
Caffa et la Gazarie génoise en 1400 Carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
Au XIVème siècle, la ville de Caffa (aujourdhui Feodosija), fondée par les Génois, est l’une des plus grandes villes des régions Pontiques. D’après un article de Michel Balard sur le site Persee, Ibn Battuta, de passage à Caffa en 1340 parle « d’une grande cité qui s’étend sur les bords de la mer et qui est habitée par des Chrétiens, la plupart, Génois« . Il mentionne « de beaux marchés, un port admirable où il voit plus de deux cents vaisseaux tant bâtiments de guerre que de transport, petits ou grands« . Selon le même article, le voyageur allemand Johann Schiltberger dénombre six mille maisons dans la première enceinte et onze mille hors les murs. Selon les données fiscales de la ville, le nombre d’esclaves serait à l’époque de cinq cent-trente, soit une population globale de vingt mille habitants si le taux d’esclave par famille est le même qu’à Gênes à la même époque.
En 1308, Caffa, assiégée par les armées tatares, a été abandonnée et brûlée. Autorisés à revenir en 1316, par le Khan Ozbek, les Génois reconstruisent la ville. Les remparts de l’enceinte intérieure, construite de 1316 à 1352, ont une longueur de sept cent-dix-huit mètres (quatre hectares). L’enceinte extérieure, qui sera construite de 1383 à 1385, pour abriter les maisons hors les murs, fera plus de cinq mille cinq cents mètres de pourtour (soit 240 hectares environ).
La ville de Caffa est en expansion constante dans tout le XIVème siècle car elle draine les produits vivriers de la mer noire qui sont ensuite exportés vers Pera à Constantinople et les produits de la route de la soie, qui sont exportés vers Gênes et l’Italie.
En 1346, la ville est assiégée par les tribus mongoles. Or une terrible épidémie de peste noire frappe à cette époque les territoires de la horde d’or, dont les assiégeants de Caffa sont bientôt les premières victimes. L’épidémie se propage-t-elle par le catapultage des morts par dessus les murailles de la ville ou par simple contact, la ville est bientôt confrontée à l’épidémie qui fait fuir tous les habitants.

Carte Pourtour de la mer noire et mer d’Azov Cosmographie universelle Folio 36 Service historique de la Défense, D.1.Z14 BNF
Les navires qui ramènent des Génois ou des Vénitiens en Italie, sont bientôt des charniers flottants et les quelques survivants qui débarquent, transmettent alors la mort aux ports italiens et de là, à toute l’Europe, qui va perdre en quelques années, entre trente et cinquante pour cent de sa population.
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Emission de la chaîne Arte sur la grande peste de 1347
A partir des ports méditerranéens[i], la peste se déplace de proche en proche vers tous les pays : Sicile dès 1347; Afrique du Nord, Corse, Sardaigne, Italie, Péninsule Ibérique, France en 1348; Autriche, Hongrie, Suisse, Allemagne du Sud, Vallée du Rhin, Flandre, Angleterre méridionale en 1349; Angleterre septentrionale, Scandinavie et pays riverains de la Baltique en 1350. En trois ans, en se propageant surtout le long des voies commerciales terrestres et de port en port, elle avait dépeuplé l’Occident tout entier.
Cette impression d’exceptionnelle mortalité se traduit dans les chiffres très élevés de décès donnés par les chroniqueurs, qu’il s’agisse d’une seule ville ou de l’ensemble de la Chrétienté. Boccace estime à plus de 100.000 le nombre des morts à Florence qui ne compte à cette époque que 90 000 habitants; un chroniqueur rouennais donne le même chiffre pour Rouen; Gilleli Muisit propose 25.000 pour Tournai; Froissart ne consacre à la Peste noire qu’une seule phrase de son long ouvrage, mais elle a fait fortune : « en ce temps, par tout le monde généralement une maladie qu’on claime épidémie courait, dont bien la tierce partie du monde mourut« .

Guy de Chauliac Médecin du pape à Avignon pendant la grande peste Chirurgien Musée de la faculte de médecine de Nancy
Le montpelliérain Simon de Couvin estime, lui, que la moitié de la population fut emportée par le fléau. Quant à un chroniqueur bourguignon, plus pessimiste encore, il évalue les pertes aux 9/10 de la population :
« En mil trois cent quarente et huit
A Nuits de cent restèrent huit ».
La peste nous dit l’article de Yves Renouard, n’a pas sévi avec la même intensité dans toutes les régions, dans tous les groupements humains, dans toutes les catégories sociales. Elle a surtout éprouvé les agglomérations : les villes où l’hygiène était déplorable, où les rats pesteux pouvaient gagner rapidement tous les quartiers avec les puces qu’ils portaient, ont été plus frappées que les campagnes; et dans les villes, les catégories sociales qui vivaient le plus entassées, les ouvriers, ou celles dont les membres, liés à une discipline communautaire, se retrouvaient constamment ensemble, tels les frères des Ordres Mendiants, ont payé le plus lourd tribut au fléau.
Le registre paroissial tenu par le vicaire d’un village bourguignon, Givry, près de Chalon-sur-Saône, a été conservé pour la période de l’épidémie : dans la décade précédente, il mourait en moyenne, dans ce prospère village de 1.200 à 1.500 habitants, 30 personnes par an; du 5 août au 19 novembre 1348, date à laquelle il s’interrompt, 615 personnes ont succombé, soit à peu près la moitié de la population.
L’article poursuit en signalant qu’en France, cette ponction tragique a mis fin à une tension démographique sérieuse. En 1328, la population y atteignait, d’après les calculs faits par M. Ferdinand Lot à partir de l’état des paroisses et des feux dressé à cette date, approximativement 20 millions d’habitants. Et elle ne cessait de s’accroître dans la période de paix qu’est le début du xiv* siècle, d’autant plus que toute émigration importante avait cessé depuis la fin des grandes Croisades en 1270.
A peu près exclusivement rurale, cette population occupait les campagnes françaises. Or les techniques encore grossières de son agriculture lui donnaient des rendements de céréales trois fois moindres que de nos jours : elle ne parvenait à subsister que grâce à l’extension croissante des surfaces cultivées, au rythme de son propre accroissement démographique. La grande peste noire contribue à rétablir de ce fait, un équilibre entre les capacités de production agricole et le niveau de la population.
La peste était une maladie contagieuse dont la propagation pour rapide qu’elle fût, a tout de même duré trois ans et ses résurgences ont été fréquentes au cours de la deuxième moitié du xiv* siècle. La menace du fléau en marche ou reparaissant en des lieux qu’il avait quittés, développe et maintient un état de crainte chronique dans les populations du xiv* siècle. C’est cette crainte qui explique les phénomènes d’affolement collectif à caractère morbide, dont le plus important fut le mouvement des Flagellants qui cherchaient par de violentes macérations physiques à attirer la clémence du ciel; c’est cette crainte également qui explique le sentiment de la présence de la mort, de la peur de mourir et, corrélativement, l’apparition des thèmes macabres dans l’art, comme celui de la danse macabre.
Le relâchement de la vie morale, la tendance à une religion plus superstitieuse, le développement du mysticisme que l’on observe après 1350 en Europe sont déterminés par la disparition de beaucoup de prêtres et spécialement de frères des Ordres Mendiants, élite du clergé du xiv* siècle.
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[i] Cet article est issu principalement de l’article de Yves Renouard « Conséquences et intérêt démographique de la Peste noire de 1348 » In: Population, 3e année, n°3, 1948 pp. 459-466 chez Persee.
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