Le père François de Moulins de Rochefort fut une personnalité marquante du monde littéraire du début de la renaissance. Ami de Guillaume Budé et correspondant d’Erasme, il laisse une œuvre importante qui n’est toujours pas complètement reconstituée.
Un milieu bourgeois mais d’une brillante ascendance
François De Moulins de Rochefort naît dans une famille de petite mais relativement ancienne noblesse poitevine. La première mention officielle de la famille, remonte à 1342.
Son père, Jehan II de Moulins était un vassal du Roi René, duc d’Anjou, pour sa terre de Rochefort.
Diptyque des Matheron Portraits de René, duc d’Anjou, comte de Provence, roi de Sicile et de Jérusalem (1409-1480) et de sa femme Jeanne de Laval Froment Nicolas (vers 1425-1483/1486) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage Huile sur bois H 0,170 L 0,260 Paris, N° d’inventaire RF665 Fonds Peintures Musée du Louvre
Sa mère, Louise Jamin[i], est la fille de Marie de Bourgogne, laquelle était elle-même la fille illégitime de Philippe le Bon, duc de Bourgogne avec Isabelle de la Vigne. Louise Jamin, sans doute en considération de sa prestigieuse filiation, fut parrainée par le roi Louis XI comme une autre des membres de sa famille, peut être sa cousine ( ?), Isabelle de la Vigne. Etienne Jamin, le père de Louise, le fils du Procureur du roi à Poitiers est lui-même échevin, conseiller et secrétaire du roi, et seigneur de Terrefort.
Louise, tenue sur son berceau, dans les bras du roi de France lui-même, fut accompagnée de la faveur royale toute sa vie, faveur dont bénéficia son époux Jehan II de Moulins de Rochefort. Ce dernier, dès son mariage, fut élu maire et échevin de Poitiers « par ordre de Louis XI », le 30 juin 1461 et il se vit attribuer par le roi, en 1468, la résidence de ce dernier à Poitiers signe éminent de la faveur royale.
Louis XI, Roi de France, Album « Recueil de costumes de Gaignières » Boudan Louis (17e siècle-18e siècle) graveur et miniaturiste français Crédit Photo (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF Inventaire n°RESERVE OA-15-FOL Folio1 Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
De ce mariage, il a trois fils : Jean, seigneur de Rochefort, François, chanoine et Charles, écuyer, cités au partage de la succession de leurs parents le 26 décembre 1500.
François de Moulins de Rochefort naît donc dans une famille de hauts magistrats de Poitiers. Son frère aîné était destiné à hériter des seigneuries familiales : il fit du reste une belle carrière de Conseiller et de Notaire royal au service des rois Louis XII et François 1er et, par son second mariage avec Jeanne Hurault, s’apparenta à cette prestigieuse famille de financiers.
Un moine sans doute franciscain
François, le fils cadet fut donc destiné à embrasser une carrière d’Eglise. On sait qu’il devint chanoine en 1500. Ses parents s’étant mariés vers 1460, il devait avoir environ trente-cinq ans lors de leur décès : il a donc dû naître entre 1463 et 1465. Les deux dates, de la succession et de sa désignation comme chanoine étant contiguës, il ne peut s’agir d’une coïncidence, d’autant plus qu’il n’est plus ce que l’on peut appeler un jeune homme. A l’occasion de la succession, il a donc dû bénéficier d’une prébende de chanoine, sans doute laïc si ses parents en bénéficiaient. Marie Holban, qui avait interrogé le conservateur de la Bibliothèque municipale de Poitiers, avait pu identifier les églises concernées : il s’agissait de Saint Pierre et de Sainte Radegonde de Poitiers. Ses nominations devinrent effectives le 1er janvier 1501[ii].
Si ses parents ont jugé bon de le doter d’un tel revenu, sans doute modeste, c’est que ses propres revenus devaient l’être encore davantage.
Que fit le futur chanoine entre sa naissance et l’année 1500 ? Nul ne le sait. On sait cependant qu’il entra probablement dans les comptes de Louise de Savoie en 1501[iii], année où François atteignait l’âge de cinq ans et Marguerite, celui de sept ans, alors que Louise cherchait des précepteurs pour ses enfants.
A l’époque, Louise était déjà installée à Amboise sous la garde du Maréchal de Gié. Elle a donc dû faire appel à ses connaissances pour recruter un précepteur. Peut-être Jean de Saint-Gelais ? Ou plus probablement, Octovien de Saint-Gelais, Evêque d’Angoulême.
Engagé comme précepteur par Louise de Savoie
Car Octovien a toujours été protégé par la famille d’Angoulême à laquelle il doit sa désignation en qualité d’Evêque, malgré l’opposition du chapitre. C’est un poète et un lettré, traducteur de nombreux auteurs latins et très en faveur auprès du feu Comte d’Angoulême et de Louise de Savoie.
En qualité d’humaniste, il a dû chercher un précepteur qui lui ressemblait. C’est-à-dire quelqu’un de la noblesse, très instruit et un latiniste ou helléniste comme lui et surtout quelqu’un de confiance.
Dans le petit monde rural du début du seizième siècle, les humanistes, latinistes et hélénistes ne devaient pas être très nombreux en pays de Poitou et d’Angoulême. Il est donc fort probable que l’Evêque d’Angoulême connaissait le chanoine de Poitiers. Il n’aurait pas recommandé quelqu’un qu’il ne connaissait pas pour l’éducation du Prince et de la Princesse.
En 1500, peut-être François de Rochefort avait-il déjà travaillé comme traducteur pour son illustre mentor qui traduisit notamment les « Héroïdes » d’Ovide dont le Comte Charles d’Angoulême puis Louise de Savoie réclamèrent à Robinet Testard de réaliser les illustrations ?

Phèdre écrivant Les Héroïdes d’Ovide trad. Octovien de Saint gelais ill. par Robinet Testard Ms 875 BNF
Phèdre écrivant les Héroïdes. – Cognac. Auteur : Ovide (43 av. J.-C.-17). Date : 1496-1498. Traducteur : Octovien de Saint-Gelais (1468-1502) . Collection : Louise de Savoie ; librairie de Blois Testard Robinet (15e siècle) enlumineur Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF Paris, N° d’inventaire FRANCAIS 875 Folio16verso Fonds Miniatures et enluminures Bibliothèque nationale de France (BnF)
Quelles ont été les études de François des Moulins ? Sans doute un doctorat de théologie et peut être une maîtrise es-arts, car il fut chargé par Louise de Savoie d’enseigner la théologie, le latin et l’histoire ancienne à ses enfants. Sans doute également à l’Université de Poitiers, créée en 1431 ? Il devait en tout cas être déjà reconnu pour ses compétences de traducteur à la fin du XVème siècle pour que l’Evêque d’Angoulême fasse appel à lui.
Rochefort et Jean Thenaud
Le « pauvre Rochefort » comme il s’intitulait lui-même devait être un moine franciscain, ordre qui professait la pauvreté, sans doute un cordelier[iv], comme Jean Thenaud. François de Moulins a d’ailleurs toujours exercé une grande influence sur Jean Thenaud qui connaissait bien Louise de Savoie depuis les années 1490. Peut-être, du reste, est-ce par l’entremise de Jean Thenaud qui connaissait Octovien de Saint-Gelais que ce dernier en est venu à connaître François de Moulins ? On sait en tout cas que Jean Thenaud était au couvent des cordeliers d’Angoulême. Il devait avoir des contacts très fréquents avec son évêque, en sa double qualité de moine et de lettré.
Où les deux frères cordeliers se sont-ils connus ? Peut-être à Poitiers même. Mais compte tenu de la différence d’âge (Jean Thenaud a une quinzaine d’années de moins que François de Rochefort), ce ne peut pas être sur les bancs de l’Université. L’ascendant qu’à toujours montré Rochefort sur Thenaud pourrait être l’indice d’une relation de Maître à élève, qu’aurait encouragé leur commune appartenance aux Cordeliers.
Le portrait de Rochefort
Marie Holban dans son article déjà cité dresse un portrait tout en nuances mais relativement sévère : « la personnalité est curieuse et le mystère de son existence mérite d’être sauvé de l’oubli. (…) Poitevin, fils d’un ancien secrétaire de Louis XI et d’une filleule du roi (peut-être parente de la famille Jamyn dont allait naître le poète Amadys Jamyn), plein de naïveté, esprit assez positif quoique épris de merveilleux, caractère passablement timoré et pourtant assez ferme par moments, homme d’humeur enjouée sachant railler doucement, mais capable de hausser la voix. Enfin, protégé humble et soumis, s’offrant ingénument à la pitié de ses protecteurs et s’entendant à solliciter leurs bienfaits mais sans esprit d’intrigue. Bizarre amas de contradictions, étrange figure si différente de son destin, son style est la vivante image de ses incohérences. Assez pédant par moments, il écrit pourtant comme il parle et si son langage semble parfois rappeler celui du « Limousin qui contrefaisait le langage français », la saveur de son parler fait souvent penser à la Marguerite de l’Heptaméron »[v].
Ce jugement est très certainement directement inspiré des écrits de François de Moulins.
Au service de Louise de Savoie
Louise de Savoie est restée toute sa vie fidèle aux serviteurs que lui avait donnés son époux, le Comte d’Angoulême. Elle fera partager ce sentiment à son fils qui conservera, devenu roi, les mêmes relations privilégiées avec cette petite coterie de confidents. Mais les critères de sélection de la jeune comtesse sont sévères. Elle exige que ses serviteurs soient d’abord compétents, puis qu’ils participent de sa grandeur : elle exige d’eux qu’ils se surpassent en permanence.
Entre le « pauvre Rochefort » d’âge mûr et le jeune et bouillant cordelier une curieuse relation va se développer. La proximité de Rochefort avec Louise de Savoie qu’il voit tous les jours va lui donner un ascendant plus grand encore sur Jean Thenaud qu’il fait travailler sur les mêmes thèmes que lui dans une proximité qui tend à établir de très fortes parentés entre leurs œuvres respectives.
Rochefort va être recruté par Louise de Savoie pour enseigner la théologie, le latin et l’histoire. François se révèle rapidement rétif au latin qu’il refuse carrément d’apprendre, contrairement à sa sœur, Marguerite. Leur mère, Louise leur parle en italien et en espagnol, langues qu’ils viendront à parler vite couramment.
Parallèlement, Louise lui demande de concevoir et de rédiger des traités de morale à l’usage du duc de Valois. François de Moulin traduit alors en français pour son jeune élève un texte de Xénophon sur l’Education du jeune Cyrus Roi de Perse[vi] et il rédige un dialogue en français sur la folie du jeu, intitulé « Dialogue à deux personnages par lequel un homme apprend a vivre seurement » que François de Rochefort va dédicacer à François et qu’il va imprimer en 1505[vii]. Il commence également à travailler sur son traité des vertus cardinales auquel il demande à Jean Thenaud de collaborer.
Les méfaits du jeu Dialogue à deux personnages par lequel un homme apprend a vivre seurement. Vers 1505 – Amboise Moulins François de (14..-15..) : auteur Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF 1505 Paris, N° d’inventaire FRANCAIS 1863 Folio 2 Fonds Manuscrits et imprimés Bibliothèque nationale de France (BnF) Voir la note [vii] pour l’explication de cette miniature allégorique
Au service de François 1er et de Louise de Savoie
En 1506, François, duc de Valois, fut fiancé avec Claude de France, la fille du roi Louis XII et d’Anne de Bretagne, qui fut titrée duchesse de Bretagne par sa mère. A cette occasion, il quitta définitivement Amboise et sa mère et partit pour la cour. Son précepteur l’accompagna en qualité d’aumônier, tout en restant au service de Louise de Savoie, puisqu’il figure dans les comptes de la comtesse jusqu’en 1508.
A cette occasion, il dut approcher le roi et toute la cour de très près ce qui contribua à asseoir tant son autorité auprès de son jeune protégé d’Angoulême, Jean Thenaud, que sa réputation auprès des humanistes de son temps.
En 1509, Jean Thenaud, justement, lui adresse pour relecture et corrections, sa « Marguerite de France, chronique abrégée des rois qui ont régné en Gaule depuis Japhet jusqu’à Charles VIII ». Les deux auteurs travaillent sur des sujets voisins et sans doute, chacun d’entre eux collabore-t-il à l’œuvre de son ami. En 1510, François de Moulins imprime son « Traité des vertus, de leur excellence, et comment on les peut acquérir» enregistré par la BNF dans les manuscrits français sous le n°12247 et le titre « Traité des vertus cardinales ».

Les quatre vertus cardinales Traité des vertus cardinales F. de Rochefort par Robinet Testard Ms Fr 12247 BNF
Les quatre Vertus cardinales : Prudence, Force, Justice, Tempérance « Traité sur les vertus cardinales ». Vers 1510. Auteur François de Moulins. Collection Louise de Savoie Testard Robinet (15e siècle) enlumineur Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF Paris, N° d’inventaire FRANCAIS 12247 Contreplat supérieur Fonds Manuscrits et imprimés Bibliothèque nationale de France (BnF)
Allégorie de la Prudence Recueil : « Traité sur les vertus cardinales ». Vers 1510. Auteur : François de Moulins. Collection Louise de Savoie. Le Flamand (dit), Le Roy Guillaume (?- vers 1525) peintre Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 12247 Folio 4 Fonds Manuscrits et imprimés Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Puis, Jean Thenaud imprime en 1511, sa « Lignée de Saturne » qui est une adaptation de la « Généalogie des dieux » de Boccace[viii], tandis que François de Rochefort imprime un manuscrit anonyme (ms. Fr. n° 1358) sous le titre « De saturne et de sa lignée »[ix]. La date de publication n’étant pas communiquée, on peut estimer, les deux cordeliers partageant les mêmes préoccupations en même temps, que les dates de publication sont voisines l’une de l’autre. D’autre part, dans le prologue[x], l’auteur déclare que « les difficultés du voyage en montagne l’ont empêché de donner à cet essai la longueur et la qualité désirée ». Or, ailleurs dans cet opuscule, l’auteur s’adresse à la « divine adolescence » du dédicataire. Il est donc probable qu’il s’agissait de la campagne de 1511, au cours de laquelle, François, alors âgé de 15 ans et accompagné de son aumônier, était resté en Dauphiné pendant que Louis XII dirigeait depuis Lyon sa campagne italienne. On peut donc estimer que le manuscrit a été imprimé en 1512.

La lignée de Saturne F.Rochefort Ms Fr 1358 BNF
A l’avènement de François 1er, Rochefort est un homme mûr de quarante ans, de la même génération que Guillaume Budé, humaniste, ayant publié plusieurs ouvrages en français et déjà reconnu pour son œuvre littéraire. Le « pauvre Rochefort » a dû apparaître bien sympathique à Guillaume Budé tant il tranchait avec ces « prêtres qui regorgent de richesse et s’endorment dans les délices de leur vie oisive… »[xi]. Proche du roi et depuis toujours, au service de sa mère, Louise de Savoie, il était probablement suivi avec intérêt et sympathie par tous les intellectuels humanistes. Guillaume Budé venait de faire paraître à Venise en 1514 son « De Asse » qui fut l’une de ses œuvres principales et qui commençait à se répandre en occident comme une œuvre particulièrement forte. Il dut rencontrer Rochefort vers cette époque. Il est probable que c’est vers cette époque également qu’il rencontre Lefèvre d’Etaples, qu’il présente, dans ses ouvrages, sous le nom de M.Fabri[xii], un homme de grand savoir.

Portrait de Lefevre d’Etaples GALLICA-BNF
Lorsque le roi part pour l’Italie, fin juin 1515, il laisse les rênes du pouvoir à sa mère, Louise de Savoie qui est désignée officiellement Régente du royaume. Sans doute conseillées par François de Rochefort, les reines font alors le vœu, si François en réchappe, de faire un pèlerinage à Marie-Madeleine, une sainte que le cordelier tenait en particulière dévotion.
Rochefort et la question de la Madeleine
La victoire inattendue de Marignan fut ressentie par Louise de Savoie comme une véritable intercession du ciel chez cet esprit superstitieux et lui créa une obligation absolue d’aller rendre grâce à Marie-Madeleine sur son tombeau de la Sainte-Baume, à Saint-Maximin, près d’Aix-en-Provence. Les reines s’y rendent d’abord vers le 1er janvier 1516[xiii], puis, lorsqu’elles eurent fait leur jonction à Sisteron, avec le roi et sa suite, revenant de Marignan, elles retournent une deuxième fois à la Sainte Baume, avant de faire leur entrée triomphale à Marseille.
D’après Barbara J. Johnston [xiv], la vie de Louise de Savoie entrait en large résonance avec celle de Marie-Madeleine, tant Louise trouvait de points communs entre son propre parcours et celui de la Sainte. Louise décida immédiatement, en janvier 1516, de commander à François de Rochefort, un livre décrivant la vie de Marie-Madeleine[xv].
Rochefort ne vit pas immédiatement de problème particulier à répondre à cette demande. Il se mit au travail, mais il vint à buter sur une difficulté inattendue : il n’y avait pas une seule Marie-Madeleine mais trois personnes distinctes !
Il s’adressa à Jacques Lefèvre d’Etaples qui orienta ses recherches vers l’Abbaye Saint Victor à Marseille et qui le conseilla dans ses lectures. Comme le dit en termes savoureux, Marie Holban : « ce fils du Moyen-Age finissant, qui ne dédaignait pas les jeux de mots d’une naïve préciosité, cet ami du repos, allait, sans le savoir, allumer le brandon des querelles religieuses ».
C’est Guillaume Budé qui, dès le mois de juillet 1516, dut faire connaître à Rochefort l’édition des « Adages » (Adagiorum chiliades) d’Erasme, parue en 1516. Dès février 1517, Rochefort se mit à chanter les louanges d’Erasme, avant d’entrer, lui-même, en correspondance avec le grand homme.
Marie Holban nous dit qu’il fit imprimer en février 1517, un petit manuscrit orné de beaux rondeaux, rappelant la victoire de Marignan et le pèlerinage de la Balme. Malheureusement, Marie Holban ne laisse aucune indication sur ce manuscrit de la BNF.
En 1517, également, il fit partie avec Guillaume Petit, confesseur du roi Louis XII, confirmé par François 1er, et Guillaume Budé, de la « Conjuration de Saint-Maur »[xvi], pour organiser sur le mode de l’imprévu, une rencontre de Budé avec François 1er qui ordonne à ce dernier d’inviter Erasme en France.
La « vie de Sainte Marie-Madeleine » fut imprimée dans le courant de l’année 1517, probablement au deuxième semestre. Car, ayant émis l’idée de reprendre, en 1517, ses recherches sur les trois Maries, Louise de Savoie l’en dissuada et commanda à Jacques Lefèvre d’Etaples de clarifier ce point. Ce que ce dernier fit dans son ouvrage « De Maria Magdalena » paru au printemps 1518.

La vie de Sainte Magdalena F. Rochefort Illus. page 58 par Godefroy Le Batave Ms Fr 24955 BNF
Que pensa Louise de Savoie de cette vie de Sainte Marie-Madeleine que lui avait rédigée François de Rochefort ? Si elle attendait d’établir un lien mystérieux avec la sainte, elle dut être déçue car le texte paraît conçu comme une explication des illustrations, qui jalonnent, comme un livre d’heures, le parcours de la sainte. Rochefort avait sagement décidé, sans doute sur la sollicitation de Louise de Savoie qui devait bien connaître les limites de son serviteur, d’en rester à une description conventionnelle de la sainte. Ce dernier n’obtint pas l’Evêché qu’il venait de demander dans La vie… à sa maîtresse qui lui promit par contre, une abbaye, dès qu’elle le pourrait.
L’ouvrage de Lefevre d’Etaples, en revanche, déchaîna les feux de la critique et de l’Université, gardienne du temple en matière religieuse.
Le plus fervent de ses opposants fut Noël Béda, doyen de la faculté de théologie de la Sorbonne, qui fut décrit par l’un de ses détracteurs en ces termes[xvii] : « retors au physique (il était, bedonnant, petit, bossu et boiteux), comme au moral, mais dialecticien habile, intègre de mœurs, zélateur d’autant plus intrépide de l’orthodoxie que lui-même avait été censuré pour des opinions téméraires, insensible aux attaques, indifférent aux moyens, toujours prêt à montrer les crocs contre ses collègues, aussi bien que contre ses ennemis ». C’est cet homme dangereux, impitoyable qui allait se dresser contre Lefèvre d’Etaples.
Ce dernier demanda-t-il à Rochefort de l’aider dans sa défense ? Toujours est-il que Rochefort, qui fut malade pendant tout le premier semestre de 1518, composa dès son retour « un petit livrect[xviii] faict à l’honneur de madame Saincte Anne et de la royne, sa fille, vierge pure, mère de Jesus-Christ » pour y défendre son ami. Marie Holban estime que le Livret fut écrit entre septembre 1518 et mars 1519. On sait pouvoir rattacher cet ouvrage à Rochefort car dans l’illustration du frontispice on peut identifier les deux religieux, désignés par leur nom en latin, qui remettent leur livre à Louise de Savoie.

Rochefort et Lefèvre d’Etaples remettant leur livre à Louise de Savoie « Petit Livrect à Sainte Anne » Ms Fr 4009 BNF
A cette date, le cardinal Adrien Gouffier de Boisy venant d’être désigné Légat ad letere du Pape en France, quitte sa charge de grand Aumônier qui est confiée à François de Rochefort, sur proposition de Louise de Savoie.
En fin d’année 1519, Rochefort est commis à la réformation des Hôtels-Dieu[xix].
En 1520, il publie ses « Commentaires des guerres galliques » (Ms 764 BNF), illustrés par Godefroy Le Batave et il publie également « Le fort de Chandio » (ms. Fr. n°1194 – BNF)[xx] à une date qui n’est pas clairement identifiée.

La Vengeance de César contre le Sénat de Vannes Commentaires Galliques F.de Rochefort par Godefroy le Batave Ms Fr 764 BNF
Le 9 novembre 1521, la faculté de théologie, à la demande de Noël Béda, condamnait l’ouvrage de Jacques Lefèvre d’Etaples. Mais François 1er demanda alors à son confesseur, Guillaume Petit, qui était plutôt favorable aux humanistes, d’examiner le document : celui-ci fut jugé conforme à l’orthodoxie.
Dernières oeuvres

Le Fort de Chandio Fortitude et Magnanimité Dessin 1 Ms Fr 1194 BNF

Le Fort de Chandio Fortitude et Magnanimité Dessin 2 Ms Fr 1194 BNF
En 1522, Jean V de Longueville, archevêque de Toulouse, qui possédait l’Abbaye de Micy-Saint-Mesmin (près d’Orléans) depuis 1516, fut nommé par François 1er Evêque d’Orléans, ce qui fut confirmé par le Pape. On lui confirma son maintien comme Archevêque de Toulouse sous condition de se consacrer à l’administration de son nouveau diocèse. Il résigna donc sa charge d’Abbé commendataire de Saint-Mesmin. François 1er, sur recommandation de sa mère, l’attribua alors à François de Rochefort.
En 1524, ce dernier reçut une suprême consécration avec la dédicace par Erasme, de son traité « De modo Confitendi ».
En 1526, il fut appelé au siège épiscopal de Condom et il résigna en conséquence sa charge de Grand Aumônier. Mais il ne put prendre possession de son évêché pour des raisons inconnues.
Il se résigna alors à se recentrer sur la gestion de son abbaye. En 1527, une crue ayant entraîné la destruction du pont, les religieux, n’ayant pas les moyens de le reconstruire, établirent un bac avec un droit de passage. Cette inondation avait gravement endommagé le monastère. Pour relever les bâtiments détruits, François de Rochefort obtint du Pape une bulle accordant des indulgences à ceux qui accorderaient leurs aumônes pour reconstruire les bâtiments.
On n’entendit plus parler de lui à la cour après 1526. Mais il n’était pas mort. Car il ne fut remplacé comme Abbé de Saint-Mesmin qu’en 1534.
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[i] Voir l’article Wikipedia sur Louis XI qui évoque les filleuls de Louis XI
[ii] Ceci donnant davantage de crédibilité encore à l’hypothèse énoncée plus haut d’un héritage de ses parents car l’acte de succession est daté du 26 décembre 1500.
[iii] Quoique plusieurs sources rattachent son entrée entre les années 1510 et 1514 : cette date est très probablement apocryphe. D’après l’article de Marie Holban « François du Moulin de Rochefort et la Querelle de la Madeleine » publié en 1936 chez DROZ à Paris, « il figure dans les comptes de la comtesse d’Angoulême à partir de l’année 1501 (ms Clairambault 307, f.33) et jusqu’en 1508 (ms. Gen. 484, f.69). En 1513, nous le voyons figurer dans les comptes de François, duc de Valois (ms.Clairambault 307) » .
[iv] Nom donné aux moines franciscains en France.
[v] Article de Marie Holban déjà cité. Il est très difficile de reconstituer les dates de parution des oeuvres de François de Rochefort. « Le Fort Chandio » (ms. Fr. n°1194 – BNF) est-il le premier ou le second ou même le troisième, ou encore le dernier ? Cf note [xx] ci-aprè. Il faudra attendre l’achèvement de la thèse en préparation depuis 2011 sur ce sujet. Les datations ne sont possibles qu’en fonction des arguments évoqués dans l’oeuvre elle-même, qui permettent de se positionner par rapport à des événements dont les dates sont prouvées.
[vi] Cité par Paule-Henri Bordeaux dans sa remarquable biographie de « Louise de Savoie : régente et « roi » de France » PLON 1953.
[vii] Ce petit manuscrit de dix-sept pages a fait l’objet d’un commentaire concis mais éclairé dans les fiches des Classes BNF: « Comment montrer à un jeune prince les dangers du jeu ? En mettant en scène des joueurs de haut rang (rois et cardinaux) auxquels des diables cornus et ailés distribuent des cartes et un précepteur qui oublie ses devoirs pour manier les dés. Des personnages allégoriques aux tailles proportionnelles à leur importance voulue par l’artiste entourent la scène : la grande espérance du joueur, coiffée du bonnet des fous, voisinant avec la joie brève des gains, face à la douleur des pertes. Mais les péchés capitaux guettent : la colère et l’avarice munies de cornes. Quant à la crainte (restée à la porte), elle incarne la pointe de la leçon dispensée au futur François Ier: la sagesse est de ne pas jouer ! La couleur verte du tapis de table, couleur incertaine, du risque et des décisions à prendre, reste aujourd’hui encore associée au jeu ». Cette scène fait l’objet de l’illustration jointe. Il s’agit du manuscrit français n°1863 conservé à la Bibliothèque Nationale de France. La difficulté de reconstitution de l’oeuvre de l’auteur vient de l’anonymat dans lequel il s’est complu, puis de la variabilité des noms sous lesquels il signe: il s’appelle tantôt Rochefort, Desmoulins, du Moulins, du Moulin, Dumoulin, des Moulins, de Molins, etc… Sans parler des erreurs des copistes. C’est sans doute la raison pour laquelle il reste aujourd’hui encore si mystérieux. J’ai eu les plus grandes difficultés à rédiger cet article et si, finalement, j’y suis parvenu, c’est grâce à l’un des exemplaires originaux de l’article de Marie Holban que j’ai pu me procurer.
[viii] Marie Holban, dans l’article « Le vrai Jean Thenaud » de la revue «L’humanisme français au début de la renaissance » ouvrage collectif du Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance de Tours publié en 1973 chez J.Vrin à Paris. Marie Holban estime que le manuscrit anonyme n°1358 peut être attribué sans conteste à François de Rochefort. Il est vrai que c’est un tout petit manuscrit de dix-huit pages, qui est bien dans la lignée de ses précédentes publications et qu’il est présenté sous forme d’un dialogue, forme narrative qui avait sa préférence
[ix]. Marie Hoban, article déjà cité sur Jean Thenaud.
[x] Préface de « La Lignée de Saturne » Ms 1358 chez DROZ 1973. Cet ouvrage a d’abord été attribué à Jean Thenaud. Mais Marie Holban a pu retrouver le titre très voisin du manuscrit de Jean Thenaud et sa filiation, permettant d’autant plus d’attribuer ce dernier à François de Rochefort, que celui-ci avait l’habitude de laisser ses écrits anonymes.
[xi] Budé dans le « De Asse » rapporté par M.Delaruelle cité par Marie Holban.
[xii] Identifié par Marie Holban comme étant Lefèvre d’Etaples.
[xiii] Date sacrée, pour Louise: c’est celle à laquelle son mari est mort et où son fils a accédé au trône. Si elle n’est pas arrivée exactement ce jour-là, car elle est partie de Lyon le 20 décembre, Louise a du s’arranger pour que son pèlerinage puisse s’effectuer précisément ce jour-là !
[xiv]Article « The Magdalene and ‘Madame’ : piety, politics and personal agenda in Louise of Savoy’s Vie de la Magdeleine”, article paru dans le collectif “Mary Magdalene, Iconographic Studies from the Middle Ages to the Baroque”, edited by Michelle Erhardt, Amy Morris, 2012 Leyden Nederland.
[xv] Voir à ce sujet l’article sur ce même Blog « Le journal de Louise de Savoie : Mémoires historiques ou projet Allégorique ? ». La préoccupation de Louise paraît de même nature dans son Journal que celle qui est la sienne dans sa commande à Rochefort : établir un lien mystérieux entre des évènements distincts tendant à démontrer que la branche des Orléans Angoulême est favorisée par la providence.
[xvi] Article de Jean-François Maillard « Philologie et Propagande : le mythe de Guillaume Budé », in « La philologie humaniste et ses représentations dans la théorie et dans la fiction » Perrine Galand-Hallyn, Fernand Hallyn, Gilbert Tournoy Librairie DROZ Genève 2005.
[xvii] Voir la bio succincte de ce personnage de roman sur le site Renaissance-France.
[xviii] Cet ouvrage, anonyme comme les précédents de Rochefort, Ms FR 4009 de la BNF, comportait quelques vignettes en grisaille, dont la première figure Lefèvre d’Etaples (sous le nom de Fabri) et François de Moulins offrant leur livre à Louise de Savoie. On peut penser que par cette image, François de Rochefort souhaitait placer Lefèvre d’Etaples (Iacobus Faber ou Fabri en latin) sous la protection de la mère du roi. Il est également possible d’imaginer que Lefèvre d’Etaples ait inspiré pour une large part le texte de cet opus, dont Marie Holban a dit qu’il était beaucoup plus structuré et argumenté que le précédent.
[xix] Hôpitaux qui subissaient alors une crise financière aigüe.
[xx] Ce curieux opuscule de 46 pages, présente plusieurs particularités dans l’oeuvre de Rochefort: tout d’abord, c’est le premier qui donne le nom entier de Rochefort: « Françoys de Moulins aultremet dyt de Rochefort« . Il est manuscrit ce qui est surprenant car nombre de ses oeuvres sont imprimées. Il se présente sous la forme d’un dialogue entre Chandio et Rochefort. Ce dialogue évoque la mort de Rochefort (p 34 ou 6 du document) : Chandio pensait que Rochefort était mort. Mais Rochefort lui répond qu’il est mort mais que son ombre vit. Et Chandio lui pose alors la question : qui jouit maintenant des bénéfices reçus de Monsieur et Madame ? Rochefort lui répond que c’est l’ombre qui en jouit. Ce dialogue permet de dater (conclusion personnelle) l’oeuvre depuis 1526, date de la résignation de sa charge d’Aumônier du roi jusqu’à 1534, date de sa mort. Je dirais personnellement que l’oeuvre doit dater des années 1529-1530. A noter également la présence d’une magnifique aquarelle sur deux pages, au bas desquelles le peintre s’excuse de la mauvaise qualité de son dessin qui vient du papier utilisé. Cette oeuvre est-elle le testament de François de Rochefort ?
Pour une biographie plus récente et plus complète de François de Moulins : Thibaud Fourrier et François Parot, « François de Moulins de Rochefort, maître d’école de François Ier », Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, t. 67, 2012, p.39-56
Bonjour Monsieur
Je vous remercie de votre mail. J’ai eu toutes les peines du monde à trouver l’information dont je savais qu’elle était partielle. Je vais voir si je peux me procurer cette étude.
Bien cordialement
Gratien
Il ne semble pas que cette étude soit disponible sur internet. Il semble que vous l’ayez écrite ou co-écrite. Dans ce cas, je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’en adresser un exemplaire par mail. Je transformerai mon article et n’omettrai pas de vous citer bien entendu.
Bien cordialement
Gratien