“Aut Caesar, aut nihil” Le duc de Valentinois aidé de troupes prêtées par le roi Louis XII va reconquérir une Romagne émiéttée en de multiples fiefs féodaux. Entre Alexandre VI et son fils César, son vicaire, une étroite collaboration va aboutir à façonner, sur les territoires pontificaux, une nouvelle entité politique débarrassée des tyrans féodaux. César y gagnera des ennemis mortels et les Papes suivants, des territoires qui s’étaient affranchis de l’autorité de l’Eglise.
Le duc de Valentinois en France
Alexandre VI [i] fait célébrer par des feux de joie, le mariage de César et de Charlotte d’Albret. Car le Pape tient absolument à ce que tous sachent que le Vatican a fait alliance avec le roi de France et Venise contre Milan et contre Naples.
Le nouveau duc de Valentinois vit sur un grand pied à la cour de Louis XII. Il a dépensé en six mois, la totalité de l’argent remis par le Pape à son départ. Il fait donc venir de Rome 50 000 ducats supplémentaires en plusieurs envois successifs.
Après un bref passage dans sa seigneurie d’Issoudun, il rejoint la cour à Romorantin, la reine Anne de Bretagne étant venue accoucher chez Louise de Savoie de sa première fille Claude de France. César y retrouve son épouse Charlotte avec laquelle il passe quelques semaines. En repartant pour l’Italie, il va laisser son épouse enceinte : il ne connaîtra jamais sa fille Louise, son seul enfant légitime et ne reverra jamais Charlotte d’Albret, qui mourra en 1514.
Revendication du Milanais par Louis XII
La conversion d’Alexandre VI, un espagnol, à la cause française, révolte l’Espagne et le Portugal qui se plaignent que le Pape songe davantage à l’avenir de ses enfants qu’à celui de l’Eglise. Alexandre VI rétorque, non sans humour, en enlevant à son petit-fils, Jean de Gandie, le fils de Juan et de Maria Enriquez, son duché de Bénévent qui est rattaché à nouveau à l’Eglise.
Alexandre VI reçoit de France des nouvelles encourageantes : l’armée se concentre à Asti de mai à juillet 1499 elle compte environ trente mille combattants dont treize mille cavaliers et dix-sept mille fantassins, plus un parc d’artillerie important.
Ludovic le More a été lâché par tous ses alliés. Venise se préparer à attaquer le duché de Milan pour étendre son territoire, lors de l’invasion française.
A Rome, le discours du Pape devient de plus en plus violent à l’égard de Milan. L’alliance avec la France qui a des vues sur Naples, inquiète Sancia et Alphonse d’Aragon. Ce dernier décide de s’enfuir de Rome le 2 août 1499. Il est poursuivi par les gardes du Vatican ce qui l’oblige à se réfugier chez les Colonna, alliés de Naples. Le Pape est furieux contre la famille du roi Frédéric de Naples. Il ordonne à Sancia de prendre le même chemin qu’Alphonse. Mais Sancia refuse. Il menace alors de la jeter dehors “manu militari“. La jeune femme finit par obtempérer.
A Milan, Ludovic doit faire face à une double offensive des Français et des Vénitiens. Les renforts promis par Naples ne sont pas arrivés. Il a prévu de se retrancher en concentrant ses forces dans Alexandria pour mieux résister. Comprenant que la partie est déjà perdue, il a expédié ses enfants avec son frère le cardinal Ascanio Sforza dans le Tyrol auprès de sa nièce, Bianca-Maria qui avait épousé l’Empereur Maximilien (voir à ce sujet la généalogie sur Les ducs de Milan de 1350 à 1535 sur ce Blog). Assiégée par quarante mille hommes, Alexandria ne tient pas longtemps. Le 29 août, sa garnison, commandée par Galeazzo San Severino (qui passera au service de la France un peu plus tard), abandonne la ville.
Le 2 septembre, Milan ouvre ses portes et quinze jours plus tard, Pavie capitule.
Doter les princes héritiers: duchés de Nepi et de Sermoneta
Bien que n’étant pour rien dans ce triomphe des armées françaises, César reçoit sa part de lauriers. Il fait jouer les clauses de l’accord négocié entre Rome et Louis XII (voir César Borgia Première partie) pour se faire octroyer des troupes par Louis XII. Pour l’heure, sa cible est Ferrare. Son petit-cousin, le cardinal espagnol Jean Borgia a sondé en septembre les ambassadeurs de Florence et de Venise qui n’ont pas approuvé le principe d’une intervention contre Ferrare. D’ailleurs, informé par Florence de ces bruits, le duc de Ferrare s’empresse de se rallier à la coalition franco-vénitienne.
Rodrigo Borgia a décidé, afin de doter son petit-fils Rodrigue, le fils de Lucrèce et d’Alphonse d’Aragon, dès septembre 1499, de s’emparer des biens de la famille Caetani, une grande famille romaine ayant donné un Pape et plusieurs cardinaux, qui détient, à partir du duché de Sermoneta, à quatre-vingt kilomètres au sud de Rome, une série de seigneuries importantes qui jalonnent la route de Naples. Alexandre VI attire par surprise un Caetani important, protonotaire apostolique : il est enfermé au château Saint-Ange et jugé. Il est déclaré coupable de lèse-majesté et il va mourir dans son cachot un an plus tard. Ce qui permet au Pape de confisquer tout le patrimoine des Caetani. Afin de donner une apparence de légalité, il fait racheter par Lucrèce pour 80 000 ducats, les propriétés des Caetani. Mais l’argent est remis par un trésorier du Vatican de sorte que le duché ne coûte pas un ducat aux Borgia.
Pour son petit-fils Jean, bâtard né de Lucrèce Borgia et des œuvres de Pedro Caldes (voir César Borgia 1ère Partie), le Pape a prévu de lui attribuer le château de Népi et son territoire, confisqués aux dépens du cardinal Ascanio Sforza, qui a pris la fuite. Ce patrimoine sera agrandi par des places voisines et transformé en duché de Nepi.
La comtesse de Forli: Caterina Sforza
Puis le Pape, en pensant à son fils César, tourne ses regards vers la Romagne dont les baronnies féodales indépendantes s’étaient progressivement affranchies de la tutelle de Rome. Des bulles comminatoires sont alors expédiées contre les seigneurs de Rimini, Pesaro, Imola, Faenza, Forli, Urbino et Camerino qui sont déchus de leurs fiefs pour non-paiement du cens annuel dû par eux à la chambre apostolique.
A Milan, César s’est préparé activement à la guerre. Il a emprunté 45 000 ducats à la ville de Milan, et levé des mercenaires italiens. Louis XII a mis à sa disposition Yves d’Alègre avec 1800 cavaliers et Antoine de Baissey, bailli de Dijon, avec 4 000 fantassins Suisses et Gascons. Au total, César peut s’appuyer sur seize mille hommes parfaitement entraînés.
Dès la fin septembre 1499, l’armée du duc de Valentinois progresse vers la Romagne en passant par Reggio et Modène. Il s’arrête à Bologne chez le tyran local Bentivoglio. Son objectif est Imola, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest, appartenant à la comtesse de Forli, Caterina Sforza (voir l’article sur ce Blog sur L’indomptable lionne de Forli).
Mais avant de s’attaquer aux forteresses de Romagne, il doit sonder le Pape. Car le Pape a entretenu, lorsqu’il était cardinal, des relations très amicales avec Girolamo Riario et Caterina Sforza et il est même devenu le parrain de leur fils Ottaviano, que César s’apprête à spolier aujourd’hui. Le duc de Valentinois a donc besoin de connaître sa marge de manœuvre.
Utilisant les relais de poste des chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, il fait l’aller-retour entre Bologne et le Vatican, soit huit cents kilomètres, en quatre jours.
Le Saint-Père, oublie le reste du monde lorsqu’il s’agit de sa famille. Caterina Sforza, qui tient son comté de Forli du Pape précédent, Sixte IV, a-t-elle réglé comme elle le devait son cens annuel à Rome ? Non. Elle devra donc comme les autres, se soumettre ou périr. Quant à Faenza, dont le seigneur, Astorre Manfredi est protégé par Venise, l’alliée de la France, on verra plus tard mais Faenza doit être préservée pour l’instant.
Le duc sait que le temps dont il pourra disposer des forces françaises, lui est compté. Il doit donc être expéditif. Il doit vaincre par assaut ou par traîtrise mais il doit vaincre rapidement.
Heureusement les tyrans locaux n’ont pas uni leurs forces et la plupart, à l’exception de Caterina Sforza, n’ont pas eu le temps de fortifier leurs cités. César envoie à Imola le 25 novembre, son lieutenant Tiberti, se réservant Forli. La ville d’Imola, non défendue, se rend à la première sommation. Mais dans la forteresse, le condottiere Dionigi di Naldo résiste. A-t-il été acheté par César car il deviendra plus tard l’un de ses capitaines préférés ? Il accepte de se retirer sous trois jours s’il ne reçoit pas de renforts. Il ne reçoit pas de renforts. Et pour cause, la ville de Forli est investie par les troupes du futur duc de Romagne !
Le 17 décembre, le cardinal Jean Borgia, investi comme Légat du Pape en Romagne, reçoit la soumission d’Imola. La ville de Forli, impressionnée par le très rapide déroulement des faits, donne également sa soumission deux jours plus tard.
César entre dans Forli, tandis que la forteresse, où s’est retranchée Caterina Sforza, résiste. Le casernement de l’armée dans Forli ressemble à un sac. Les habitants sont brutalement éjectés de leurs demeures et mis à la rue tandis que plusieurs femmes sont forcées et que Caterina Sforza fait pleuvoir la mitraille sur ses sujets indisciplinés. Mais César est rusé. Il arrive, prend connaissance de la situation, fait pendre pour l’exemple quelques indisciplinés et il gagne la sympathie de la population.
Il propose de rencontrer Caterina pour parlementer : cette dernière accepte. Le 26 décembre, il rencontre Caterina Sforza devant la forteresse. Cette dernière essaie, sournoisement, de l’entraîner à l’intérieur : elle avait donné instruction de remonter le pont-levis derrière elle. Mais le grincement des chaînes alerte César qui n’a que le temps de sortir. Dépitée Caterina se résout à subir le siège de la forteresse. Mais c’est la fin de l’année, période de répit pour l’armée française. On laisse passer les fêtes, et le 12 janvier, César donne l’assaut, irrésistiblement. La première enceinte de la forteresse est bientôt prise, de même que la grande tour. Voyant la partie perdue de ce côté-là, Caterina se retire dans la deuxième enceinte et elle met le feu à la grande tour où sont entreposées les munitions. La tour explose faisant quatre cents victimes.
Pour César, la coupe déborde. Il vient parlementer avec Caterina une seconde fois. Tandis qu’elle lui parle de la fenêtre de l’une des tours, un soldat français qui a réussi à entrer sans doute par une porte de communication mal fermée entre la première et la seconde enceinte, se glisse derrière elle, la ceinture et la fait prisonnière. La forteresse capitule alors.
César entre pour prendre possession de la forteresse et de Caterina Sforza. Il passe deux heures en tête à tête avec la terrible comtesse. Que se sont-ils dits ? L’a-t-il forcée comme on l’a prétendu ? Le général français, Yves d’Alègre, exige d’être reçu. En présence de la captive, il déclare que le roi de France ne fait pas la guerre aux femmes : elle doit donc être assignée à résidence sans être emprisonnée.
César cède car il a besoin des troupes françaises. Le lendemain, il fait conduire Caterina Sforza sous bonne escorte à Rome. La prisonnière s’est habillée de deuil en satin noir. Le Pape va l’assigner à résidence au Vatican où elle va rester six longs mois au secret dans une chambre avec une garde armée à sa porte. Puis surviendra l’épisode de sa prétendue tentative d’empoisonnement sur Alexandre VI : elle était une très grande spécialiste des herbes médicinales (elle a laissé un traité de recettes de beauté) et elle aurait essayé de faire passer au Pape une lettre empoisonnée par contact. Elle en était capable, mais comment aurait-elle pu organiser cet attentat immobilisée comme elle l’était et sans aucun contact avec l’extérieur ?
Un de ses partisans qui expédie au Pape une lettre imprégnée de poison et qui déclare qu’il veut bien perdre sa vie si en mourant il sauve sa princesse ! Cela ressemble furieusement à un coup monté. En tout cas elle nie farouchement et le Pape choisit, par sûreté de la mettre au cachot au Fort Saint-Ange comme César en avait eu l’intention. Là, elle est torturée quotidiennement et brisée psychologiquement. Pendant une longue année. Puis, Yves d’Alègre, de passage à Rome, comme ambassadeur de Louis XII se rend compte de l’indignité du traitement infligé à la prisonnière, en contravention des engagements pris en sa présence. Il exige qu’elle soit libérée et il menace de le faire par la force quelques jours plus tard lorsque l’armée française sera là. Le Pape cède malgré la volonté de César Borgia qui oblige cependant Caterina à signer un document par lequel elle résigne en son nom et celui de ses enfants à tout droit sur les comtés de Forli et d’Imola.
Le retour à Rome en triomphe
Pour l’heure César doit faire face à une rébellion des Suisses qui demandent une haute paye. César la leur accorde. Il a trop besoin de ses hommes pour poursuivre sa campagne en Romagne. Car après Immola et Forli, c’est le tour de Pesaro, la ville de l’ex-beau-frère Giovanni Sforza qu’il s’apprête à conquérir. Mais César est obligé de mettre fin à sa campagne de Romagne car les troupes françaises sont rappelées à Milan. Ludovic Le More est revenu à la conquête de son duché avec neuf mille hommes payés par l’Empereur. César place ses troupes en garnison dans ses nouvelles conquêtes et il part à Rome pour se procurer de l’argent et des soldats pour remplacer les Français.
Le retour à Rome du duc de Valentinois, César Borgia, le 26 février 1500, est marqué par de grandes réjouissances. On célèbre le héros à l’antique, qui vient de ramener à soumission à l’Eglise les cités de Romagne qui avaient pris leur indépendance. Le 29 mars, le Pape nomme César gonfalonier : « le cérémoniaire du Vatican Burckard vient s’emparer du pourpoint de César, et le Pape pose sur les épaules de son fils la cape de gonfalonier et sur sa tête, la barrette cramoisie. Il lui remet deux étendards, l’un marqué des armes des Borgia, l’autre des clefs de Saint-Pierre. Puis il tend son bâton de commandement et César prête serment d’obéissance… ».
En cette année 1500, où César est sur le point de triompher, plusieurs alertes sur la vie du Saint-Père, lui montrent la précarité réelle de sa situation. Le Pape a mauvaise mine et plusieurs attaques l’ont obligé à se reposer. Le 29 juin, un violent orage s’abat sur une cheminée au-dessus des appartements Borgia. Trois personnes sont tuées dans la salle d’audience où le Pape, assis sur son trône est submergé par une pluie de décombres : la cheminée s’est effondrée, faisant céder une poutre qui a traversé le plafond et s’est bloquée sur le baldaquin du trône, retenant les débris. On retire le Pape blessé mais vivant.
César se rend compte qu’en cas de décès du Pape, sa situation personnelle de duc de Romagne et de gonfalonier est rien moins qu’assurée. Il obtient des assurances de la France et de Venise mais l’Espagne et Naples ? Ce qui est certain c’est qu’elles ont leur candidat dans la place : le duc de Bisceglia ferait un remplaçant tout désigné à César Borgia !
Ce qui scelle le destin d’Alphonse d’Aragon.
Le destin d’Alphonse d’Aragon
Le mercredi 15 juillet, trois heures après le coucher du soleil, Alphonse traverse la place Saint-Pierre pour se rendre au Palais de Santa Maria in Porticu lorsqu’une troupe de spadassins lui barrent le chemin. Le duc et ses deux écuyers se réfugient sous la loggia de la Basilique Saint-Pierre mais ils sont rattrapés et Alphonse tombe grièvement blessé à la tête, aux bras et aux jambes. Les assaillants, le croyant mort, s’enfuient et rejoignent une troupe d’une quarantaine de cavaliers qui les attendaient de l’autre côté de la place.
Le duc moribond est transporté au Vatican où il est remis entre les mains de Lucrèce, bouleversée. Lucrèce se relaie tous les jours, avec sa belle-sœur Sancia, au chevet du blessé, qui a été installé dans la tour Borgia. Elles obtiennent du Pape qu’une garde de seize hommes veillera constamment sur le duc. Elles font venir un célèbre praticien de Naples et, par peur du poison, elles préparent elles-mêmes la nourriture du blessé qui se remet rapidement.
C’est alors que César vient lui rendre visite et lui chuchote à l’oreille : « ce qui ne s’est pas fait au déjeuner, se fera au souper ». Ces paroles sont immédiatement rapportées au Saint-Père : celui-ci hausse les épaules. Son fils lui a assuré n’être pour rien dans la tentative d’assassinat et il le croie. Dès lors, César, assuré de la compréhension de son père, se prépare à renouveler sa tentative.
Le mardi 18 août, le duc de Valentinois entre dans la chambre du blessé avec ses spadassins et il fait expulser tout le monde, Lucrèce, Sancia et les serviteurs. La porte refermée, il donne l’ordre à son sicaire, Michelotto Corella, d’étrangler le duc.
Le Pape ne veut pas voir le crime. Peut-être est-il dans la connivence ? Car en définitive, l’alliance avec Naples que ce mariage était censé préparer, ne s’est pas faite, Charlotte d’Aragon ayant osé refuser César Borgia ! (voir l’article sur ce Blog César Borgia Première Partie) Lucrèce, folle de douleur passe ses journées à pleurer son cher amour emporté. Elle devient gênante.
Le Pape décide de l’éloigner au château de Nepi où elle pourra pleurer tant qu’elle voudra sans déranger personne !
Reprise des hostilités en Romagne: Pesaro, Rimini et Faenza
Pendant ce temps, César prépare la reprise des hostilités en Romagne. En préfiguration de sa campagne, il fait graver sur son épée de parade les grands épisodes de l’imperator romain, depuis le passage du Rubicon. Il a réussi à mobiliser les plus importantes compagnies de condottiere d’Italie : il a plus de sept cents lances, soit 2 800 cavaliers, 4 000 fantassins et vingt-et-un gros canons de siège.
Pour financer cette campagne, le Pape a procédé à une nouvelle fournée de nomination de cardinaux, payante.
César prend la route de Pesaro au début du mois d’octobre 1500. Tandis que la population vient acclamer le duc, Giovanni qui évalue les forces du duc de Valentinois, se rend compte qu’il serait vain de prétendre résister. Il s’enfuit à Mantoue, chez François II de Gonzague, le frère de sa première femme, morte en couches. Le 27 octobre César entre solennellement à Pesaro, sous une pluie diluvienne. Il y reçoit, le même jour, un envoyé du duc de Ferrare.
Le 18 octobre 1500, César est inscrit au livre d’or des nobles vénitiens et il a reçu de la Sérénissime un palais à Venise. Il en a profité pour discuter de la question de Faenza.
Le 30 octobre, il entre à Rimini que Pandolfo Malatesta a préféré libérer contre négociation financière.
Désormais, dans la Romagne reconquise, il ne reste qu’une ville, Faenza, qui reste une enclave dangereuse susceptible de constituer ultérieurement une base de la reconquête pour les tyrans expulsés. Le 10 novembre Faenza est investie et, à partir du 17, il fait tirer sur ses remparts de façon continue. Mais les Faentins résistent et César doit se résigner à un siège long. Le 3 décembre, il publie la bulle d’ex-communion de son père et se retire piteusement. Bologne et Urbin, qui avaient secouru Faenza, se félicitent de cet échec des troupes pontificales.
A Rome, Alexandre VI appuie son fils autant qu’il le peut. Il dénonce à Louis XII l’attitude de Giovanni Bentivoglio à Bologne, protégé de la France, qui a soutenu Faenza contre César. L’ambassadeur de Louis XII exige alors de ce dernier qu’il ouvre Bologne aux trois cents lances et deux mille fantassins, placés sous le commandement d’Yves d’Alègre, qui vont être envoyés en Romagne en février 1501 pour reprendre le siège de Faenza.
Le rapt de Dorotea Caracciolo
Alors que César passe ses quartiers d’hiver à Cesena, la capitale de son duché de Romagne, un scandale, aux complications internationales, éclate. Le 14 février 1501, Dorotea, l’épouse de Giovanni Battista Caracciolo, capitaine des fantassins de Venise, est enlevée sur les terres du duc de Valentinois. Le 24 février, l’ambassadeur de France, le baron de Trans, Yves d’Alègre et l’ambassadeur Vénitien, se rendent chez César pour protester. Ce dernier nie toute implication et il désigne un coupable : un espagnol autrefois à son service, Diego Ramirez, passé à celui du duc d’Urbin dont il savait que Dorotea était la maîtresse.
Ce discours ne convainc personne. Venise adresse une protestation solennelle au Vatican qui déclare l’action horrible, méchante et abominable.
Mais le duc de Valentinois est bien le coupable car en décembre 1502, on verra réapparaître Dorotéa quittant Imola pour Cesena, en compagnie de César. Il avait caché la jeune femme dans la forteresse de Forli. Cette dernière avait été auparavant la maîtresse de Ramirez mais César avait obligé ce dernier à la lui livrer à son départ pour Urbin. Dorotea, qui était, selon toute probabilité, la concubine volontaire du duc de Romagne, ne sera rendue à son mari qu’en janvier 1504, sur instruction du pape Jules II.
Faenza : le destin d’Astorre Manfredi
Renforcé par les troupes françaises d’Yves d’Alègre, le duc de Valentinois reprend le siège de Faenza où Léonard de Vinci, débauché par Ludovic le More, emprisonné à Loches, est venu se mettre à son service. Contre toute attente, la résistance forcenée de Faenza provoque l’admiration de toute l’Italie. Mais le 21 avril, les forces pontificales s’emparent d’un ouvrage avancé aussitôt garni en canons, qui tirent sans arrêt sur un seul point de la muraille ennemie. Au bout de sept heures de tir ininterrompu, un canon assiégé éclate tuant toute la section d’artillerie Faentine. Magnanime, César offre aux Faentins de se rendre en accordant la sauvegarde de leurs biens et de leurs personnes : la ville ne sera pas mise à sac. La forteresse sera seule occupée et confiée au sicaire de César, Michelotto Corella. Astorre Manfredi, trompé par la bonhomie de César qui lui fait un excellent accueil, l’accompagne à Rome, le 15 juin. Au moment où Caterina sort de geôle, Astorre y entre. Il sera repêché du Tibre, son cadavre lesté d’un boulet, un an plus tard.
Le plan de César comporte également l’attaque de Bologne et celle de Florence, deux cités alliées du roi de France qui ne peut accepter l’extension trop grande du petit duc de Valentinois, qui vient d’être créé duc de Romagne par le Pape. Les villes de Bologne et de Florence se libèrent de la menace en signant avec César des contrats de Condotta qui financent l’armée du duc de Romagne.
César Seigneur de Piombino et de l’île d’Elbe
Le 25 mai, César se remet en marche vers Pise, ville rebelle de la république florentine, qui a conquis son indépendance, où il va prendre l’artillerie de siège dont il a besoin. Une flotte pontificale composée de six galères, trois brigantins et six galiotes l’y rejoint le 28 mai pour l’embarquer vers l’île d’Elbe. Il s’empare du 1er au 5 juin des îles d’Elbe et de Pianosa et il met le siège devant Piombino dont le seigneur, Giacomo d’Appiano, est allé vainement, plaider sa cause auprès de Louis XII à Lyon. Mais César, sans attendre la capitulation de Piombino, est dans l’obligation de quitter le siège, pour rejoindre l’armée française en route vers Naples.
Alliance avec l’Aragon: la conquête de Naples par Louis XII
Cette fois-ci, Louis XII a tiré les leçons de l’échec de Charles VIII. Il a fait précéder son entrée en matière d’une négociation avec Ferdinand d’Aragon sur le partage du royaume de Naples, la partie sud du royaume devant revenir aux Aragonais qui occupent déjà la Sicile depuis les « vêpres siciliennes » et la partie nord aux Français (voir sur ce Blog les articles sur La première guerre d’Italie : l’éblouissement des jardins de Poggio Reale et sur Le Cardinal d’Amboise). Yves d’Alègre, commandant de l’avant-garde de l’armée et Stuart d’Aubigny, le général en chef sont venus réclamer à Alexandre VI l’acceptation de la transaction, approuvée par le Pape, le 25 juin 1501.
Le Pape voit défiler l’armée française sur le pont Saint-Ange : 12 000 fantassins et 2 000 cavaliers franchissent le Tibre. Viennent ensuite 4 000 fantassins dont beaucoup portent les couleurs de César Borgia, cramoisies et jaunes.
La campagne de Naples est d’une rapidité foudroyante. Le royaume comptait beaucoup sur la résistance de la ville fortifiée de Capoue. Mais une trahison livre la ville à Galeazzo San Severino, passé du service du duc de Milan à celui du roi de France. Capoue est mise à sac dans l’horreur. 4 000 civils sont passés par l’épée. Ce massacre décourage toute résistance. Le roi Frédéric se réfugie à Ischia. Le roi Ferdinand d’Aragon, allié de la France, offre à César le titre de duc d’Andria.
Parmi les grands vaincus de la campagne figurent les Colonna, alliés de Frédéric de Naples, dont les biens sont confisqués sans vergogne par le Pape, qui se rend, dès le 27 juillet au lac d’Albano prendre possession de ses nouveaux fiefs et notamment de la résidence de Castel Gandolfo.
Alliance avec Ferrare: troisième mariage de Lucrèce
Maintenant que César a constitué sa principauté en Romagne, il a besoin d’alliances avec des voisins puissants, lui permettant, éventuellement, de résister à Venise. Il tourne alors ses yeux vers Ferrare, qu’il avait voulu conquérir deux ans plus tôt et dont le prince-héritier, Alphonse d’Este, fils d’Hercule, âgé de vingt-quatre ans, est veuf. Une première ouverture est faite début 1501 mais Alphonse, qui considère les Borgia comme des parvenus, se dérobe car il songe épouser Louise de Savoie, la veuve du comte d’Angoulême, mère du futur François 1er.
Le Pape négocie alors avec le cardinal d’Amboise et Louis XII qui interviennent auprès d’Hercule d’Este. Mais ce dernier réclame, outre le doublement de la dot de la mariée, à cent mille ducats, l’annulation du cens annuel payé à la Papauté (Ferrare est un territoire soumis au Vatican). Ces conditions sont particulièrement dures pour Alexandre VI car il doit aliéner des droits de l’Eglise pour satisfaire des avantages familiaux. Mais Lucrèce qui voit tout l’avantage qu’elle pourra retirer de l’alliance avec un prince souverain insiste auprès du Pape pour qu’il signe l’accord en l’état.
Le 26 août 1501, le contrat de mariage est signé à Rome et le 1er septembre, l’union est célébrée par procuration à Ferrare, au château de Belfiore.
Le 13 octobre 1501, César invite le Pape et sa sœur dans son appartement du Vatican. Il a fait venir cinquante des plus fameuses courtisanes de Rome. Après le repas, les dames galantes choisissent leurs cavaliers pour danser, puis elles se mettent toutes nues. Des accouplements ont lieu publiquement dans la salle et un jeu concours est engagé avec des arbitres pour mesurer les couples les plus performants… D’après Ivan Cloulas qui rapporte cette scène, cette soirée spéciale est confirmée par plusieurs sources indépendantes.
A Rome, le Pape décide d’aller prendre possession des dernières conquêtes du duc de Romagne : Piombino et l’île d’Elbe. Il part avec le duc et six cardinaux sur six galères, le 21 février 1502. A Piombino, César offre à son père un ballet somptueux puis tout le monde repart vers Civitavecchia. Pendant le voyage, une tempête effroyable secoue les navires comme fétus de paille : tout le monde est malade à l’exception d’Alexandre VI qui réclame qu’on lui fasse frire du poisson ! Le Pape est heureux car le succès rapide de l’armée française à Naples donne à César les coudées franches pour reprendre ses campagnes militaires en Romagne.
Dernières conquêtes: Camerino et Urbino
Au moment d’engager sa nouvelle campagne, le duc de Romagne reçoit du doge de Venise une lettre amicale. Il ordonne alors, pour tester la bonne volonté de Venise, de mettre à mort Astorre Manfredi, le jeune seigneur de Faenza, emprisonné depuis un an. Venise ne réagit pas. César a concentré à Spolète six mille fantassins et sept cents hommes d’arme, chacun entouré en moyenne de trois servants. En plus de ces dix milles hommes, il peut compter sur mille hommes entre Urbin et Sinigaglia et mille autres se trouvent à Veruchio, à vingt km au nord de Rimini. En outre, pour constituer son armée de réserve, César a imposé à chaque famille de Romagne, de lui fournir un combattant.
Officiellement, l’objectif de César est Camerino, où règne le tyran Gilio Cesare Varano, qui a refusé de payer le tribut au Saint-Siège. César a déjà envoyé contre lui une petite troupe commandée par Francesco Orsini, duc de Gravina, qui lui rapporte que Varano a sollicité l’aide de Guidobaldo de Montefeltre, le duc d’Urbin, qui avait déjà apporté son soutien à Faenza, deux ans auparavant. Désormais, César tient le prétexte qui lui permettra d’attaquer le duc d’Urbin.
Avec une habileté diabolique, César flatte Guidobaldo en l’avisant de sa marche sur Camerino. Guidobaldo ne se méfie pas. Prince pacifique, il protège les arts ; il est apprécié de ses sujets et il a adopté son neveu, âgé de treize ans, Francesco Maria della Rovere, seigneur de Sinigaglia. Le duc d’Urbin a toujours fidèlement servi le Pape et il a accueilli avec amitié Lucrèce Borgia en route vers Ferrare. Il n’est donc pas étonné que César lui confie ses plans de campagne.
César précise au duc qu’il empruntera une route passant par le duché d’Urbin pour se rendre à Camerino. Obligeamment, le duc fait réparer la route. Mais, sous le couvert de ces transactions, César a pris l’offensive. Laissant tous ses bagages à Nocera, il a fait avancer ses troupes à marche forcée vers Cagli, à soixante-dix km au nord, forteresse qui défend le duché d’Urbin et qui, totalement surprise, capitule immédiatement. Le duc apprend cette nouvelle alors qu’il est en train de souper. Il apprend en même temps que son duché est envahi par deux autres routes : les trois armées convergent vers Urbin. Il n’a plus le temps matériel d’organiser la défense du duché. Il prend la fuite, déguisé en paysan et, par les collines, il se rend à Ravenne puis, de là, à Mantoue où il retrouve sa femme, en visite chez les Gonzague, auprès d’Isabelle d’Este.
Quelques heures après la fuite du duc d’Urbin, César entre dans la capitale du duché dont les habitants, sur le conseil de leur duc, se sont rendus sans résistance. En quelques jours, César s’est donc rendu maître d’une région de cinq mille km² de cent km du nord au sud et soixante d’est en ouest. Il fait aussitôt main basse sur les immenses collections du duc d’Urbin, qu’il destine à sa résidence de Cesena. La marquise de Mantoue, l’amie des Montefeltre, connaît bien ces collections. Par le biais de son frère, le cardinal Hippolyte d’Este, elle fait réclamer à César un petit marbre antique de Vénus et un petit Cupidon jadis remis au duc d’Urbin par le duc de Romagne. César est ravi de gagner à si bon compte la bienveillance du duché de Mantoue…
Puis, ayant laissé une garnison à Urbin, César ramène ses armées au siège de Camerino et, le 19 juillet, Camerino capitule. Le vieux Varano, âgé de soixante-dix ans est emprisonné au château de Pergola. Il y sera étranglé quelques jours plus tard.
Renouvellement d’alliance avec Louis XII
César est alors informé par Rome que Louis XII est de très mauvaise humeur. Il s’empresse donc d’aller retrouver le roi à Milan pour lui expliquer les développements récents. Arrivé à Milan, il y retrouve tous les petits seigneurs qu’il a déposés. Le roi se porte à sa rencontre et lui donne du « mon cousin », « mon cher parent » devant les seigneurs dépossédés, qui commencent à regretter d’être venus se plaindre au roi. Louis XII, accompagné par le cardinal d’Amboise, son principal ministre, conduit personnellement César à son palais. Le roi a, manifestement, besoin de lui.
Gonzalve de Cordoue, sur instruction du roi d’Aragon, Ferdinand, a en effet, profité que la paix avec la France soit signée, et les armées démobilisées, pour reconquérir le royaume de Naples qui est passé entièrement sous la coupe de l’Aragon (voir l’article sur ce Blog sur Georges d’Amboise). La France a été jouée par la duplicité de Ferdinand. Louis XII envisage donc de déclencher les hostilités contre l’armée aragonaise de Naples et il a besoin de l’appui du Pape et de César.
A Trente, le 13 décembre 1501, le cardinal d’Amboise a signé avec Maximilien un traité qui investit Louis XII du duché de Milan et qui promet le mariage entre l’héritière du duché de Bretagne, Claude de France, née trois ans plus tôt, et Charles de Luxembourg (le futur Charles Quint), qui venait de naître.
Rassuré sur les bonnes dispositions du roi à son égard, le duc de Romagne renouvelle pour trois ans son alliance avec Louis XII et il part pour la Romagne, à la fin août 1502.
L’affaire de Bologne : rébellion des Condottieres et des Orsini
Le Pape a cité le 2 septembre le seigneur Bentivoglio et ses deux fils, à comparaître à Rome afin d’établir un meilleur gouvernement. La famille Bentivoglio refuse de se rendre à Rome: elle est soutenue par toute la ville de Bologne, qui prend les armes. Cette révolte contre Rome appelle des représailles. Mais César est impuissant. Car ses propres condottiere se prétendent indignés de la position de l’Eglise par rapport aux Bentivoglio, qui selon eux, viole les dispositions du traité conclu entre César et Bologne, l’année précédente. En réalité, ils craignent, si César chasse les Bentivoglio, pour leurs propres domaines. Tous ces entrepreneurs de guerre se réunissent à Magione, une place du cardinal Orsini près du lac Trasimène et envisagent de déclarer la guerre au duc de Romagne si ce dernier persiste dans ses desseins contre Bologne. Mais sortis de la réunion, dégrisés quelques un des condottieres viennent dire à César qu’ils n’entreprendront rien contre lui.
Le 7 octobre, une mauvaise nouvelle arrive au camp de César : des habitants de San Leo, la capitale historique des comtes de Montefeltre, se sont emparés du château fort. La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre et toutes les places se sont soulevées. Le château d’Urbin a été pris d’assaut : tout le duché d’Urbin a échappé à César.
César ne dit mot et tente de reconstruire son armée, qui, à fin octobre, représente dix mille hommes environ. Venise qui avait soutenu les conjurés contre César se retire, sous la pression de Louis XII, ce qui introduit un flottement chez les condottieres conjurés.
Ces derniers se sont emparés de Sinigaglia, un port près d’Ancône. César a reçu des informations selon lesquelles les conjurés lui ont tendu un piège à Sinigaglia. Car les condottieres sont convaincus que, depuis le retrait des forces françaises, le duc ne détient qu’une armée réduite. Le duc de Romagne est donc sorti avec toutes ses forces soit 13 000 hommes environ, de Cesena.
Il a décidé de retourner le piège contre ses auteurs.
Arrivé à Sinigaglia, l’avant-garde de César prend immédiatement le contrôle du pont, interdisant aux troupes cantonnées en lisière, de se replier sur la ville. Surpris de ces précautions qui ruinent leur projet, les conjurés viennent à la rencontre de César qui fait montre à leur égard d’une grande affabilité et d’une parfaite bonhomie. César invite les condottieres à l’accompagner dans le palais qu’ils avaient prévu pour lui. Mais des soldats de César sont entrés par l’arrière et ils ont pris position. Dès l’entrée des condottieres, les capitaines rebelles sont immédiatement désarmés et arrêtés. Après un jugement sommaire, la nuit-même, les condottieres conjurés sont étranglés par Michelotto Corella, les Orsini étant gardés prisonniers dans l’attente d’une décision du Pape.
Ce dernier a invité le cardinal Giambattista Orsini pour les divertissements de fin d’année. Ce dernier croit utile d’aller féliciter le pape pour la prise de Sinigaglia. Aussitôt entré dans les appartements Borgia, il est arrêté et incarcéré au château Saint-Ange. Alexandre VI confisque tous les biens du cardinal. Aussitôt, César fait étrangler le duc de Gravina et Paolo Orsini.
Aussitôt, le Pape donne l’ordre à César d’entrer en campagne contre Giangiordano Orsini, qui s’est retranché au château de Bracciano. Mais César sait que ce dernier est l’allié du roi de France. Il sait d’autre part que Louis XII a réuni une ligue entre Sienne, Lucques, Bologne et Florence, pour contenir l’ambition du duc de Romagne. Aussi César se contente-t-il d’aller assiéger Ceri, une petite cité près de Cerveteri.
Le 22 février 1503, le cardinal Virgilio Orsini s’éteint dans sa cellule. A-t-il été empoisonné par Alexandre VI comme on l’accuse immédiatement ?
Mort d’Alexandre VI
Mais l’actualité internationale vient interrompre cette guerre privée entre le Pape et les Orsini. La France, trompée par la duplicité du roi d’Aragon a déclaré la guerre à ce dernier. Deux armées vont être expédiées, l’une en Aragon, et l’autre à Naples. Louis XII a donc besoin de mobiliser tous ces alliés qui seront placés sous le commandement d’un militaire expérimenté, le duc de la Trémouille (voir sur ce Blog l’article sur le Cardinal d’Amboise).
César, qui sait que l’armée française est en mauvaise posture, a déjà engagé des conversations secrètes avec Gonzalve de Cordoue. Le Pape fait taire la rumeur qui se répand, sur la perfidie du duc de Romagne, en annonçant le 28 juillet 1503 que César va rejoindre l’armée française avec 500 cavaliers et deux mille fantassins.
Le 5 août, la veille du jour fixé pour le départ de l’armée, le Pape et son fils sont invités à souper dans la vigne du cardinal Corneto qui vient d’être nommé. Dans la semaine qui suit ces agapes, le Pape et son fils se sont alités. Le duc de Romagne fiévreux, remet son départ. Il semble se remettre progressivement. Mais l’état du Pape empire. Le 18 août, il reçoit l’extrême onction.
Averti de la mort de son père, César donne l’ordre à Michelotto de s’emparer du trésor pontifical soit 300 000 ducats d’argenterie, de bijoux et d’or. Car le duc de Romagne, comme du reste, tous les convives de cette soirée du 5 août, sont malades, alités. Ont-ils été empoisonnés comme le dit la rumeur ? Ont-ils été victimes d’une viande avariée ? Est-ce une attaque de la malaria qui sévit à l’état endémique et qui cause chaque année de très nombreuses victimes ?
Aussitôt connue la mort du Pape, tous les seigneurs dépossédés se ruent vers Rome : les Colonna, les Caetani, les Orsini. Les tyrans locaux expulsés déclenchent dans les cités de Romagne des soulèvements populaires contre les garnisons de César Borgia. Les Florentins ont aidé de leur côté Giacomo Appiano à rentrer à Piombino.
A Rome les Colonna ont retrouvé leurs partisans et les Orsini les leurs, tandis que le collège des cardinaux qui prend le pouvoir et dont la majorité des cardinaux est favorable à César Borgia, confirme ce dernier dans ses attributions.
Le cardinal d’Amboise en toute vers Naples, à la tête de l’armée française, a laissé cette dernière à l’extérieur de la ville pour venir s’enfermer en conclave pour l’élection du nouveau pontife. Il y a trente-sept cardinaux, un nombre considérable. Mais les vingt-deux cardinaux italiens ont juré que le prochain pape serait italien. Amboise se rend bientôt compte qu’il n’a aucune chance d’être élu. Il se range alors à la proposition d’un cardinal favorable à César, d’élire un pape de transition, l’octogénaire infirme, Francesco Piccolomini-Todeschini.
Le pontificat de Pie III : César en faveur
Ce dernier confirme César, le 8 octobre 1503, dans son rôle de gonfalonier et de vicaire de l’Eglise. César est-il parvenu à se rétablir ?
Mais, à partir du 14 octobre, la chance tourne. Gonzalve de Cordoue fait proclamer dans Rome l’interdiction à tous les capitaines espagnols, de servir le duc de Romagne. Ses meilleurs capitaines le quittent alors, tel Ugo de Moncade qui deviendra plus tard un des généraux de Charles Quint. Toutes les troupes qui lui restent ont déserté avec leurs capitaines. César se retire au château Saint-Ange avec les deux fils de sa sœur, Jean et Rodrigue, ses propres enfants bâtards et tout ce qui reste de ses forces soit soixante-dix chevau-légers. Ses palais sont pillés par les Orsini mais il a pris la précaution d’expédier ses trésors chez sa sœur à Ferrare, trésors qui subiront de forts prélèvements lors de leur passage à Bologne et Florence.
Bientôt, son dernier soutien, le Pape Pie III, s’éteint, le 17 octobre après vingt-sept jours de pontificat.
Le nouveau pontife: Jules II, l’ennemi juré des Borgia
Une nouvelle élection pontificale s’organise. Cette fois Julien della Rovere a bien juré de l’emporter. Le cardinal d’Amboise se rend compte que les préventions contre les Français sont trop fortes. Il se rallie donc au légat d’Avignon qui passe pour un ami des Français. Julien della Rovere a promis à César qu’il lui confirmerait ses fonctions de gonfalonier et de vicaire de Rome s’il bénéficiait des voix des cardinaux qui lui sont favorables. Sur cette vague promesse qui n’engage que celui qui l’écoute, César a promis, au grand étonnement de Machiavel.
Jules II est élu, début novembre 1503, comme Rodrigo Borgia, à l’âge de soixante ans. Comme Rodrigo, il y a eu une très longue carrière au service de plusieurs papes. Comme Rodrigo, il a été nommé cardinal jeune homme par son oncle Sixte IV, le premier pape della Rovere. C’est un pape dissimulé, retors et calculateur qui succède à Rodrigo. Il a une haine viscérale contre tout ce qui porte le nom de Borgia.
Il amuse un temps César en lui renouvelant ses promesses que rien ne vient confirmer. Le 22 novembre, César s’apprête à prendre une galère à Ostie pour rejoindre son duché par voie maritime lorsqu’il est arrêté et emprisonné. Le 24 novembre, le Pape Jules II a désigné un gouverneur à sa dévotion en Romagne. Le duché de Romagne n’existe plus.
Les officiers de César sont arrêtés à leur tour. L’homme de main de César, Michelotto, est torturé mais il ne révèle rien. Il sera libéré quelques années plus tard. Quelques cardinaux espagnols emmènent les enfants de Lucrèce et ceux de César à Naples et vont demander un sauf-conduit pour César à Gonzalve de Cordoue. Quant à César, il est enfermé dans la tour Borgia, là même où il était venu assassiner Alphonse d’Aragon quelques années plus tôt.
Jules II confisque alors tous les biens de César. Il assure qu’il va s’en servir pour dédommager ceux qu’il a spoliés, à commencer par le duc d’Urbin, qui lui réclame pour 200 000 ducats d’œuvres d’art disparues ou volées.
Le 3 janvier 1504, la nouvelle de la grande victoire de Gonzalve de Cordoue sur les Français, parvient à Rome : « el gran capitan » a fait reculer l’armée française au pont du Garigliano.
L’ambassadeur de Naples intercède alors en faveur du duc prisonnier et un compromis est signé : César sera libéré en échange de l’abandon de tous ses titres en Italie. Il s’embarque à Ostie et gagne Naples. Auparavant, il a juré au cardinal de Carvajal de ne jamais porter les armes contre Jules II. Le vice-roi de Naples pour les rois d’Aragon, reçoit César au château Neuf.
Il lui propose de participer à une expédition qu’il organise contre les Florentins. Jules II est rapidement informé et il fait pression sur le roi d’Aragon pour faire emprisonner César, en produisant le billet que celui-ci a signé au cardinal de Carjaval. Ferdinand ordonne alors à son vice-roi d’arrêter César.
Gonzalve de Cordoue s’exécute en dépit de l’opinion de ses lieutenants qui estiment qu’il y a parjure, le prisonnier bénéficiant d’un sauf-conduit. Car les rois d’Espagne haïssent le duc de Valentinois, d’abord en tant qu’espagnol ayant pris le parti de la France contre l’Espagne puis à cause de ses nombreux crimes et notamment celui d’Alphonse d’Aragon, membre de la famille royale.
Puis la duchesse de Gandie, peut-être sur le conseil de la reine, Isabelle de Castille, intente une action judiciaire contre son beau-frère, l’accusant du meurtre de son époux, Jean de Gandie. Il est alors transféré à Ischia puis embarqué pour l’Espagne sur une galère commandée par son ennemi personnel, Prospero Colonna.
En septembre 1504, César Borgia arrive à Valence pour être incarcéré dans la prison de Chinchilla, le temps que son procès soit instruit. Mais ce dernier traîne en longueur. En mai 1505, César demande à sa femme, via son frère, le roi de Navarre, de réclamer à Louis XII, le versement de la dot qui ne lui a jamais été versée. Sans réponse de Louis XII. Toutes les portes se referment ainsi une à une. César Borgia fait une tentative d’évasion en essayant de prendre en otage le gouverneur de la forteresse.
Evasion rocambolesque et mort héroïque
Ordre est alors donné de le transférer en Castille, dans la forteresse de Medina del Campo où est retenue à résidence la reine de Castille, Jeanne la Folle. Il reste un an prisonnier puis, alors que le roi Ferdinand d’Aragon vient d’exprimer le vœu de se faire remettre le prisonnier, il décide de s’évader.
Un adversaire politique du roi Ferdinand aux Cortès (Etats généraux espagnols), le comte de Benavente organise l’évasion de César, du donjon de Medina del Campo. Des cordes ont été montées dans le donjon par un serviteur du geôlier. Le serviteur descend le premier, mais la corde est trop courte : il saute mais se blesse grièvement au sol. Plus tard, il sera promptement exécuté par le gouverneur de la forteresse. César a plus de chance : il saute mais il réussit à ralentir sa chute en s’agrippant aux rochers. Trois hommes l’attendent au fond du fossé. César blessé et les mains écorchées réussit à monter sur le cheval qui lui est présenté et il galope à bride abattue vers les domaines du comte de Benavente.
Pendant que César, caché, se remet de ses blessures, il est recherché activement et sa tête est mise à prix pour 10 000 ducats. Il a décidé de rejoindre la Navarre où règne le frère de son épouse Charlotte d’Albret.
Après un voyage épique, il pénètre enfin à Pampelune le 3 décembre 1506. César prévoit de remonter ensuite dans les Flandres pour se mettre au service de l’empereur Maximilien. Il expédie, en janvier 1507, son majordome, auprès de Louis XII, réclamer ce que la France lui doit au titre de sa dot et proposer ses services. Le roi de France, Louis XII, loin de lui verser ce qu’il lui doit au titre de sa dot, a décidé de lui retirer la seigneurie d’Issoudun et le grenier à sel qui sont à nouveau rattachés à la couronne.
César offre alors ses services à son beau-frère qui, confronté à une lutte sans merci des rois d’Espagne voit progressivement s’effriter la partie espagnole de la Navarre. Il nomme César son capitaine général et l’envoie combattre Luis de Beaumont, comte de Lerin et Connétable de Navarre, qui s’est retranché dans la forteresse de Viana, près de Logrono, à quatre-vingts kilomètres au sud-ouest de Pampelune.
Avec son armée, composée de 1 000 cavaliers, 200 hommes d’armes et cinq mille fantassins, il investit le château de Viana. Le connétable de Navarre a réussi à apporter de l’aide à la forteresse pendant la nuit. Au petit matin, alors que le Connétable de Navarre regagne ses quartiers, le duc de Valentinois est réveillé en sursaut. On lui annonce que l’ennemi est aux portes de la ville. Jurant et sacrant il s’habille, enfile sa magnifique cuirasse, enfourche son cheval et, sans attendre ses compagnons, il fonce vers la troupe qu’il aperçoit à moins d’un kilomètre.
César atteint l’arrière garde et tue trois hommes. Le comte de Lerin expédie alors contre le furieux un groupe de vingt cavaliers qui l’attirent dans un chemin creux. Seul contre vingt, le duc de Valentinois combat en héros mais sa fin est inéluctable. Il est désarçonné, percé de vingt blessures. Ses vainqueurs lui enlèvent ses armes, son armure de prince et le laissent nu sous une pierre.
C’est ainsi qu’il est découvert par les hommes du roi de Navarre qui le ramènent à Viane où son beau-frère fera célébrer des obsèques somptueuses.
Ainsi s’achève la destinée hors du commun de ce prince dont la devise, prophétique, était :
« Aut Caesar, aut Nihil » : Ou César, ou rien !
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[i] Cet article est intégralement issu du remarquable ouvrage d’Ivan Cloulas, Les Borgia, 1987 publié chez FAYARD. Tous les textes cités en italique sont empruntés de cet ouvrage.
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