Qui était Louis de Bruges ?
Louis de Bruges (1422-1493), seigneur de la Gruuthuyse, prince de Steenhuyse , comte de Winchester, seigneur d’Avelghem, de Hamstede, d’Oostcamp, de Beveren, de Thielt ten Hove, etc., était fils de Jean de Bruges et de la princesse Marguerite de Steenhuyse. C’est l’un des plus grands seigneurs de cette Flandre alors soumise aux ducs de Bourgogne.
Sa famille est originaire de Bruges dont elle porte le nom depuis le onzième siècle. Le nom de Jean de Bruges son père est devenu célèbre dans les annales de l’ancienne chevalerie, par le tournoi qu’il donne à Bruges le 11 mars 1392 et dans lequel cent combattants prirent part. Ce fut sans doute pour en conserver le souvenir, que Bruges institue, à partir de 1417, les joûtes ou tournois de la société dite de “l’Ours blanc“, dont le chef, ou plutôt celui qui y remportait le prix de valeur et d’adresse, était pendant l’exercice de ses fonctions, qui durait un an, qualifié de “Forestier”, en mémoire des anciens gouverneurs de la Flandre, que les rois de France, avaient revêtus de ce titre.
Les chroniques du temps nous apprennent que ces joutes avaient lieu tous les ans vers Pâques, et qu’elles ne cesseront qu’en 1480. Louis de la Gruthuyse fait ses premières armes dans la joute du mois de mars 1443, et il y obtient le prix “du dehors”, c’est-à-dire de la joute en dehors de la barrière. Il est également couronné de succès à plusieurs reprises les années suivantes. Enfin, le 19 avril i45o, il reçoit le prix “du dedans”, et il semble que ce fut la dernière fois qu’il prit part à ces joutes annuelles de Bruges.
Mois de Juin Simon Bening Fol. 6 v° Joute en champ clos Heures de Notre-Dame ou Heures de Hennessy Inventaire n°ms. II 158 Bibliothèque Royale Albert 1er
Devenu échanson de Philippe-le-Bon en 1449, il l’accompagne en cette qualité dans un voyage de ce prince à Cambrai, le 21 janvier 1450. En 1452, après Pâques, le même prince voulant protéger ses bonnes villes de Flandre des entreprises des Gantois, dont l’esprit de mutinerie lui inspirait des craintes continuelles, choisit des capitaines expérimentés pour en être gouverneurs, et charge les seigneurs de la Gruthuyse et d’Escornay ou Escournay de la défense d’Oudenaerde en cas d’attaque. Mais les Brugeois ayant demandé avec insistance au duc, que Gruthuyse leur soit envoyé pour gouverneur, celui-ci quitte aussitôt Oudenaerde, et vient prendre le commandement de Bruges. A peine deux mois plus tard, il fait heureusement échouer le projet que les Gantois, révoltés contre leur prince, avaient conçu, pour entraîner dans leur rébellion les habitants de Bruges
En 1453, il est convoqué avec la noblesse des Etats de Bourgogne au camp formé par le duc, près du village de Renaix, pour soumettre ses sujets rebelles de Gand. Le 22 juillet, il conduit contre eux, avec Jacques de Saint-Pol et le seigneur de Lisle-Adam, la troisième et dernière colonne de l’armée du duc, composée de la noblesse de Flandre, de Picardie et du Boulonnois. C’est à cette journée, appelée la journée de Gavre, où les Gantois perdirent près de seize mille hommes, qu’il est armé chevalier par la main même de son prince, Philippe le Bon.
Il participe à Lille, le 17 février 1454 à la fameuse assemblée du Vœu du Faisan, pour s’engager à combattre les Musulmans, qui venaient de s’emparer de Constantinople.
Il épouse, en 1455, Marguerite de Borssele, issue d’une ancienne famille de Zeelande, déscendant des comtes de Souabe. Elle était la fille de Henri de Borssele, amiral de Hollande, et chevalier de la Toison-d’Or, et nièce de ce Wolfart de Borssele, qui épousa en premières noces Marie, fille de Jacques Ier, roi d’Ecosse, et en secondes noces, Charlotte de Bourbon, fille de Louis, comte de Montpensier.
Philippe, dont il est devenu conseiller et chambellan, souhaite récompenser ses bons et nombreux services, en l’élevant, dans un chapitre qu’il tient à SaintOmer, le 2 mai 1461, le soixante et unième chevalier de l’ordre de la Toison-d’Or, à la place de Jean de Vergy, seigneur de Fouvens, mort en 1460.
L’année suivante, 1461, il est désigné dans la liste des seigneurs de la suite du duc de Bourgogne, chargés de faire les honneurs de Paris, à Louis XI, lors de son entrée dans cette ville, le 31 août, après son sacre, célébré à Reims le 13 du même mois. Pendant les fêtes données à cette occasion, il participe avec éclat, aux joutes dans la grande rue Saint-Antoine, devant le palais des Tournelles.
En 1463, par lettres données à Bruges le 14 mai, le duc Philippe le nomme son lieutenant-général en Hollande, Zeelande et Frise.
Vers le commencement de 1466, il se joint à l’armée qui se rassemble à Namur, par ordre de Charles le Téméraire, pour faire le siège de Dinant, sur la Meuse. Après un siège expéditif, la ville est livrée au sac et au pillage.
Edouard, roi d’Angleterre, ayant signé, le 12 octobre, un traité d’amitié avec le comte de Charolais, Charles le Téméraire, à qui son père avoit cédé, depuis quelque temps, l’administration de ses Etats, Gruthuyse est nommé par Philippe pour aller, avec plusieurs seigneurs flamands, conclure la paix en Angleterre et régler les conditions du mariage de Charles le Téméraire son fils, avec Marguerite d’York, sœur du roi d’Angleterre.
Le 15 juin 1467, le duc Philippe le Bon meurt à Bruges. Le 3o, lorsque Charles-le-Téméraire, son successeur, fait sa joyeuse entrée dans la ville de Gand, le peuple en émeute prétend exiger le rétablissement de quelques privilèges dont son père avoit privé les Gantois en punition de leurs fréquentes révoltes. Gruthuyse qui accompagnoit son nouveau souverain, fut assez heureux pour empêcher le peuple, dans cette circonstance critique, de se livrer à des débordements. Il parvient à calmer l’effervescence et il obtient encore, par son esprit conciliant, le pardon de son prince. Le 9 avril de l’année suivante, après avoir reçu le serment de fidélité du magistrat et de la commune de Bruges, Charles envoie Gruthuyse avec une forte armée en Zeelande, où il se rend luimême le 22 pour faire prêter aux habitants le même serment.
Le 7 mai, il tient à Bruges son premier chapitre de la Toison-d’Or. Gruthuyse se trouve, le 25 juin suivant, aux fêtes célébrées à Bruges, à l’occasion du mariage de son souverain avec Marguerite d’York, sœur du roi d’Angleterre, mariage qu’il avoit lui-même négocié, et il se mêla évidemment aux joutes organisées pendant une semaine.
Nommé depuis 1463, gouverneur de Hollande, de Zeelande et de Frise, à la place de Jean de Lannoy, Gruthuyse se trouve par hasard à Alckmaer pour accueillir Edouard IV d’Angleterre, qu’il reçoit avec une magnificence presque royale: le beau frère de son souverain, chassé du trône par la faction de Warwick, vient demander au duc de Bourgogne, de financer la reconquête de son royaume.
Après avoir obtenu, non sans difficulté, le soutien de son beau-frère pour la reconquête de l’Angleterre, le roi Edouard IV revient à Bruges le 15 janvier 1471 et il va loger, avec une partie de sa suite, à l’hôtel de la Gruthuyse, jusqu’au 19 du mois suivant, jour de son départ pour la Zeelande, où l’attendent dix-huit vaisseaux que Charles lui a fait préparer, pour le conduire en Angleterre.
Après son retour en Angleterre, et se trouvant affermi sur son trône, Édouard voulut donner au seigneur de la Gruthuyse et aux citoyens de Bruges des marques de sa reconnoissance, pour l’accueil honorable et cordial qu’il en avoit reçu, il fit créer celui-ci, par le Parlement d’Angleterre, comte de Winchester, et il écrivit aux Brugeois une lettre de remerciement, qui leur fut apportée par un envoyé extraordinaire, le 7 juin 1471.
Le 26 mars de la même année 1471, le duc Charles étant alors en guerre avec Louis XI, nomme Louis de la Gruthuyse général, dans une fournée de généraux comprenant en outre Antoine, bâtard de Bourgogne, Adolphe de Clèves, fils de Marie de Bourgogne, sa tante, et enfin Jacques de Luxembourg.
C’est à peu près vers le même temps que Colard Mansion, connu déjà comme libraire et traducteur, devient l’objet d’une protection toute particulière de la part de ce seigneur, parrain de l’un de ses enfants, qui va lui faciliter les moyens d’établir, vers 1474, le premier à Bruges, une imprimerie, qui deviendra célèbre.
En 1472, l’archiconfrérie de Saint-Georges, dite des Arbalétriers, choisit Gruthuyse pour chef. Cette société, qui existe depuis le quatorzième siècle, et qui, de militaire qu’elle étoit dans son origine, est devenue une association civile et de loisirs, a été instituée, pour former les contingents militaires levés à Bruges, au maniement de l’arbalète.
Mois de Novembre Simon Bening Fol. 11v° Confrérie des tireurs à l’arbalète Heures de Notre-Dame ou Heures de Hennessy Inventaire n°ms. II 158 Bibliothèque Royale Albert 1er
Au mois de septembre 1472, il est envoyé en Angleterre, chargé d’une mission auprès du roi, de la part de son souverain. Il est accueilli avec tous les honneurs que sa conduite généreuse envers Edouard fugitif lui méritait. Il reçut, le 13 octobre 1472, le titre de comte de Winchester et, afin qu’il pût honorablement soutenir cette nouvelle dignité, le roi y ajouta pour lui et pour ses descendants mâles un revenu annuel de deux cents livres sterling à prendre sur ceux du comté de Southampton, et sur les droits perçus à l’entrée de son port. Il lui accorda de plus, par lettres-patentes en date du 3 novembre, la permission de porter les armes des anciens comtes de Winchester, cantonnées de celles d’Angleterre. Le roi Henry VII exigea cependant la restitution de ces actes de donation, quinze ans plus tard, en 15oo.
A la mort de Charles le Téméraire, à Nancy, le 5 janvier 1477, il devient le conseiller le plus écouté de sa fille, la duchesse Marie de Bourgogne. Arrivé le 28 janvier 1477 à Bruges, avec pleins pouvoirs de la duchesse Marie, il apaise une révolte du peuple qui demandoit le rétablissement de ses anciens priviléges.
Dans le courant de février, il est envoyé vers Louis XI, roi de France, de la part de Marie, seule et unique héritière du duc Charles, à l’effet de prêter en son nom, foi et hommage de ses États, renouveler la trêve de neuf ans conclue par son père, et annoncer à ce monarque qu’elle prend le gouvernement de ses États, et que Hugonet, Imbercourt, la duchesse douairière et Adolphe de Clèves, seigneur de Ravesteyn, formeront son conseil.
Comme gouverneur de Bruges, Marie lui donne l’ordre de demander au magistrat qui gouverne Bruges, de lever un contingent pour rejoindre l’armée qui s’assemble contre la France. Le 19 juin, il part rejoindre l’armée, qui campe aux environs de Tournai, avec des troupes nombreuses et bien équipées.
Après la bataille de Guinnegate, livrée le 7 août, et où le fils aîné de Gruthuyse et quelques autres seigneurs flamands sont faits prisonniers, on fait à Bruges, en actions de grâces des succès obtenus par les armes flamandes, une procession générale, à laquelle assiste la duchesse, nu-pieds, tenant un cierge à la main. La Chronique de Flandre, qui rapporte cette dernière circonstance, observe que le seigneur de la Gruthuyse se tint constamment à côté de la princesse. Maximilien d’Autriche, qui devait épouser la duchesse Marie, arriva le 18 du même mois à Gand, suivi d’un grand nombre de seigneurs du pays, qui étoient allés à sa rencontre jusqu’à Dendermonde. Parmi eux on distinguoit le comte de Chimay et Gruthuyse. Ces deux seigneurs eurent l’honneur de donner la main à la princesse pour “monter à la chapelle où elle devoit recevoir la bénédiction nuptiale.
Les fêtes auxquelles cet événement donna lieu, et qui sont décrites au long dans l’excellente Chronyke van Vlaenderen durèrent cinq jours, et elles ne furent interrompues que par le départ précipité de Maximilien pour l’armée.
La princesse Marie, étant accouchée le 22 juin de son premier enfant, Philippe, Gruthuyse est nommé chambellan du prince nouveau-né, et, en cette qualité, assiste à la cérémonie du baptême, qui a lieu le 29 juin.
Le 24 du même mois 1482, Gruthuyse, au nom de Maximilien d’Autriche, ratifie la paix faite à Arras entre Louis XI, roi de France, et Maximilien. Dans l’acte de ce consentement, en parlant de Louis XI, Gruthuyse appelle ce monarque son souverain seigneur (les comtes de Flandre sont vassaux des rois de France), et Maximilien, son “souverain naturel”.
Trois jours après, la princesse Marie meurt des suites d’une chute de cheval. Gruthuyse est nommé, avec Jean de Lannoy, abbé de Saint-Bertin, et Jean Parmentier, son exécuteur testamentaire. Il assiste à l’enterrement le 2 avril, et marche, en grand deuil, avec un long manteau et un chaperon noirs, après Maximilien et Philippe son fils, qui n’avoit encore que deux ans et huit mois.
Gruthuyse, qui a été le grand favori des ducs de Bourgogne, depuis Philippe le Bon, va s’opposer à Maximilien, l’époux de Marie de Bourgogne et futur empereur du Saint Empire, à partir de 1508, qui ne saura jamais s’y prendre avec les Flamands.
Dans le premier mois de l’année 1485, Gruthuyse, qui avoit été un des chefs du parti qui vouloit que la tutelle du jeune prince Philippe fût donnée à quatre personnes nommées par les trois États du pays, à l’exclusion de Maximilien, est arrêté et jeté en prison par ordre d’Engelbert de Nassau et, du consentement des Brugeois, d’après une des conditions de la paix faite avec eux, et tous ses biens sont confisqués. Son affaire est portée au tribunal des chevaliers de la Toison-d’Or, avec injonction à lui de se présenter au premier Chapitre qui sera tenu, pour rendre compte de sa conduite et pour s’y justifier. Cette décision ne satisfait guère Maximilien, qui auroit souhaité perdre Gruthuyse qui part sur-le-champ pour Malines, lieu de sa nouvelle prison, sous la garde du maître d’hôtel du prince, Olivier de la Marche. Il reste à Malines avec ses deux fils jusqu’au 15 février 1488, date où la commune de Bruges, qui s’étoit de nouveau insurgée contre Maximilien , lui envoie un député pour l’engager à revenir.
Il signe le 1er mai 1488, dans cette ville, un traité d’alliance et d’union entre les trois États du duché de Brabant, et les États de Middelbourg, Luxembourg, Flandre , etc., approuvé et confirmé par Charles VIII, roi de France. Par un des articles de l’accord fait le 1o du même mois, entre Maximilien et les États de Flandre, il est dit que Gruthuyse et les autres nobles qui avoient été décrétés d’arrestation, à cause de l’emprisonnement du monarque, seroient libérés et indemnisés.
Par un autre article de la paix conclue par les États de Flandre avec Maximilien, et arrêté en leur assemblée à Gand le 12 mai, Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, David, évêque d’Utrecht, Jean, duc de Bourbon, connétable de France, Jean, duc de Clèves, le seigneur de Brimeu, le comte de Clermont, Adolphe de Clèves, seigneur de Ravesteyn, Philippe de Clèves, Antoine, bâtard de Bourgogne, seigneur de Beveren, sont invités, comme parens et amis de leur prince naturel, du côté de sa femme, à signer, par approbation et pour plus grande sûreté, tous les articles de cette paix, et à y apposer leur sceau.
Ce monarque ayant conclu la paix avec Charles VIII, à Francfort, le 22 juillet 1489, et étant convenu, par un article du traité, de prendre le roi de France pour médiateur entre lui et les Flamands, les États de Flandre envoient en conséquence vers le Roi, le 20 du mois d’août, pour traiter de la paix, une députation de vingt-six membres, au nombre desquels se trouve Gruthuyse.
Charles VIII étoit alors à son château de Montilz-Iez-Tours (rebaptisé Plessis-lez-Tours par Louis XI). Ces envoyés restèrent au Montilz jusqu’au 1er octobre suivant, jour de la signature de la paix; mais ils ne furent de retour à Bruges que le 5 décembre.
C’est à ce voyage de Gruthuyse à Tours qu’il faut fixer l’époque à laquelle il fit hommage à Charles VIII du beau manuscrit qu’il avoit fait exécuter dans cette intention, sur la base d’un récit du roi René d’Anjou, qui contenoit la description du tournoi dont son père, Jean de Bruges, seigneur de la Gruthuyse, avoit donné le magnifique spectacle à Bruges en 1392.
Louis de Bruges remet l’exemplaire à Charles VIII Traittié de la forme et devis comme on fait les tournoyz », par « RENE D’ANJOU » Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 2693 Folio 1v
Le 24 mai 1491, jour de la Pentecôte, Maximilien assemble à Malines le vingt-troisième Chapitre de la Toison-d’Or. Gruthuyse, qui redoutait, sans doute, les reproches qu’il avoit encourus en prenant souvent parti pour les États de Flandre, et en défendant les privilèges de sa ville contre les entreprises de ce prince, n y paraît pas.
Dans ce Chapitre furent produites plusieurs accusations contre quatre chevaliers qui avoient pré- cédemment eu part aux mouvements populaires des Flamands. Gruthuyse fut aecusé d’avoir, par suite des troubles qui agitaient le pays, et à la faveur du soulèvement du peuple, fait livrer aux Français avec lesquels on étoit en guerre, la ville d’Alost, et leur avoir rendu lui-même le château de Lille, dont il était capitaine.
Le 14 novembre il arrive de Gand à Bruges, mais déjà tellement malade, qu’il meurt le 24 du même mois, âgé de plus de 70 ans. Le 27, vers les neuf heures du soir, son corps est déposé dans le tombeau qu’il s’était fait construire dans l’église de Notre-Dame.
Gruthuyse aimoit les lettres. La riche bibliothèque qu’il avait constituée, et qu’on ne pouvait comparer à aucune autre de son temps, si l’on en excepte celle des ducs de Bourgogne, en est une preuve incontestable. Il les protégeoit aussi dans ceux qui les cultivaient, témoin ce Colard Mansion, traducteur de plusieurs ouvrages en français, et le premier imprimeur à Bruges, dont il tint un des enfants sur les fonts baptismaux. Il étoit magnifique en tout. Le vaste hôtel qu’il fit élever sur l’emplacement d’un plus ancien, et qu’il orna de tout ce que les arts offraient alors de plus recherché, ses beaux et nombreux châteaux, ses dons multiplies, attestaient de son goût et de son opulence. Il fut en même temps dévot, sage et prudent, libéral, et charitable envers le pauvre, son esprit étoit orné, et il parlait bien. Il a laissé, dans divers monuments qui existent encore, des témoignages non équivoques de ses heureuses et brillantes qualités.
Origine du nom de la Gruthuyse
Il tirait son nom de Gruthuyse, qui s’écrit diversement Gruythuyse, Gruuthuuse, Gruthuyse et Gruthuse, et qui signifie, en langue flamande, “maison de la gruyte“, ainsi appelée d’un droit ou impôt qui se prélevoit à son profit sur la fabrication et la vente de la bière, sous la dénomination de “gruyte“, sorte de drêche, et dont le produit s’appeloit “gruyte geldt” (argent de la gruyte). Ce droit, qui consistoit en deux gros sur chaque tonneau de bière qui se brassait dans la ville de Bruges, avait été accordé en 1200, à l’un de ses ancêtres, par Baudouin, comte de Flandre, au moment où, s’étant croisé contre les infidèles, il était sur le point de partir pour Constantinople.
Le produit de cette taxe devait mettre le seigneur de la Gruthuyse, capitaine de la ville, en état de seconder le seigneur de Ghistelles, à qui Baudouin avoit confié pendant son absence l’entretien des digues et la défense générale des côtes, depuis Calais jusqu’au port de l’Ecluse, et auquel il avait également accordé à cet effet un droit de sortie de quatre gros sur toutes les marchandises du pays.
Plus tard, la ville de Bruges prit à ferme, des seigneurs de la famille de la Gruthuyse, le fief de cette gruyte.
Comment la bibliothèque de Gruthuyse est-elle entrée entre les mains des rois de France ?
Laissons la parole à Paul Durrieu, l’un des plus grands spécialistes français de l’enluminure, qui parle en ces termes de la collection de Gruuthuyse:
Louis de Bruges de la Gruuthuyse Peintre flamand anonyme Groeninge Museum, Bruges
“Celui-ci réunit dans sa bibliothèque toute une série de superbes productions de la nouvelle école. Or cette série a ensuite passé en bloc au roi Louis XII, à telles enseignes que, sauf quelques pertes partielles, elle se trouve aujourd’hui à la Bibliothèque nationale. Bourdichon était alors peintre en titre du roi de France ; et un texte d’archives nous montre que, parmi ses multiples occupations, il avait la charge de veiller à la bonne conservation de certaines parties des collections d’objets d’art du roi. Par sa situation à la cour, Jean Bourdichon a pu connaître aisément les beaux manuscrits enluminés venus à Louis XII du seigneur de la Gruuthuyse.
Platearius « Livre des symples medichinos, autrement dit Arboriste, continué selon le A, B, C. » de Louis de Bruges Modèle de bordures d’inspiration ganto-brugeoise à fleurs coupées Collection de la Gruuthuyse Folio 1r Département des manuscrits, Français 9136 BNF
“Il y a plus. Suivant la mode du temps, on a approprié ces manuscrits à l’usage de leur nouveau possesseur, en grattant et en repeignant en surcharge certains détails. Au début de l’un des plus beaux, un Ptolémée (ras. latin 4804 de la Bibliothèque Nationale) se trouvait un portrait de Louis de Bruges. Ce portrait a été effacé et l’on a mis à sa place une effigie de Louis XII, opération dont les traces apparaissent très nettement lorsqu’on examine le feuillet par derrière, en le mettant en face du jour.
Claudius Ptolemaeus , Cosmographia La miniature centrale serait due à Jean Bourdichon d’après Paul Durrieu Latin 4804 Folio 1v Collection de Gruuthuyse GALLICA BNF
“Nous savons par les documents que ces opérations de changements de têtes dans un manuscrit étaient confiées, en thèse générale, par les princes et les grands amateurs, à leurs peintres et enlumineurs en titre ; et, d’autre part, ce qui est décisif, on peut constater par l’observation que dans ce portrait de Louis XII ainsi introduit dans le Ptolémée de Louis de Bruges, la facture est identique à celle des plus belles miniatures du “Livre d’Heures d’Anne de Bretagne”. C’est donc dans l’atelier de Bourdichon que le travail de remaniement a été fait. Nous constatons ainsi que le peintre français a été amené par les circonstances à travailler sur des manuscrits de l’École ganto-brugeoise offrant des spécimens superbes de la décoration florale naturelle, et nous nous expliquons maintenant comment il a pu emprunter à ces manuscrits l’idée maîtresse de l’ornementation des « Heures d’Anne de Bretagne ».
Alexis Paulin[ii], conservateur de la bibliothèque royale, poursuit sur Louis de Bruges, avec l’histoire de sa collection.
« Il avait principalement mis son attention à rassembler une collection de manuscrits superbes, les uns achetés de plus anciens propriétaires, les autres, commandés à des artistes de Bruges et exécutés sous sa direction. La plupart de ces merveilles, portaient, comme pour le numéro 6701, dans les vignettes et même dans le corps des miniatures, la devise qu’il avait adoptée, figurant une bombarde lançant un projectile avec les mots : « Plus est en vous ». Mais après sa mort, ses livres passèrent en grand nombre dans la bibliothèque des rois de France et le soin qu’on prit alors de recouvrir l’écu de la Gruuthuyse, pouvait faire supposer que le titre de la propriété nouvelle, n’était pas incontestable[iii] ».
Jean Bourdichon, l’enlumineur officiel de la cour (voir sur ce Blog, l’article sur un prince de l’enluminure: Jean Bourdichon, peintre de cour), est chargé de ces camouflages qui n’échappent pas à l’oeil expert d’un Joseph van Praet, d’un Alexis Paulin ou d’un Paul Durrieu.
Joseph Van Praet a du reste laissé un opuscule à la BNF, dans lequel il reconstitue l’itinéraire de Louis de Bruges, dont la synthèse est présentée ci-dessus, ainsi que le détail de cent six ouvrages de la collection passée entre les mains de Louis XII, avec, en regard de chaque ouvrage, tracé au crayon (de la main d’Alexis Paulin ?) la référence du manuscrit dans les cotes de la BNF ce qui permet de le retrouver immédiatement, si l’exemplaire a été déjà numérisé.
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[i] RECHERCHES SUR LOUIS DE BRUGES, SEIGNEUR DE LA GRUTHUYSE par Joseph van Praet. La notice historique sur la vie de Louis de la Gruthuyse est constituée d’extraits rédigés par Van Praet.
[ii] Dans l’article « L’enlumineur flamand Simon Bening » par le comte Paul Durrieu, In: Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 54e année, N. 3, 1910.
[iii] Alexis Paulin « Les manuscrits français de la bibliothèque du roi, leur histoire », Volume 1.
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