Francesco Guicciardini est connu comme l’auteur d’une Histoire d’Italie, qui est le premier ouvrage d’histoire de la Renaissance italienne, dont la richesse va baser la plupart des recherches historiques qui vont lui succéder. Mais connaît-on l’homme politique, qui va jouer un rôle central dans le passage de la république florentine à la monarchie ?
Le personnage de Francesco Guicciardini apparaît également dans mon second roman historique, « Les roses de Camerino ». Il était utile d’en présenter davantage au lecteur, les articles figurant sur la toile étant, pour la plupart extrêmement résumés.
Une grande famille florentine depuis le XIIème siècle
La famille des Guicciardini[i], ou Guichardin, en français est l’une des plus anciennes de Florence et l’une des sept plus illustres familles de la république, avec les Médicis, les Albizzi, les Strozzi, les Capponi, les Soderini et les Ridolfi.
Les Guicciardini, avec les Capponi et les Ridolfi étaient, en quelque sorte, les chefs du quartier de Santo-Spirito, sur la rive droite de l’Arno, les voisins et les adversaires des Pitti. Faisant suite à la via dei Guicciardini, se trouvait, au-delà du Ponte-Vecchio, la rue de Por-Santa Maria qui était jadis exclusivement consacrée au commerce de la soie. Les orfèvres, encore aujourd’hui établis sur le Ponte-Vecchio, ressortissaient alors de l’art de la soie.
On les voit souvent, au cours de l’histoire, s’unir avec les Frescobaldi, famille noble qui habitait au débouché du pont Santa Trinita, et aux Capponi, dont la demeure était située dans le Borgo San Jacopo, rue qui va du Ponte-Vecchio au Ponte Santa-Trinita, parallèlement à l’Arno.
On voit encore à Florence la via dei Guicciardini. La rue de ce nom est celle qui aboutit au Ponte-Vecchio, et, par conséquent, qui commande la communication la plus ancienne et la plus importante entre les deux rives de l’Arno. Enfin, l’église et le monastère de Santa-Felicita ont été souvent richement dotées par la munificence de la famille.
La famille est originaire de Valdipesa, près d’Empoli, à une trentaine de kms à l’ouest de Florence. Elle y possédait plusieurs domaines, dont celui de Poppiano, longtemps resté comme l’une des résidences d’agrément des comtes Guicciardini. Elle est arrivée à Florence, sans doute au début du douzième siècle, car la première occurrence historique du nom, apparaît en 1150. Dès 1240, les Guicciardini font partie des riches commerçants de l’art de la Soie (voir sur ce Blog l’article sur les Sources de la richesse de Florence) et, en 1260, Tuccio Guicciardini, le fondateur de la puissance familiale, fait partie du conseil de la république.
A l’époque, bourgeois enrichis par le commerce et ne faisant pas partie de la noblesse, les Guicciardini sont par nature proches du parti populaire des Guelfes mais ils inclinent en faveur des « noirs »[ii], proches du pape Boniface VIII (de la famille Caetani d’Agnani) qui vont triompher des bourgeois « blancs » qui, condamnés à l’exil, vont alors se fondre avec les Gibelins, la classe noble partisane de l’empereur.
L’un des fils de Tuccio, Simone, devient Gonfalonier de Justice de Florence, en 1302, vingt ans tout juste après la création de la Seigneurie[iii] et neuf ans après celle du Gonfalonier.
L’un des petits-fils de Tuccio, Piero, va être à l’origine de la fortune de la famille en étant pendant plus de quarante ans, l’un des principaux hommes politiques de Florence, exerçant à de multiples reprises la fonction de Gonfalonier et de très nombreuses missions d’ambassade, notamment auprès de l’empereur et du pape. En récompense peut-être de cette illustration dans les affaires politiques, son fils cadet, Piero, est élevé par l’empereur Sigismond, en 1416, comte palatin. Ayant totalement épousé les intérêts de Cosme de Médicis, contre les Albizzi (voir sur ce Blog les articles sur Les Médicis de 1400 à 1600 et sur La prise du pouvoir des Médicis à Florence), il fait dès lors partie systématiquement de l’oligarchie qui gouverne Florence autour de Cosme.
La famille Guicciardini, qui va rester pendant un siècle encore, le soutien le plus ferme, à Florence, de la dynastie des Médicis, va s’illustrer à de très nombreuses reprises. Puis, après l’exil de Pierre de Médicis, en 1494, au moment de l’expédition française de Charles VIII, le petit-fils du Piero précédent, encore un Piero, va faire partie, aux côtés d’Alamanno Salviati, du parti des modérés, les « bigi », en lutte contre les excès de Savonarole et hostile aux « arrabiati »[iv], qui vont se montrer particulièrement discrets pendant la république de Savonarole de 1494 à 1497, puis retrouver la proximité du pouvoir après 1497.
C’est sur la proposition du parti des modérés, et avec son ferme soutien, que Soderini est élu Gonfalonier à vie, en 1502. Mais bientôt, ce dernier, qui cherche à consolider son pouvoir, va leur substituer des partisans moins indépendants et plus dociles. Les deux chefs du parti des bigi, vont alors entrer dans l’opposition à Soderini. Ce qui va, au cours des dernières années du dictateur de Florence, les désigner à l’attention des Médicis, qui, aussitôt revenus au pouvoir fin 1512 (le cardinal Jean de Médicis, futur pape Léon X, fils de Laurent le Magnifique), vont les reprendre à leur service.
Pendant toute cette époque de vingt années, particulièrement troublées, Piero Guicciardini, le père de Francesco Guichardin est parvenu, par un art remarquable à ne jamais se laisser compromettre entre les partis, et de servir tour à tour chacun d’eux. Avec une habileté singulière, il parviendra à se maintenir dans une position où l’on est compté pour beaucoup sans être le maître absolu des affaires. Son fils Francesco, le plus illustre des Guicciardini va hériter de ce talent, au moment de la mort de Piero, à l’âge de cinquante-cinq ans, en 1513.
La jeunesse de Francesco Guicciardini
Francesco Guicciardini, le troisième fils (sur une fratrie de cinq garçons), naît le 6 mars 1482, sous le gouvernement de Laurent le Magnifique. L’ancienneté de sa maison, sa proximité avec le maître de Florence impose d’illustres parrains, trois des plus fameux intellectuels de Florence : trois philosophes, Giovanni Cannacci, Piero del Nero et le flambeau de la renaissance en Italie, le maître de l’Université de Florence, le néoplatonicien Marsile Ficin. C’est assez dire l’inclination naturelle du père du bébé et les espoirs que sa naissance suscite.
La fortune de son père est modeste car Francesco Guichardin est issu d’une tige cadette des Guicciardini : c’est l’un de ses parents éloignés qui porte le titre de comte palatin. Le destin de Francesco en tant que cadet est tout tracé : il devra faire carrière dans la politique et les offices de la république.
On lui inculque donc très tôt l’étude de la logique, ce fondement de l’éloquence, qui avait si bien réussi à son père que le futur Léon X avait proclamé un grand orateur.
Il n’apprend pas ce qui fait alors les vertus d’une bonne éducation : jouer des instruments, danser, chanter, monter à cheval, se vêtir d’une façon gracieuse. Son père estime que c’est une perte de temps. A quinze ans et demi il commence à s’appliquer à l’étude du droit. Son premier maître, au mois de novembre l498, est Jacopo Modesti de Carmignano qui expliquait à Florence les Institutes[v]. Il suit ensuite les cours d’Ormanozzo Deti, et de Filippo Decio (1454-1535), un célèbre enseignant en droit civil[vi]. En 1499 son père lui fait quitter Florence.
Il est probable que la condamnation injuste du condottiere Paolo Vitelli, que Piero Guicciardini a tenté vainement de défendre (voir sur ce Blog l’article sur l’affaire Paolo Vitelli, Il faut arrêter César Borgia : la conjuration de Magione), lui fait craindre les désordres causés à Florence par les ambitions de César Borgia. Il expédie Francesco à Ferrare, avec des sommes importantes que, par précaution, il choisit de faire sortir de Florence. Guichardin, peu satisfait des enseignements de Ferrare, n’y reste qu’un an et rejoint ensuite Padoue. Il y retrouve Philippo Decio (voir note v ci-dessous) qui va l’héberger pendant deux ans et Carlo Ruini (1456-1530), les deux plus fameux jurisconsultes de la renaissance italienne.
En 1503, une opportunité se présente : un cousin de son père, Rinieri, archidiacre de Florence et évêque de Cortone dont les bénéfices se montent à quinze cents ducats est à l’agonie. C’est une occasion à saisir pour le jeune Guicciardini qui y voit une occasion pour une carrière d’Eglise et, pourquoi-pas, le cardinalat. Mais Piero, le père, se refuse à tout arrangement avec son cousin et il souhaite pour son fils une autre carrière que celle de l’Eglise, dont il condamne sévèrement la déshérence des mœurs, la soif de lucre et de richesses.
En 1505 Francesco revient à Florence et s’y fait recevoir docteur au chapitre de Saint-Laurent, dans le collège des docteurs de l’Université de Pise, jadis établie par Laurent de Médicis, le Magnifique, à Pise, et, depuis la perte de cette ville[vii], ramenée à Florence. Ce titre avait une grande importance dans la république : il désignait d’avance aux magistratures et aux ambassades, et donnait le pas sur tous les autres citoyens dans les conseils et les assemblées. Quoique la république l’ait immédiatement nommé pour l’enseignement des « Institutes », il juge que cette voie lui offre peu d’opportunités dans le maniement des affaires publiques ou financières et il lui préfère le barreau.
En effet, grâce à la considération dont jouit sa famille et à ses talents, il se constitue rapidement une très solide clientèle qui lui permet de s’établir. Il sollicite et obtient, en 1506, la main de Maria Salviati, la fille d’Alamanno Salviati, le vieux compagnon de son père, l’une des personnalités politiques les plus en vue de la république. Bien que dans l’opposition au gonfalonier Soderini, leur influence lui permet d’obtenir en 1507, la charge d’avocat du chapitre de Florence et, en 1509, celle de l’ordre des Camaldules[viii].
Francesco Guichardin devient bientôt l’orateur le plus talentueux de Florence. Les plus illustres familles et les corps les plus riches le choisissent : il sera l’avocat des Cocchi , des Bartolini, des Ginori, des Capponi , de l’évêque de Cortone, des couvents de Vallombreuse et de Sainte-Catherine de Prato, des comtes de Montefeltro. A deux reprises, il appuie les droits de sa cousine, la femme de Niccolo Guicciardini , contestés par ses parents, les héritiers de Gerozzo de Médicis.
La profession d’avocat est à l’époque, indigente sur le plan littéraire. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois. Bien que le style de Guicciardini ne soit pas des plus remarquables, « l’on comprend que sa manière de traiter les débats ait attiré sur lui l’attention de ses compatriotes. Ce n’est pas que son latin soit pur, et qu’il sache se débarrasser des amas de citations des jurisconsultes romains qui encombrent ses mémoires. Mais il est généralement plus clair et plus bref ; il va droit au fait, démêle le point précis auquel il convient de s’attacher, invoque les principes de jurisprudence, rappelle les précédents, et conclut en forme avec la sécheresse, mais avec la précision d’un théologien scholastique. Il se montre là, comme en bien d’autres endroits, un esprit excellent, net et ferme » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist).
Les débuts d’une carrière politique prometteuse
Parmi les cinq enfants de la fratrie, trois ont déjà choisi une carrière politique : il est temps pour Piero, qui vieillit, d’établir Francesco dans un emploi public, l’âge requis pour y prétendre étant, à Florence, de vingt-neuf ans. En 1512, il est nommé à l’ambassade d’Espagne, avec une dispense d’âge[ix].
Règne alors sur l’Espagne, le conjoint survivant des rois catholiques, Ferdinand d’Aragon (1452-1516). Le contexte politique est alors très difficile car Florence se trouve, avec Ferrare, les deux seuls Etats alliés à la France (qui domine alors le duché de Milan et la république de Gênes) au cours de cette quatrième guerre d’Italie, tous les autres Etats étant alliés au sein de la Sainte Ligue, comprenant Venise, Mantoue, l’Etat pontifical, le royaume napolitain, l’Espagne, le Saint Empire romain germanique et l’Angleterre : Florence est donc isolée sur la scène italienne, d’autant que la France, assaillie de tous côtés, ne songe guère à venir défendre son alliée. La république pouvait donc craindre les attaques de Venise, de l’Espagne et du Pape, tous jaloux de l’affaiblir. En Espagne, l’accueil est glacial. Francesco ne reçoit qu’avec beaucoup de retard les informations, ce qui ne lui laisse qu’une étroite marge de manœuvre.
Et la situation à Florence, évolue à toute vitesse. Une armée espagnole, commandée par le vice-roi de Naples, Ramon de Cardona, réussit à s’emparer de Prato (à vingt kms au nord de Florence), qui est mise à sac : six mille habitants sont passés par les armes. L’avertissement sans frais, provoque à Florence une sédition populaire, organisée en sous-main par les partisans des Médicis, qui chasse Soderini du pouvoir et qui rétablit le pouvoir du cardinal Jean de Médicis, le fils de Laurent le Magnifique, allié aux Espagnols. Francesco Girardin ne va nullement pâtir de ce retournement car son père, Piero, et lors du décès de ce dernier, son frère aîné Luigi, vont faire partie des « bailies » désignant les nouveaux maîtres de Florence, suivant l’ancienne organisation, ressuscitée de Cosme, pour l’occasion.
Mais Francesco, qui est confirmé ambassadeur, par lettre du 24 novembre 1512, se fatigue d’être inutile. Avant 1512, il n’était pas informé ni écouté parce que la république était en guerre avec l’Espagne. Après la reconquête, il n’est pas informé parce que tous les courriers prennent la route de Rome d’où Florence est administrée par le cardinal de Médicis. Dégoûté, il demande son rappel.
Mais son remplacement va prendre encore dix mois car, entre-temps, le pape Jules II est mort, remplacé par le cardinal de Médicis, qui devient pape sous le nom de Léon X, une nomination qu’en bon politique, Francesco n’est pas le dernier à féliciter. Le 31 octobre 1513, Francesco quitte définitivement la cour de Ferdinand.
Qu’a-t-il retiré de son séjour espagnol ? Il a fréquenté pendant dix-huit mois, le prince le plus habile et le plus perfide de son époque, dont la mauvaise foi semblait toujours amnistiée par le succès. Davantage encore, ce séjour est l’occasion d’une réflexion sur ce qu’il a accompli, à ce jour et sur ce que doit être son destin. Il prend conscience de ses aspirations politiques : il a appris à raisonner sur un théâtre d’actions plus vaste.
Au service du pape Médicis Léon X
Revenu en Italie, il apprend la mort de son père. Son frère aîné, Luigi, occupe alors un poste important : il est consul de la mer de Florence, à Pise : le consul de la mer était un tribunal chargé des litiges entre commerçants. Le consul rendait les jugements et les faisait exécuter. Francesco reprend ses activités d’avocat, tandis que son frère occupe des postes toujours plus importants au sein de la république : en 1514, il fait partie du tribunal des Huit de la Garde, chargé des affaires de police et criminelles ; en 1515, il est nommé Gonfalonier de Justice. Les Guicciardini sont membres de la petite coterie de serviteurs zélés des Médicis : le premier rang au-delà de ceux qui sont les parents directs des Médicis comme les Salviati et les Strozzi. Francesco va en bénéficier. Lorsque Léon X va à Bologne au mois de décembre 1515, pour y discuter avec François 1er du concordat de Bologne, après la victoire de Marignan, il s’arrête à Florence et nomme Francesco, avocat consistorial[x] et l’emmène avec lui.
Francesco reste à Rome jusqu’en 1516. Puis il est nommé gouverneur de Modène et de Reggio. C’est le début de sa carrière : il a trente-quatre ans. La mission est d’importance car il faut parvenir à arrimer des territoires récemment reconquis, à l’autorité pontificale. Alors qu’il est à Modène, en 1520, ses amis à Florence lui obtiennent la charge de capitaine du parti guelfe, magistrature qui sera occupée, en son absence, par un tiers dévoué aux Guicciardini.
L’élection de Charles Quint au Saint Empire, en 1519, ne tarde pas à allumer la guerre entre la France et l’empire. Le pape, en froid avec la France incline bientôt en faveur de l’empire. Francesco reçoit du pape dix mille ducats pour soutenir les exilés du duché de Milan et constituer une force pour reconquérir ce dernier sur les Français. Mais le projet est rapidement éventé par Lescun, le frère du maréchal Lautrec, qui commande l’armée française en Italie. Il décide d’une attaque brusquée sur Reggio, avant même que l’état de guerre ne soit déclaré entre la France et le pape. Mais Francesco se méfie, alerté par les exilés milanais. Il rassemble, sur le modèle florentin, des milices urbaines, qui sont armées et il fait appel aux soldats pontificaux sous les ordres du comte Rangoni (1485-1539), condottiere de Modène, passé, depuis 1514, au service du pape.
Lescun arrive avec ses hommes devant Modène, entre en négociation avec Francesco et, pendant ce temps, son armée donne l’assaut, le 24 juin 1521. Mais l’assaut est repoussé et Lescun est fait prisonnier puis relâché le jour suivant. Cette défense vigoureuse et habile, lui vaut l’estime du pape qui le nomme Commissaire général de l‘armée et lui donne son autorité sur les troupes pontificales avec supériorité hiérarchique, même sur le marquis souverain de Mantoue, au moment où Prospero Colonna, le commandant de l’armée pontificale et impériale, engage ses opérations militaires. Cette responsabilité couvre à peu près tous les domaines politiques, administratifs et militaires, à l’exception des opérations tactiques. C’est à cette époque que Francesco rencontre son cousin issu de germain par alliance[xi], Jean de Médicis (voir sur ce Blog les articles sur Caterina Sforza, la lionne indomptable de Forli et Le dernier condottiere : Jean de Médicis des Bandes Noires).

Jean de Medicis des Bandes noires par Cristofano dell’ Altissimo Galerie des Offices Florence Image: Site Altesses.eu

Caterina Sforza Portrait Lorenzo di Credi, Museo Civico de Forlì
A la prise de Milan par les troupes coalisées, en 1521, succède la mort du belliqueux pontife, en 1521 et l’élection d’Adrien VI d’Utrecht. Le duc d’Urbin en profite pour reconquérir son duché, confisqué par Léon X, tandis que les Français, reprenant courage, décident de s’emparer de Parme. Francesco parvient, avec les mêmes méthodes, à repousser l’assaut français, ce qui lui vaut alors le soutien du nouveau pape : il est confirmé dans ses fonctions à Modène et Reggio, tandis qu’un nouveau gouverneur est expédié à Parme, en dépit de la réclamation des habitants de la ville, séduits par le bon gouvernement de Francesco.
Le 27 avril 1522, les forces franco-suisses commandés par le maréchal Lautrec sont écrasées à la bataille de la Bicoque, par le général Prospero Colonna, qui revient d’un raid sur Gênes, qu’il a pillée. Les Français perdent définitivement le duché de Milan.
Au service du pape Médicis Clément VII
A la mort d’Adrien VI, en 1523, son successeur est le cardinal Jules de Médicis, le fils bâtard légitimé de Julien de Médicis, frère de Laurent le Magnifique et de Fioretta Gorini, élu pape sous le nom de Clément VII. Ce dernier va immédiatement confirmer Francesco Guicciardini dans ses fonctions au moment où celui-ci vient de déjouer une tentative du duc de Ferrare pour s’emparer de Modène par surprise. Il va étendre son contrôle sur Parme et Plaisance à l’occident et à l’orient sur Ravenne, Imola, Faenza, Forli et Cesena, soit en pratique, toute la Romagne.
Il succède, en Romagne, au cardinal Innocenzo Cybo, le fils du pape Innocent VIII, qui a failli lui-même être élu pape, à une voix près, en 1523. La Romagne est alors déchirée par les rivalités entre les factions guelfe et gibeline. Il parvient à rétablir la paix en Romagne grâce à une politique éclairée de grands travaux routiers et d’embellissement des villes et l’intervention ciblée d’une bande de mercenaires.
Pendant qu’il s’occupe ainsi de pacifier les régions, il tourne ses regards vers Florence où le cardinal de Cortona, Passerino, réussit, en peu de temps, à braquer tous les Florentins. Le mépris des citoyens libres pour le bâtard Alexandre de Médicis, que l’on commence à présenter comme le futur maître de Florence, provoque un rassemblement progressif de toutes les grandes familles, dans une opposition sourde aux Médicis. Francesco, qui communique par lettres chiffrées, n’échappe pas à ce mouvement, qui réunit autour de Niccolo Capponi, fils du célèbre Piero Capponi, Francesco Vettori, alors ambassadeur à Rome, le banquier Filippo Strozzi, le neveu de Léon X par sa femme Clarice, fille de Pierre de Médicis, Jacques Salviati, et bien d’autres encore. En fait c’est tout le clan Médicis, protégé par Léon X mais tenu à l’écart des affaires par le cardinal de Cortona, qui se retrouve dans une opposition encore secrète, mais qui n’attend qu’une étincelle, pour se révéler au grand jour.
Le 24 juin 1526, Il reçoit la commission de lieutenant-général du pape dans les États et dans l’armée du Saint-Siège, une autorité équivalente à celle d’un connétable, si ce n’est qu’elle ne comporte aucune responsabilité tactique sur l’armée.
Les forces pontificales et vénitiennes, alors alliées au sein de la ligue de Cognac, signée au lendemain de la libération du roi François 1er par Charles Quint, avaient été placées par Clément VII et la Sérénissime république, sous le commandement de Francesco Maria della Rovere, duc d’Urbin, le même qui avait été spolié de son duché par Léon X, un duché que le duc avait pu récupérer à la force des armes, avec le soutien du pape Adrien VI. Une caractéristique du duc d’Urbin, c’est qu’il était pusillanime à l’excès, et ne s’engageait dans une bataille que lorsqu’il était tout-à-fait certain de l’emporter.
Les premières opérations de l’armée coalisée se tournent contre Milan, devenue espagnole depuis sa conquête en 1522 par Prospero Colonna, à la tête des troupes impériales. Le duc de Milan résiste dans son château au centre de la ville contre des forces espagnoles largement inférieures à celles du duc d’Urbin. Mais ces troupes sont commandées par le duc de Bourbon, le transfuge français, le brillant général qui a gagné la bataille de Marignan. De plus, des renforts espagnols sont attendus : ils auraient déjà débarqué en Italie.
Arrivé dans les faubourgs de Milan, le duc temporise, hésite et ne parvient pas à prendre une décision, laissant passer les jours les uns après les autres. Tant et si bien que les renforts espagnols, une colonne de huit cents fantassins, finissent par arriver. Le duc en profite alors pour se retirer, après un assaut peu motivé et repoussé, le 7 juillet. Francesco est intervenu à de multiples reprises auprès du duc pour le pousser à lancer l’assaut depuis dix jours. Sans aucun succès. La mort dans l’âme, il constate que l’armée espagnole peut désormais se remparer dans Milan et constituer ses forces en attendant les renforts attendus d’Allemagne, préalables à une grande offensive vers Florence et Rome.
Les intérêts de Florence et de Rome sont désormais directement menacés par suite de l’impéritie du duc qu’il accuse désormais presque de trahison, auprès du Saint-Père. D’autant que, pendant l’été, la situation va s’aggraver. A Milan, le duc Francesco Sforza a fini par se rendre au duc de Bourbon. Et à la fin de l’été, le 22 août 1526, les Colonna ont envahi le Vatican à la tête de trois mille soldats qui ont pillé le palais pontifical et bloqué le pape au château Saint-Ange (tous ces événements sont racontés dans l’article de ce Blog Ce jour-là, le 6 mai 1527 : le sac de Rome). De surcroît, une armée florentine de 1200 cavaliers et huit mille fantassins a été honteusement dispersée par quatre cents Siennois, le 26 juillet 1526.
Francesco, impuissant à prévenir les désastres militaires, décide de quitter l’armée de la ligue, le 7 octobre : il se replie sur Parme d’où il va dispenser ses conseils au pape. Il va être indirectement et tout-à-fait involontairement, co-responsable de la mort de son cousin, le fameux capitaine Jean de Médicis des Bandes Noires (voir sur ce Blog l’article sur Le dernier condottiere : Jean des Bandes Noires), en dissuadant le pape de se priver d’un tel atout dans le nord. Celui qui sera désigné par le pape pour poursuivre les Colonna, à la suite de leur incursion dans Rome, c’est le condottiere Vitelli, qui sera impuissant à s’emparer de la forteresse des Colonna à Paliano. Quelques semaines plus tard, Jean de Médicis est blessé grièvement par un fauconneau. Il va mourir des suites de sa blessure.
La situation dans le nord de l’Italie devient préoccupante lorsque le général Frundsberg arrive d’Allemagne avec ses reitres, ayant réussi à se faufiler par les montagnes en évitant les Vénitiens et l’armée de la ligue de Cognac. Il a déterminé quatorze mille lansquenets et cinq cents cavaliers à l’accompagner pour une campagne de rapines en Italie. Le duc d’Urbin s’est positionné sur les rives de l’Adda entre Milan et Bergame pour leur barrer la route. Mais Bourbon, toujours à Milan, prévenu par le duc de Ferrare, réussit à informer à temps Frundsberg, qui évite le piège tendu devant lui. Puis Bourbon parvient à faire sa jonction avec Frundsberg et, à la tête des troupes impériales, s’apprête à descendre vers le sud.
« Le duc d’Urbin, consultant surtout les intérêts des Vénitiens, proposa un plan de campagne qui, protégeant les terres de Venise, laissait ouvert le chemin pour marcher sur Florence et sur Rome. Guichardin essaya vainement de le gagner; il fut désavoué par le pape” (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist).
Ainsi, le pape Clément VII, trompé par les promesses successives et toujours retardées, de l’ambassadeur de France, n’écoute personne, pas plus son représentant en Italie du Nord que ses autres conseillers, préparant activement la réussite de la tragédie qui est en train de se nouer. Lorsque Charles de Lannoy, le vice-roi de Naples, vient le trouver pour lui proposer, au nom de l’empereur, une trêve, il s’empresse de négocier un traité comportant le principe d’une rançon à verser à l’armée impériale. Mais, persuadé que l’accord de l’armée impériale est une simple formalité, il licencie ses troupes sans attendre le retour de Lannoy, parti au camp impérial de Bourbon. Or Lannoy échoue dans sa mission car, tant les Allemands que les Espagnols, se félicitent à l’avance de la perspective d’un sac et ils sont bien peu disposés à permettre au pape d’éviter le pillage qui s’annonce par le versement partiel d’une indemnité insuffisante par rapport à ce qui leur est dû.
La situation, passablement confuse, se complique encore lorsque, profitant de la proximité de Florence, de l’armée espagnole, une sédition populaire se propose de chasser les Médicis. Elle est réprimée mollement par Luigi, le frère de Francesco. Ce dernier qui voit plus loin que tous les autres, juge la révolte mal préparée. Afin de sauvegarder les intérêts de sa famille, il s’empresse de rejoindre Florence où il s’efforce de calmer les conjurés par la démonstration de leur état de faiblesse, et il achève de dissiper la sédition, par la promesse d’une amnistie générale. « La paix se conclut sur un banc dans une boutique voisine de la place. Les principaux chefs de l’armée y apposèrent leur signature : le gonfalonier annula tout ce qu’on avait fait et décidé jusques là et les citoyens, réunis au palais, s’écoulèrent tristement par une porte de côté, sans éprouver de dommage, mais remplis de crainte et d’affliction. Jacques Pitti accuse, en cette circonstance, Guichardin, de trahison » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist).
Par cette action, Guichardin a réussi à se brouiller avec les deux partis. Car les Médicis ne pardonnent pas à Luigi de s’être montré si mou dans la répression. De surcroît, les relations se détériorent entre le duc d’Urbin et Francesco, qui ne parvient pas à décider le duc à venir protéger Rome : des mots d’oiseaux sont échangés. L’algarade est rapportée au pape. Lorsque survient l’arrivée à Rome de l’armée impériale et le sac terrible qui s’ensuit, le pape va trouver refuge au château Saint-Ange, coupé de tous ses serviteurs. Guichardin se retrouve sans emploi et l’on dit que le pape, avec une parfaite mauvaise foi, le rend responsable, par son algarade avec Urbin, de n’avoir pas réussi à convaincre ce dernier de venir défendre Rome.
Le pape prisonnier à Rome, Guichardin désoeuvré à Florence
De guerre lasse, Guichardin décide de rejoindre Florence qui vient de se révolter une nouvelle fois contre les Médicis, cette fois-ci avec succès, dix jours après le sac de la ville éternelle.
« Les principaux citoyens dont les projets avaient échoué un mois auparavant, et parmi eux il faut compter Francesco Vettori et les deux Strozzi, Matteo et Filippo, dirigés par Niccolo Capponi, proclamèrent la liberté. Les cardinaux irrésolus, peu confiants dans les troupes, que l’avarice du cardinal de Cortona négligea d’entraîner par une augmentation de paie, conclurent un accord d’après lequel, le 16 mai, ils se retirèrent à Lucques avec les neveux du pape. Bientôt ils regrettèrent leur résolution, mais les forteresses furent livrées à la république par leurs commandants. La révolution était consommée. Un moment toutefois le parti des Médicis chercha à retenir le pouvoir avec la forme populaire. Mais une émeute soulevée par Anton-Francesco des Albizzi contre le gonfalonier Nori amena la convocation du grand conseil, et l’élection, pour un an, de Niccolo Capponi, comme gonfalonier, avec la faculté d’être réélu trois autres années. C’était un homme passionné pour la liberté, et d’ailleurs un esprit sage, mais incapable de tenir tête aux partis furieux qui allaient s’agiter. Il entra en fonctions le 4 juin, au moment où l’armée pontificale se désorganisait, et peu avant que Guichardin ne rentrât à Florence » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist p 49).
A Florence, Francesco observe les événements qui se déroulent, sans y participer. Il fait partie, de droit, de l’oligarchie des deux mille cinq cents citoyens capables de prouver la participation de l’un de ses ascendants à des charges publiques. Au sein de cette oligarchie, des factions sont très vite apparues : les citoyens les plus riches et les plus nobles se sont regroupés sous le nom d’Ottimati, qui appuient Niccolo Capponi lequel va former une coalition avec les anciens partisans de Savonarole, les Piagnogni et ceux des Médicis, les Palleschi (dont le nom vient de Palla, les boules des armes des Médicis), dont fait partie Guichardin. A cette coalition, s’oppose le parti populaire des Popolani ou Arrabiati, qui ne cesse, par ses excès, et par l’insécurité qui en résulte, de harceler le pouvoir en place. L’armée française du maréchal Lautrec qui faisait le siège de Naples, a été détruite en juillet 1528 par la peste (voir sur ce Blog les deux articles sur Philibert de Chalon Contre François 1er et Le siège de Florence). Le pape, qui avait d’abord pensé s’appuyer sur la coalition des Vénitiens et des Français, est contraint d’en passer par les volontés de l’empereur Charles Quint. Il a réussi à s’évader du château Saint-Ange et, après une halte de quelques mois à Arezzo, en territoire florentin, il s’est désormais établi à Bologne.
Niccolo Capponi qui a été confirmé en 1528, Gonfalonier, pour une seconde année consécutive, est de plus en plus contesté à Florence. Il reste convaincu en secret qu’un accord avec les Médicis est sans doute la meilleure chance de sortie par le haut de la crise présente. Il est donc en correspondance régulière avec le pape avec lequel il cherche à négocier un retour des Médicis qui préserverait les intérêts de l’oligarchie des Ottimati. Mais il est en butte à l’hostilité du parti populaire qui pèse, au sein du Grand Conseil, de plus en plus lourdement, sur les décisions. Le rapprochement avec l’empereur n’aboutit pas, faute de moyens et d’une volonté politique claire et Florence continue de se fier aveuglément aux assurances de l’ambassadeur de France malgré l’opposition de Francesco, dont l’expérience incite à se méfier des belles promesses.
C’est alors que survient une affaire tout à fait anecdotique, qui va mettre à bas le fragile équilibre des pouvoirs. Thommaso Soderini, le neveu de l’ancien Gonfalonier à vie, avait songé à marier l’une de ses filles à l’un des fils de Capponi, afin de réunir leur influence conjointe. Mais la tendance de Soderini à céder devant les exigences des Arrabiati effraie Capponi qui préfère conclure une alliance avec Guichardin, en mariant son fils, Simona, à la fille de Francesco. De dépit, Soderini va rejoindre le parti des Arrabiati, faisant voler en éclats la fragile coalition au pouvoir. Les jours de Capponi sont désormais comptés. Il est surveillé par ses ennemis qui parviennent à mettre la main sur un de ses courriers avec le pape, qui n’est en aucune façon compromettant (il arrivera du reste, sans peine à s’en justifier), mais le mal est fait. Une révolte populaire téléguidée par ses ennemis, le dépose et porte un des plus irréductibles des Arrabiati au pouvoir, en la personne de François Carducci.
C’est que la situation, en Italie centrale, a profondément évolué. Le traité de Barcelone a permis au pape de signer la paix avec l’empereur et le traité de Cambrai, la « paix des Dames », signée entre Louise de Savoie et Marguerite d’Autriche, a mis un terme à l’état de guerre entre la France et l’empire, abandonnant, de fait, Florence à elle-même. Le vice-roi de Naples est entré en Toscane, à la tête de son armée.
Carducci, qui ne dispose pas des mêmes relais que Capponi, essaie d’engager une discussion avec le pape, mais il est trop tard : ce dernier, conforté par la paix signée avec Charles Quint, veut désormais en finir avec la république de Florence. Humiliés de ce revers, les Arrabiati cherchent à associer les Palleschi au pouvoir : mais Roberto Acciaiuoli et Guichardin refusent leur concours. Charles Quint refuse de recevoir les ambassadeurs (parmi lesquels l’ancien Gonfalonier Niccolo Capponi) députés par Florence et le pape martèle ses exigences : Florence doit se rendre à discrétion.
Désormais, la patrie est en danger. Les Palleschi, pour la plupart, choisissent de fuir, pour éviter d’être arrêtés par le parti au pouvoir qui s’est radicalisé. Francesco est de ce nombre. Son expérience et sa modération ne lui ont pas permis de peser sur les décisions politiques de la république, pendant ces deux dernières années. On lui a refusé de participer au gouvernement et, lorsqu’il a eu l’occasion de le faire, il a peut-être été, involontairement, l’instrument de la chute de Capponi.
Il part le 29 septembre 1529, rejoindre le pape, suivi peu de temps après, par son frère Luigi. Tous deux sont déclarés rebelles par la république, condamnés par contumace à l’exil et leurs biens, confisqués. Le pape a bien voulu le reprendre comme conseiller mais il n’est plus l’homme de confiance privilégié de l’époque précédente. Il est bien chargé de négocier la reddition d’Arezzo avec Roberto Acciaiuoli, en décembre 1529, mais il n’est pas en position de responsabilité. Apparemment, le pape continue à lui en vouloir de n’avoir pas réussi à éviter le sac de Rome.
Le purgatoire de Guichardin: la répression de Florence et la fin de la république
La reddition de Florence lui offre l’opportunité de reprendre du service. Car le pape a décidé de mouiller les membres de l’oligarchie florentine dans les mesures impopulaires qu’il a décidé de prendre à l’égard de la cité rebelle.
Francesco Girardin, dont le pape connaît la compétence, est en effet nommé pour participer au futur gouvernement de Florence, à la fin de la première quinzaine d’août. Le 24 août 1530, le pape a obtenu une bulle impériale qui déclare Alexandre, son neveu, que tous savent, en réalité, son fils, chef de la république florentine. Le pape ne souhaitant pas endosser le service de la dette publique contractée pour la révolte de Florence contre son autorité, il a été stipulé que l’on ferait aux créanciers de l’État, une banqueroute de 60 pour cent. En s’appropriant les dépôts faits au nom des veuves et des orphelins, en annulant la vente des biens des corporations et de la cité, on augmente de fait, arbitrairement les impôts, sans tenir compte de l’appauvrissement et de la dépopulation des campagnes et de la ville. Enfin les anciens amis de Capponi sont poursuivis avec presque autant de rigueur que les Arrabiati déclarés.
Le 20 août 1530, le Commissaire apostolique, Bacio Valori, qui a fait disposer sur la place quatre compagnies de Corses, fait sonner la grosse cloche pour convoquer le peuple à un parlement quoique le parlement soit inconstitutionnel, depuis plus de cent ans. A peine trois cents citoyens se présentent. Le parlement sous la menace non équivoque des compagnies corses, approuve la nomination de douze citoyens favorables aux Médicis, pour gouverner Florence. On s’occupe immédiatement de réunir la rançon prévue par le traité de paix (80 000 florins) et, comme l’argent liquide vient à manquer, on se saisit de ceux parmi les plus riches notables, qui avaient appuyé la république, qui vont se porter caution, sur leurs biens, du paiement de la rançon. La Seigneurie est déposée de même que les principaux magistrats, les Dix de la Guerre et les Huit de Balia (les juges suprêmes et criminels). La population est désarmée.
Bien que cette balie de douze citoyens gouverne Florence pendant plusieurs mois, chaque décision étant inspirée, de Rome, par le pape, lui-même, il devient rapidement nécessaire de réunir un vrai parlement pour voter les lois.
Le frère de Francesco, Luigi, a tout de suite accepté un poste : de Lucques où il s’était réfugié, il revient à Pise assurer la fonction de Commissaire (gouverneur) pour Florence, dès la fin août 1530. Il va se signaler par son zèle et ses cruautés à l’égard de ses anciens amis.
Le 10 septembre, après la dislocation et le retrait de l’armée impériale, Francesco Guicciardini, Francesco Vettori et Roberto Acciaiuoli sont désignés au sein de la Balie pour l’administration de la ville. Le 27 septembre, les deux premiers entrent dans l’importante magistrature des Huit de Pratique (qui rempliront, sous les Médicis, les mêmes fonctions que les Dix de la Guerre sous le gouvernement républicain).
Ce retour en grâce permet à Guichardin de retrouver sa fortune : une délibération de la Balie, en date du 8 octobre, lui rend ses créances sur le Mont de Florence, confisquées en 1529, et déclare injuste sa condamnation au bannissement comme rebelle.
Quelques jours après, est créée la grande Balie, le 8 novembre 1530, où l’on ajoute aux Huit de Pratique et aux douze membres initiaux, 144 membres nouveaux, choisis parmi les citoyens favorables aux Médicis. On y remarque les noms de ceux qui, comme Ruberto Acciaiuoli, Matteo Strozzi, Francesco Vettori, Prinzivalle dalla Stufa, Ottaviano de’ Medici, deviendront plus tard, les principaux conseillers d’Alexandre, puis ceux de Cosme Ier de Toscane.
Francesco Guicciardini est cependant mécontent du rôle que lui réserve Clément VII. Il s’est toujours tenu dans l’opposition, n’ayant exercé aucune responsabilité politique dans la dernière république de Florence. Et pourtant, il paraît bien moins bien traité que beaucoup d’autres, qui se sont mouillés davantage. A commencer par son frère qui a su tout de suite se placer à Pise. Ou bien Baccio Valori, l’homme qui a négocié la reddition de Florence, compromis avec les Arrabiati, qui a été nommé Commissaire Apostolique et qui s’affiche avec une véritable cour dans le palais des Médicis qu’il a réquisitionné pour son usage personnel. Francesco, lui, l’homme des décisions difficiles, n’est responsable de rien. Il supporte mal que ses propres frères aient été taxés à 2 500 florins pour la rançon à payer par la ville, et ceci sans tenir aucun compte du rôle central qu’il a lui-même joué pour le pape, dans la reprise en main de la ville. Il n’est qu’un serviteur parmi d’autres et ne peut jouir d’aucun des privilèges que sa fonction centrale aurait dû lui réserver.
Surtout, il voit que, sans en retirer aucun avantage pécuniaire, toutes les décisions impopulaires sont prises par la balie, dont il est le membre le plus en vue, alors que les Médicis, en se tenant soigneusement à l’écart, paraissent absous de tout à l’égard des Florentins.
Sans pouvoir combattre cet état de choses, il essaie au moins de plaider en faveur de ses amis politiques dans les quatre discours ou mémoires adressés au pape en 1530 et dans ses lettres à Jacques Salviati, conseiller intime de Clément VII. Quant à son frère Luigi, qui s’est fait le serviteur zélé du pape à Pise, il va rester totalement sourd aux arguments invoqués par son frère.
Mais le pape a lu les rapports en provenance de Florence. Il essaye donc d’y remédier en ôtant à Valori ses pouvoirs extraordinaires, qui sont remis à Nicolas de Schomberg, archevêque de Capoue (le successeur de Francesco à l’ambassade d’Espagne). Valori, en dédommagement, sera nommé ultérieurement gouverneur de Romagne.
En blâmant régulièrement les décisions prises par le pape, Francesco est devenu importun. On va s’en débarrasser en le nommant gouverneur de Bologne, sans toutefois, l’éliminer des commissions florentines, car le pape se réserve, si nécessaire, le droit de faire appel à lui.
Le 17 février 1531, Alexandre de Médicis est adjoint à la Balie et déclaré preposto, c’est-à-dire président de droit dans toutes les magistratures. Le 14 mars, dans le sein de la Balie même, on fait le choix de vingt-quatre Accopiatori, chargés d’assurer les magistratures à des amis des Médicis. Francesco fait partie de droit de cette commission, et, dès le mois de mai, son frère Girolamo en sera l’un des seigneurs.
L’arrivée d’Alexandre va se traduire par de nouvelles mesures vexatoires, telles que des lois sur la monnaie et sur les impôts et par le renouvellement des rigueurs exercées contre les républicains notoires, qui continuent de prendre le chemin de l’exil. Cette politique répressive du pape Clément VII contre les grandes familles républicaines commence à susciter des remous: des voix remontent jusqu’à Charles Quint.
Clément VII n’est cependant pas satisfait du régime politique à Florence. Il veut en finir avec la république et instaurer à Florence une monarchie en faveur d’Alexandre. Il va demander à son représentant à Florence, l’archevêque de Capoue, nommé à la place de Valori, d’obtenir l’avis des conseillers les plus représentatifs de la Balie : Ruberto Acciaiuoli, Francesco Vettori , Filippo Strozzi et les deux Guichardin, Francesco et Luigi, répondent à cet appel. Les plus violents sont Luigi Guicciardini et le banquier Filippo Strozzi, le premier ayant davantage que les autres à se faire pardonner et le second, ayant tous ses actifs à Rome (voir sur ce Blog l’article sur Philippe Strozzi le fastueux banquier des papes Médicis). A tout prendre, Philippe Strozzi préfère un dictateur disposant de tous les pouvoirs, plutôt qu’une république où chacun détient une parcelle du pouvoir. Il ne faut pas s’étonner que Francesco soutienne le point de vue exactement inverse, souhaitant réserver à l’oligarchie florentine un rôle dans les affaires publiques, comme sous Cosme et Laurent le Magnifique.
Le pape va se donner près d’une année de réflexion avant de prendre sa décision. Il sait qu’il ne peut confier la tâche de la réforme constitutionnelle qu’à un tout petit nombre d’hommes compétents, parmi lesquels, il y a le juriste de talent, Francesco, qui est rappelé à Florence. La commission de réforme constitutionnelle qui regroupe des membres de la Balie, se met au travail. Font ainsi partie du groupe de travail Malteo Piccolini, Francesco Guicciardini, Baccio Valori, Roberto Pucci, Agostino Dini, Roberto Acciaiuoli, Jacopo Gianfigliazzi , Matteo Strozzi, Pelle Ruccellai, Francesco Vettori, Gian-Francesco Ridolfi, Giuliano Capponi. On leur adjoint le gonfalonier alors en exercice, Gian-Francesco de Nobili.
Le 4 avril 1532, la Balie nomme, dans son propre sein une commission de douze citoyens pour réorganiser l’État. Le gonfalonier de justice et la Seigneurie sont supprimés. Alexandre de Médicis est déclaré duc perpétuel : il résidera dans le palais public. Il sera assisté de deux Conseils, l’un de 200 membres, pour expédier les demandes particulières et le second, de 48 membres, pris dans le sein du premier, qui va délibérer des lois, administrer les impôts et procéder aux nominations des magistrats mineurs d’administration et de justice sur la proposition du duc. Les 48 prennent le nom de Sénateurs et ils sont nommés à vie à l’instar des Conseillers. Les Sénateurs sont élus par les Conseillers, et ceux-ci sont choisis à mesure que les places deviennent vacantes par une commission de douze Sénateurs. L’ancienne distinction entre les Arts majeurs et mineurs, fondement de la constitution républicaine florentine, depuis trois siècles est abolie. Chaque citoyen devient apte, à égalité, à remplir les charges et les offices.
Quelle est la véritable contribution de Francesco dans ce projet qui ne correspond que partiellement à ses vues ? Il est probable qu’il a été mis en minorité à plusieurs reprises. Ses vues personnelles sur l’oligarchie florentines n’ont été que marginalement reprises. Il était l’un des membres des 12 : il devient l’un des 48, sans avoir aucune responsabilité opérationnelle car celui qui exerce tous les pouvoirs est désormais le duc. Il est probable que le cahier des charges de la réforme a été très précisément élaboré par le pape à Rome, avec une très étroite liberté de manœuvre de la commission de réforme constitutionnelle, qui a dû, très probablement, présenter, justifier, détailler chaque mesure auprès du pontife avant de les entériner.
Le retour en grâce de Guichardin: le conseiller le plus écouté du pape
Qu’importe ! Francesco a réussi dans sa tâche et le pape est satisfait. Francesco va pouvoir revenir au premier rang des conseillers du pape. L’empereur Charles Quint a entériné toutes les modifications institutionnelles et il a promis à Alexandre, de lui donner sa fille illégitime, Marguerite, alors âgée de dix ans : le régime monarchique, il connaît. Cependant, le climat s’est détérioré entre l’empereur et Clément VII : car la décision unilatérale de Charles Quint de rendre au duc de Ferrare, ses duchés de Modène et de Reggio, aux dépens de l’Etat pontifical a fortement déplu au pape. Le roi de France en a profité pour s’insinuer entre l’empereur et le pape, et il a proposé à Clément VII de marier l’héritière des Médicis, Catherine, avec le duc d’Orléans, Henri, frère cadet du dauphin, ce qui a donné lieu à de nouvelles frictions, qu’il est nécessaire d’aplanir. Clément VII doit rencontrer une nouvelle fois Charles Quint à Bologne, pour régler ses différends. Jacques Salviati, le cardinal Ippolito de Médicis et Francesco Guicciardini sont nommés commissaires pour négocier avec les agents de l’empereur. Cette fois-ci, Francesco fait partie des plus proches conseillers de Clément VII.
Le pape arrive à Bologne, accompagné de son fils Alexandre, le 8 décembre 1532 et l’empereur y fait son entrée le 13 décembre. Les plénipotentiaires parviennent à écarter les deux questions dangereuses sur lesquelles le pape ne voulait pas céder, celle de la convocation du concile et celle du mariage de Catherine de Médicis, la petite-nièce de Clément VII. En revanche, ils ne réussissent pas à faire revenir l’empereur sur la question des duchés de Modène et de Reggio et ils sont obligés de céder sur la question fondamentale, pour Charles Quint, celle de fournir une contribution monétaire et en contingent de soldats à répartir entre chacune des principautés italiennes, pour lutter contre les Turcs.
Le pape est néanmoins très content des performances de Francesco : Jacques Salviati est non seulement un parent par alliance, mais de plus un ami et il a parlé de Francesco en termes très favorables. Le pape attribue alors par un bref spécial de nombreux privilèges pour Francesco et sa famille. Il a compris comment s’assurer les compétences de cet administrateur et diplomate hors pair.
Le pape lui demande bientôt de l’accompagner à Marseille où il doit rencontrer le roi François 1er pour organiser le mariage de Catherine de Médicis et du prince Henri d’Orléans.
Francesco n’aime guère les Français qui n’ont jamais respecté leur parole à l’égard de la république de Florence et qui l’ont spolié de Pise que la ville a mis plus de dix ans à reconquérir. Mais il fait taire ses critiques. Le 4 octobre 1533, le pape fait son entrée à Marseille. Le mariage de Catherine de Médicis a lieu le 13 octobre et le pape repart pour Rome le 12 novembre. Francesco, lui, a dû revenir précipitamment à Bologne où un certain Sacchi s’est soulevé contre l’autorité du pape.
Le pape a, en effet, un urgent besoin d’argent et il escompte des ressources importantes de la plus riche province de l’Etat pontifical. Mais la guerre, permanente depuis trente ans, a ruiné la province, comme d’ailleurs toute l’Italie, autrefois si prospère. Il a donc demandé à Francesco d’imposer une taxe de 18 000 florins à répartir au taux d’un florin par famille.
C’est la première fois qu’un laïc est nommé gouverneur à Bologne : la ville y a vu une déchéance, par rapport aux évêques et cardinaux précédents. Le peuple de Bologne vit dans une insécurité permanente et il a tourné toute sa haine contre Francesco, qui a réussi à éviter une tentative d’assassinat, au mois de novembre 1532. Un certain Camille Sacchi, personnage influent, décide de battre la montagne avec ses soudards. Une répression terrible va s’abattre. Francesco a fait appel à un capitaine d’une bande qu’il a déjà utilisée en Romagne, cinq ans plus tôt. Les trois cents hommes du condottiere brûlent Sacchi dans sa maison, ses compagnons étant égorgés ou faits prisonniers et pendus. Toutes les résistances cessent. Un calme précaire s’ensuit. Mais la ville a compris qu’il ne faut pas prendre à la légère ce laïc. Il n’y aura plus d’insurrection après cette démonstration de force.
Pendant les années qui suivent, Francesco parvient à rétablir l’ordre à Bologne et, par une gestion administrative habile, à retrouver une certaine opulence économique. Le pape recourt de plus en plus souvent à lui pour résoudre les conflits frontaliers, tandis que la santé de Clément VII, commence à décliner.
Francesco entretient une volumineuse correspondance avec tous ses amis à Florence. Il est tenu étroitement informé de tout ce qui s’y passe. C’est sans surprise qu’il a appris qu’Alexandre s’est rapidement coupé de tous ses conseillers, qui, rabroués par son méchant caractère, l’ont laissé à lui-même. Clément VII est revenu de ses anciennes préventions sur son serviteur dont il a pu apprécier à leur juste valeur les compétences et la fidélité. Sentant que sa santé commence à décliner et soucieux d’aider son fils à Florence, il recommande à Alexandre de s’appuyer sur Francesco, avec lequel le duc va entretenir une correspondance.
Clément VII meurt le 25 septembre 1534. Francesco va rester à son poste à Bologne, pour maintenir l’ordre, tant qu’un nouveau pape n’a pas été nommé. Le 16 octobre, il apprend l’élection du cardinal Farnese, sous le nom de Paul III.
Ce dernier est un ennemi juré des Médicis. Il ne peut laisser à Bologne un serviteur laïc, qui n’a dû sa nomination qu’à une faveur particulière. Francesco est démis de ses fonctions et il annonce un mois plus tard, son prochain départ.
Le plus proche conseiller du duc de Toscane Alexandre de Médicis
Il revient à Florence où il se met immédiatement au service d’Alexandre de Médicis, en reprenant ses fonctions au sein du conseil des 48.
La tyrannie et la défiance universelle du jeune duc ont excité le mécontentement unanime. Son entourage immédiat, le chancelier Maurizio et l’évêque de Scesi notamment, est totalement corrompu et sème les injustices.
Alexandre accumule les débauches et les outrages au commun des citoyens. Personne n’est à l’abri de ses insultes et de ses outrages. Pas mêmes les chefs mêmes du parti des Médicis, les principaux Palleschi, ceux qui ont le plus contribué à établir le nouveau duc. Luisa Strozzi, la femme de Luigi di Giuliano Capponi, a été un moment l’objet de ses convoitises : elle est morte, subitement empoisonnée par sa famille, qui voulait la soustraire au déshonneur. L’humeur altière des frères de cette jeune femme, les fils de Filippo Strozzi, ne pouvant s’accommoder des caprices injurieux du jeune duc, les a contraints à quitter Florence : deux d’entre eux sont partis se mettre au service de Catherine de Médicis en France.
La mort de Clément VII à Rome sonne la fin de l’influence politique des cardinaux parents du pape précédent, Ridolfi, Salviati, Gaddi et, bien entendu Ippolito de Médicis, lequel, privé de toute participation au pouvoir à Florence, s’est fait le chef des mécontents. Ces derniers portent le problème devant Paul III, qui les encourage à adresser leurs réclamations à l’empereur. Mais les mécontents, qui regroupent des factions hétérogènes, comme Philippe Strozzi le banquier, d’anciens Palleschi et de nombreux ex-membres du parti populaire, sont, pour certains d’entre eux, comme l’ex commissaire apostolique Valori, des ennemis personnels de Francesco, qui choisit, malgré le caractère détestable d’Alexandre, d’appuyer ce dernier, avec François Vettori, Roberto Acciaiuoli et Matteo Strozzi. Sans doute Francesco espère-t-il conquérir du galon et gouverner Florence pour le compte du duc qui a montré par ses débauches, une faible implication politique ?
Tandis que les exilés prennent la route de Rome où ils comptent s’arrêter avant d’aller à Naples, le duc Alexandre va frapper un grand coup politique. Le chef de ses ennemis politiques, le cardinal Ippolito, va être empoisonné à Itri, sur la route de Naples, d’ordre et pour compte d’Alexandre, alors qu’il se trouve attablé avec deux des principaux chefs de l’opposition, qui sont également assassinés. La parole d’un cardinal risquait d’avoir beaucoup plus de poids que celle d’exilés politiques. Alexandre fait ainsi coup double : il améliore considérablement ses chances dans la négociation qui va s’ouvrir et il élimine le plus dangereux de ses opposants.
Francesco a-t-il été informé au préalable du dessein du duc ? IL est probable que oui car le sujet est important et le scandale, énorme. En tout cas, cet assassinat rend tout retour en arrière impossible pour Francesco. Lorsque les conjurés présentent leurs doléances à l’empereur sur les outrages et les crimes commis par Alexandre, la réponse de Guicciardini est inhabituellement violente. Sans doute a-t-il subi de la part du duc, des pressions, pour qu’il n’en aille pas autrement ?
L’empereur qui revient de son expédition de Tunis (voir sur ce Blog les détails sur cette expédition dans l’article sur Barberousse, l’amiral de Soliman), est passablement ennuyé de cette histoire car Alexandre est son futur gendre. Il a décidé d’écouter les deux partis puis de prendre la décision qui collerait le plus à ses intérêts. Que valent les arguments d’une coterie d’exilés dont les compromissions passées sont naturellement suspectes aux yeux d’un monarque, au regard des intérêts d’un membre de la famille impériale ? D’autant que, sans se laisser entraîner à répondre sur le fond des attaques, Guicciardini a su, avec une grande habileté politique, les contourner.
En début d’année 1536, l’empereur confirme à Alexandre le titre de duc du Saint Empire, qu’il lui a déjà donné et il signe avec Alexandre le mariage par procuration avec sa fille naturelle, Marguerite, qui arrivera à Florence au début du mois de juillet. Afin de ne pas laisser les exilés repartir avec l’impression qu’ils n’ont pas été écoutés, il prononce une amnistie en faveur de tous les exilés politiques de Florence qui s’élevaient alors à près d’un millier de familles.
Francesco s’est attiré, grâce à cette négociation réussie, les faveurs d’Alexandre et de Charles Quint. Alexandre et lui accompagnent Charles Quint dans son expédition malheureuse de Provence, après avoir chassé l’armée française qui avait envahi le Piémont. Ils reviennent à Florence le 30 novembre 1536. L’homme fort du gouvernement florentin est alors le cardinal Cybo, le petit-fils du pape Innocent VIII, dont la mère est Marie Madeleine de Médicis, fille de Laurent le Magnifique. Le duc Alexandre est assassiné le 6 janvier 1537 par son cousin, Lorenzino de Médicis dans des conditions qui sont restées obscures.
Au service de Cosme de Médicis
Afin de se donner le temps de gérer la crise, le cardinal garde la nouvelle secrète pendant un jour entier, en mettant dans le secret ses principaux collaborateurs, dont Francesco qui est devenu le chef des Palleschi. Les principaux notables se réunissent en conférence : certains veulent rétablir la république. Mais ceux qui ont été compromis avec le duc Alexandre, parmi lesquels se trouvent Francesco, Vettori, Acciaiuoli et Matteo Strozzi, inclinent en faveur d’un successeur qui pourra les protéger de la vindicte des Florentins et des exilés politiques qui ne sont pas rentrés à Florence malgré l’amnistie. Le choix du successeur, dont le principal partisan sera Francesco, va se porter sur Cosme, le fils du condottiere Jean de Médicis des Bandes Noires, parent par alliance de Francesco.
« On avait élu parmi les principaux personnages de l’État, huit conseillers pour assister Cosme dans l’expédition des affaires. Guichardin en était le chef. Les autres furent Matteo Strozzi, Ruberto Acciaiuoli, Francesco Vettori, Matteo Niccolini, Giuliano Capponi, Jacopo Gianfigliazzi et Rafaello de Medicis, presque tous unis à lui par des liens de parenté ou de politique. Son frère Luigi , dont la vigueur était connue, passa du commissariat de Pise à celui de Pistoia » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist p 81)
Cosme est un jeune homme de dix-huit ans au moment où il accède au pouvoir. Francesco, fort de ses liens de parenté et qui a déjà plaidé en sa faveur, lors d’une contestation de son héritage, croit qu’il va pouvoir facilement en imposer et donc contrôler le nouveau duc.
Mais ce dernier, une fois désigné, n’a pas d’autre urgence que de prendre ses distances à l’égard de ceux qui l’ont placé à la tête de l’Etat. Une circonstance imprévue va lui permettre d’affirmer son autorité. Tandis que le banquier Philippe Strozzi, usant de son énorme fortune et encouragé par la France, arme les exilés, les cardinaux « Salviati , Ridolfi et Gaddi se présentèrent à Florence, accompagnés de Valori. Ils voulaient modifier le gouvernement selon leurs vues ». Pendant que Francesco négocie pour les dissuader d’agir, Cosme en appelle aux Espagnols qui sont cantonnés non loin et il s’attache les soldats de Vitelli qui obligent les cardinaux à se retirer de Florence. Puis, Cosme engage des pourparlers avec l’envoyé de Charles Quint, Cifuentes. Font partie des négociateurs florentins, « les diplomates florentins Guichardin, Acciaiuoli, Vettori, Matteo Strozzi, les quatre inséparables membres de toutes les commissions d’une part, et Jean Corsi et Ottaviano de Médicis, d’autre part, choisis par le duc » qui marque ainsi sa distance par rapport aux négociateurs autoproclamés.
La mission de Cifuentes est double : il doit évaluer le parti avec lequel il est le plus intéressant, pour l’empereur, de traiter et aboutir à un accord sur la fille de Charles Quint, Marguerite, que Cosme se proposait d’épouser.
« Le 24 juin 1537, l’accord fut conclu. Cosme rendait à l’empereur sa fille destinée à un Farnèse, petit-fils du pape, il épousait Eléonore de Tolède, fille du vice-roi de Naples, et recevait garnison dans la citadelle de Florence et dans Livourne. A ce prix, la succession d’Alexandre lui était confirmée. Le doute n’était pas permis. En abaissant Cosme par son mariage, presque au rang de ses sujets, en occupant militairement ses Etats, l’empereur achevait d’acquérir cette domination si disputée de l’Italie, et n’avait plus à redouter les vieilles sympathies de Florence pour les Français » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist p 82).
Une circonstance va permettre de régler d’un seul coup l’opposition maladroite des exilés politiques au nouveau duc, Cosme 1er de Toscane. L’armée des exilés s’étant rapprochée imprudemment de Florence, Cosme, à la tête des bandes de Vitelli, les surprend au petit matin et les écrase, capturant d’un seul coup tous les chefs présents de la conspiration, dont le richissime banquier, Philippe Strozzi (voir sur ce Blog l’article sur les conditions de cette bataille de Montemurlo sur Le fastueux banquier des papes Médicis, Philippe Strozzi).
Les principaux chefs sont torturés, condamnés à mort et exécutés le 21 septembre 1537 et Philippe Strozzi, qui avait espéré un moment négocier sa libération, finit par se suicider l’année suivante, pour échapper aux séances de torture répétées.
Francesco, qui constate que son influence commence à décroître, n’a pris aucune part dans ces événements, quoiqu’il soit toujours régulièrement consulté par le duc. Le 30 septembre, il reçoit la nouvelle de la ratification par Charles Quint, du traité négocié avec Cifuentes. Dès lors, le caractère de Cosme se révèle au grand jour. Tous les acteurs de l’élévation de Cosme sont relégués au second rang ou écartés définitivement.
« Le cardinal Cybo qui avait essayé d’imposer au nouveau duc des conditions onéreuses, et qui ne cachait pas son affection pour Giulio, le bâtard d’Alexandre, enfant dont il était le tuteur, fut éloigné au bout de quelques années. Il en fut de même de Vitelli dont on oublia les services pour ne se souvenir que de son arrogance et de son avidité. Les autres sénateurs influents perdirent la direction des affaires, et, quoique traités avec déférence, tombèrent dans une demie disgrâce. Roberto Acciaiuoli et Matteo Strozzi terminèrent obscurément leur vie vers 1540. Vettori, ami intime de Filippo Strozzi, plein de douleur et blâmant la politique du nouveau duc qui se livrait à l’empereur, se retira dans sa maison, et n’en sortit point jusqu’au moment de sa mort, arrivée en 1539. Guichardin était dans le même cas : suspect de désapprouver la conduite de Cosme, voyant d’ailleurs détruites les espérances qu’il avait si longtemps caressées, il passa ses dernières années dans ses maisons de campagne, surtout à Arcetri, occupé à la composition de sa grande Histoire d’Italie » (Guichardin, historien et homme d’état italien au XVIe siècle par Louis Eugène Benoist p 88).
Guichardin l’écrivain
Depuis toujours Francesco Guicciardini s’est passionné pour l’écriture, notamment de sa correspondance et de ses discours, qui a occupé une grande partie de son temps. Il va profiter de sa première mise à la retraite, de 1527 à1529, pour mettre en forme une grande partie de ses travaux antérieurs, dans des publications, suivant en cela l’exemple de son ami et correspondant Niccolo Machiavelli (voir sur ce Blog les deux articles Niccolo Machiavel, une œuvre qui a bouleversé le monde et L’ombre de César Borgia sur le Prince de Machiavel). Après 1530, il compose ce qui sera la grande œuvre de sa vie, son Histoire d’Italie, qui sera à la base de toutes les études historiques sur l’étude de la renaissance italienne.
Il publie notamment ses Considérations sur les discours de Machiavel, en réaction à l’édition de l’ouvrage de son contemporain et ami sur les discours de Tite-Live. Les Riccordi politici et civili, qui viennent ensuite, sont une compilation de sentences et observations émaillant des discours ou des courriers rédigés en 1525, 1528, 1529, 1530 et 1531. Ces Riccordi expriment la quintessence des vues de Guichardin, sur la politique, en énonçant des sentences qui témoignent d’une pratique assidue des affaires, mais qui n’ont pas une portée philosophique véritable, ni un lien étroit qui les unisse comme chez Machiavel.
Le dialogue en deux livres, intitulé « del Reggimento di Firenze » est l’oeuvre politique la plus considérable de Guicciardini : cet ouvrage a été probablement composé entre 1527 et 1529, alors qu’il se trouve dégagé de ses obligations à l’égard du pape et exclu de la participation au pouvoir à Florence.
Les treize « discours politiques » publiés, reprennent divers discours sans lien entre eux, rédigés à des périodes distinctes de la vie de Guicciardini, à partir de 1507.
Les « Discorsi interno alla mutaziani e reforme » sont, pour les premiers, des études personnelles de l’auteur sur les questions que faisait naître de son temps, l’état de Florence et, pour les derniers, des mémoires adressés directement à ceux qui gouvernaient alors la cité, pour conseiller et diriger leur conduite.
L’histoire de Florence depuis le tumulte des Ciompi jusqu’à la bataille de la Ghiara d’Adda (1378-1509) a sans doute été rédigée entre 1509 et 1510, alors qu’il était encore avocat du chapitre de Saint-Laurent.
L’Histoire Générale d’Italie, ouvrage capital de Guichardin, nous est parvenue avec des altérations nombreuses, et n’a pas été imprimée du vivant de l’auteur. Il est publié pour les seize premiers livres, en 1561 et pour la quatre derniers, en 1564. Il semble avoir été rédigé, pour l’essentiel, de 1530 à 1534 et terminé après sa mise à la retraite par Cosme, à partir de 1537.
Dans les dernières années de sa vie, Guicciardini, quoique retraité des affaires publiques, continue à s’impliquer en sa qualité de sénateur, dans la politique florentine.
Il s’éteint dans sa résidence favorite d’Arcetri, le 22 mai 1540.
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[i] Cet article sur la vie de Francesco Guicciardini ou François Guichardin, est issu de l’ouvrage de Louis Eugène Benoist « Guichardin, Historien et homme d’Etat italien du XVIème siècle », Paris 1862, livre Google Book.
[ii] Voir à ce sujet « l’Histoire des républiques italiennes du moyen-âge », Volume 3 par Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi, Livre Google Books. Dante et le père de Pétrarque feront ainsi partie de ces guelfes blancs exilés de Florence.
[iii] La création de la seigneurie de Florence, en 1282, résulte d’une révolution populaire qui porte la bourgeoise guelfe au pouvoir. Le nom de Seigneurie résulte sans doute de la déshérence de l’ancienne seigneurie de Charles 1er d’Anjou, le frère du roi de France Louis IX (Saint-Louis), roi de Sicile et auquel la ville de Florence s’était offerte pour faire cesser la guerre civile : au cours des « vêpres siciliennes », en 1282, tous les Français présents en Sicile sont massacrés. Les deux événements en Sicile et à Florence sont sans doute disjoints mais ils se produisent à la suite d’un affaiblissement général de Charles d’Anjou, qui n’exerce plus aucun pouvoir à Florence depuis plusieurs années déjà. En 1293, la charge de Gonfalonier de Justice est créée : il doit être choisi, à tour de rôle dans tous les quartiers de la ville et il est élu pour deux mois. Il est le podestat de Florence pendant deux mois. Les Gibelins sont alors exclus définitivement de toute participation aux affaires publiques et contraints, pour pouvoir y prétendre, à changer leur nom. Le Gonfalonier est assisté par une milice, recrutée parmi la population de la ville, de mille personnes en 1293, qui sera progressivement portée à quatre mille personnes. A l’occasion de l’élimination des Gibelins de l’accès au pouvoir, la république de Florence crée le titre de Chevalier, assorti de quelques avantages pécuniaires, pour récompenser des citoyens méritants. (Sismonde de Sismondi opus déjà cité pages 51 et précédentes).
[iv] Les arrabiati sont une ancienne faction associée au pouvoir par les Médicis, qui cherchent surtout à conserver à leur profit exclusif, les charges officielles les plus rémunératrices. Ces « enragés » corrompus, ont pour but essentiel de préserver leurs intérêts propres.
[v] L’enseignement du droit commençait alors par les « Institutes », qui permettaient aux étudiants, l’apprentissage du droit romain. C’est à l’empereur byzantin Justinien que l’on doit la réunion, à partir de 533, de l’ensemble des textes latins dans un ensemble cohérent. Le « Code Justinien », est un recueil des principales lois romaines, qui avaient beaucoup évolué au cours des mille années précédentes et qui sont mises en ordre et adaptées à la religion chrétienne. La commission réunie par Justinien s’attèle ensuite au « Digeste » parfois dénommés les « Pandectes », une compilation des principales jurisprudences romaines, qui aboutit à la rédaction de cinquante livres sur les divers sujets du droit romain, qui constitueront, plus tard, le fondement de notre droit civil. L’adoption du droit romain, à partir du XIème siècle, va se faire non pas à partir des textes latins, mais à partir du code de Justinien, qui avait été adapté à la religion chrétienne.
[vi] Philippo Decio est l’un des plus célèbres jurisconsultes de la Renaissance italienne. Après avoir eu Guicciardini comme élève à Florence, il va l’accueillir dans sa propre maison à Padoue, pendant deux ans, signe de l’intérêt qu’il porte aux remarquables dispositions de son protégé. Les « Consilia » de Decio, vont être réédités à de multiples reprises et servir à de nombreuses générations d’étudiants. Le plus célèbre des jurisconsultes de Padoue, reçoit, au moment du passage de Guicciardini à Padoue, le salaire monumental de 600 ducats d’or, qui est sans doute la plus forte rémunération d’un enseignant à l’époque (salaires moyens entre 80 et 150 ducats par an). Encyclopédie Treccani.it article Philippo Decio.
[vii] La perte de la ville de Pise que les Florentins mettront plus de dix ans à reconquérir et pour laquelle ils dépenseront plus d’un million de ducats, résulte d’une traîtrise de Charles VIII, qui, s’étant vu remettre, en dépôt, en garantie de la neutralité de Florence, la ville de Pise, par Pierre de Médicis (lequel pour cette action, sera chassé de Florence), va accorder leur indépendance aux Pisans, au mépris de toutes les lois internationales.
[viii] Pour ce qui concerne le chapitre de Florence, il s’agit sans doute de celui du Dôme, le toit de la prestigieuse cathédrale, élevé par Brunelleschi soixante-dix ans plus tôt (voir sur ce Blog l’article sur La renaissance de l’architecture : Brunelleschi et le dôme de Florence). Quant à l’Ordre des Camaldules, il est, depuis 1187, une branche autonome de l’Ordre des Bénédictins. A Florence, il est représenté, depuis le treizième siècle, par le Couvent Sainte-Marie-des-Anges, situé en centre-ville, mais entouré d’un grand parc dans lequel les moines faisaient pousser des arbres fruitiers et notamment, des orangers. Les Camaldules s’astreignaient à des règles sévères d’ascétisme. Voir sur ce sujet, l’article sur Érémitisme et «inurbamento» dans l’ordre camaldule à la fin du Moyen Âge par Cécile Caby, paru dans la Revue Médiévales Année 1995 Volume 14 Numéro 28 pp. 79-92 et publié sur le site PERSEE.
[ix] Le lecteur pourra s’étonner que, né en 1482, il lui soit nécessaire d’obtenir une dispense d’âge pour une mission publique où l’âge requis est de 29 ans, alors qu’en 1512, il est censé proche de trente ans. Ceci s’explique en raison du caractère particulier du calendrier florentin qui suivait le calendrier Julien, l’année commençant, à Florence, le 25 mars. Né, selon nos critères, en 1482, il n’avait en réalité, pas encore 29 ans, selon le calendrier florentin, mais il les aurait au cours de sa mission, ce qui est de nature à expliquer sa nomination.
[x] La charge d’avocat consistorial est un droit exclusif, reconnu à certains avocats, de défendre et plaider certaines causes, au sein du consistoire. Le consistoire est l’assemblée des cardinaux, présidée par le pape. Il y a deux sortes de consistoire : le public et le secret. Le consistoire public est l’assemblée dans laquelle le pape reçoit les princes et les ambassadeurs. Le consistoire secret est l’assemblée par laquelle le pape pourvoit aux églises vacantes : il se tient dans la « camera papae galli » ou chambres des papes-gai. (Dictionnaire de droit canonique, et de pratique bénéficiale …, Volume 2 par M. Durand de Maillane pages 118 et suivantes Livre Google books.
[xi] Jean des Bandes Noires, le fils de Caterina Sforza et Giovanni de Médicis, né en 1498, a alors vingt-trois ans. Il a épousé Maria, fille de Jacopo Salviati,le cousin germain d’Alamanno Salviati dont la fille, Maria est devenue la femme de Francesco.
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