Vers 1400, Évrart de Conty écrit le Livre des Eschez amoureux moralisés, à partir d’un texte en vers, les Eschés amoureux, qu’il a lui-même composé une trentaine d’années plus tôt. Ce livre, conservé à la BNF sous la cote Français 143, a été illustré vers 1496-1498, par Robinet Testard, l’enlumineur attitré de Louise de Savoie, comtesse d’Angoulême.
Myriam Chevalier, dans un article publié en 2014 sur Livre des Echez amoureux moralisés d’Evrart de Conty, présente cette œuvre littéraire du début du XVe siècle, comme un ouvrage réservé à l’éducation des nobles, qui reprend la trame narrative du Roman de la Rose et nous invite à “suivre une partie d’échecs dont les pions sont allégorisés afin de permettre une lecture plus approfondie, tournée vers l’apprentissage de l’amour courtois“[i].
Exposition L’art d’aimer au Moyen Age L’échiquier Ms Français 9197 Folio 437 BNF
La BNF, dans son exposition consacrée au jeu d’échecs, nous résume ainsi le principe de l’oeuvre: “Utilisant la symbolique des dieux antiques et du jeu d’échecs, Évrart de Conty relate le parcours initiatique d’un jeune prince, “l’Acteur”, et traite ainsi “des mœurs et du gouvernement de la vie humaine”. Au terme de sa quête, l’Acteur rencontre une jeune demoiselle avec laquelle il prend place autour de l’échiquier symbolique. A chacun des partenaires sont attribuées des pièces représentant autant de qualités ou de comportements relatifs à l’amour courtois“[ii].
Oiseuse conduisant l’amant dans le verger de Déduit
Roman de la rose
Guillaume de Lorris et jean Meun; Maître du Boèce,enlumineur, 1460?.
BNF, Manuscrits (Fr. 19153 fol. 7)
© Bibliothèque nationale de France
Dans son exposition consacrée à l’art d’aimer, la BNF apporte l’éclairage complémentaire suivant sur “le livre des échecs amoureux“:
“Il s’agit ici d’enseigner à un jeune homme, appelé à devenir prince, les préceptes qu’il faut suivre pour bien gouverner et bien se comporter dans la vie amoureuse. Pour faciliter l’apprentissage de cette science délicate qu’est l’amour, ses règles sont allégorisées et moralisées grâce au recours à une vraie partie d’échecs, d’où l’œuvre tire son titre. En réalité, nous avons affaire, dans les deux versions – en vers et en prose – à une véritable encyclopédie, qui offre au lecteur des chapitres entiers consacrés, entre autres, aux arts libéraux et à l’astronomie“[iii].
“Par rapport au poème, le commentaire moralisé est certes plus encyclopédique que didactique. À preuve, l’ajout d’un traité de mythographie qui donne lieu à un cycle iconographique important consacré aux seize dieux et déesses du panthéon grec, dans les deux exemplaires enluminés parvenus jusqu’à nous. L’un d’eux, aux armes de Louise de Savoie parties de celles d’Orléans-Angoulême, a été calligraphié par Jean Michel et enluminé par Robinet Testard, l’enlumineur en titre des comtes d’Angoulême, actif à la cour de Cognac.
“L’autre a été réalisé à Valenciennes, ou en tout cas en Hainaut, par le Maître d’Antoine Rolin, un artiste qui se pose comme le continuateur de Simon Marmion et dont le nom de convention évoque l’un des meilleurs clients de l’artiste en la personne du fils même du grand chancelier Nicolas Rolin. C’est bien Antoine Rolin, grand bailli et grand veneur du Hainaut, et son épouse Marie d’Ailly qui furent, sinon les commanditaires, en tout cas les possesseurs de l’exemplaire bourguignon des Eschez amoureux moralisés dont la Bibliothèque nationale de France a proposé un fac-similé en 1991“[iii].
Vidéo Youtube Présentation BNF du manuscrit des Echecs amoureux illustré par le Maître d’Antoine Rolin
La vie et l’oeuvre d’Evrart de Conty
Evrart, originaire de Conty en Picardie, est maître à la faculté de médecine de Paris dans la deuxième moitié du XIVe siècle, il est également présent à Amiens. Il est attaché au service de Charles, V et devient médecin personnel de la reine Blanche de Navarre. Il est l’auteur de trois œuvres à caractère encyclopédique, qui toutes trois s’articulent entre elles.
C’est dans les années 1370-80 qu’il réalise le poème allégorique intitulé “les Eschés amoureux“, revisitant en trente mille vers, “le Roman de la Rose“. Il réalise également dans les mêmes années (vers 1380) une traduction en français des “Problèmes d’Aristote” ou “Livre des Problèmes” à la demande de Charles V, traduction et commentaires des Problemata, pseudo-aristotéliciens. Il rédige enfin les commentaire en prose, “le Livre des Eschez amoureux moralisés” (352 folios), qui fait l’objet de l’exemplaire n°143, conservé à la BNF et qui fait de larges emprunts à ses oeuvres précédentes.
L’inspiration: le roman de la rose de Guillaume de Lorris
Le Monde, dans un article du 31 juillet 2006, consacré au “Livre des échez amoureux” d’Evrart de Conty, résume ainsi le “Roman de la rose“, en proposant une citation de GALLICA-BNF: “Œuvre allégorique écrite en français — c’est à dire en roman — au XIIIe siècle, déjà célébrée au XVIe siècle comme un chef-d’œuvre national, Le Roman de la Rose est à la fois chant courtois, récit initiatique et jeu littéraire sur les mirages et artifices d’une écriture conçue comme métaphore du réel. L’auteur, qui parle à la première personne et incarne l’Amant dans le récit, voyage en songe dans un merveilleux verger qu’habitent Déduit (Plaisir) et ses compagnons, Jeunesse, Richesse, Liesse et Beauté. Les idéaux courtois, personnifiés, sont les véritables acteurs de cette fable et nous suivons au fil des pages les aventures de l’Amant qui, tombé sous les lois d’Amour, le tout puissant maître des lieux, doit déjouer les pièges de Malebouche, Danger et Jalousie pour conquérir sa dame, la Rose… “[iv].
Dans son exposition sur l’art d’aimer, la BNF qualifie ainsi le roman de la Rose: “texte essentiel du Moyen-Âge, le Roman de la Rose est un “art d’aimer” qui rassemble deux conceptions de l’amour. L’une, exposée par Guillaume de Lorris dans la première partie du poème, livre les codes de l’amour courtois dans un style fidèle à la poésie lyrique. D’un ton bien plus allègre et polémique, la continuation par Jean de Meun, détourne l’oeuvre précédente en exaltant, au nom de la Nature, le plaisir physique et la liberté sexuelle. Ces conceptions suscitèrent au début du quinzième siècle la première querelle de la littérature française, notamment sur la question des femmes. Christine de Pisan critiquant vivement les positions “anti-féministes” prises par Jean de Meun“[v].
“Dans ce jardin d’Eden où il est entré en rêve, le narrateur tombe amoureux d’un bouton de rose… Le récit narre la conquête d’une jeune fille – la Rose – par un jeune homme – l’Amant. Une quête « ponctuée par les interventions de diverses personnifications de sentiments : Raison, Ami, Richesse, Faux-Semblant, La Nature… chacune livrant sa propre vision de l’amour« . Les péripéties ne manquent pas, car, on s’en doute, la quête est loin d’être un long fleuve tranquille et l’Amant va se heurter aux défenseurs de l’honneur de la belle qui ont noms Jalousie, Honte, Peur et Danger… Une forteresse est même érigée pour protéger Bel-Accueil qui personnifie le naturel confiant de la demoiselle (n’a-t-elle pas accepté un baiser?). Désormais tous les moyens sont bons pour la conquête de la Rose. On notera que si le texte de Jean de Meun s’achève par la « cueillette de la rose », il n’est pas question de mariage, « dont l’institution a été à plusieurs reprises raillée par Jean de Meun au cours de son récit par le biais d’allégories, et avec un contre exemple, celui d’Abélard et Héloïse.“
Dans sa Chronique n°64, consacrée à l’exposition sur “L’art d’aimer au Moyen-Âge“, la BNF donne ainsi la présentation du “roman de la Rose” par l’exposition: “Histoire d’une initiation amoureuse et hymne à l’amour courtois dans sa première partie écrite par Guillaume de Lorris, “le Roman de la rose” déploie, dans sa seconde partie rédigée par Jean de Meun, un répertoire des stratégies de séduction et une encyclopédie de la Création, dans cette idée que l’amour, humain ou divin, est l’élan créateur qui façonne le monde. À travers le débat qui, au début du XVème siècle, opposa Christine de Pisan et Gerson d’une part, et les premiers humanistes français tels Jean de Montreuil et Pierre Col d’autre part, l’exposition aborde les questions qui font aujourd’hui encore la modernité du Roman de la rose : l’art de la séduction, la crudité du langage, la misogynie, la place de l’amour dans le destin de l’humain“[vi].
A l’origine des échecs moralisés
A l’origine du livre des échecs moralisés, il y a deux inspîrations: celles du “roman de la rose” de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun et celle du “livre des Echecs” de Jacques de Cessoles.
L’exposition BNF sur l’art d’aimer nous donne la présentation suivante sur le “livre des Echez moralisés“: “commentaire en prose d’un long poème allégorique écrit une trentaine d’années plus tôt et inspiré du roman de la rose, le manuscrit se présente comme une vaste encyclopédie destinée à l’éducation des jeunes de la haute noblesse. Tous les savoirs du Moyen-Âge y sont longuement développés. A la fin du livre, Evrart de Conty rapporte une aventure arrivée à l’auteur du poème: ce dernier était revenu dans le jardin de Déduit sur les pas de l’Amant du Roman de la Rose, mais, au lieu d’y découvrir une rose, il rencontra une jeune fille dont il tomba amoureux et contre laquelle il joua une partie d’échecs. En réalité, cette partie dont le compte rendu est donné avec précision, est une transposition du “Roman de la Rose”. L’échiquier est la Fontaine de Narcisse, la jeune fille est la Rose, et les déplacements des pièces au cours du jeu, serviront à évoquer le célèbre roman. Evrart de Conty s’était bien gardé de le dire, laissant à ses lecteurs le plaisir de la découverte“.
Quant au Livre des échecs, Myriam Chevallier nous en livre ainsi les secrets: “le “Liber de moribus hominum vel officiis nobilim sive super ludo scacchorum” ou “Livre des mœurs des hommes et des devoirs des nobles” ou encore “livre des échecs” est un poème réalisé parJacques de Cessoles entre 1259 et 1273. Cet ouvrage est une présentation de la cité idéale en se basant sur un jeu d’échecs, notamment sur la description des pièces du jeu d’échecs et de leurs déplacements sur l’échiquier afin de leur faire correspondre des personnages, des actions et des valeurs précises. Il compose son traité en quatre livres dans lesquels il traite de l’invention du jeu d’échecs, il décrit les premières pièces qu’il appelle «pièces nobles» avec leurs attributs et leurs devoirs puis les pions,correspondant aux gens du peuple et associés à une catégorie professionnelle (forgeron, tailleur, médecin, aubergiste, etc…) et enfin, il «s’interroge sur la signification de l’échiquier et l’interprétation symbolique des déplacements des différents membres de la société sur l’échiquier». Dans sa description, Jacques de Cessoles s’attarde sur les vertus de chacune des pièces et pour illustrer ses propos, présente de nombreux exemples pour une meilleure compréhension du texte”.
L’article du Monde poursuit ainsi l’itinéraire du plateau de jeu: L’auteur, Évrart de Conty, y pratique “l’exégèse symbolique”: Chaque case du plateau porte le nom d’une vertu (Noblesse, Pitié, Jeunesse, Beauté), d’une qualité (Doux regard, Bel accueil, Beau maintien) ou d’un vice (Honte, Fausseté). Une jeune fille s’oppose à un jeune homme : le jeu d’échecs est ainsi un théâtre amoureux où tester les pouvoirs réciproques des deux sexes et les capacités de séduction d’autrui“.
L’interprétation de Robinet Testard (manuscrit Fr 143 à la BNF)
François Avril, le grand historien de l’art français et le tout premier expert dans le monde, de Robinet Testard[vii], précise que la plus grande partie de cet énorme volume est occupée par le “copieux commentaire” d’Evrart de Conty, auquel fait suite l’Archilogesophie de Jacques Legrand, “sorte d’encyclopédie didactique, dédiée par l’auteur à Louis d’Orléans, grand-père de Charles d’Angoulême” (et frère du roi Charles VI).
“Le manuscrit, qui porte les armes de Louise de Savoie, parties de celles d’Orléans-Angoulême, a certainement été exécuté après la mort de Charles d’Angoulême, en janvier 1496, car il ne figure pas dans l’inventaire des livres de ce dernier, établi à la fin de la même année. Mais il était sans doute en cours de fabrication entre janvier et avril 1496, lorsque le père de Louise, Philippe de Bresse, devient duc de Savoie. Il n’y a donc aucune raison de voir dans le volume un ouvrage destiné à l’éducation du jeune François 1er (…)”, alors âgé de deux ans.
“Calligraphié dans une superbe bâtarde, par le copiste des Héroïdes d’Ovide (Fr 231), autrement dit Jean Michel, et enluminé par Robinet Testard, le manuscrit est sans doute la dernière commande importante de Louise de Savoie, du temps où elle dirigeait d’une main ferme sa petite cour de Cognac, ce qui oblige à le dater entre 1496 et 1498 au plus tard”.
L’auteur , Evrart de Conty à gauche et au fond, Déduit et une jeune demoiselle jouent une partie d’échecs Fr 143 Folio 1 r BNF
“A l’exception de la scène du Prologue figurant l’auteur et le jeune couple jouant aux échecs, les trente miniatures du traité d’Evrard de Conty sont presque toutes consacrées aux divinités et personnifications que l’auteur est amené à rencontrer au cours de l’itinéraire qui le conduira au verger désiré. Une admirable miniature à pleine page clôt la série (F 198v) qui représente l’auteur, accompagné de Déduit, s’apprêtant à entrer dans le verger. Ceint de hautes murailles et gardé par Dame Nature, celui-ci n’est autre qu’un raccourci du monde et des trois modes de vie -amoureuse, active et contemplative- symbolisées par Vénus, Diane et Pallas, qui y coexistent“.
Diane, Déduit et Evrart de Conty s’apprêtent à entrer dans le Verger Fr 143 Folio 198v BNF
“On décèle dans l’admirable personnification de la Musique (F 65v), assis sur deux cygnes, adossés au dessin quasi héraldique, des sources plus récentes, que l’auteur tire peut-être de sa connaissance de la gravure: l’Apollon de la fameuse série des Tarots de Mantegna, est assis sur un couple de cygnes au dessin absolument identique, et la Musique, dans la même série, est accompagnée, elle aussi, de l’oiseau de Léda“. On ajoutera à ce lumineux rapprochement du grand historien, que Vénus, le n°43 des Tarots de Mantegna, est toujours représentée dans l’eau, comme dans la miniature (Folio 104v), ce qui démontre définitivement l’influence de la gravure sur l’inspiration de Robinet Testard. Comme Vénus, la planète de Mars est représentée dans les tarots-images avec les attributs que lui donne la mythologie. C’est un guerrier assis, l’épée à la main et sur un char. Même inspiration pour Saturne (Folio 28r) qui est ici le vieux Saturne de la fable. De la main gauche il porte à sa bouche un petit enfant pour le dévorer.
Allégorie de la Musique Fr 143 Folio 65v BNF
Saturne dévorant ses enfants Fr 143 Folio 28 r BNF
Mars Fr 143 Folio 36 r BNF
“Comme dans toutes ses oeuvres, Testard a délibérément sacrifié les séductions de l’illusionisme et opté pour la clarté et la lisibilité. Avec leurs silhouettes nettement découpées et leurs coloris aux tonalités franches et peu modelées, ses personnages sans grâce ni mièvrerie se gravent aisément dans la mémoire, répondant ainsi aux exigences particulières de l’illustration du livre“.
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[i] Article “Le Livre des Echecs amoureux d’Evrart de Conty – Les pions Doute de Faillir et Souvenir” par Myriam Chevalier, le 20 novembre 2014 chez Academia.edu.
[ii] Exposition consacrée au jeu d’échecs, Classes BNF – Le jeu d’échecs.
[iii] Voir l’article “La réception du poème des Eschés amoureux et du Livre des Eschez amoureux moralisés dans les États bourguignons au XVe siècle“, par Anne-Marie Legaré sur le site cairn.info.
[iv] Article “Le Livre des Eschez amoureux moralisés d’Evrart de Conty” par Alain Bougearel Journaliste ai Monde, article du 31 juillet 2006.
[v] Exposition “L’art d’aimer au Moyen Âge” par les Classes BNF, du 6 novembre 2012 au 17 février 2013 à la bibliothèque de l’Arsenal.
[vi] Chroniques de la BnF : l’Art d’aimer – n°64 – 13.
[vii] Dans l’ouvrage “Les manuscrits à peintures en France 1440-1520” par François Avril et Nicole Reynaud, publié par Flammarion, Bibliothèque Nationale en 1993.
[viii] Le tarot Mantegna est une collection de la BNF, de cinquante gravures sur cuivre, divisées en cinq groupes, de dix images chacune, représentant les Humains, les Muses, les Arts libéraux, les Vertus et les Sphères. Les gravures ont été réalisées dans la seconde moitié du XVème siècle. Ce n’est pas un jeu de Tarot. Les gravures n’ont pas été réalisées par Mantegna (1431-1506). L’ouvrage “Origine des cartes à jouer et Recherches nouvelles sur les Naïbis et les tarots“, par R.Merlin Paris 1869, Gallica BNF, qui est le plus savant exposé sur la question, précise que “l’on en rencontre trois éditions, une dans laquelle l’habile iconographe M. Duchesne aîné, a découvert la date de 1485, une autre qu’il croit plus ancienne et qu’il place vers 1470, enfin, une troisième édition, copie assez exacte, quant au trait, de celle de 1 470. Cette dernière copie porte sur trois de ses pièces le monogramme du graveur hessois Ladenspelder nos 24, 39 et 40 (Geometria, Speranzaet Fide). Cette copie doit avoir été exécutée vers 1540. Ces gravures, au nombre de cinquante pièces numérotées de 1 à 50, sont divisées en cinq séries de dix pièces, chacune de ces séries, distinguée par une des lettres A, B, C, D, E: la lettre A appliquée à la série des numéros les plus élevés et la lettre E à celle qui commence par le n° 1. Cieognara et M. Duchesne les ont parfaitement définies en disant qu’elles représentent, les états de la vie (série E) les muses ou les arts (D); les sciences (C); les vertus (B) le Système du monde (A). Du reste, on va voir ci-après la table de ces figures, que nous désignerons tantôt sous le nom de figures de Mantegna, tantôt sous celui de tarots-images. Au bas de chacune d’elles, se trouve, en dialecte vénitien, le nom du sujet; il est gravé en majuscules romaines et suivi du numéro d’ordre en chiffres romains. Sur la même ligne, au coin de droite de la planche, ce même numéro d’ordre est répété en chiffres arabes. Le coin de gauche est occupé par la lettre indicatrice de la dizaine.
Si l’on cherchait à pénétrer dans l’intention de l’auteur, peut- être ne tarderait-on pas à découvrir dans l’arrangement adopté pour ces figures, une pensée philosophique et une véritable leçon de morale. En effet, dans chaque dizaine, le sujet le plus élevé est le dernier numéro, le moins élevé le premier; ainsi le Pape, dignité la plus élevée dans le monde chrétien, est le dernier de la série E; Apollon, maître des muses, le dernier de la dizaine D; la première des sciences, la Théologie, ferme la série C, comme la première des vertus chrétiennes, la Foi, n’apparaît qu’à la fin de la série B; enfin, Dieu, la cause première, est le dernier de tout l’ensemble,sous le n° 50.
Pourquoi la tradition a-telle donné à ces figures le nom de tarots et de cartes et quel rapport ont-elles avec ces jeux de hasard ? C’est parce que plus de la moitié des atouts du jeu de hasard dit tarot, est empruntée aux figures de cette encyclopédie. Prenons, en effet, les tarots de Besancon, de Genève et de Marseille qui représentent le plus fidèlement l’ancien tarot vénitien, mettons-les en regard de la collection des tarots-images et nous reconnaîtrons facilement que sur les vingt-six figures du jeu de tarots quinze sont dues à cette collection.
Les tarots de Mantegna sont eux-mêmes inspirés de figures plus anciennes que l’auteur fait remonter à la fin du XIVème siècle et dont il voit la preuve dans un opuscule conservé à la bibliothèque Mazarine, décrit par M. Douet d’Arcq dans la Revue archéologique du 15 septembre 1858. Y sont décrites les neuf muses avec leurs attributs et les arts libéraux et leurs caractéristiques,
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