Au cours des années 1500 à 1502, la fortune a souri au duc de Romagne qui s’est facilement emparé d’une série de principautés, par la ruse ou par la tromperie. Les condottieres qui le servent prennent peur : ils pensent qu’ils seront les prochaines victimes. Ils se réunissent à Magione pour tenter d’arrêter l’expansion de César Borgia.
Le contexte
César Borgia [i], aidé par les armées de Louis XII a pu rapidement rétablir dans leur soumission au Pape, les cités de Romagne qui s’étaient affranchies de son autorité (Rimini, Forli, Faenza) et éliminer quelques grands seigneurs féodaux pour intégrer leurs territoires dans son duché de Romagne (Urbin, Piombino). Ces rapides campagnes dans lesquelles la force et l’expérience des militaires français ont étonné l’Italie, ont fait naître la crainte devant l’avancée de César Borgia, qui menace désormais les Républiques de Sienne et de Florence, et, à terme, tous les petits seigneurs féodaux.
César Borgia a une faiblesse qui a fait sa force : l’armée française n’est disponible que quand elle n’est pas, prioritairement utilisée ailleurs. Or, depuis son entrée en Italie, la France, qui a conquis rapidement le duché de Milan, se trouve être l’arbitre de tous les conflits de la Péninsule. Florence s’est placée sous sa protection mais la République n’est pas à l’abri d’une trahison des Français si elle manque de vigilance. Elle est bien payée pour le savoir car la France, aussitôt en possession de quelques places fortes, en 1494, et de la ville de Pise, qu’elle devait rendre à Florence, s’est empressée de donner leur liberté aux Pisans, outrageant ainsi le droit international. Florence mettra quinze ans et plus d’un million de ducats pour reconquérir Pise.
Or, la France de Louis XII a signé des accords avec le Pape Alexandre VI. Ce dernier, en marge des négociations, a promis au Cardinal d’Amboise de nommer une fournée de cardinaux français afin de permettre à Amboise de peser sur l’élection du prochain Pape. Les conquêtes de César Borgia en Romagne suscitent des réactions en chaîne auprès des nobles spoliés qui viennent protester contre les Borgia auprès du roi de France. Mais Amboise, le premier ministre tout puissant de Louis XII, veille : il ramène régulièrement le roi de France dans l’alliance avec César Borgia.
Après avoir conduit avec succès ses campagnes contre Forli et Immola, Rimini et Faenza et Piombino, César s’apprête à grignoter Florence. Mais il ne peut pas le faire directement car la France protège Florence.
Pour l’heure, l’objectif de César Borgia est officiellement Camerino, une petite principauté dont le seigneur est Giulio Cesar de Varano, dont les biens sont confisqués par le pape et réunis à la chambre apostolique, depuis le 1er mai 1501, en raison de l’abri donné à des ennemis d’Alexandre VI. César a donc envoyé en septembre 1501 à Camerino,, l’un de ses lieutenants, Oliveretto da Fermo et le duc Orsini de Gravina, pour ravager la marche de Camerino.
Contre Florence, César Borgia décide d’y aller indirectement en expédiant Vitellozzo Vitelli, l’un de ses meilleurs capitaines condottieres.
Ces évènements ont été racontés dans l’article César Borgia 2ème Partie le duc de Valentinois.
Un grand capitaine condottiere
Vitellozo Vitelli, seigneur de Cita di Castello, ville proche de la frontière de Florence à 50 km au nord de Pérouse, a un sérieux compte personnel à régler avec la république florentine.
Ce combattant, âgé de quarante-quatre ans à l’époque des faits (il est né vers 1458), fait partie d’une lignée de condottieres. Il fait ses armes avec Gentile Virginio Orsini (1434-1497), Seigneur de Bracciano et chef de la maison des Orsini. Les Orsini appellent Charles VIII, à reprendre la guerre contre Naples en lançant une seconde expédition. Vitelli suit les Orsini à Lyon en 1496. Il entre brièvement au service de l’armée florentine contre Pise, avec son frère, Paul Vitelli, mais il est blessé et se retire.
Vitellozzo Vitelli par Luca Signorelli Berenson Foundation Villa Tatti Harvard Florence
A la tête de mille combattants, transportés par une flotte française de sept gros navires, il réussit à entrer à Livourne, assiégé par les impériaux. Ce renforcement et une âpre défense, contraignent les forces impériales à lever le siège. Puis, il ramène 2 000 hommes en renfort du château des Orsini à Bracciano, assiégé par les forces pontificales, conduites par le duc de Gandie, Giovanni Borgia et le duc d’Urbin, Guidobaldo da Montefeltro. Vitellozzo a introduit chez ses piquiers une innovation technique : sachant qu’il devrait affronter les Suisses des troupes pontificales, il a équipé ses hommes de lances de quatre mètres, plus longues que celles des Suisses et il leur a appris à manœuvrer comme les Suisses, en carrés.
Pendant que Giovanni Borgia, légèrement blessé confie le commandement des troupes au duc d’Urbin, l’armée pontificale est mise en déroute à Soriano et le duc d’Urbin est capturé. Ce qui permet aux Orsini de négocier avec le pape Alexandre VI leur retour en grâce par un traité en bonne et due forme aux termes duquel le Pape impose aux Orsini une indemnité de 50 000 ducats. Ces derniers imposent alors à leur prisonnier, le duc d’Urbin, une rançon de 50 000 ducats, qu’il sera seul à payer, le pape, sans vergogne, le rendant responsable de la défaite des troupes pontificales.
En 1499, le frère de Vitellozzo, Paul Vitelli, un militaire chevronné, commande l’armée florentine dans la guerre contre Pise et les Vénitiens. Les combats longs et disputés, ne donnent pas les résultats escomptés et bientôt, les Florentins en viennent à penser que Paul Vitelli, payé au temps passé, fait traîner le conflit en longueur. Des mauvais esprits s’attachent à sa perte à Florence et notamment le comte Ranuccio de Marciano qui avait, un temps, partagé le commandement avec lui. La proximité de Paul Vitelli avec les Médicis, exilés de Florence, est une source supplémentaire de suspicion.
Paul Vitelli ayant demandé des renforts supplémentaires, Florence les lui envoie avec deux commissaires chargés secrètement de l’arrêter. Vitellozo, qui était venu rejoindre son frère, est alors invité avec Paul à une conférence, avec les Commissaires de Florence, au château de Cascina, à dix milles à l’est de Pise. Paul s’y rend laissant son frère Vitellozzo, malade. Il est immédiatement arrêté à son arrivée et les commissaires Florentins, expédient alors un peloton arrêter Vitellozzo. Celui-ci, délirant, se laisse conduire sans résistance. Mais il rencontre en route des cavaliers de la garde de son frère qui le reconnaissent, lui donnent une lance et l’invitent à prendre le large. Les archers n’osent pas affronter toute une troupe et laissent Vitellozzo s’enfuir : ce dernier rejoint Pise où il est accueilli avec des transports de joie.
Paul Vitelli, de son côté, est immédiatement conduit à Florence où une commission d’enquête le place immédiatement à la torture pour lui faire avouer sa trahison. Le tribunal ne dispose d’aucune preuve, d’aucun écrit de sa main. Il n’avoue rien. Il est cependant condamné à mort et exécuté dans l’une des salles le lendemain matin. On reprochait à Paul Vitelli d’être l’ami des Orsini, eux-mêmes alliés des Médicis. Mais il l’était déjà avant d’être entré au service de Florence. Ce jugement inique va révolter son frère Vitellozzo qui n’aura plus qu’une idée, celle de se venger de Florence. Il va également révolter tous les commandants Français présents au siège de Pise et peser longtemps sur l’image de la République qui va avoir beaucoup de mal à recruter des condottieres.
Pour l’instant, la République sait qu’elle n’a rien à craindre de la France. Car elle vient de signer le 9 février 1499 avec la France, un traité secret pour trois mois encore, par lequel, en échange de 1 500 chevaux et 4 000 fantassins, Florence reconnaît les droits de Louis XII sur le Milanais et, pour ce service, obtient en contrepartie, la ville de Crémone.
Vitellozo, le condottiere, est donc, en 1502, l’arme idéale de César Borgia pour s’attaquer à Florence, sans paraître diriger lui-même l’intervention. D’autant qu’il est au courant des manœuvres diplomatiques de la cité pour se placer sous la protection de la France. Il sait qu’il ne peut pas attaquer lui-même.
Vitellozo, depuis Citta di Castello, s’était abouché avec quelques citoyens d’Arezzo pour se faire livrer la ville. Mais le Commissaire de Florence, Guillaume de Pazzi, veille. Il surprend la conspiration et fait arrêter les meneurs. Mais il est rapidement dépassé par l’ampleur de la contestation car toute la ville se soulève le 4 juin 1502 et prend les armes : le Commissaire et tous ses officiers sont capturés, pendant que le fils de ce dernier, l’Evêque d’Arezzo, se réfugie en hâte dans la forteresse et qu’un courrier est expédié à Florence pour réclamer du secours.
Les condottieres sont à proximité de la ville : les cavaliers de Vitellozzo et de Jean Paul Baglioni, seigneur de Pérouse, entrent dans Arezzo, suivis par Fabio, fils de Paul Orsini et par Pierre de Médicis et son frère le cardinal de Médicis (futur pape Léon X). Le 18 juin, Pandolfe Petrucci, le chef du gouvernement de Sienne, leur expédie de l’argent et de l’artillerie pour prendre la forteresse qui se rend le même jour.
Giampaolo Baglioni Source Article Wikipedia.it
Mais Florence avait pris ses précautions. Alarmée par les préparatifs de César Borgia aux frontières de son Etat, elle a signé en Avril 1502, avec Louis XII, un accord de protection pour trois ans qui, contre le paiement d’une annuité de 40 000 florins, garantit Florence de rester en possession de ses territoires.
César Borgia est rapidement informé par la diplomatie pontificale de la signature de cet accord, qui lui interdit désormais d’attaquer directement la République de Florence. Il fait passer à Arezzo quelques deux-cents gendarmes qu’il peut dissiper de ses forces avant de partir sur Camerino.
Vitellozzo se trouve alors à la tête d’une armée de huit cents cavaliers et trois mille fantassins. Il se rend maître très facilement de toutes les localités et places fortes du Val de Chiana au sud d’Arezzo que les paysans n’osent pas défendre, leur moisson étant sur pied. Vitellozzo ne songe pas vraiment à restituer ces localités à Pierre de Médicis. Il préfèrerait les ajouter à ses domaines voisins de Citta di Castello.
Les lieutenants de César Borgia à Camerino
Depuis le mois de septembre précédent, César Borgia a expédié à Camerino, Oliveretto Eufreducci da Fermo et Francesco Orsini, Duc de Gravina. L’histoire de ces deux condottieres qui vont prendre une part importante dans notre histoire est intéressante.
Francesco Orsini, tout d’abord, est issu de la branche de Gravina [ii], qui dérive de celle de Bracciano par son arrière-arrière-grand-père, Giovanni de Bracciano. Le chef de famille des Orsini, Virginio, Orsini de Bracciano, qui meurt empoisonné au château de l’œuf à Naples en 1497, est l’arrière-petit-fils de Giovanni : il est donc son cousin au 4ème degré. Il est devenu le 4ème duc de Gravina, à la mort de son père, en 1488.
Né en 1465, le duc de Gravina a 37 ans au moment de l’attaque de Camerino. Sa carrière militaire est relativement brève. Il a combattu les Français lors de la deuxième l’expédition de Charles VIII et a été fait prisonnier en septembre 1496. A partir de juin 1498, il se rapproche du pape Alexandre VI et se place au service de César Borgia : il participe aux premières campagnes en Romagne (Forli, Immola, Pesaro, Rimini et Faenza).
Depuis la fin de l’année précédente, il stationne avec ses troupes, à Tolentino, à 32 kms à l’ouest de Camerino pour bloquer l’approvisionnement de la forteresse. Il dispose alors de deux cents cavaliers et de mille cinq cents fantassins.
Oliverotto da Fermo est une personnalité plus curieuse, haute en couleurs, passée à la postérité grâce à Machiavel qui a évoqué les conditions de sa prise de pouvoir au chapitre VIII du Prince qui traite de « ceux qui, par des crimes sont arrivés à la souveraineté ». .
Oliverotto naît à Fermo en 1473, une ville à 70 kms au sud d’Ancône : son oncle maternel Jean Fogliani gouverne la ville. Très jeune encore, il est placé auprès de Paul Vitelli pour y apprendre le métier des armes. Il rencontrera dans cette famille celle qui devra devenir son épouse, la sœur de Paul et de Vitellozzo Vitelli.
Il mène la vie de condottiere dans le sillage de Paul Vitelli dont il devient l’un des capitaines. Il est arrêté avec Paul Vitelli mais son rang de comparse lui sauve la vie : les fournisseurs florentins de Fermo interviennent en sa faveur et il est libéré. Il rejoint alors Vitellozo dans Pise et se met au service des Pisans révoltés. A partir de 1500, il rejoint César Borgia mais son amitié avec Giovanni Sforza, comte de Pesaro, le conduit à s’opposer à l’expédition sur Pesaro. Il participe en revanche à celles sur Faenza en 1500 et 1501. Il participe à l’expédition de Piombino avec Vitellozzo puis, après la reddition de Jacques d’Appiano, le seigneur de Piombino, en septembre 1501, il retourne à Rome pour assister au mariage par procuration de Lucrèce Borgia avec le duc de Ferrare, Alphonse d’Este.
En décembre 1501, il écrit à son oncle à Fermo, pour lui dire qu’il souhaite passer par Fermo en janvier suivant. Dans sa lettre, il indique qu’il souhaite se présenter à la ville dignement avec 100 chevau-légers, pour montrer sa réussite, ce qui devrait honorer la ville et son oncle. Il reçoit une réponse amicale de bienvenue. Il part en janvier pour Fermo avec 100 chevau-légers. Il est accueilli en grande pompe par son oncle et tout le conseil de ville qui le conduit solennellement à son palais, qui sera plus tard la maison des Jésuites de Fermo. De là, il se rend à la réception que lui réserve son oncle dans son palais qui fait face à l’Eglise San Zeno.
Puis Oliverotto prépare à son tour une réception dans son palais qu’il passe une journée à organiser très précisément. Il donne un grand repas auquel il invite Jean Fogliani et tout le conseil de ville. La réception est princière, puis, vers la fin du repas, Oliverotto oriente habilement la conversation sur César Borgia et les entreprises du fils et du père. Tout le monde donne son avis. Puis Oliverotto se lève et suggère, pour que tous puissent s’exprimer plus librement, de se réunir dans une chambre à l’étage : à peine les invités y sont-ils assis que des soldats, dissimulés, bondissent de leurs cachettes et massacrent tout le monde.
Il fait rechercher ses cousins, les fils de son oncle, qui sont abattus l’un après l’autre : l’un a le crâne écrasé d’un coup de masse à la porte de sa maison et le second est défenestré. Le troisième est abattu dans les bras de sa mère qui est abattue à son tour.
Puis, Oliverotto monte à cheval et se rend par toute la ville pour expliquer qu’il s’est emparé du pouvoir et il fait le siège de la magistrature de la ville qu’il contraint par la force, à lui obéir. Il n’hésite pas à mettre à mort tous les mécontents et à instaurer des lois d’exception, civiles et militaires. Les opposants sont empoisonnés, abattus ou emprisonnés : leurs biens sont confisqués. Il fait payer les familles pour la libération des prisonniers et recueille ainsi 10 000 ducats [iii] auxquels s’ajoutent des recettes exceptionnelles de 14 000 ducats par vente d’actifs ayant appartenu à son oncle.
C’est ce seigneur, digne émule de César Borgia qui attend son maître, depuis le mois de mars 1502 au pied de la ville de Camerino, avec ses 200 chevau-légers et ses 1 000 fantassins, qui ravagent les alentours.
L’expédition de César Borgia contre Urbin et Camerino
Ayant le projet d’attaquer Camerino, César Borgia décide de partager libéralement son plan de campagne avec le duc d’Urbin, Guidobaldo de Montefeltre. Il lui indique la route qu’il compte prendre pour se rendre à Camerino et lui demande de laisser à sa disposition ses troupes et ses canons. Le duc d’Urbin ne souhaite pas se mettre à dos son puissant voisin et lui apporte obligeamment ce que César lui réclame. Il ne se fait aucun souci. Il est très bien en cour avec Alexandre VI, il a accueilli personnellement Lucrèce Borgia sur la route de Ferrare et sa propre épouse a accompagné Lucrèce jusqu’à Ferrare. Son neveu, François Marie de la Rovere, Seigneur de Sinegaglia et son héritier, car le duc n’a pas d’enfant, a été nommé Préfet de Rome, un des tous premiers postes de confiance de la Curie.
Francois Marie della Rovere neveu de Guidobaldo da Montefeltro Héritier du duché d’Urbin Raphael 0,480 x 0,355 1505 Galerie des Offices Florence
Le soir du 21 juin, Guidobaldo termine son déjeuner à quelques kilomètres d’Urbin. Il est seulement accompagné de son neveu : son épouse est chez son frère à Mantoue. Il reçoit alors une nouvelle étrange : un cavalier essoufflé vient lui apprendre que la forteresse de Cagli qui défend le duché d’Urbin vient d’être prise par César Borgia. Il croit au début à une erreur car la veille encore, César était à plus de cent km au sud et il est impossible à une armée de se déplacer si rapidement. Il retourne cependant à Urbin où d’autres messagers l’attendent et lui confirment la nouvelle : ce n’est pas une mais trois armées qui ont envahi le duché et qui convergent vers Urbin. Il est impossible de résister.
Le duc convoque alors le conseil de ville pour leur expliquer la situation et les exhorte à faire bon accueil et à se soumettre au duc de Romagne. Il s’enfuit aussitôt d’Urbin, déguisé en paysan et il rejoint Ravenne par les collines et de là, se rend à Mantoue.
César Borgia entre en vainqueur quelques heures plus tard, dans un duché qu’il avait pris le soin de priver de ses défenseurs et qu’il avait assailli sans déclaration de guerre préalable. Il provoque immédiatement une conférence avec Florence qui lui expédie le 24 juin l’Evêque de Volterra, Francesco Soderini et Niccolo Machiavel (voir l’article sur ce Blog L’ombre de César Borgia sur le Prince de Machiavel).
Moins d’un mois plus tard, le 19 juillet, Camerino, privé de secours, tombe entre les mains de César Borgia. Ce dernier avait engagé une négociation avec le vieux Varano, âgé de soixante-douze ans, tout en suscitant des intelligences dans la place, qui lui permettent d’entrer par surprise et trahison : il fait enfermer le vieux seigneur Varano, et le fait étrangler par ses sbires quelques jours après.
Vitellozzo trahi par César Borgia
Florence, en application du Traité récemment signé avec la France, appelle à l’aide le vice-roi de Milan, Chaumont d’Amboise, le neveu du cardinal d’Amboise, lequel expédie, immédiatement, deux cents lances [iv] placées sous le commandement du capitaine Imbault, deux cents autres lances devant les rejoindre. Dès que Louis XII est informé de l’affaire, il décide de mettre un terme aux ambitions du duc de Romagne en expédiant, sous le commandement d’un militaire chevronné, Louis de la Trémouille, deux cents lances, un gros train d’artillerie et trois mille Suisses.
Charles II de Chaumont d-Amboise Vice roi de Milan Musée du Louvre par Andrea Solario
Aussitôt informé, Vitellozzo revient à Arezzo pour s’y retrancher.
Vitellozzo croit tenir sa revanche sur Florence. Il est assuré du secours du duc de Romagne dont le crédit à la cour de France permettra, il en est persuadé, d’arranger les choses. Son armée est suffisamment importante pour décourager un assaut rapide, ce qui imposera sans doute un siège long. Il est donc convaincu qu’une solution parviendra à se dégager.
César Borgia se rend bien compte qu’il n’est pas de force. Il ne peut pas s’opposer à Louis XII. Il en prend son parti. Il décide de désavouer son lieutenant et menace même de l’attaquer, conjointement avec les forces françaises.
Les alliés de Vitellozzo dans Arezzo ont pris peur : Jean Paul Baglioni en particulier, après l’affaire du duché d’Urbin, craint désormais pour Pérouse. Il rejoint sa seigneurie avec toutes ses forces.
Vitellozzo connaît son maître : il sait ce dont il est capable. Il a bien vu la perfidie du duc de Romagne à l’égard du duc d’Urbin et il sait que César ne reconnaîtra jamais officiellement avoir organisé en sous-main la prise d’Arezzo. Désormais, son avenir, sa vie même, dépend de la décision qu’il va prendre car César est bien capable de le faire assassiner pour faire disparaître un témoin gênant.
Il choisit donc la seule solution honorable : il négocie. Le 1er août 1502, Vitellozzo livre la ville d’Arezzo au capitaine d’Imbault, la France étant tierce partie, il déclare se soumettre au jugement de Louis XII quant au sort ultérieur de la province. Les Florentins essaient bien de s’opposer au traité en revendiquant le retour d’Arezzo à la République mais le capitaine d’Imbault, hautain, leur réplique que l’affaire d’Arezzo dépend désormais du roi de France auquel les Orsini, appelés par Vitellozzo ont dépêché le Cardinal Jean Baptiste Orsini. .
Louis XII est en colère contre César Borgia qui crée un foyer supplémentaire de tensions parmi les alliés italiens du roi de France. La colère de Louis XII semble alors l’opportunité pour tous les féodaux spoliés de Romagne, de venir faire leur cour au roi de France, pour égrener leurs plaintes contre César Borgia.
Mais le duc de Valentinois a bien vu la manœuvre. Il décide alors de se rendre immédiatement auprès du roi de France qui vient de s’installer à Asti en Piémont, avec son armée. Il est accueilli comme un Prince par le roi et par le cardinal d’Amboise. La diplomatie pontificale a fait merveille. Elle a entretenu habilement les espérances du cardinal d’Amboise de sorte que ce dernier a plaidé la cause du duc de Romagne auprès de Louis XII. Le roi a besoin de l’alliance avec les Borgia pour sa reconquête du royaume de Naples que les Aragonais, profitant traîtreusement de la paix, lui avaient reconquis en l’espace de dix-huit mois.
L’affaire de Bologne
Alexandre VI sait bien alors que la position des Borgia est mieux assurée que jamais du soutien français. Il décide de reprendre l’initiative contre les fiefs de Romagne, mais de façon détournée, en biaisant. Désormais, ce n’est pas le duc de Romagne qui cherche à agrandir ses Etats, mais le Pontife qui cherche à ramener des territoires de l’Eglise sous le contrôle direct ou indirect de la Curie. Entre les deux politiques, il n’y a que l’épaisseur du trait car il suffira au Pape de redonner plus tard au duc de Romagne les territoires de l’Eglise ramenés sous son contrôle.
Alexandre VI a alors appelé les Bentivoglio, seigneurs de Bologne, à se soumettre à l’Eglise. César doit se rendre à Bologne. La France a limité l’intervention de César Borgia au rétablissement de l’autorité du Saint-Siège. Elle a d’autre part expédié son émissaire, Claude de Seyssel à Giovanni Bentivoglio, pour l’assurer de son soutien personnel.
Giovanni II Bentivoglio Lorenzo Costa Galerie des Offices Florence
Le 2 septembre 1502, Alexandre VI publie un bref citant Bentivoglio et ses deux fils, à comparaître dans les quinze jours, à Rome afin d’examiner les moyens d’établir un meilleur gouvernement. Les Bentivoglio sentent bien la menace sous-jacente. Pourquoi convoquer les deux enfants en même temps que leur père si ce n’est avec la volonté de neutraliser au mieux, ou éliminer, au pire, toute la famille ? Ils n’ont donc garde de répondre à cette sommation. Renforcés par la présence de l’émissaire français, ils appellent aux armes toute la population de Bologne.
Car Giovanni Bentivoglio, depuis le début de la crise, n’est pas resté inactif. Il a envoyé des émissaires auprès de toutes les villes, tous les Etats pour essayer de faire front commun contre les Borgia. Il faut dire que la réussite insensée des entreprises des Borgia en Romagne a pétrifié toutes les puissances italiennes. A commencer par Florence, sans armée, qui, malgré son traité avec la France, est dans une telle position de faiblesse qu’un accord entre ses ennemis peut parfaitement se réaliser contre la République. Sienne est dans une position encore plus inconfortable ayant pris, dans l’affaire d’Arezzo, publiquement parti pour Vitellozzo. Venise en veut irrémédiablement à César Borgia qui a fait enlever l’épouse de son capitaine-général de l’infanterie vénitienne, Dorotea Caracciolo.
La réunion des Condottieres à Magione
Vitellozzo se rend bien compte que personne n’osera bouger si une initiative italienne n’est pas montée. Tous craignent les Borgia parce qu’ils ne veulent pas déplaire à la France. La révolte spontanée du duché d’Urbin, contre César Borgia est le signal qui montre que la fortune peut se retourner contre le duc de Romagne.
Le premier à saisir la balle au bond est Vitellozzo Vitelli qui s’étrangle de rage impuissante contre César Borgia. Il prend donc l’initiative de réunir tous les opposants au duc de Romagne. D’abord, il convainc son lieutenant et beau-frère, Oliveretto Eufreducci da Fermo, puis ses amis Orsini. A commencer par Francesco, le duc de Gravina qui a fait l’expédition d’Urbin et Camerino avec le duc de Romagne. Le cardinal Jean Baptiste Orsini [v], de retour d’Asti, se joint à eux. A Milan, Louis XII lui aurait confié que le pape avait l’intention de détruire sa famille. La probabilité est cependant qu’il n’ose rentrer à Rome après être parti rejoindre le roi de France sans l’autorisation du pape.
Tous décident de se retrouver à Magione, où vient les rejoindre Paul Orsini, marquis de Menton, fils naturel du cardinal Latino Orsini (1410-1477), âgé de quarante ans environ. Condottiere d’un tempérament violent, il a participé à toutes les guerres intestines avec les Colonna depuis 1480. D’abord ennemi du pape Alexandre VI sur lequel ses forces, alliées à celles de Vitellozzo l’emportent, à Soriano, sur l’armée du Pape, il se réconcilie avec ce dernier et entre au service de César Borgia pour toutes ses campagnes de Romagne. Il est de l’affaire d’Arezzo avec Vitellozzo dont il est très proche.
A Magione, vient également le Protonotaire apostolique Franciotto Orsini, de la lignée des Orsini de Monterotondo, neveu à la fois de Clarisse de Médicis, l’épouse de Laurent le Magnifique et du cardinal Jean Baptiste Orsini. Font également partie de la réunion de Magione, la République de Sienne, dont le chef du gouvernement, Pandolfo Petrucci, a désigné l’un de ses conseillers, Antoine de Venafro et la seigneurie de Pérouse représentée par son seigneur, Jean Paul Baglioni, associé de longue date de Vitellozzo. Giovanni Bentivoglio a dépêché son fils, Hermes Bentivoglio, à la sinistre réputation, depuis qu’il a purgé dans le sang, les Marescotti, ennemis jurés de la famille Bentivoglio à Bologne.
Les Florentins et les Vénitiens refusent d’entrer dans la conjuration. Les premiers préfèrent s’en remettre à la fidélité au traité signé avec la France et aux compétences diplomatiques de Machiavel qui est expédié à Imola auprès de César Borgia pour sonder ce dernier quant au soutien qu’il pourrait donner à d’autres entreprises de Vitellozzo contre Florence. Les seconds, plutôt que de se mouiller avec cette coterie de meurtriers peu fiables, préfèrent jouer la carte diplomatique en protestant auprès de Louis XII contre les entreprises criminelles de César Borgia.
La réunion à Magione de la plupart des grands condottieres et de leurs troupes qui étaient au service de César Borgia paraît l’occasion idoine, avec l’affaiblissement militaire subséquent du duc de Romagne, d’entreprendre une action visant à contenir voire éliminer la puissance du fils du pape. La conférence décide de mettre sur pied une armée de sept cents hommes d’arme et de neuf mille hommes d’infanterie pour défendre le duché d’Urbin et engager les troupes du duc de Romagne pour libérer Pesaro et Rimini. Le duc d’Urbin qui ne faisait pas partie de la réunion de Magione, s’empresse d’y adhérer dès qu’on le lui propose.
Afin de montrer que cette entreprise visant les Borgia n’était pas tournée contre la politique française en Italie, les conjurés décident qu’ils se feront obligation de servir la France dès qu’elle l’exigera.
Mais l’union sacrée de ces condottieres sans foi ni loi ne dure que l’espace d’une réunion. Dès son retour à Sienne, Antoine de Vénafro convainc son maître qu’il n’a aucun intérêt à s’associer à cette troupe de forbans. Aussitôt, Pandolfe Petrucci envoie un messager à César lui dire qu’il n’entreprendra rien contre lui. Car Sienne, qui n’a rien conclu avec la France est dangereusement exposée aux entreprises de César Borgia. Déjà ce dernier ne s’est pas gêné de dire que Pandolfo Petruccio était l’âme de la conjuration de Magione. A l’évidence, César Borgia cherche à impliquer la responsabilité de Sienne pour pouvoir l’envahir plus tard.
Pandolfo Petrucci Cristofano dell Altissimo Galerie des Offices
Quant à Jean Paul Baglioni, dont la fourberie n’a rien à envier à celle de son maître, César Borgia, il engage, via le duc de Ferrare, des négociations secrètes avec le duc de Romagne, dès la sortie de la conférence.
La comédie des dupes
Le duc de Romagne, au moment où il reçoit Machiavel à Imola, début octobre 1502, est en grande position de faiblesse. Il doit coûte-que-coûte reconstituer son armée. Il décide donc de rapatrier à Imola ses dernières forces en garnison dans le duché d’Urbin qu’il décide d’évacuer entièrement. Don Hugues de Cardonna, le capitaine de César avait sous ses ordres deux cents chevau-légers, cent hommes d’arme et cinq cents fantassins. Il commet la grande faute, sur le chemin du retour de vouloir piller une ville, Fossombrona, dont le commandant, capturé, lui avait fort obligeamment indiqué la route. A proximité de cette ville, ils rencontrent Paul Orsini et Francesco Orsini, duc de Gravina qui s’en reviennent de Magione avec six cents hommes d’infanterie et qui les surprennent, tuant beaucoup de monde.
La position de César Borgia devient de plus en plus précaire. Mais le duc de Romagne est un chef né. Dans l’adversité, il fait feu de tout bois et, utilisant toutes les ressources à sa disposition, parvient à reconstituer une force combattante de treize mille hommes en quelques mois.
Les conjurés, de leur côté, ne sont pas restés inactifs : Vitellezzo Vitelli s’est mis au service du duc d’Urbin pour reconquérir une à une les places du duché encore occupées par César Borgia.
Oliveretto da Fermo, accompagné de l’un des fils Varano fait le siège de Camerino. Quant à Jean Paul Baglioni, il part faire le siège de Fano où s’est retranché l’âme damnée de César, Michelotto.
Mais Louis XII, sur la plainte qui lui est adressée par Alexandre VI, qui présente par ailleurs la situation très compromise de César Borgia, décide de frapper un grand coup : il adresse une lettre à Venise déclarant que la Sérénissime serait traitée en ennemie si elle continuait à s’opposer aux entreprises de l’Eglise en Romagne et il expédie au secours du duc de Romagne quatre cents cinquante lances. Venise alors, retire son soutien financier et militaire aux conjurés ce qui provoque un flottement chez ces derniers. Les conjurés ont laissé passer l’occasion favorable d’attaquer César Borgia. Son renforcement par les troupes françaises accroît leur indécision.
César Borgia décide alors d’accroître les divisions entre les conjurés. Il propose à Paul Orsini de négocier en constituant comme otage le cardinal Borgia (un des cardinaux espagnols): Le duc de Valentinois tient alors avec Paul Orsini les discours les plus flatteurs pour endormir sa méfiance. Il admet regretter cette conjuration, qui s’est réalisée par ses propres fautes : il n’a pas su inspirer confiance à ses lieutenants. Les faits ont démontré que, dans une passe difficile, le roi de France ne l’a pas oublié. En même temps cette passe difficile lui a donné l’occasion de réfléchir et de comprendre les réactions de ses lieutenants. En conséquence, il est prêt à tout pour rétablir la confiance avec les conjurés et il est prêt à abandonner toute revendication sur Bologne. Il s’insinue avec habileté dans l’esprit de Paul Orsini et lui fait miroiter les promesses les plus brillantes.
Pendant le temps des négociations, Vitellozzo avait reconquis la quasi-totalité du territoire du duché d’Urbin.
Paul Orsini fait alors plusieurs allers et retours sur Bologne pour faire signer le traité par Jean Bentivoglio dont le fils, Hermes, avait épousé la fille de Paul Orsini. Il est convenu qu’après l’accord de tous les conjurés, le traité serait ratifié par le cardinal Jean Baptiste Orsini.
Le traité prévoyait que les conjurés l’aideraient à reconquérir ses territoires perdus et notamment le duché d’Urbin, que les injures passées seraient oubliées et que l’affaire de Bologne serait réglée par un comité tripartite comprenant le cardinal Orsini, César Borgia et Pandolfe Petrucci, le chef du gouvernement de Sienne.
Paolo Orsini signe le traité le 29 octobre 1502, et il va ensuite le proposer aux conjurés qui acceptent tous, les uns après les autres de le ratifier, Vitellozo, toujours très méfiant avec le Valentinois, cédant le dernier à la pression de Paul Orsini. Puis, le traité est ratifié par Alexandre VI.
Jean Bentivoglio, préférant négocier en direct avec César Borgia que livrer l’avenir de Bologne à un comité tiers, expédie son fils, le Protonotaire, à Imola, avec tous pouvoirs. Un accord est finalement trouvé par lequel les Bentivoglio s’engagent à fournir cent hommes d’armes et cent arbalétriers, plus une indemnité de douze mille ducats par an. Le traité serait signé avec la garantie de la France et de Florence.
Le duc d’Urbin constate à cet instant, que la paix s’est établie à ses dépens. Il en prend son parti, convoque ses sujets pour les inciter à se soumettre à César Borgia et reprend la route de l’exil à Venise. Le duc de Romagne publie alors un pardon universel dans tout le duché d’Urbin le 8 décembre 1502.
« L’admirable stratagème » de Senigaglia
Apparemment, la révolte des conjurés est terminée. César Borgia peut alors renvoyer, le 22 décembre 1502, les quatre cents cinquante lances de Louis XII. Pour le projet auquel il réfléchit, la présence des Français, qui pourraient décider de s’interposer, ne serait pas un avantage. D’autant qu’il a maintenant reconstitué ses forces et qu’il ne court plus aucun risque d’être attaqué par les condottieres.
Portrait de Jeune homme Altobello Attribué à Cesare Borgia Académie des Beaux Arts Carrara de Bergame
Avec beaucoup d’habileté, il a négocié de nombreux contrats individuels qui conduisent ses adversaires à sous-estimer les forces dont il dispose réellement. Pendant qu’il rassemble ses forces dans la capitale de son duché à Cesena, il expédie Vitellozzo, Oliveretto da Fermo et Paolo Orsini à Sinegaglia, la ville qui avait été reprise précédemment pour le duc d’Urbin et qui est gérée par une sœur du duc d’Urbin, Giovanna de Montefeltre. On appelle cette dernière la « préfétesse » car le pape Sixte IV l’avait mariée à son neveu, Jean de la Rovere, qui avait été nommé préfet de Rome. De ce mariage était né un fils, François Marie de la Rovere, que le duc d’Urbin, qui n’avait pas d’enfant, avait adopté pour lui succéder.
Voyant que le duc d’Urbin, avec le retournement des capitaines en faveur du valentinois, avait choisi le chemin de l’exil, la préfétesse fait de même en empruntant un navire pour Venise. Les capitaines adressent alors un message à César Borgia pour prendre possession de la citadelle.
Puis, le Valentinois donne rendez-vous à ses capitaines à Sinegaglia pour le 30 décembre. Il les informe de son souhait de loger ses soldats dans la ville et les invite à loger les leurs dans les faubourgs ou dans les villages périphériques, un ordre qui est exécuté sur le champ.
Le lendemain, à l’aube du 30 décembre 1502, César Borgia s’ébranle de Fano, à trente km au nord de Sinegaglia avec deux mille cavaliers et dix mille fantassins. En arrivant dans les faubourgs de la ville, César Borgia est accueilli par les soldats d’Oliverotto (1 000 fantassins et cent cinquante cavaliers), qui lui rendent les honneurs. Constatant qu’ils sont les seuls à être cantonnés dans ce faubourg, il fait traverser la petite rivière Mysa qui jouxte l’entrée de la ville et passe le pont qu’il laisse à la garde de deux cents cavaliers de l’avant-garde, commandés par l’étrangleur patenté du Valentinois, Michelotto Corella. Puis, toute l’armée passe entre les rangs des cavaliers en faction qui se referment derrière elle, condamnant irrémédiablement toute communication entre la ville et les faubourgs.
Apprenant l’arrivée du duc de Valentinois, les capitaines, Vitellozzo en tête se portent, sans arme, à l’entrée de la ville. Quelle n’est pas leur surprise de constater l’importance des troupes conduites par le Valentinois. Ils sont totalement surpris : ils s’attendaient à une visite d’un petit groupe et c’est une armée bien supérieure à la leur qui se présente. Qui plus est, cette armée les a séparés de leurs forces.
Mais le duc de Romagne en les apercevant, leur adresse des mots de bienvenue et des plaisanteries. Les capitaines ont bien le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond et ils aimeraient bien regagner leurs quartiers en périphérie. Mais César leur déclare qu’ils pourront y aller après la conférence qu’il souhaite avoir avec eux.
César et sa troupe entrent dans Sinegaglia et rejoignent le palais Bernardino que Michelotto vient de préparer pour lui car il dispose d’une porte en façade et d’une porte à l’arrière. Après quelques instants d’entretien, César sort sous prétexte de changer sa tenue de voyage et il fait entrer ses soldats qui attendaient à l’arrière du bâtiment. Les sicaires se saisissent en peu de temps de tous les capitaines qui sont arrêtés. Puis César fait disperser l’escorte des capitaines, devenue inutile et il expédie ses lieutenants arrêter un à un les principaux gradés des troupes en périphérie.
La nuit même, après un jugement expéditif, Vitellozzo et Oliverotto sont étranglés par Michellotto. César conserve cependant provisoirement la vie sauve aux Orsini car il souhaite au préalable savoir si Alexandre VI est parvenu à arrêter Giulio Orsini et le cardinal Jean Baptiste Orsini.
Le duc de Valentinois pousse alors ses troupes jusqu’à Citta di Castello, la ville de Vitellozo dont il prend possession au nom de l’Eglise puis il pousse jusqu’à Pérouse, de laquelle Jean Paul Baglioni vient de s’enfuir et qui prête serment de soumission aux Etats pontificaux. Il expédie un messager à Fermo, prendre possession de la ville au nom de Rome.
Près de Pérouse, ses soldats s’emparent de Penthésilée Baglioni, l’épouse de Bartolomeo d’Alviano, le célèbre condottiere au service de Venise, qui est enfermée dans une forteresse avec sa suite et ses enfants, pour servir d’éventuelle monnaie d’échange. Mais, à la suite d’une vigoureuse plainte de Venise, la dame est libérée par César.
A Rome, le pape a invité le cardinal Orsini aux fêtes de fin d’année. Rassuré par le bon accueil des serviteurs du Pontife, il se rend au Vatican pour l’y attendre. Il y est immédiatement arrêté et incarcéré au château Saint-Ange. Avec lui, sont également arrêtés Rinaldo Orsini, archevêque de Florence, Bernardino d’Alviano, frère du condottiere vénitien et plusieurs proches des Orsini.
Averti de l’arrestation du cardinal Orsini, César fait aussitôt étrangler par Michelotto, le 18 janvier 1503, ses deux prisonniers, Paolo Orsini et Francesco Orsini, duc de Gravina.
Le 27 janvier 1503, César Borgia adresse aux Siennois un ultimatum leur enjoignant d’exiler Pandolfo Petrucci. Ce dernier répond qu’il choisit l’exil pourvu que le duc de Romagne se retire du territoire de Sienne. Le chef du gouvernement part alors pour Gênes d’où il va continuer de diriger Sienne par personnes interposées.
Le 22 février 1503, le cardinal Jean Baptiste Orsini meurt dans sa cellule, sans doute sur l’ordre de César Borgia. Mais le Pape Alexandre VI, qui a laissé faire sans protester, est immédiatement accusé par la rumeur d’avoir fait empoisonner le cardinal Orsini.
Ainsi s’achève la chronique sanglante de ceux qui avaient voulu s’opposer à l’ascension de César Borgia.
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[i] Cet article a été rédigé à partir du livre d’Ivan Cloulas Les Borgia publié en 1987 chez Fayard, du livre sur l’Histoire des Républiques Italiennes Vol 8 de Sismonde de Sismondi, et de l’œuvre de François Guichardin L’histoire des Guerres d’Italie. Pour rédiger les détails sur les vies des condottieres cités dans cet article, il faudra consulter les tableaux monographiques en italien, des personnalités du site italien Condottieres comme Oliverotto da fermo. Par ailleurs on lira avec intérêt les chapitres VII sur la conquête d’Urbin et Camerino et VIII sur Oliverotto da Fermo du Prince de Machiavel.
[ii] Voir l’article généalogique sur la famille Orsini sur Wikipedia.
[iii] Tous ces détails proviennent des tableaux monographiques de la fiche Oliverotto da Fermo du site italien Condottieres.
[iv] Unités combattantes créées par l’Ordonnance de 1445 de Charles VII comprenant six combattants à cheval : un lancier, trois archers, un coutilier et un page.
[v] De la lignée des Orsini de Monterotondo. Cette branche des Orsini s’était alliée avec les Médicis, vingt ans auparavant, la sœur du cardinal ayant épousé Laurent le Magnifique.
[…] a tenté vainement de défendre (voir sur ce Blog l’article sur l’affaire Paolo Vitelli, Il faut arrêter César Borgia : la conjuration de Magione), lui fait craindre les désordres causés à Florence par les ambitions de César Borgia. Il […]