Le pape, héritier de tous les cardinaux, va pouvoir payer sa rançon en revendant le patrimoine du cardinal Armellino.
La forteresse qui contient en temps normal un millier de personnes, en accueille alors près de trois mille. Elle est pourvue de vivres pour un mois. Philibert de Chalon fait creuser des tranchées au nord de la forteresse pour prévenir un éventuel assaut des troupes du duc d’Urbin.
L’entrée de l’armée impériale à Rome
La plus grande partie de l’armée est entrée par la porte Saint Pancrace, située au sud de la ville, sur l’ancien mur antique d’Aurélien, sur la rive droite du Tibre. Le Trastevere est donc le premier quartier de Rome à être envahi. A la sortie du Trastevere, se trouvent plusieurs magnifiques palais en bordure du Tibre, dont la Farnesina, qui vient d’être construite par Baldassare Peruzzi pour le banquier Chigi et dans laquelle se sont exprimés, à fresque, les talents de Giovanni da Udine, d’Antonio Bazzi et de Rafaello Santi, le grand peintre de la Renaissance. Les lansquenets s’attaquent aux fresques de la salle des Perspectives, au premier étage, sur lesquelles ils apposent leurs graffitis. L’un d’eux a écrit au fusain « pourquoi, moi qui écris, ne devrais-je pas rire ? Les lansquenets ont fait courir le Pape » ! [v]
Après avoir dégradé le palais Chigi, les lansquenets s’en prennent au Vatican où ils vont dégrader les chambres de Rafael et notamment la chambre de la signature où un lansquenet appose un graffiti sur un livre « W K Imp » (Charles Quint Empereur).
Rome compte alors environ cinquante mille habitants (beaucoup moins que Paris ou Florence) dont plus de 80% est d’origine non romaine. Le premier assaut contre la ville martyre va être d’une rare violence. Les lansquenets allemands tuent tous les êtres vivants qu’ils trouvent sur leur passage, soldats, hommes, vieillards, femmes, enfants. C’est un bain de sang : on dit que quatre mille personnes vont mourir ce jour-là. C’est un chiffre énorme : supérieur à celui de la Saint-Barthélemy (3 000 victimes à Paris), deux fois supérieur à celui du massacre des Armagnacs par la population parisienne (voir l’article sur ce Blog sur le Parlement de Poitiers).
Le sac de Rome
A la nuit venue, les conquérants, fatigués, notamment Espagnols, songent que le moment est venu de se remplir les poches. Commence alors la traque systématique des prisonniers qui sont liés les uns aux autres, dans le but de leur extorquer une rançon. Car tous ont enfoui leurs richesses et il faut maintenir en vie ceux qui restent pour découvrir les trésors cachés. Les maisons particulières sont systématiquement mises à sac. Les soudards entrent, s’emparent du maître de maison qui est ligoté. Les matrones sont assassinées et, devant les yeux exorbités des pères et des maris, leurs femmes, leurs filles sont violées puis tuées lorsque le secret des caches a été dévoilé par les pères hallucinés. Certaines femmes, pour ne pas voir ces atrocités se crèvent les yeux avec leurs ongles.
La longue agonie de Rome qui va durer neuf longs mois de terreur et de sang, a commencé. « Tous les témoins rapportent l’étrange vide après le sac. On n’entend plus de cloches, aucune église n’est ouverte, on ne dit plus la messe. On ne sait plus que dire ni à quoi comparer cela, sauf à la destruction de Jérusalem. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu quelque chose de pareil » dit un rapport espagnol cité par Fréderic Bidouze et Fabienne Coudin.
La population, terrorisée, s’est réfugiée dans les églises qui ont, de tous temps constitué le havre des proscrits. Mais la soldatesque déchaînée ne craint ni Dieu ni le diable. Et les mêmes scènes que dans les maisons particulières se déroulent dans les églises, amplifiées par l’horreur de la multitude. Les femmes, sans distinction d’âge, de rang, ni de richesse, sont impitoyablement forcées puis massacrées. Les luthériens vont jusqu’à profaner les tombes, en dessertissant les caveaux. Le sang appelle le sang : plus les victimes implorent la pitié, moins les meurtriers sont compatissants.
A voir ces horreurs, plusieurs pères, préfèrent tuer de leurs mains leur famille entière, puis se suicider plutôt que de subir ces atrocités. Les pillards brûlent alors leur maison, de fureur d’avoir été dépossédés de leur plaisir. Les couvents des religieuses ne sont pas plus respectés que les cloîtres, les églises et les lieux saints : les soudards entrent comme des loups enragés et violent toutes les religieuses, sans distinction d’âge et ils mettent le feu là ou certaines d’entre elles préfèrent résister plutôt que de subir la brutalité de leurs oppresseurs.
Les lansquenets luthériens s’en prennent à tous les symboles religieux condamnés par la doctrine luthérienne. Ils mettent à bas et détruisent les reliques des saints, ils salissent les fresques sur lesquelles ils apposent des graffitis, ils s’affublent par dérision des robes des prêtres et vont sur les autels, procéder à des simulacres d’offices. Les habits des prêtres sont utilisés pour revêtir les prostituées ou les lavandières qui accompagnent l’armée.
Le lendemain de l’assaut, le pape Clément VII peut observer un défilé de lansquenets qui se sont recouverts des oripeaux pillés dans les églises et au Vatican : « l’un d’eux, monté sur un cheval magnifique, revêt l’habit pontifical et se met sur la tête, la tiare papale, accompagné par d’autres, qui ont aussi des vêtements épiscopaux, certains, des mitres et des manteaux de pourpre. Le cortège se présente devant le château Saint-Ange, sous les yeux de Clément VII, et demande l’abolition du faste pontifical ainsi que son testament en faveur de Luther, en criant : Vivat Lutherus pontifex »[vi].
Les merveilleux palais romains sont mis à sac de façon systématique. Ce qui n’a pas de valeur immédiate pour des soudards est détruit : ces œuvres magnifiques des plus grands génies artistiques depuis deux mille ans, sont détruites, passées par les fenêtres, jetées à bas avec brutalité. Les parchemins vénérables, qui contiennent tout le savoir humain, sont brûlés sur place et dispersés. Rome était la ville du monde comptant le plus de librairies et de bibliothèques. Ce qui compte pour les pillards, c’est l’or. Même les bijoux précieux qui ont pourtant beaucoup plus de valeur, ne les intéressent pas. Les ouvrages précieux sont brutalement séparés de leurs fermoirs en or ou en argent puis jetés par les fenêtres ou foulés aux pieds.
Pour découvrir des trésors cachés, les tortionnaires, indifféremment, Allemands, Espagnols ou Italiens, forcent, à coups de bâtons, les propriétaires à rentrer chez eux, puis ils les contraignent par la torture à révéler leurs caches : on voit ici où là un homme, une femme ou un enfant, se jeter par les fenêtres, la tête en avant pour se fracasser sur les pavés et échapper à une mort plus atroce. C’est le sort de Girolamo de Camerino, officier du cardinal Cybo, qui, dans l’incapacité de payer la somme exigée, se jette en arrière par la fenêtre pour s’échapper par la mort à la rapacité de ses tortionnaires.
Jacques Buonaparte raconte qu’un prélat est arrêté : on lui enlève ses bijoux mais on ne parvient pas à lui retirer un diamant du doigt, diamant valant quatre cents écus. Le soldat s’escrime sans parvenir à retirer la bague. Son sergent s’approche alors, sort un couteau effilé et coupe le doigt du prélat dont le soldat retire la bague en jetant le doigt à terre !
La fureur de la soldatesque n’épargne aucun étranger. Les cardinaux gibelins, fidèles de l’Empereur Charles Quint, ne sont pas plus épargnés que le commun des mortels. Ils avaient cru rester à l’abri dans leurs palais en profitant de leur nom et de leur poids politique : ils vont être forcés comme les autres, pillés et torturés.
Le palais de l’ambassadeur du Portugal est abordé par une troupe d’Espagnols apparemment amicaux : on leur ouvre la porte et ces derniers appellent à la rescousse leurs collègues, Allemands, qui s’étaient dissimulés. Tous entrent en force et pillent méthodiquement le palais dont les occupants, nombreux sont systématiquement mis à rançon.
La Marquise de Mantoue, tante de Ludovic Gonzague l’un des chefs des Impériaux, est placée dans l’obligation de verser immédiatement 50 000 écus pour préserver son palais : elle fait payer les nombreux réfugiés qu’elle avait accueillis. Le cardinal de Sienne, un des plus chauds partisans de l’Empereur, qui croyait être en sûreté dans la ville conquise par l’armée impériale, doit payer sa rançon aux Espagnols, puis, à peine libéré, il est attrapé par les Allemands qui le bastonnent et le soumettent à une nouvelle rançon. Son palais est pillé comme les autres.
C’est alors que l’armée du duc d’Urbin est signalée. Le prince d’Orange, Philibert de Chalon (voir l’article sur ce Blog sur Philibert de Chalon), parvient à rassembler quelques troupes d’Espagnols et d’Allemands qu’il fait mettre en ordre de bataille. Mais le duc d’Urbin constate que la capitale est déjà prise et mise à sac : il fait demi-tour.
Survient alors le cardinal Pompeo Colonna et ses partisans, qui se sont réjouis, avant leur arrivée, de la déroute du Pape. Toute autre est leur réaction quand ils constatent à leur entrée dans la ville, les horreurs commises par les impériaux, les morts dans les rues, au bas des maisons, le saccage des œuvres d’art. En hâte, le cardinal se porte à son palais, qui a été pillé à plusieurs reprises et où il accueille d’abord ses partisans puis toutes les femmes qui n’ont plus d’abri après avoir été chassées de chez elles et des églises. Ils seront bientôt 3 000, parmi les Romains, à trouver asile au palais Colonna.
Dans la rue, l’horreur s’installe, ordinaire. Les troupes se sont casernées dans les églises et à Saint Pierre de Rome, dont le chantier en cours, sera arrêté jusqu’en 1534 et qui deviennent des écuries. Les quelques agriculteurs qui se hasardent dans la ville pour y apporter leurs produits, sont molestés et rançonnés par les bandes diverses de sorte que bientôt, la ville n’est plus du tout ravitaillée.
Les Espagnols se sont installés sue les ruines de l’ancien stade de Domitien, construit au premier siècle de notre ère, qui deviendra bientôt la Piazza Navona. Il s’agissait alors d’un quartier populaire et la place était celle du marché. C’est un marché du reste, qui s’installe, où vient s’échanger le produit de tous les pillages de la ville.
Car ce qui a été dérobé n’a plus aucune valeur et les pilleurs se débarrassent des plus beaux objets pour quelques ducats. « Jean Cave nous décrit (en latin) ces lansquenets chargés de vêtements et d’étoffes, couverts de chaînes d’or et de bagues, avec des vases, des pierres, des sacs pleins de ducats et de choses précieuses qu’ils font porter par leurs captifs »[vii].
Les morts restent sans sépulture tandis que s’organisent un peu partout des marchés où les vainqueurs viennent s’échanger les produits de leurs pillages. Les habitants qui ont réussi à sauver leurs vies se terrent dans les caves où ils commencent à mourir de faim.
Un mois plus tard, la peste a fait son apparition. Elle frappe sans discernement les vaincus comme les vainqueurs, qui décident de partir de Rome, en juillet, pour respirer un air plus vif. Mais ils reviendront à Rome en septembre et vont soumettre la ville à un nouveau pillage.
L’armée n’obéit à personne. Les lansquenets sont sans chef depuis la paralysie de Georg von Frundsberg survenue à Ferrare. Les Italiens qui se sont joints à l’armée sont des bandits de bas étage, commandés par des brutes sans scrupule ni pitié. Les Espagnols eux-mêmes, qui forment la troupe la plus disciplinée, sont parmi les plus âpres au gain et leur rapacité est insatiable. Philibert de Chalon est incapable de se faire obéir, de sorte qu’une espèce de république militaire s’installe dans une ville constamment livrée à tous les débordements et tous les excès, dont les habitants de Rome sont les seuls à faire les frais. Mais Philibert de Chalon parvient tout de même à protéger la Bibliothèque Vaticane qu’il réussit à préserver des pillards.
En sept mois de calvaire, la ville a perdu 80% de sa population, par les massacres, par la peste et l’exode vers les campagnes. L’armée impériale elle-même a perdu la moitié de ses effectifs par la peste et les désertions, lorsque les derniers Allemands quittent Rome en février 1528. Les Espagnols sont partis à l’automne rejoindre les troupes défendant Naples contre l’armée française du maréchal Lautrec, le frère aîné de la ravissante comtesse Françoise de Châteaubriant, première maîtresse de François 1er. Les impériaux ont emmené la peste avec eux, qui va décimer les rangs des deux armées et provoquer la mort du Maréchal Lautrec.
Les conséquences directes et indirectes du sac
On dira que le produit des pillages s’est élevé à dix millions de ducats. Mais les chiffres ne veulent rien dire. Car les œuvres d’art détruites, les parchemins précieux, définitivement disparus, sont irremplaçables. C’est un véritable crime contre l’humanité, la connaissance et la beauté et tout ce qui fait le génie de l’homme. Les érudits pleureront longtemps leurs magnifiques collections d’ouvrages à jamais consumés. Comment quantifier ces merveilleux tableaux disparus, ces merveilles architecturales brûlées ?
Le sac de Rome va provoquer un séisme dans le domaine artistique. Tous les artistes, peintres, sculpteurs, poètes, marqueteurs, orfèvres, vont s’égailler et rejoindre les cités Etats de la péninsule où ils pourront trouver un emploi, voire plus loin, à Paris, Londres, Madrid ou Anvers. A Rome même, le courant du premier maniérisme, comme le démontre André Chastel, est arrêté et remplacé par celui de la contre-réforme.
Les Espagnols vont chercher, avec Sepulveda, notamment, à prendre la défense de Charles Quint, en démontrant que les Espagnols ont été des éléments modérateurs dans le sac de Rome. L’enjeu se trouve ailleurs : il s’agit de démontrer la nécessité de l’extermination des Indiens dans les nouvelles colonies amérindiennes : pour cela, les Espagnols se doivent d’être civilisés. Mais les espagnols n’ont nullement été des éléments modérateurs. On en a la démonstration dans le rapport du pillage de l’ambassade du Portugal.
Charles Quint, lui-même, malgré des manifestations de pudeur, à la nouvelle du sac, ne désavoue pas ses lieutenants et maintient la pression sur le Pape : il exploite politiquement la défaite de Clément VII, pour séparer ce dernier de la Ligue de Cognac et lui imposer par le traité de Barcelone, à se ranger parmi ses alliés.
Le sac de Rome va définitivement calmer les ambitions des Pontifes à l’exercice d’un pouvoir temporel concurrent de celui de l’Empire, ouvrant la voie, à la formation des ensembles territoriaux sous le contrôle des grandes puissances européennes. Le duché de Milan devient Espagnol en 1535, tandis que Florence, transformé en duché en 1530 revitalise ses liens avec le Saint Empire. Charles Quint l’a définitivement emporté sur François 1er en Italie, qui deviendra un théâtre d’actions secondaires dans le concert européen.
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[i] Tous les faits à l’origine de cette rivalité sont contés dans mon roman biographique sur les itinéraires croisés de Louise de Savoie, la mère de François 1er et le connétable Charles III de Bourbon : l’Ombre du Connétable. La bibliographie ayant permis de réaliser cet article figure dans la centaine de références bibliographiques figurant dans l’article de ce Blog sur la Bibliographie. Mais les sources particulières ayant permis de rédiger cet article sont : « Histoire d’Italie de l’année 1492 a l’année 1552 » par Francesco Guicciardini , « Histoire des Républiques italiennes du Moyen Age » par M. Simonde de Sismondi – volume 8 , « La rivalité entre Charles Quint et François 1er » de Mignet, la biographie « Charles Quint » de Pierre Chaunu chez Fayard 2000, « Le sac de Rome, 6 mai 1527, les lansquenets ont fait courir le Pape » par Fabienne Coudin et Fréderic Bidouze Editions Periégète Pau 2012, la relation du « Sac de Rome » par Jacques Buonaparte, ainsi que plusieurs articles auxquels il sera fait référence. Mais l’œuvre de référence pour celui qui s’intéresse au sac de Rome, est celle d’André Chastel, « Le sac de Rome 1527 du premier maniérisme à la contre-réforme », ouvrage auquel je n’ai malheureusement pas réussi à accéder.
[ii] Qui font l’objet de la plupart des articles de ce Blog.
[iii] Figurant en fin d’ouvrage du Prince, document GALLICA-BNF. La France, qui a imposé les conditions humiliantes du Traité de Versailles à l’Allemagne, en 1919, aurait été bien inspirée de penser à cette maxime de l’illustre Florentin car ce Traité humiliant allait ouvrir la voie au deuxième conflit mondial.
[iv] L’opinion donnée par Jacques Buonaparte est sur plusieurs pages, l’exact contraire. Il fustige l’incompétence et la couardise du condottiere qui part se réfugier le premier dans le château Saint-Ange. Cette opinion est complètement incompatible avec le comportement de ce grand condottiere à Lodi et à Marseille. Il est très probable que, ses troupes, recrutées la veille, se soient débandées le lendemain et que le Pape ait souhaité pour la défense du Château Saint Ange, confier les responsabilités à un homme expérimenté, raison pour laquelle, on le retrouve, parmi les premiers au sein de la forteresse.
[v] « Le sac de Rome Les lansquenets ont fait courir le Pape » par Fabienne Coudin et Frédéric Bidouze.
[vi] « Le sac de Rome Les lansquenets ont fait courir le Pape » par Fabienne Coudin et Frédéric Bidouze.
[vii] Jean Cave « Relation inédite du sac de Rome 1527 », rapporté par « Le sac de Rome Les lansquenets ont fait courir le Pape » par Fabienne Coudin et Frédéric Bidouze.
Regina Nadine a écrit
J’ai fait un travail sur la renaissance italienne et cet article m’a vraiment aidé. Merci! J’adore ce site!