Georges d’Amboise fut un des très grands ministres de la France. Il consacra sa vie entière au service de Louis XII et à la grandeur de la France. Ministre intègre il fut également un réformateur avisé. Louis XII lui doit une grande partie de sa popularité. Il fut également avec la reconstruction du château de Gaillon, résidence d’été des archevêques de Rouen, l’un des tout premiers grands mécènes de la Renaissance. A l’exception d’une très belle bibliothèque qu’il légua en partie à l’Archevêché de Rouen, il ne semble pas s’être particulièrement enrichi durant sa vie de labeur pour la France.
L’Evêque de Cour
George d’Amboise est le huitième fils d’une famille de dix-sept enfants[i]. Son frère aîné, Charles 1er d’Amboise fit une carrière militaire et diplomatique au service du roi Louis XI et le fils de celui-ci, Charles II d’Amboise, le neveu donc de Georges d’Amboise, fit une carrière prestigieuse et fut maréchal et Amiral de France, Gouverneur de Gênes et de Milan et un grand mécène. Un de ses frères aînés, Emery, fut Grand Prieur de France et Grand Maître des Chevaliers de Rhodes[ii].
Il fut le cinquième des fils[iii] à embrasser la carrière ecclésiastique : l’un de ses frères fut Evêque de Langres, l’autre d’Albi, le troisième de Poitiers, le quatrième de Clermont et Abbé de Cluny.
Tous servirent les rois Charles VII et Louis XI.
Georges d’Amboise lui, naquit tardivement, en 1460, trente et un an après sa sœur aînée, Louise, née en 1429. Une génération le séparait de ses frères aînés. Il embrassa très tôt le parti du duc d’Orléans, futur Louis XII, auquel il fut fidèle toute sa vie.
Son père, Pierre d’Amboise était chambellan des rois Charles VII et Louis XI, c’est-à-dire le premier gentilhomme de la Chambre du Roi. Il avait épousé Anne de Bueil, la fille du Grand Maître des Arbalétriers un des grands Offices de la Couronne mais placé dans une fonction de subordination aux maréchaux et au Connétable[iv].
A l’âge de quatorze ans, Georges d’Amboise fut en concurrence pour l’élection du chapitre de l’Evêché de Montauban. Grâce à l’appui de son frère aîné, très influent à la Cour, le roi Louis XI soutint la candidature de Georges d’Amboise qui fut élu par le Chapitre. Le jeune Evêque fut dès lors introduit à la cour et nommé Aumônier du Roi. La cour n’était pas la meilleure école de l’apprentissage religieux mais elle permettait de se former à des disciplines bien utiles pour qui souhaitait s’engager dans des fonctions politiques : savoir parler à bon escient, apprendre à conserver des secrets, jauger ses interlocuteurs, interpréter les pensées du souverain, etc… Louis XI était un maître des plus méfiants et le jeune Evêque fut à bonne école. Sa charge d’Aumônier le plaçait à proximité du roi et sa fonction lui permettait d’ouvrir grand ses oreilles sans desserrer les lèvres. Il était en position d’approcher également toutes les personnes de la Cour.
Le conseiller du duc d’Orléans
Parmi ces dernières, il y avait le duc d’Orléans, premier prince du sang et cousin au 3ème degré du roi Louis XI, qui avait deux ans de moins que le jeune évêque. Le duc d’Orléans, qui était le petit-fils de Louis d’Orléans, frère de Charles VI, avait été promis à la fille du roi, dès la naissance de Jeanne de France, en 1464. Ce mariage avait été décidé pour rapprocher les liens entre les lignages aîné et cadet de la Couronne.
Le jeune Evêque de Montauban s’attacha alors au duc d’Orléans, qui, premier prince du sang, serait sans doute appelé à exercer la régence si le roi mourait avant que son fils, né en 1470, n’atteigne sa majorité. Louis d’Orléans, prince secret, trouva dans le jeune Evêque de Montauban une oreille attentive et toute acquise à ses intérêts. Très jeune, George d’Amboise se définissait ainsi comme un politique et un ambitieux.
A la mort du roi Louis XI le 30 Août 1483, la Couronne échut à son fils Charles VIII, lequel, bien qu’âgé de treize ans, la tête emplie de romans de chevalerie, n’était pas du tout mûr pour exercer le pouvoir. Louis XI craignait l’ambition dévorante du jeune duc d’Orléans, mais il ne pouvait tout de même pas laisser officiellement la régence à une femme: il choisit de ne pas choisir. Il intronisa sa fille aînée, Anne de France, tutrice de son frère Charles VIII. Anne avait épousé Pierre de Beaujeu, le fils cadet du duc de Bourbon, qui avait vingt-trois ans de plus que son épouse : un homme mûr, équilibré, d’une famille très puissante et qui s’était fait remarquer du souverain par ses qualités d’administrateur et de diplomate et une dévotion absolue à la Couronne. Anne elle-même était d’après son père, un tantinet misogyne : « la moins folle des filles de France car de sage, il n’y en a point ».
Louis XI avait bien compris, car il était de tradition en France que la Régence soit exercée par le premier prince du sang, qu’il ne pouvait pas confier la régence à sa fille. Pour organiser la stabilité du pouvoir, il confia la tête folle du dauphin Charles à sa sœur aînée, sachant que, celui qui gouvernait le roi, gouvernait le royaume.
Il compléta ces dispositions en faisant venir Louis d’Orléans dix mois avant sa mort et lui fit jurer sur sa « parole d’honneur et la damnation de son âme »[v], qu’il servirait le futur roi. Le duc dut également jurer qu’il ne réclamerait pas le « gouvernement de monseigneur le Dauphin » comme il en avait le droit en sa qualité de premier prince du sang.
Malgré ces promesses, Louis protesta contre la dérogation faite à l’Ordonnance de 1407[vi] et il réclama la tutelle pour la reine-mère, Charlotte de Savoie et pour lui, la présidence du Conseil du Roi. Mais la reine-mère meurt en décembre 1483.
Le duc d’Orléans trouve de très nombreux soutiens dans la noblesse, parmi les princes sévèrement bridés par le règne précédent. Ainsi de François II, duc de Bretagne, d’Alain d’Albret, de Philippe de Commynes, le chroniqueur du roi Louis XI, de Charles d’Angoulême, le cousin de Louis d’Orléans, du duc de Bourbon. Anne de France qui avait convoqué les princes et seigneurs du sang pour requérir leur avis, se rend bien compte du mouvement des princes qui tend à l’écarter. Elle réagit en faisant convoquer par son frère Charles VIII, les Etats Généraux et elle détache habilement le duc de Bourbon en lui promettant l’épée de Connétable de France. Les Etats éludent la question de la Régence en reprenant sur la suggestion d’Anne de Beaujeu les volontés du roi défunt. En l’absence du duc de Bourbon, retenu à Moulins par une crise de goutte et remplacé pour l’occasion par le Maréchal de Gié, les Etats ont décidé de confier la présidence du Conseil du roi à Pierre de Beaujeu.
La traversée du désert
Et ils décident de hâter le couronnement de Charles VIII, auquel Louis d’Orléans est invité. Il arme chevalier le jeune roi, ce dont ce dernier se souviendra. Car si Charles est roi, poursuit Jean Cluzel, c’est Anne qui tient les rênes du pouvoir. Louis s’en rend parfaitement compte et il va multiplier les conflits. Il utilise à cette fin le jeune Evêque de Montauban, qui, placé auprès du roi par sa charge, est en position d’influer positivement ce dernier en sa faveur, tout en le montant contre sa sœur Anne.
D’Amboise fut si efficace auprès de la tête légère de Charles VIII qu’il parvint à le persuader de se laisser enlever pour le « tirer du honteux esclavage en lequel le tenait la Dame de Beaujeu »[vii]. Mais le messager chargé de remettre la lettre des conjurés à Dunois, alla déposer celui-ci entre les mains d’Anne de France, laquelle fit immédiatement arrêter les Evêques de Montauban et de Périgueux et Philippe de Commynes.
Interrogé par des Commissaires du Roi, il répondit avec fermeté que ce qu’il avait fait, l’avait été par ordre du roi et qu’il s’en remettait à sa parole. Comment instruire dans ces conditions un procès ? On y renonça. Mais l’Evêque de Montauban resta emprisonné deux ans, la rigueur de sa détention variant selon l’état des relations entre Anne de Beaujeu et Louis d’Orléans. Sur l’intervention de son frère aîné, Louis 1er d’Amboise, Evêque d’Albi, Anne de Beaujeu accepta, sous la pression de Rome, de libérer les deux évêques lesquels furent assignés à résidence, en février 1489, dans leurs diocèses respectifs, avec interdiction de reparaître à la cour.
D’Amboise patienta quinze mois avant de convaincre Anne de Beaujeu de le laisser revenir à la cour, en mai 1490. Il fut appuyé dans cette démarche par Louis Malet de Graville, un des plus proches conseillers d’Anne de Beaujeu qui venait de le nommer à une charge très lucrative, celle d’Amiral de France. Amboise avait proposé à ce dernier de marier l’une de ses filles à Charles II de Chaumont d’Amboise, son neveu.
Louis Malet (1441/50-1516), seigneur de Graville, amiral en janvier 1487 Gouverneur de Paris en 1505 Ecole française Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot N° d’inventaire MV912 huile sur toile H 0,830 L 0,660 Versailles, Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
Le retour en grâce du Duc d’Orléans
Il retrouve à la cour sa charge d’Aumônier du roi. Reprend-il à ce moment ses efforts en vue de faire libérer son maître, Louis d’Orléans, capturé deux ans plus tôt, à la bataille de Saint Aubin en 1488 ? C’est probable.
Toujours est-il qu’un soir de juin 1491, Charles VIII, crée la surprise. Faisant croire qu’il part pour la chasse, il va à Bourges délivrer Louis d’Orléans tandis qu’Anne de Beaujeu est retenue à Moulins par une grossesse, celle de Suzanne de Bourbon. Le roi retrouve son beau-frère (l’époux de Jeanne de France) et il obtient le 4 septembre la signature d’un traité entre le duc d’Orléans et Pierre de Beaujeu, devenu duc de Bourbon après la mort de ses deux frères aînés, traité qui rétablit l’amitié et la concorde.
La mort en décembre 1491 du Comte de Dunois, favori du duc d’Orléans, laisse alors le champ libre à l’Evêque de Montauban qui devient le conseiller le plus écouté de Louis d’Orléans.
Le duc d’Orléans étant depuis lors, tenu en grande estime par le roi, fut nommé Gouverneur de Normandie. Son plus fidèle partisan en bénéficia. Le chapitre de Narbonne vint le trouver pour l’élire à l’Archevêché. Mais il préféra, à la demande du duc d’Orléans, se faire élire à l’Archevêché de Rouen auprès duquel le gouverneur de Normandie intrigua de mille manières pour faire élire son protégé. Il fut élu par acclamation le 21 août 1493. Mais les bulles papales de confirmation furent longues à venir car le Pape inclinait pour un autre bénéficiaire. Elles arrivèrent cependant dix mois plus tard. Dès la nomination d’Amboise, le duc d’Orléans en fit son lieutenant général en Normandie pour y gouverner la province à sa place.
Georges d’Amboise, Archevêque de Rouen par Antoine Louis Sergent vers 1788 Lithographie H 0,325 L 0,234 Crédit photo © Pierre GUENAT © musée des Beaux-Arts de Dole, 2004, © Direction des Musées de France, 2006.
Ayant remis de l’ordre dans la province en dix-huit mois, d’Amboise alla avec ses frères Jacques d’Amboise, abbé de Cluny et Emery d’Amboise, Grand Prieur de France et Chevalier de Rhodes, sur la terre de Gaillon, résidence d’été des archevêques de Rouen depuis 1262[viii] : ils décidèrent d’y édifier un château[ix] et une chapelle. Après être passé brièvement dans son diocèse de Montauban pour y désigner des responsables pour l’administrer en son absence, il partit accompagner le roi Charles VIII vers son expédition d’Italie.
La chapelle de Gaillon par Silvestre Israël (1621-1691) dessinateur Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Adrien Didierjean N° d’inventaire EST-S-20 Eau-forte H 0,156 L 0,310 Chantilly, musée Condé
La première guerre d’Italie
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Récit de la Première guerre d’Italie Video You Tube
L’armée se regroupa à Asti en Piémont. Là le duc d’Orléans tomba malade. Charles VIII qui prit alors la route de Naples, fit promettre à Louis d’Orléans de lui expédier sans tarder les renforts qui viendraient de France et de ne rien entreprendre contre le duc de Milan, Ludovic Sforza.
Le duc ne fit rien de ce que le roi lui avait demandé. Il attendit que les troupes expédiées en renfort fussent suffisantes pour son projet, puis il partit attaquer Novare, une ville importante du duché de Milan qu’il revendiquait comme le sien en sa qualité de petit fils de Valentine Visconti, l’héritière du duché[x]. Ludovic Le More ne douta pas que cette initiative du duc d’Orléans n’eût été approuvée préalablement par le roi de France. Il déserta donc immédiatement l’alliance avec la France pour rejoindre le parti des coalisés de la Ligue de Venise et il expédia son gendre, Galéas de Sanseverino, mettre le siège devant Novare où il enferma les sept à huit mille hommes de Louis d’Orléans.
Après la victoire de Fornoue, Charles VIII expédia le maréchal de Gié pour délivrer le duc d’Orléans. Ce dernier obtint par la négociation avec Ludovic Le More, un sauf-conduit pour Orléans. Revenu au camp de Charles VIII, le duc et d’Amboise s’efforcèrent de convaincre le roi d’engager une nouvelle rencontre avec les forces de la Ligue de Venise afin de capturer le duché de Milan. Mais Charles VIII, préféra négocier la paix de Verceil ce qui mit le comble à la fureur de Louis d’Orléans.
Le duc d’Orléans devient Louis XII
Quelque temps plus tard, le roi vint à buter contre une porte basse et mourut. Louis d’Orléans lui succéda sous le nom de Louis XII et il nomma immédiatement Georges d’Amboise son principal ministre. Amboise commença par célébrer les funérailles du roi défunt de façon très brillante et le sacre de Louis XII, par des fêtes plus somptueuses encore. Mais ce qui étonna ses contemporains, c’est qu’il le fit en puisant sur l’épargne du duc d’Orléans de sorte que le Trésor se vit épargné de ces dépenses. Tous les offices antérieurs furent reconduits. D’Amboise décida de baisser progressivement les recettes fiscales de la taille, d’un tiers en la ramenant aux trois-quarts de son niveau précédent. Il fit rétablir l’ordre en pourchassant les bandits qui pullulaient dans les campagnes. Il publia des ordonnances très sévères pour ramener à l’ordre les troupes et il veilla dès lors à ce que leur paye leur soit réglée ponctuellement.
Louis XII confirma par ailleurs un édit de 1497 instituant le Grand Conseil, pour soulager le Conseil du Roi des requêtes qui lui étaient adressées. Le Grand Conseil était un tribunal d’exception, présidé par le Chancelier de France et composé d’Officiers de justice (propriétaires de leurs charges). Les affaires impliquant un grand seigneur pouvaient, de droit, être présentées devant cette juridiction.
Louis XII, dès sa prise de fonction, eut le désir d’assurer sa descendance. Or, marié depuis 1476 avec Jeanne de France, la fille du roi Louis XI, il n’avait pas eu d’enfant. Il avait signé avec Anne de Bretagne un contrat engageant cette dernière à patienter un an pour rechercher un nouvel époux, dans l’attente de l’annulation de son mariage.
Le Cardinal d’Amboise Premier ministre
Il demanda à Georges d’Amboise de présider le tribunal chargée d’instruire le procès en annulation de son mariage avec Jeanne de France[xi] pendant que le Maréchal de Gié était chargé de négocier avec le Pape la question du remariage avec Anne de Bretagne. Le Pape Alexandre VI cherchait pour son fils Cesare Borgia qui souhaitait se démettre de sa robe de Cardinal, des honneurs de remplacement. Le roi lui offrit la seigneurie de Valentinois, qui fut détachée du patrimoine de Jehan de Saint-Vallier[xii] pour être offerte après transformation en duché, à Cesare Borgia. Il fut négocié en même temps, l’obtention du chapeau pour Georges d’Amboise qui fut désigné Cardinal par une promotion extraordinaire du 12 septembre 1498.
Georges d’Amboise, dit le cardinal d’Amboise (1460-1510) Cardinal et archevêque de Rouen à partir de 1498, premier ministre de Louis XII et mécène.Album Louis-Philippe Crédit photographique (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles N° d’inventaire LP8.96.1 burin (estampe), gravure sur bois, H 0,404 L 0,299 Versailles, Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
Entre 1498 et 1501, Amboise publia ses ordonnances de justice, destinées à lutter contre la prévarication des juges et à abréger la durée des procès. En 1499, la ville de Rouen lui réserva une entrée triomphale. Il y avait à Rouen un tribunal qui jugeait en dernier ressort des appels interjetés sur les jugements rendus et que l’on appelait l’Echiquier, peut-être parce que les juges se réunissaient dans une salle aux carreaux noirs et blancs. Ce tribunal se tenait deux fois l’an pour deux mois environ sans que ce délai ne soit suffisant pour traiter toutes les affaires en instance. On lui demanda d’obtenir l’accord du roi pour rendre permanent le fonctionnement de ce tribunal. Georges d’Amboise expédia les lettres d’Etablissement de cette nouvelle Compagnie dont la première audience solennelle fut ouverte par son frère Emery d’Amboise, Grand prieur de France et Chevalier de Rhodes, le 1er octobre 1499. Ce n’est qu’à partir du règne de François 1er que l’Echiquier prit le nom de Parlement de Rouen.
Lors des cérémonies du sacre, Louis XII s’était présenté comme roi de France et Duc de Milan. Une expédition fut programmée, dès le mariage avec Anne de Bretagne, célébré en grande pompe à Nantes pour conquérir le duché. L’armée fut confiée à Trivulce un condottiere milanais passé au service de la France qui conquit promptement la République de Gênes et le duché de Milan. Ludovic le More s’enfuit de Milan qui se déclara ville ouverte à l’arrivée des Français. Après s’être fait consacrer duc de Milan et avoir élevé Trivulce à la dignité de Maréchal de France et de vice-roi, Louis XII repartit pour la France.
Mais Trivulce commit de nombreuses exactions et il s’aliéna rapidement ses soutiens à Milan. Une révolte des Milanais l’en chassa promptement. En mars 1500, Ludovic le More ayant mis sur pied une seconde armée, composée de mercenaires suisses, reconquit le duché de Milan. Georges d’Amboise dépêcha alors son neveu Charles II de Chaumont d’Amboise et un cousin au 2ème degré, Louis II de la Trémouille[xiii], au secours de Trivulce. Milan fut repris et les troupes de Ludovic n’ayant pas été soldées, d’Amboise promit une grosse somme à ces derniers s’ils le quittaient et une somme plus grosse encore s’ils le livraient. Le duc fut capturé alors qu’il essayait de se dissimuler au milieu des Suisses qui se retiraient de la place deux par deux sous le regard acéré des capitaines français. Louis XII fit renvoyer Ludovic le More au Château de Loches pour y être incarcéré : il y mourra huit ans plus tard. Il désigna Chaumont d’Amboise, sur proposition de son ministre, en qualité de vice-roi de Milan. L’ordre fut promptement rétabli en Milanais.
Louis II de la Trémoille (1460-1525), fils de Louis Ier de la Trémoille et de Marguerite d’Amboise, vicomte de Thouars. Mort au combat à Pavie. Anonyme Ecole italienne Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda N° d’inventaire PE18 H 0,170 L 0,110 Chantilly, musée Condé
Il revint ensuite en France où il fut reçu avec des honneurs extraordinaires par Louis XII.
« El Gran Capitan »: la conquête et la perte de Naples
A peu de temps de là, Ferdinand d’Aragon, qui rêvait de reprendre Naples au bâtard de son aïeul, et qui y avait expédié en renfort son général Gonzalve de Cordoue, reçut de la part de Louis XII, la proposition de se partager le royaume de Naples : la part de Ferdinand, qui possédait déjà la Sicile, était la Pouille et la Calabre avec le titre de duché et celle de Louis XII, la province de Labour (Lavoro) (près de Garigliano, de Capoue et de Bénévent) et la ville de Naples avec le titre de Royaume.
Amboise monta une armée de deux mille hommes d’arme (cavaliers lourds), autant de chevau-légers et vingt mille hommes de pied qu’il avait placée sous le commandement du Maréchal Stuart d’Aubigny. Il avait également constitué une flotte de trente gros vaisseaux qui avait été confiée à Philippe de Clèves, comte de Ravenstein, le cousin germain de Louis XII, un petit-fils du duc de Bourgogne, Jean-sans-peur passé au service du roi de France après avoir tenté de déposer l’empereur Maximilien. Louis XII lui avait confié dix-huit mois auparavant, la charge de Gouverneur de Gênes, une tâche dont il s’était tiré avec honneur.
Quand l’armée française fut arrivée à Rome, les ambassadeurs des deux pays de France et d’Aragon, allèrent trouver Alexandre VI pour lui réclamer l’investiture du traité que le Pape aurait bien souhaité leur refuser nonobstant la présence de l’armée française.
Les Aragonais entrèrent rapidement en possession de leurs territoires. Le premier assaut de l’armée française fut pour Capoue dont les treize mille défenseurs offrirent une belle résistance. Mais la prise de la ville, le sac deux jours durant et la totalité des défenseurs passés au fil de l’épée, suscitèrent un tel effroi que toutes les villes du royaume s’ouvrirent plus ou moins spontanément à l’avance des troupes françaises. Le roi de Naples fit proposer à Bérault Stuart d’Aubigny de lui donner tout le royaume, sous condition de rester six mois en l’île d’Ischia, et, au terme de ce délai, d’être libre de partir où il voudrait. D’Aubigny fut si heureux d’en terminer si promptement qu’il accepta le traité sans en référer préalablement à Amboise à Milan, faute qui ne fut pas sans conséquence.
Amboise ordonna immédiatement à Ravenstein de se présenter devant Ischia, sans contresigner le Traité, d’enlever le roi de Naples et le ramener prisonnier en France. Frédéric obtempéra et fut reçu en France davantage comme un roi ami qu’un prisonnier. Louis XII lui constitua une résidence en Touraine, le nomma Comte du Maine avec une pension de trente mille écus par an sur le duché d’Anjou, sa vie durant[xiv]. Il mourut à Tours quelques années plus tard.
Puis d’Amboise, sur l’invitation de l’Empereur Maximilien, engagea une négociation à Trente. Il fut reçu par l’Empereur avec des honneurs extraordinaires. Mais les négociations n’aboutirent pas et chacun se sépara sans avoir acquis d’avantage significatif.
Louis XII avait expédié le dernier des Comtes d’Armagnac, le duc de Nemours, avec le titre de roi de Naples. D’aubigny avait été rétrogradé sous Nemours par le Cardinal d’Amboise. L’armée française qui n’était plus approvisionnée par la flotte était minée par les maladies et les désertions. L’armée espagnole n’était pas en meilleur état. La paix fut donc signée et avis en fut communiqué à Gonzalve de Cordoue et au duc de Nemours.
Le Cardinal avait atteint son plus haut niveau de puissance et de renommée. Tout lui avait réussi. Le roi et son ministre furent reçus à Gênes et Milan avec des honneurs magnifiques, le ministre, seul derrière le roi, recevant à parts égales son lot de triomphes.
Fort de la signature de la paix et sans doute sur la suggestion de Ferdinand, Gonzalve de Cordoue (Cordoba) profita que la France soit en paix pour reconquérir une par une, en dix-huit mois, toutes les places fortes du royaume napolitain. D’aubigny, au lieu de se retrancher et d’attendre des secours, décida de livrer bataille à Séminara en Calabre, aux forces espagnoles de Leyva, lequel écrasa le contingent français. L’affaiblissement en résultant du camp français obligea en quelque sorte Nemours a tenter de battre Cordoba, une semaine plus tard avant qu’il ne réussisse à faire sa jonction avec les troupes de Leyva. Il poursuivit Cordoba lequel se retrancha à Cérisoles, derrière des fossés qu’il fit garnir d’arquebusiers. Sans écouter les conseils de prudence, Nemours chargea vers les fossés et fut tué parmi les premiers. Sa mort transforma cet affrontement en déroute.
Gonzalve de Cordoue regardant la dépouille de Louis d’Armagnac duc de Nemours par Frederico de Madrazo y Künzt Musée du Prado via Wikipedia Article Cerisoles Crédit photo
Dès que le royaume fut informé de ces deux défaites, les villes s’ouvrirent toute grandes aux Aragonais. Les châteaux, toujours garnis de Français furent soumis en peu de temps grâce à l’emploi de mines, une invention génoise, quelques vingt ans plus tôt.
Le roi et d’Amboise furent si irrités de la supercherie aragonaise qu’ils chassèrent les Ambassadeurs d’Aragon. Ils décidèrent de mettre sur pied trois armées dont deux devaient fondre sur l’Aragon, l’une par le golfe de Biscaye et l’autre par le Roussillon. La troisième, composée de mille six cents gents d’armes et dix-huit mille hommes de pied était placée sous le commandement de Louis II de la Trémouille.
Afin d’obtenir le soutien notamment logistique des princes italiens, Amboise parvint à trouver tous les accommodements. Mais Louis de la Trémouille tomba malade à Parme et le commandement de l’armée fut confié au Marquis Louis de Saluces, un ennemi de la veille, au grand étonnement des princes italiens.
L’armée approchait de Rome où elle devait faire sa jonction avec les forces de Cesare Borgia lorsque le Cardinal apprit la nouvelle fracassante : Alexandre VI venait de mourir.
L’élection Pontificale : Amboise candidat pour la Tiare
D’amboise aspirait depuis longtemps au Pontificat. Il avait pris pour devise le psaume : « Seigneur, ne souffrez point que je sois frustré de mon attente ».
Rome était alors livrée à un désordre total où les partisans de Cesare Borgia, des Orsini et des Colonna, s’affrontaient pour le contrôle de la rue. Les cardinaux exigèrent, avant d’entrer en conclave, que toutes les troupes de chacun des partis sortent de Rome. Amboise s’engagea à ce que les troupes françaises restent à six lieux de la ville. Il avait confiance dans le résultat de l’élection : il avait reçu onze promesses de suffrages et le cardinal Sforza ainsi que d’autres moindres partis, lui en avaient promis vingt-deux autres. Il était certain de devenir Pape.
Il s’enferma en conclave avec les autres cardinaux.
Les portes fermées, Amboise déchanta et il constata rapidement que les cardinaux ne songeaient nullement à lui comme Pape, non plus du reste qu’à son rival, le cardinal Della Rovere. Le discours dominant était de retenir un Pape indépendant des partis, qui pourrait s’appliquer à garantir la paix.
Il accepta donc de donner sa voix à François Picolomini, le vieux cardinal de Sienne, qui fut élu sous le nom de Pie III.
Son pontificat dura vingt-six jours. Ayant commis l’erreur d’autoriser le retour des différentes factions, Rome fut bientôt livrée à la soldatesque qui se mit à assassiner tous les ennemis politiques des divers partis.
Il fut décidé d’entrer à nouveau en conclave. Et de nouveau Cesare Borgia et le Cardinal Ascanio Sforza, firent miroiter à Amboise les voix de nombreux cardinaux. Mais dès que les portes furent refermées, les cardinaux choisirent par acclamation le cardinal della Rovere qui fut élu sous le nom de Jules II. D’Amboise félicita le nouveau Pape et lui demanda de poursuivre son amitié pour la France qui l’avait accueillie pendant cinq ans. Pour consoler Amboise, Jules lui confirma son poste de Légat en France et lui ajouta ceux d’Avignon et de Bretagne.
Le temps des défaites
Ces élections papales, en retenant l’armée française à proximité de Rome, lui avaient fait perdre un temps précieux. Ce qui avait laissé le temps à l’armée ennemie de se renforcer. D’autre part, le résultat des élections avait ôté à Amboise le soutien militaire promis par Cesare Borgia dont les troupes, non payées, s’étaient débandées. Les Orsini, attachés auparavant au service de la France, décidèrent alors que le moment était venu de choisir désormais celui de l’Espagne. Les Colonna quant à eux, étaient des partisans de l’Empereur.
Le Marquis de Saluces avait conduit jusqu’à présent fort sagement l’armée royale, évitant tout affrontement. Il dirigea ses troupes vers le Garigliano.
Le Chevalier Bayard défendant seul l’entrée d’un pont sur le Carigliano pour protéger la retraite française battue à Cerignola dans les Pouilles en 1505 par Philippoteaux Henri-Félix-Emmanuel (1815-1884) vers 1839 Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot N° d’inventaire MV5095 Huile sur toile H 1,110 L 1,360 Versailles, Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
Amboise qui était resté à Rome apprit toutes les mauvaises nouvelles d’un seul coup. L’armée commandée par le Maréchal de Rieux vint faire le siège de Salces. Mais cette forteresse résista plus d’un mois, laissant le temps aux secours d’arriver pour déloger l’armée française. La seconde armée, commandée par le maréchal de Gié et par le sire d’Albret qui devait assiéger Fontarabie, ne put surmonter ses divisions. La flotte, assemblée à grand frais, sans coordination avec les armées, avait brûlé un ou deux villages avant de venir s’embouquer dans le port de Marseille. Enfin, les troupes françaises avaient été défaites en une série de petits engagements au Garigliano par les Espagnols de Gonzalve de Cordoue.
Le Cardinal d’Amboise vit en quelques jours tout s’effondrer autour de lui. Le roi Louis XII son maître n’en fut pas moins affecté et il tomba très fortement malade alors qu’il était à Lyon, de sorte qu’on en vint à craindre pour sa vie. Amboise rentra en France pour constater que le Maréchal de Gié, un ministre rival avait pris beaucoup d’importance pendant son absence. Il n’eut de cesse de s’opposer à son rival qui, ayant commis l’imprudence de s’opposer à l’expédition par la reine de tous ses meubles en Bretagne, suscita de la part de celle-ci l’engagement d’une procédure pour crime de lèse-majesté qui aboutit à l’éloignement de celui-là pendant cinq ans.
Le temps de la diplomatie
La mort d’Isabelle la Catholique, survenue en 1504, changea le rapport de forces européen. Le roi d’Aragon se montra plus enclin à négocier car il fut davantage en opposition avec les seigneurs de Castille. Et Philippe le beau, roi de Castille commençait à engranger les dividendes de la politique matrimoniale de son père. A l’évidence, l’union des royaumes d’Aragon et de Castille créait un royaume très puissant au sud de la France. Si, par contre, le roi Ferdinand avait un fils, tout pouvait encore changer. Des discussions s’engagèrent donc entre Ferdinand et Amboise qui proposa la nièce de Louis XII, Germaine de Foix pour épouse. Elle était la fille de Jean de Foix, vicomte de Narbonne et de Marie d’Orléans la sœur de Louis XII. Ferdinand qui redoutait la puissance de la France, demandait que la dot de la mariée soit constituée des droits de la Couronne sur le royaume de Naples.
Germaine de Foix nièce de Louis XII 1490-1538 Anonyme Huile sur toile H 1,76 L 1,02 Musée des Beaux Arts de Valence Via Wikipedia Crédit photo Oronoz
Le cardinal d’Amboise précisa que la dot devait être réversible si le mariage ne produisait pas d’héritier mâle.
Peu après un autre mariage retint son attention : celui qu’il avait poussé en 1501, pour s’opposer au Maréchal de Gié, entre Claude de France et le duc de Luxembourg, qui s’annonçait de plus en plus comme l’héritier probable de tant de couronnes de part et d’autre de la France. Si le duc de Luxembourg venait à hériter en sus des biens de son épouse, Claude de France qui comprenaient notamment le duché de Bretagne, il ferait courir un péril mortel à la France. Le Maréchal de Gié avait par contre poussé au mariage entre Claude de France et François d’Angoulême, solution à laquelle Amboise finit par se ranger.
Un autre dessein entrait clairement en ligne de compte. Malgré deux mariages avec deux rois successifs, le destin du duché de Bretagne n’était pas encore clairement inclus dans celui de la France faute d’héritier mâle. Le mariage des deux jeunes prince et princesse laissait espérer que ce serait le cas plus tard.
D’Amboise comprit un peu tardivement le tort qui avait été le sien et il entreprit très progressivement, de ramener le roi à ses vues. Le problème était grave car outre le parti autrichien assez influent à la cour, le mariage étranger était soutenu par Anne de Bretagne qui y voyait le moyen de préserver l’indépendance de son duché et surtout, il faisait l’objet d’une promesse par traité. Ce dernier avait été signé par Louis XII, qui avait, pour sa deuxième campagne d’Italie, besoin du concours de l’Empire.
Amboise acquit assez rapidement le roi à ses vues et il lui fit comprendre la nécessité d’y aller prudemment pour lever progressivement les préventions des uns et des autres sans alerter l’Empereur. A quinze ans d’intervalle, ce serait la deuxième fois[xv] qu’un traité d’alliance prévoyant d’unir un fils ou une fille de France à l’Empire, serait rompu.
En accord avec Louis XII, il envoya des agents auprès des provinces, des villes, du clergé et de la noblesse parler en faveur du mariage français. La France était inquiète de l’absence d’héritier à la Couronne et la promesse d’un mariage entre la fille du roi et le prince héritier d’Angoulême était plutôt rassurante.
Aux Etats Généraux de Tours, le roi Louis XII fut proclamé le père du peuple et le Traité de Blois organisant le mariage entre Claude de France et le duc de Luxembourg fut annulé. A la demande des Etats, le roi offrit sa fille en fiançailles au jeune duc de Valois, François d’Angoulême.
Louis XII proclamé Père du Peuple aux états généraux tenus à Tours en 1506 Drölling Michel-Martin (1786-1851) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi N° d’inventaire RF1979-27 Huile sur bois H 0,590 L 0,890 Paris, musée du Louvre
L’Empereur et le roi de Castille furent courroucés, voyant dans ces Etats de Tours une simple comédie et ils décidèrent de s’armer en guerre. Mais ces promesses de revanche contre la France s’éteignirent brutalement avec la mort du roi Philippe de Castille, le fils de l’Empereur Maximilien et de Marie de Bourgogne, survenue quelques mois plus tard, le 25 septembre 1506.
En 1506 toujours, Amboise prit le parti du Pape qui souhaitait remettre la main sur la ville de Bologne qui avait conquis son indépendance un siècle plus tôt sur les Etats de l’Eglise. Il expédia son neveu, Chaumont d’Amboise pour y prêter la main.
La reprise en mains de Gênes, ville révoltée
La grande affaire de la fin de l’année 1506 fut la révolte populaire de Gênes contre la Noblesse de la ville. Philippe de Clèves, son gouverneur, proposa toutes les solutions possibles mais il ne fut pas écouté. Il finit par se retirer de la ville, laissée à l’anarchie. Alors le peuple nomma un duc et huit tribuns placés sous ses ordres. Des instructeurs français furent grassement payés pour former les milices à la guerre. Le premier objectif militaire, fut d’assaillir la forteresse de Monaco, place forte sur le chemin de la France, défendue par son seigneur, Lucien Grimaldi. Le siège dura quatre mois, laissant le temps à Amboise d’expédier une force de secours qui fit lever le siège aux assaillants épuisés. Ces derniers, outrés que le roi ait cherché à protéger les Nobles contre eux, s’en prirent désormais à tous les symboles de la présence française à Gênes et entamèrent le siège des garnisons françaises.
Amboise prépara soigneusement son expédition punitive en expédiant des ambassades pour prévenir tout soutien extérieur à la République révoltée. Il partit pour Gênes, y précédant le Roi, à la tête de seize mille fantassins, de deux mille hommes d’armes et d’une nombreuse artillerie.
La place fut conquise en deux jours. Après un massacre des leurs, les génois se livrèrent à la discrétion du Cardinal.
On fit attendre une semaine le peuple de Gênes. Puis dans une mise en scène soignée, le Cardinal, après avoir fait mine de consulter le roi, leur pardonna mais il supprima les libertés de la ville et condamna à mort les meneurs.
Les bourgeois de Gênes, habillés de noir et la tête rasée, implorent à genoux la grâce de Louis XII pour leur ville Jean Marot Le Voyage de Gênes en 1507 par Jean Bourdichon – Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Français 5091 BNF
Cette clémence fut saluée d’un bout à l’autre de l’Europe tant tous étaient convaincus que la ville de Gênes serait sévèrement punie.
La guerre contre Venise: la ligue de Cambrai
La présence d’une forte armée française en Italie, donna une grande frayeur au Pape Jules II. D’autant que le roi Ferdinand d’Aragon, vint rendre visite à Louis XII à Savone, près de Gênes sans que rien ne filtrât des entretiens. A tout hasard, il fit appel à l’Empereur qui promit de descendre en Italie. Mais Louis XII l’ayant assuré qu’il avait désarmé ses troupes, Jules II comprit qu’il s’était inutilement alarmé et il envoya dire à l’Empereur, de concert avec les Vénitiens, alors alliés de la France, que son déplacement était devenu inutile.
L’Empereur, indigné menaça d’envahir Venise. Comme les bruits couraient qu’il était en train de réunir une grande armée, Venise fit appel à Louis XII, lequel détacha Trivulce à la tête de six mille hommes. Quand l’Empereur parvint à la frontière vénitienne, il n’avait avec lui que sept mille hommes des milices, qui se débandèrent peu après et qui furent défaites, tour à tour par les Vénitiens et les Français. L’Empereur ayant demandé à négocier, Venise signa un traité séparé sans en informer ni Trivulce, ni Amboise, ni Louis XII.
Cette trêve qui était un véritable camouflet pour le royaume fut d’autant plus mal acceptée par Amboise que ce dernier avait des motifs personnels d’en vouloir à Venise qui s’était par deux fois défaussée de ses engagements pour l’élection du Pape. Il s’efforça de convaincre Louis XII qu’il fallait punir Venise. Il fut décidé de réunir une ligue de tous les Etats qui avaient eu à souffrir des empiètements de Venise au cours des cent dernières années. Tous les conseillers du Conseil du Roi furent de l’avis d’Amboise, à l’exception de l’Evêque de Paris, Etienne Poncher, qui soutint hardiment qu’il n’y avait aucun avantage à attendre ni du Pape qui haïssait la France, ni du roi d’Aragon qui l’avait déjà trahi ni de l’Empereur qui était l’ennemi traditionnel de la France et qu’au contraire Venise était l’allié objectif de la France en Italie car ses intérêts n’étaient ni en Milanais ni à Naples au rebours du Pape et du roi d’Aragon.
Mais d’Amboise avait résolu de faire la guerre aux Vénitiens et il organisa une vaste initiative diplomatique pour parvenir à ses fins sans alerter Venise. Résolu à garder le plus grand secret, Amboise alla à Cambrai négocier lui-même avec la Régente des Pays-Bas plénipotentiaire de l’Empereur sous prétexte de faire la paix entre la France et le Saint-Empire.
Carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
Le roi d’Aragon réclamait à Venise quelques villes sur la côte adriatique qui avaient été mises en gage contre le prêt de grosses sommes. Ferdinand trouvait que la Ligue serait un moyen pratique de recouvrer ces villes sans qu’il ne lui en coutât rien. L’Empereur songeait à récupérer des places dans le Frioul ainsi que les villes de Vérone, Padoue et Vicence. Le roi réclamait Crémone, Brescia et Bergame, villes du Milanais qu’il avait abandonnées aux Vénitiens en contrepartie de leur aide pour la conquête de Milan. Quant au Pape, il cherchait à récupérer les villes de Faenza et de Rimini et celles de Ravenne et Imola : ces deux villes avaient été capturées par Venise près de cent ans auparavant. Quant aux deux premières, il s’agissait de conquêtes de Cesare Borgia sur des seigneurs indépendants, reprises par Venise à la mort d’Alexandre VI.
Cette ligue qui réunissait les ennemis irréconciliables de la veille ne servait en aucune façon les intérêts du Pape mais il y adhéra. La Ligue de Cambrai fut signée le décembre 1508 par Amboise et Marguerite d’Autriche. Amboise devait avoir discuté au préalable des conditions avec le Pape car aucun Nonce ne fut associé aux discussions.
Dès qu’il eut signé la ligue de Cambrai, le Pape le regretta et il proposa alors aux Vénitiens de rompre ce traité si Venise lui restituait les villes de Faenza et Rimini ce qui fut refusé hautainement par la Sérenissime.
Amboise fut si heureux de voir la ligue ratifiée par tous les Etats, qu’il engagea immédiatement les démarches pour mettre sur pied une armée de vingt-cinq mille hommes qui fut constituée bien avant le 1er avril, date fixée par le Traité pour le déclenchement des hostilités. Les autres puissances belligérantes n’en étaient pas au même point, loin s’en faut : en fait tout le monde attendait de voir l’issue des opérations pour voler au secours du succès si Venise était vaincue ou s’emparer des territoires français si Venise était vainqueur.
Amboise avait convaincu Louis XII de prendre la tête de l’armée. Au vu de ses déboires passés contre l’Aragon, il souhaitait redorer le lustre de son prince par une victoire éclatante. Plutôt que de se livrer à une guerre de siège, il convainquit Louis XII de chercher l’affrontement avec les forces vénitiennes.
C’est presque par hasard que l’avant-garde de l’armée, conduite par Chaumont d’Amboise, accrocha l’arrière-garde ennemie, conduite par Bartolomeo d’Alviano sur les hauteurs du village d’Agnadel. D’Alviano soutint bravement le choc et trois charges successives des français furent repoussées. Louis XII prévenu, fut immédiatement sur le champ de bataille. Sa présence galvanisa ses troupes qui repartirent à l’attaque et finirent par culbuter les forces d’Alviano (la moitié de l’armée vénitienne) qui y perdit de neuf à dix mille hommes.
Portrait de Charles II d’Amboise (1473-1511) avec le collier de l’Ordre de Saint Michel par Solario Andrea (vers 1470/1474-1524) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot N° d’inventaire INV674 Huile sur bois H 0,750 L 0,520 Paris, musée du Louvre
Ce désastre paniqua les sénateurs de Venise qui décidèrent d’abandonner aux forces coalisées les villes qu’ils réclamaient, en même temps qu’ils adressaient des ambassades au Pape et à l’Empereur pour obtenir la paix. Mais d’Amboise était vigilant et il convainquit le Pape et l’Empereur que les propositions vénitiennes n’étaient que poudre aux yeux. Cependant, le Pape était bien ennuyé que la Ligue de Cambrai ait abaissé la seule puissance de l’Italie en mesure de s’opposer aux puissances étrangères du Saint Empire, de la France et de l’Espagne. Il fut prêt dès lors à signer une paix séparée avec Venise.
La mort d’Amboise
Puis, Louis XII rentra en France et dès lors, les forces en mouvement inversèrent la logique du Traité de Cambrai. Venise releva la tête et un général habile, Andréa Gritti, entreprit de reconquérir par un coup de main audacieux la ville de Padoue. L’Empereur leva une armée puissante et une artillerie de plus de cent canons pour venir faire le siège de Padoue où vingt-cinq mille Vénitiens s’étaient retranchés. La place ne fut pas reprise et l’Empereur leva le siège pour retourner en Allemagne.
Dès lors, Jules II entreprit de faire sa paix avec Venise à laquelle il imposa de dures conditions qui furent acceptées. Dès lors que la paix fut signée, Jules II licencia ses troupes qui furent libres de s’engager pour Venise, soit une rupture unilatérale de la Ligue de Cambrai. Les Vénitiens adressèrent alors une Ambassade au nouveau roi d’Angleterre, Henry VIII, afin de le déterminer à entrer en guerre contre la France. Mais Amboise veillait : il convainquit le roi d’Angleterre de signer un autre Traité mais d’amitié avec la France. Cependant Henry VIII désira absolument que ce traité soit également signé avec le Pape. Ce dernier qui voyait toutes ses initiatives bloquées par Amboise en ressentit une très forte aversion pour le Cardinal qui se maintint jusqu’à la mort de ce dernier.
Le Cardinal-Ministre voyait bien que la situation ne pourrait pas être stabilisée sans une reprise des opérations militaires. Il reconstitua donc l’armée et entreprit de mettre sur pied une solide artillerie. Puis il repassa les Alpes pour se rendre auprès de Louis XII.
Arrivé à Lyon, il fut pris de violentes coliques et d’une crise de goutte, une maladie chronique qui l’affectait depuis plus de dix ans. Il expira le 25 mai 1510. Louis XII qui l’aimait beaucoup en fut extrêmement affecté. Ses obsèques furent célébrées en grande pompe à Lyon et son corps transporté à Rouen dans la Cathédrale, où son neveu, le Cardinal Georges II d’Amboise, son successeur à l’Archevêché de Rouen lui fit bâtir un somptueux tombeau, entre 1516 et 1521.
Georges II (1488-1550), cardinal d’Amboise en 1546, archevêque de Rouen par Jean Clouet vers 1530 H 0,214 L 0,325 Inventaire n°MN 134; 156 (Catalogue R.de Broglie) ; cote PD I Crédit photo © René-Gabriel Ojéda, Réunion des musées nationaux © Chantilly, musée Condé, © Service des musées de France
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[i] Voir l’article Wikipedia sur Pierre d’Amboise (1408-1473).
[ii] Voir les articles sur Les chevaliers de Rhodes et sur l’Ambassade du roi Louis XII au soudan d’Egypte sur ce Blog.
[iii] Voir l’article sur la généalogie des Amboise. On a de la peine à croire que Georges d’Amboise, né trente et un an après sa sœur aînée, ne fut que le dixième enfant de la famille. Pour les enfants suivants, la date de naissance n’est pas renseignée. Cependant, il existe je pense, une probabilité, que tous les enfants n’aient pas été conçus avec la même première épouse. En effet même si Anne de Bueil avait 12 ans lors de son mariage, elle aurait eu 43 ans lors de la naissance de Georges et plus de cinquante ans lors de la naissance de sa dernière fille ce qui paraît incroyable.
[iv] A partir du roi Louis XI, selon l’article Wikipédia sur le Maître des Arbalétriers, l’Artillerie en fut détachée.
[v] Anne de France , fille de Louis XI, duchesse de Bourbon par Jean Cluzel de l’Institut – Fayard 2002
[vi] Le 26 décembre 1407, Charles VI, roi de France arrête les règles de succession. Il faisait suite à l’Ordonnance de Charles V, qui avait défini à quatorze ans l’âge de la majorité royale et à l’Ordonnance de 1403. Les trois Ordonnances furent désignées comme les Lois fondamentales du Royaume : elles affirmaient le principe de la primogéniture masculine, de l’exclusion des femmes. Le roi ne peut rien changer à l’ordre de succession ni exclure un Prince du sang. En France la succession est instantanée selon l’adage « le mort saisit le vif ». Les lois fondamentales du Royaume ne fixent pas clairement le principe de l’exercice de la Régence par le premier prince du sang : il s’agissait davantage d’une tradition. Cette revendication de Louis d’Orléans, nonobstant la foi jurée au roi défunt rencontrait un large écho chez ses contemporains. Ce dont Louis XI avait parfaitement conscience.
[vii] Vie du Cardinal d’Amboise par Louis Le Gendre, Chanoine de l’Eglise de Paris à Rouen chez Robert Machuel – 1734.
[viii] Voir l’article Wikipedia sur le Château de Gaillon. Cette forteresse appartenant aux rois d’Angleterre est définitivement acquise par Philippe Auguste en 1200 et cédée à l’Archevêque de Rouen en 1262. Amboise décida d’y bâtir un nouveau château en 1494-1495. Il accompagna le roi en Italie et en revint émerveillé par l’architecture de la renaissance italienne. Il décida de bâtir à Gaillon le palais renaissance de 1501 à 1509. La chapelle, une merveille de l’art gothique tardif, fut construite quant à elle de 1501 à 1517. Voir également la description détaillée sur le site http://lemercuredegaillon.free.fr/gaillon27/renaissance.htm
[ix] Voir à ce sujet le dossier élaboré par la Réunion des Musées Nationaux pour l’exposition d’Octobre 2007 à Février 2008 au Musée de la Renaissance d’Ecouen.
[x] Voir l’article sur les ducs de Milan de 1350 à 1536 sur ce site.
[xi] Voir l’article sur le Procès en annulation de mariage sur ce Blog. Jeanne de Valois fut béatifiée en 1742 puis canonisée en 1950.
[xii] Qui fut jugé comme principal conjuré dans l’affaire de la trahison du Connétable de Bourbon. Sa fille, Diane de Poytiers, fut la maîtresse d’Henri II et elle récupéra ce duché de Valentinois à la mort des descendants de Cesare Borgia.
[xiii] Louis II de la Trémouille avait eu le tort de gagner la bataille de Saint-Aubin en 1488, au cours de laquelle il avait capturé Louis d’Orléans qui lui en tenait toujours rigueur treize ans plus tard. Il dut à la faveur de Georges d’Amboise qui le tenait pour un général des plus capables, son retour en grâce.
[xiv] Cette promesse ne semble pas avoir été tenue par Louis XII car, pauvre et abandonné, Ferdinand fut obligé de vendre une partie des livres de la bibliothèque de Naples au Cardinal d’Amboise pendant l’hiver 1502-1503 : ces livres figurent dans l’inventaire de Gaillon de 1508 contenant cent trente-huit manuscrits, intitulé « Aultre librairie achaptée par mon dit seigneur, du roy Frédéric » (cf l’article « Le Cardinal Georges d’Amboise (1460-1510) Collectionneur et Bibliophile » par Gennaro Toscano.
[xv] Marguerite d’Autriche fut promise à Charles VIII par le traité d’Arras signé en 1482 avec Louis XI. Elevée à la cour de France de 1483 à 1491, la jeune princesse fut renvoyée en 1491 à l’occasion du mariage entre Anne de Bretagne et Charles VIII.
un grand merci pour écrire des textes sérieux sur une période un peu délaissée.
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