La puissance des Habsbourg s’est faite en cinquante ans. C’est une conquête sans violence qui a transformé l’Europe en profondeur en préfigurant les Etats modernes. Elle est le produit d’une prudente politique matrimoniale élaborée par les ducs de Bourgogne et qui s’est transmise par les femmes aux archiducs d’Autriche, Empereurs du Saint Empire Romain Germanique.
Parallèlement, l’Espagne des rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon a osé réaliser son unité en provoquant un mouvement d’expansion continue qui fera de l’Espagne la première puissance mondiale au 16ème siècle. D’abord l’élimination du dernier royaume musulman, celui de Grenade, avec la reddition de Boabdil en 1492. Il y eut également la découverte des Amériques par Christophe Colomb, la même année, et la conquête de l’Amérique du sud au cours des trente ans qui suivirent.
Reddition de Grenade 1882 Francisco Pradilla Ortiz 1848-1921 Palacio del Senado de España 1882 Huile sur toile
A la suite de quels hasards dynastiques, tous ces Etats purent-ils être rassemblés dans les mêmes mains, moins de vingt cinq ans plus tard ?
Ceci s’explique par la conjonction des hasards des héritages dans une période de conflits continus avec la première puissance d’Europe, la France. La politique du roi Louis XI, pendant tout son règne, avait été de tenter de réduire la puissance des ducs de Bourgogne, qui, lentement mais sûrement, commençaient à établir une continuité territoriale depuis la Bourgogne jusqu’au nord de la Hollande actuelle, englobant les territoires des actuels Belgique et Pays-Bas et une fraction des provinces frontalières de la France et de l’Allemagne. La puissance de l’Etat bourguignon avait fait sentir ses nuisances cinquante ans auparavant, par l’alliance continue entre la laine anglaise et les draperies flamandes, alliance qui avait sapé la puissance française et failli entraîner sa chute. La Bourgogne se dressait donc en travers de toute politique d’expansion de la France.
Avec l’autorisation de Marco Zanoli Concepteur de cette carte (mzanoli@bluewin.ch)
Quand le dernier des ducs de Bourgogne, Charles le Téméraire, mourut près de Nancy, en voulant maintenir le trait d’union de cette Lorraine impériale avec ses Etats du nord, il laissa le duché entre les mains de son héritier, qui était en l’espèce, une héritière, Marie de Bourgogne. La capacité des femmes à hériter et à gouverner était reconnue de toute l’Europe, à l’exception de la France qui avait adopté la loi salique. Or la Bourgogne, était un apanage, c’est à dire une fraction du domaine royal laissée à un fils de France. Une doctrine s’était progressivement développée en France, conduisant à imposer le retour à la Couronne des apanages, à défaut d’héritier mâle. Cette doctrine n’était, on s’en doute, pas reconnue en Bourgogne.
Pour pallier à tout risque de résistance du duché, Louis XI, dès qu’il connut la mort de Charles le Téméraire, fit occuper militairement tous les territoires apanagés. La Bourgogne aurait-elle pu résister ? Les dernières campagnes de Charles le Téméraire contre les Suisses, inutiles et mal préparées, avaient compromis les finances du duché et la Bourgogne se résigna devant le fait accompli. La faute de Louis XI fut de ne pas marier la plus riche héritière d’Europe avec un prince français. Ce qui permit à l’Empereur Habsbourg du Saint Empire, de mettre la main sur tous ces territoires, en épousant Marie de Bourgogne. Pendant cinquante ans, la récupération de son cher duché de Bourgogne fut la revendication constante de Marie de Bourgogne, puis celle de son petit fils, Charles Quint, ce qui allait amorcer la grande rivalité entre François 1er et Charles Quint.
L’hostilité à la France devint le dénominateur commun de la politique matrimoniale de l’Empereur Maximilien 1er de Habsbourg. Notamment à la suite du mariage par procuration entre Maximilien et Anne de Bretagne, qui provoqua la réaction brutale d’Anne de Beaujeu, la rupture du mariage impérial entre Charles VIII et Marguerite d’Autriche, fille de Maximilien, élevée à la cour de France depuis ses trois ans. L’humiliation ressentie par Marguerite, une femme sensible et intelligente, de se voir renvoyée de la Cour de France, en fit une mortelle ennemie de la France. Une France qui cherchait à reconquérir ses frontières naturelles, source de sa puissance future.
Avec le rapprochement avec l’Espagne unifiée des rois catholiques, Maximilien prit une des décisions les plus lourdes de conséquence de son règne. Il maria sa fille Marguerite avec l’héritier de la Couronne de Castille, Jean de Trastamare et son fils Philippe le Beau, avec la fille des rois Catholiques, une très belle femme, Jeanne, qui malheureusement, tomba dans la folie et dut être internée. Jean de Trastamare mourut en 1497. Au décès d’Isabelle la Catholique en 1504, Jeanne fut désignée l’héritière des couronnes des Espagnes. Philippe de Habsbourg, son époux devint donc roi d’Espagne. A sa mort en 1506, ses enfants, Charles, Ferdinand et Eléonore, furent confiés par Maximilien, à la charge de Marguerite d’Autriche, qui avait été nommée Régente des anciennes possessions des Ducs de Bourgogne aux Pays Bas (Belgique et Hollande actuelles).
Isabelle la Catholique Oeuvre anonyme attribuée à Antonio del Rincon H 0,735 L 0,885 Huile sur toile Collection du Généralife Museo Casa de Los Tiros Alhambra Grenade .
Quand Charles décida de s’émanciper, poussé par certains conseillers comme Guillaume de Chièvres, en 1515, après la mort en 1516 de son grand-père, Ferdinand d’Aragon, il prit très habilement et conjointement avec sa mère, Jeanne, dont la folie et l’internement ne lui permettaient pas de s’y opposer, le titre de Roi des Espagnes. Ce petit coup d’Etat fit de Charles 1er d’Espagne le seul souverain de Castille, dans l’attente de recueillir l’héritage d’Aragon après la mort de son grand-père Ferdinand. Il devrait à cette occasion prendre également le titre de Roi de Naples et de Sicile, un royaume qui était passé sous le contrôle de l’Aragon, un peu moins d’un siècle auparavant.
Il paracheva son élévation, en héritant, en 1519, de son grand-père, Maximilien, des territoires de l”archi-duché d’Autriche et en postulant victorieusement, contre François 1er, à l’élection impériale en 1519. Il prit alors le nom de Charles V. L’Empire avait alors une autorité théorique sur l’Italie du nord.
Couronnement de Charles Quint d’après Gaspard de Crayer (1584-1669) Musée Ingres. Ecole flamande Huile sur toile H 0,164 L 0,220 Crédit photographique © Roumagnac Inventaire n°MID.885.9 Montauban.
L’Empereur contrôlait toute l’Europe continentale et les Amériques. La rivalité entre le royaume le plus riche, la France et le plus puissant, l’Espagne, allait alimenter pendant trente cinq ans la grande rivalité entre François 1er et Charles Quint.
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Les notes de bas de page suivantes, présentent les sources des vignettes figurant dans le tableau de la généalogie simplifiée ci-dessus. Il s’agit du reste moins d’une généalogie que d’une présentation didactique permettant de comprendre les sources de la puissance de Charles Quint et des Habsbourg.
1) Ferdinand II d’Aragon (1452-1516) Ecole flamande Anonyme Copie d’un tableau attribué à Michiel Sittow de la Windsor Collection Huile sur bois H 0,29 L 0, 22 autour de 1490-1500. N° d’inventaire Inv.830 Kunsthistorisches Museum Wien, Gemäldegalerie
Isabelle 1ére la Catholique, reine de Castille , attribuée à Antonio del Rincon H 0,735 L 0,885 Huile sur toile Collection du Généralife Museo Casa de Los Tiros Alhambra Grenade.
2) Charles Le Téméraire, Duc de Bourgogne, Peinture de 1460 par Rogier van der Weyden Huile sur bois H 0,510 L 0,337, Inventaire NR 545 4390 Crédit Photographique bpk / Gemäldegalerie, SMB / Jörg P. Anders, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin.
Isabelle de Bourbon, Portrait d’Isabelle de Bourbon, seconde femme de Charles le Téméraire, morte en 1465 Ecole flamande Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d’Henripret huile sur bois Dim 0,42 0,3 Lille, musée de l’Hospice Comtesse Inv.P.1527.
3) Frédéric III, Empereur (1415-1493) par Burgkmair, Hans le vieux (1473-1531) Huile sur bois H 0,78.5 L 0,51.5 cm, d’après un tableau original perdu datant de 1468 Inv.-Nr. GG_4398 Kunsthistorisches Museum Wien, Gemäldegalerie.
Aliénor du Portugal, Impératrice, de Burgkmaier Thomas (1444-1523) (d’après) Ecole Flamande Crédit photo (C) BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Jürgen Karpinski huile sur bois H 0,315 L 0,200 Inventaire n° 838C Allemagne, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemäldegalerie Alte Meister.
4) Maximilien 1er, Empereur, par Albrecht Dürer (1471-1528) daté 1519 Huile sur bois H 0,740 m L 0,615 n° d’Inventaire GG 825 Kunsthistorisches Museum Vienne.
Marie de Bourgogne (1457-1482), vers 1490 Michael Pacher 1435-1498. Huile sur bois H 0,475 L 0,138 Photo Web Gallery of art Heinz Kisters Collection Kreuzlingen
5) Philippe Le Beau, roi de Castille Tryptique de Zierikzee par le Maitre d’Affligem, appelé également le Maître de la Vie de Joseph Ecole des Pays-Bas méridionaux, Bruxelles Volet gauche du triptyque portant à l’ Avers le Portrait de Philippe le Beau 1478-1506 et au revers celui de Saint Liévin (entre 1495 et 1506) — Inv. 2405 Provient de l’abbaye bénédictine d’Affligem, Hekelgem. Crédit photo: F. Maes (MRBAB) Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
Jeanne la folle, Tryptique de Zierikzee par le Maitre d’Affligem, appelé également le Maître de la Vie de Joseph Ecole des Pays-Bas méridionaux, Bruxelles Volet droit du triptyque portant à l’ Avers le Portrait de Jeanne la folle 1482-1555 et au revers celui de Saint Martin — Inv. 2406 Provient de l’abbaye bénédictine d’Affligem, Hekelgem. Crédit photo: F. Maes (MRBAB) Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles.
6) Marguerite d’Autriche, Vers 1490 Hey Jean (actif vers 1480-1500), dit le Maître de Moulins (C) The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image huile sur bois Dim H 0,327 L 0,230 Etats-Unis, New-York, The Metropolitan Museum of Art Inv 1975.1.130.
7) Catherine d’Aragon, par Michiel Sittow 1468 – 1525/1526, Huile sur bois H 0,350 L 0,265 Inv.-N° GG 70 Kunsthistorisches Museum Wien, Gemäldegalerie. Tableau pouvant également désigner la soeur d’Henry VIII, d’après la notice du musée, Mary Tudor, qui a épousé le Duc de Suffolk. Sittow a été appointé comme le peintre officiel de la cour d’Espagne, en concurrence avec Juan de Flandes avec lequel il signa quelques compositions religieuses. Sittow aurait passé deux ans en Angleterre entre 1503 et 1505. Ce tableau est également daté du début du XVIème siècle. Il est plus probable que le sujet représenté soit Catherine d’Aragon, qui, née en 1485, avait entre 18 et 20 ans alors que Mary Tudor, née en 1496, n’avait que 9 ans à la même époque.
Arthur Tudor, The Royal Collection at St. James Palace, Londres.
Henry VIII, en 1540 huile sur toile H 0,885 L 0,74,5 Hans Holbein Inventaire n°191 (1934.39) Galerie Borghese Rome.
8) Charles de Luxembourg, Juan Pantoja de la Cruz (1553-1608) en 1605 Museo Nacional del Prado , Madrid
Isabelle de Portugal, Le Titien 1548 Huile sur toile, H 0,117 xL 0,98 cm, Museo Nacional del Prado , Madrid
9) Ferdinand Empereur, Huile sur toile H 0,206 L 0,109 cm Inv.4386 par Bocksberger Johann Kunsthistorisches Museum Vienne.
Anne Jagellon, Anne Jagellon Reine de Hongrie et de Bohême Epouse de Ferdinand III par Hans Maler zu Schwaz (1490-1530) Peint en 1520 Hollande Collection privée
10) Eléonore de Habsbourg, 1498-1558, peint vers 1530 par Joos Van Cleve, Huile sur bois H 0,355 L 0,295 Inv.-Nr. GG_6079 Kunsthistorisches Museum Wien Gemäldegalerie. Lien www.skd.museum/en/ Un tableau très voisin de Joos van Cleve est enregistré à la Réunion des Musées Nationaux sous le n° d’inventaire MV 3120 et exposé au Musée National des Châteaux de Versailles et du Trianon.
François d’Angoulême, Roi de France JeanClouet 1475-1540 INV3256 Musée du Louvre.
11) Mary Tudor, Fille d’Henry VIII vers 1545 par Master John Huile sur bois H 0,711 L 0, 508 mm © National Portrait Gallery, London NPG 428.
12) Philippe II, Roi des Espagnes, par Sofonisba Anguissola 1530-1625 Tableau de 1565 Huile sur toile H 0,88 L 0,72 Inventaire n° P01036 Musée National du Prado.
Marie Manuelle de Portugal, épouse de Philippe II 1527-1545 par Antonis Mor (1519-1575) peint entre 1550 et 1555 Monasterio de las Descalzas Reales.
Elisabeth de France, (1545-1568) Juan Pantoza de la Cruz (1553-1608) peint en 1605 Inventaire n°P01030 Huile sur toile H 0,12 L 0,84 Musée National du Prado
Nanou Dany a écrit
Très intéressant : apporte un excellent complément sur les raisons de la puissance de Charles V.