Le peintre mathématicien Piero della Francesca dans son œuvre « De prospectiva pingendi » (La perspective dans la peinture), élaborée entre 1470 et 1485 va exercer une profonde influence sur l’art de la Renaissance pendant près d’un siècle. Dans le premier tome, Piero présente une vision typiquement Albertienne: il énonce une théorie des proportions dans laquelle la modification de la taille d’un objet sur la toile est inversement proportionnelle à sa distance de l’œil, ce qui est l’exacte proposition d’Alberti.
Puis il utilise une méthode géométrique de la perspective, qui simplifie celle d’Alberti en intégrant le tracé des diagonales comme principe même de la construction de la perspective.
Piero della francesca La flagellation du Christ Galleria delle Marche Urbino
Ce tableau est le premier réalisé pour le comte de Montefeltre, Federico. Il est resté assez mystérieux. Car s’il représente le premier duc d’Urbin, Oddantonio, en robe rouge, pourquoi a-t-il été peint vers 1455, onze ans après sa mort en compagnie de ses deux âmes damnées, le protonotaire Manfredi et en simarre turquoise brodée d’or, Tommaso dell Agnelo de Rimini ?
Existe-t-il un message secret comme l’ont analysé certains historiens de l’art, cités par Robert de la Sizeranne, l’auteur du “Vertueux Condottiere” ?
La présence à l’avant du tableau du groupe de trois personnages à droite suggère qu’il s’agit du sujet central du tableau. Mais il ne faut pas oublier que, pour le spécialiste de la peinture mathématique et de la perspective qu’est Piero della Francesca, le sujet central de l’œuvre est constitué du point de fuite: c’est la perspective qui donne au groupe de la flagellation du Christ, en second plan, la position de premier plan. Si l’on trace les lignes de perspective du tableau, on constate qu’elles se rejoignent en un point de fuite unique qui se situe sur la droite du personnage chargé de la flagellation du Christ, désignant ce groupe de quatre personnages comme le sujet central de l’œuvre.
La question posée est donc de savoir pourquoi le peintre a choisi de placer trois spectateurs, qui tournent le dos à la scène, qui paraissent s’en désintéresser ?
Qui sont ces personnages ? En robe rouge Oddantonio, le demi-frère de Federico, en robe violette, le protonotaire Manfredi et en simarre turquoise brodée d’or, Tommaso dell Agnelo de Rimini. Oddantonio, premier duc d’Urbin, héritier légitime des Comtes de Montefeltre, s’est signalé par une série de crimes à l’égard de ses sujets, sous l’empire de ses deux conseillers, Manfredi et Agnelo de Rimini, placés auprès du jeune duc par le pire ennemi du comte de Montefeltro, Sigismond Malatesta. (Voir l’article sur ce Blog sur le Comte de Montefeltre Premières armes).
Portrait de Sigismondo Pandolfo Malatesta (1417-1468)
Piero della Francesca (vers 1422-1492) Inv n°RF1978-1 Paris, musée du Louvre
Ces trois personnages sont clairement des ennemis du comte de Montefeltre. Leur représentation à côté de la flagellation du Christ comporte nécessairement, onze ans après la mort du précédent duc d’Urbin, une connotation négative.
Justement, les trois personnages tournent le dos à la flagellation du Christ : ils paraissent s’en désintéresser alors que le duc Oddantonio devrait adopter une posture d’exemplarité, ce qui souligne le caractère non chrétien de ces trois personnages. Serait-ce alors une critique implicite des crimes commis par Oddantonio à l’égard de ses sujets ? Ce qui expliquerait que, consulté, le mécène, Federico de Montefeltre, aurait préféré que l’on voie dans cette posture, son prédécesseur plutôt que lui-même ?
Est-il possible que ce tableau délivre une morale politique ? Celle du bon gouvernement du comte Federico, par rapport au mauvais gouvernement de son prédécesseur ? Le bon prince qui a signé la charte de ses sujets et qui en a respecté scrupuleusement les termes (Voir l’article de ce Blog sur Federico de Montefeltre Section I Premières armes) , devient de ce fait, le symbole du bon gouvernement, par inférence, en pointant le mauvais qui se désintéresse de la flagellation du Christ, sujet central qui devrait intéresser tous les spectateurs de l’œuvre.
Dans ce tableau, on voit que l’utilisation de la Perspective crée une interprétation nouvelle de l’histoire racontée : la perspective devient un élément structurant de l’historia.
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[i] Cet article est issu du livre de Robert de la Sizeranne Le vertueux condottiere Federigo de Montefeltre comte d’Urbino 1422-1482 chez Hachette sans doute dans les années 1920 quoiqu’aucune date ne figure sur l’édition scannérisée par le site GALLICA-BNF. On consultera également avec intérêt l’article sur Piero della Francesca sur le site Rivages de Bohême.
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