Après la mort de son frère aîné, Barberousse pacifie Alger et se soumet à l’empire Ottoman de Constantinople. Ses hauts faits d’armes attirent sur lui l’attention du sultan Soliman. Nommé amiral et Pacha il va donner à la Turquie ses premières victoires navales et jeter les bases de la puissance de la marine ottomane. Personnage sanguinaire, scélérat sans parole, il est malgré tout resté, au regard de la postérité, l’un des plus grands marins de tous les temps.
Cet article est la suite de Barberousse : le flamboyant pirate d’Alger.
A partir de 1518, Barberousse traverse une passe difficile : trahisons et échecs se succèdent. Ses soldats turcs, qui l’avaient accompagné dans ses victoires, l’abandonnent au moment des difficultés. Quand la famine commence à toucher Alger, Barberousse décide de partir. Il emmène sa famille, ses biens et il part en 1523, sur les cinq fustes qui lui restent, pour Jijel, ville abandonnée par Ahmed Ben Cadi.
La reconquête d’Alger
Ahmed Ben Cadi est en effet devenu son ennemi mortel et il a pris la tête de la rébellion contre les Turcs. Au départ de Barberousse, la ville d’Alger s’est offerte à lui.
Redevenu corsaire, Barberousse va semer la terreur en Méditerranée. Près de la Sardaigne, il capture cinq vaisseaux de blé, puis, près du littoral romain, il s’empare à l’abordage, d’un navire génois de haut rang, rempli de soieries et de tissus précieux. Au terme d’une campagne riche en captures, il pense soudain aux pirates de l’ile de Gelves (Djerba). Il se rend sur place et réussit à convaincre les pirates de l’aider à reconquérir Alger, au printemps suivant.
Il quitte Djerba avec quarante navires en 1525 et il va mettre le siège devant Bône, sans succès. Quelques pirates le quittent alors dont Sinan de Smyrne. Il profite de l’hiver pour remettre en état tous les navires et il prend la mer en début d’année suivante. Il prétend qu’Allah lui est apparu en songe et lui a dit de partir à Alger. Il communique habilement sur ce songe, qui devient pour tous un gage de réussite de l’expédition.
Il débarque devant Alger en 1526.

Algerii Saracenorum vrbis fortissimae Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
Ben El Cadi est sorti à sa rencontre avec ses troupes. Une bataille s’engage, féroce, longtemps indécise, jusqu’à ce qu’une charge de soixante Espagnols, rescapés de l’expédition de Moncade, qui ont accepté de combattre comme mercenaires dans sa troupe, décide de la rencontre. Ils réalisent une charge si impétueuse qu’ils bousculent le cheikh, obligé de retourner dans la ville. Quelques jours plus tard, Ben El Cadi est sorti à nouveau d’Alger mais il est trahi par les siens et sa tête est tranchée et baladée autour d’Alger, sur une pique.
Alger se remet à nouveau entre les mains de Barberousse. Qui appelle à lui les corsaires barbaresques de toute la Méditerranée, qu’il lance, tour à tour, ravager les côtes espagnoles.
On entre alors dans l’année 1529.
La prise du Penon: résistance héroïque des Espagnols
Le Penon résiste toujours aux attaques, en raison d’une méconnaissance absolue des Turcs de la poliorcétique (science des sièges). Les Turcs n’ont pas pénétré le secret des boulets qui peuvent détruire les murailles. Il faudra la trahison d’un renégat pour permettre à Barberousse de prendre pied sur le Penon.
Le fort est défendu par une garnison de 150 soldats aguerris commandés par un capitaine de valeur, Martin de Vargas. Ce dernier, pressé par les attaques continues des Turcs de Barberousse, se défendent par des tirs de canon. Bientôt, les munitions et les vivres viennent à manquer. Un message est expédié à Charles Quint, réclamant des secours et des munitions. L’empereur n’accorde pas à ce message l’importance qu’il mérite et il s’en mordra les doigts.
Barberousse de son côté, est totalement découragé. Ses boulets ne font pas le moindre tort aux murailles du Penon et il est près d’abandonner lorsqu’un transfuge, sorti du Penon à la nage, vient le prévenir que le fort manque de tout, de vivres et de munitions. Barberousse propose alors à Vargas de se rendre à discrétion, avec l’assurance d’être rapatrié en Espagne avec ses hommes. La proposition est rejetée instantanément. Alors, certain de pouvoir bombarder le Penon sans risque, il fait entourer l’îlot par quarante-cinq navires qui se mettent à bombarder la forteresse sans interruption, jour et nuit, mais sans aucun dommage. Jusqu’au jour où un ingénieur juif, lui apprend à fabriquer des boulets en fonte.
La situation évolue alors rapidement. Des brèches apparaissent un peu partout sur le fort qui tombe bientôt en ruine. Barberousse ordonne l’assaut. La résistance des Espagnols est héroïque. Cent-cinquante soldats, manquant de poudre, accablés de soif et de lassitude, vont lutter toute une journée contre cinq mille Turcs. Vargas défend longtemps la brèche, seul, armé d’une lourde épée à deux mains et il ne faut pas moins de quatre Turcs pour parvenir à le maîtriser. Lorsque les Turcs s’emparent du Penon, le 21 mai 1529, il ne reste que vingt-cinq survivants, tous grièvement blessés.
Eperdu d’admiration, Barberousse propose à Vargas d’entrer à son service. Ce dernier refuse avec hauteur. Son supplice est décidé. On lui arrache les membres un à un et sa dépouille sanglante, démembrée, découpée en morceaux, est traînée dans les rues et jetée à la mer[i].
Barberousse se hâte de faire raser le fort espagnol. Avec les débris, il commence à lancer les bases d’une jetée reliant l’îlot à la terre ferme, en prélevant, en complément, des blocs de pierre sur la ville romaine du cap Matifou (La Pérouse). La capture du Penon est, pour Alger, le début de l’ascension du port, qui va offrir un abri à tous les navires corsaires, navires que l’on était obligé, auparavant, de faire tirer sur le sable, par des esclaves chrétiens, sur le rivage de la Fiumara, à un mille d’Alger, pour les tenir à l’abri des tirs du Penon.
Alger : point de ralliement des corsaires de Méditerranée
La nouvelle de la prise du Penon crée en Espagne et dans les provinces impériales, une émotion considérable. Car rien ne peut désormais empêcher Barberousse d’établir, à Alger, une flotte de corsaires barbaresques, bien protégée dans le port. Les corsaires les plus renommés accourent pour se mettre à son service. Barberousse expédie ces nouveaux alliés pour semer la désolation sur les côtes espagnoles. Elles se livrent à des incursions de plus en plus profondes sur les côtes, guidées par des maures qui profitent du voyage retour, pour rejoindre Alger avec leurs familles.
Car Barberousse souhaite accueillir le plus grand nombre possible de Maures chassés d’Espagne par les persécutions, sur lesquels il compte pour renouveler les effectifs d’une ville à la fidélité aléatoire.
L’un de ses corsaires remporte aux Baléares, le 25 octobre 1529, un succès considérable sur la flotte espagnole. A la tête d’une flotille de quinze galiotes, le corsaire Cacchi Diablo s’est abrité à Formentera, chargé de butin et le pont encombré de Morisques, lorsque survient l’attaque de huit galères conduites par le général des galères d’Espagne, Rodrigo Portondo. La galère capitane s’est aventurée en avant, suivie à une certaine distance d’une seconde galère puis de la flotte des cinq autres bâtiments. Le plan de bataille est vite fait. Chacune des galères espagnoles devra être prise par abordage par deux ou trois galiotes, simultanément. La victoire est totale et les huit galères espagnoles sont ramenées triomphalement à Alger, qui peut désormais compter sur une véritable flotte de guerre. Ces galères vont cruellement manquer aux côtes espagnoles qui vont être livrées, les années suivantes, sans défense, aux incursions impunies des flottes corsaires d’Alger.
Barberousse en communicateur averti, adresse à Soliman les preuves de cette victoire, accompagnées de riches présents et de jeunes filles pour son harem. La puissance de Barberousse ne cesse dès lors, d’aller croissant. Le célèbre corsaire Sinan de Smyrne, le rejoint avec deux galères et vingt-quatre galiotes. Il arrive, accompagné d’un autre corsaire de grande valeur, qui amène deux galères et quatre fustes.
A la tête d’une flotte de soixante navires, Barberousse envisage un grand coup : piller le port de Cadix. Il envoie vingt-cinq navires à Cherchell, pour se ravitailler en biscuit. Cette information arrive rapidement aux oreilles d’Andrea Doria, le grand amiral génois passé au service de Charles Quint en 1528, qui a été chargé par l’empereur, de lutter contre la flotte barbaresque. Il se dirige alors vers Cherchell, de toute la vitesse de ses rames, avec une flotte de trente-huit galères espagnoles, génoises et françaises[ii].

Andrea Doria Sebastiano del Piombo Villa del Principe Palais d’Andrea Doria Gênes
Comprenant qu’il n’est pas de force, Hali Camaran fait déferrer les huit cents esclaves chrétiens, qui sont parqués dans un souterrain, il saborde ses navires, et se retranche dans Cherchell avec ses hommes. A son arrivée, Doria saisit deux galères et cinq fustes qui flottent encore et débarque trois compagnies de soldats italiens pour délivrer les esclaves, qui sont embarqués sur les navires. Mais au lieu de rembarquer à leur tour, les Italiens préfèrent se livrer au pillage de Cherchell. Mal leur en a pris car des renforts arrivent à Hali Caraman, qui fait alors une sortie et procède au massacre systématique des Italiens, qui vont laisser quatre cents des leurs sur le champ de bataille.
Barberousse est furieux car, sans ses huit cents esclaves rameurs, il ne peut plus faire manœuvrer ses galères : il est obligé de renoncer à son expédition. Il va se venger sur ses prisonniers espagnols qui vont être suppliciés dans d’atroces tortures.
Une nomination à la tête de la flotte turque ?
Malgré ces meurtres, Barberousse apparaît rapidement comme le seul marin en mesure de lutter contre l’amiral Doria, dont l’audace ne connaît plus de bornes. Le sultan Soliman a décidé de placer un homme compétent à la tête de la flotte turque. Il expédie l’un des officiers de sa flotte à Khaïr Eddine Barberousse, avec l’annonce de sa prochaine nomination comme amiral de la flotte turque. Le corsaire, infiniment flatté, pourvoit à son remplacement à Alger et fait la paix avec François 1er à qui il adresse des panthères et des lions. Avant de partir pour Constantinople, il reçoit la visite du sultan de Tunis, Moulay Al Rachid, détrôné par son frère et venu chercher des secours. Il le persuade de l’accompagner à Constantinople.
Il prend la mer, à la mi-août 1533, avec sept galères et onze galiotes. Il réunit ses forces, en mer Tyrrhénienne à celles d’un autre corsaire, armé d’une galère et de quinze fustes et il va dévaster l’île d’Elbe dont tous les habitants de la ville de Rio sont emmenés en esclavage. A la hauteur de Piombino il capture au terme d’un difficile combat, treize navires génois. Il arrive à Constantinople avec une flotte de quarante navires chargés de butin.
Tous les officiers du sultan se pressent à sa rencontre. Il a préparé de magnifiques cadeaux pour Soliman.
Mais la nomination d’amiral de la flotte ottomane ne vient pas car un parti s’est formé contre Barberousse. On lui reproche d’être un parvenu, un pirate sanguinaire, qui a attaqué sans discernement, des navires ottomans autant que chrétiens. Barberousse comprend qu’il n’obtiendra rien si le grand vizir Ibrahim, dont il a eu le soin de s’attirer l’amitié par des cadeaux annuels, ne s’interpose pas auprès du sultan. Or Ibrahim est absent de Constantinople. Il est pour l’heure à Alep en Syrie.
Rencontre avec le grand vizir Ibrahim
Le fougueux sexagénaire (Barberousse est alors âgé de cinquante-cinq ans), n’hésite pas à braver les rigueurs de l’hiver, pour se rendre à Alep. Il expose au grand vizir ses vues sur l’extension de l’empire ottoman en Afrique, la stratégie navale qu’il est possible de conduire contre les chrétiens : la hauteur de ses vues subjugue le grand vizir qui adresse un message à Soliman, l’assurant que nul n’est mieux placé que Barberousse pour assurer le commandement suprême de sa flotte.
Soliman n’hésite plus : le 16 mai 1534, Barberousse est nommé quatrième Pacha, avec l’autorité la plus étendue. Il a reçu le pouvoir de lever dans tous les territoires de l’Empire Ottoman, tous les soldats, rameurs, marins, nécessaires au fonctionnement de la flotte. Le sultan lui remet solennellement l’étendard et les insignes de sa dignité : le sceptre et le glaive et huit cent mille ducats pour équiper sa flotte. A son départ du palais, il est désormais précédé des insignes de sa fonction et d’une escorte de huit cents janissaires, chargés de sa protection personnelle.
L’amiral de la flotte ottomane
Il utilise ses subsides pour l’équipement d’une flotte de quatre-vingts galères. Il a prévu d’utiliser cette flotte pour conquérir Tunis. Mais il cache son jeu auprès de Moulay Al Rachid qui est convaincu que l’objectif est de venger les succès précédents de Doria en allant dévaster les côtes de Ligurie et d’Espagne. Le 1er août 1534, il paraît devant Messine. Mais il passe dans les détroits et s’arrête à San Lucido sur la côte calabraise, où toute la population est emmenée en esclavage. Puis la flotte passe devant Naples où la panique s’est installée, mais elle s’arrête à Sperlonga où douze cents personnes sont capturées.
A la faveur de la nuit, deux mille janissaires ont débarqué. Ils ont pour mission de courir à Fondi, une ville à trois lieues de là, sur un terrain couvert de buissons et de ravines. Leur mission est de capturer Giulia Gonzaga, la comtesse de Fondi, une très riche princesse italienne, dont la renommée de la beauté est parvenue jusqu’au grand vizir de Constantinople, qui cherche une beauté instruite pour remplacer Roxelane dans le cœur du sultan. Mais Giulia Gonzague est prévenue au dernier moment et ses serviteurs l’ont jetée à demi-nue sur un cheval qui l’a emportée dans les collines. La colère de Barberousse est terrible. Il brûle la ville dont tous les habitants sont massacrés ou emmenés en esclavage.

Sebastiano del Piombo Giulia Gonzaga © Bridgeman Art Library / Private Collection / Photo © Philip Mould Ltd, London
Pensant que sa diversion a dû atteindre son objectif, Barberousse change brutalement de cap et va occuper Bizerte, à dix-sept lieues de Tunis, où l’autorité du sultan Moulay Al Rachid, est proclamée. Puis la flotte se présente devant La Goulette, où il obtient par la persuasion que le port lui soit livré. Il y entre le 18 août 1534. Bientôt, à tour de rôle, tous les serviteurs de Moulay Hassem, se détachent du sultan de Tunis et le trahissent. Il est placé dans l’obligation de s’enfuir. Alors, Barberousse, à la tête de 5 000 Turcs et 1 500 renégats, entre dans Tunis qui pavoise à l’annonce du retour du sultan Moulay Al Rachid. Mais personne ne l’a aperçu.
Et dans la suite de Barberousse, les serviteurs de Moulay Al Rachid ne tardent pas à informer la foule que leur sultan est resté emprisonné à Constantinople. Aussitôt, la population prend les armes et se met à tirer sur les Turcs assiégés dans le palais. Ces derniers ne devront leur salut qu’à la présence d’esprit d’un renégat qui ramène un canon, aussitôt chargé à mitraille, qui éclaircit rapidement les rangs de la multitude. Bientôt la place est dégarnie et les habitants s’empressent de retourner à leurs demeures. Les Turcs furieux, se répandent dans la cité où trois mille personnes sont massacrées. Au petit matin, tous cherchent un accommodement à l’amiable.
Et Barberousse peut facilement convaincre de tous les avantages que présentera, pour Tunis, le rattachement direct de la ville à la toute-puissance de l’empereur Ottoman.
Expédition de Charles Quint contre Tunis
La rapide conquête du sultanat de Tunis par Barberousse fait l’effet d’une bombe en arrivant à Madrid. Le nouveau statut du terrible pirate n’est pas passé inaperçu et la toute-puissance que lui donne la direction de la marine ottomane, fait craindre que la conquête de Tunis ne soit que le prélude à des opérations plus ambitieuses encore.

Le Titien Charles Quint portant le collier de la toison d’or Musée du Prado
Et ce d’autant plus que la situation européenne ne cesse d’évoluer. Malgré ses promesses de paix et la cession par traité de tous les droits de François 1er à Charles Quint sur les Etats italiens de Milan, Gênes et Naples, le roi de France n’a pas renoncé à l’Italie.
Lorsqu’il a rencontré le pape Clément VII, à Marseille, venu bénir les noces de sa petite nièce, Catherine de Médicis et du prince Henri, duc d’Orléans, François n’a pas caché au pontife venu lui demander de l’aider contre les incursions des Barbaresques, qu’il examinerait plutôt une alliance avec le même empire ottoman si on ne lui rendait ses villes de Naples et de Milan. La paix, signée cinq ans plus tôt, avec le grand empire de Charles Quint peut voler en éclats et les relations nouées par le plus grand royaume de la Chrétienté et la Sublime Porte font craindre le pire pour Charles Quint. D’autant que François 1er menace les Pays Bas d’une intervention combinée avec Henri VIII et qu’il finance les princes luthériens en lutte contre l’empereur. Par ses espions, Charles Quint a appris que le roi de France rassemble une importante armée et qu’il reconstitue sa flotte à Marseille.
La conquête de Tunis par les Turcs n’est donc que la première étape d’un plan plus vaste, qui vise, à l’évidence, à assurer une diversion en Méditerranée, sur le ventre mou de l’Europe, pendant que l’empire ottoman s’étendra vers l’ouest, à partir de la Hongrie. Il faut, coûte que coûte, protéger la Sicile. Déjà Charles Quint vient d’établir les chevaliers de Rhodes à Malte, en 1530, après leur éviction de Rhodes, conquise par Soliman en 1523, en détachant cette île du royaume de Sicile. Mais les chevaliers ne seront réellement opérationnels que lorsqu’ils auront fortifié leur île et reconstitué leur flotte de guerre.
Il faut donc que l’empereur intervienne personnellement à Tunis. D’autant plus que le sultan détrôné, Moulay Hassan, est venu lui réclamer de l’aide, en proposant de lui payer un tribut et de lui fournir une aide, militaire et logistique, pour ses futures opérations contre Alger. L’empereur saisit l’occasion.
Car le plan de Charles Quint est astucieux. Il sait pertinemment qu’en attaquant un pays musulman en Méditerranée, il interdit de fait, moralement, à tous les monarques chrétiens, de s’attaquer à lui, simultanément, en Europe. C’est une opération de diversion, qui le met, provisoirement, à l’abri de menées plus directes sur ses Etats. François 1er lui-même, est neutralisé : pendant que le pape met à la disposition de l’empereur douze galères, il appartiendra à la flotte du royaume à Marseille, de protéger les côtes italiennes. Ce chef d’œuvre de diplomatie a réussi, provisoirement, à placer, de fait, François 1er dans l’alliance impériale[iii].
Outre cet aspect supérieur du plan diplomatique, Charles Quint est parvenu à semer le doute sur ses intentions réelles car tous sont persuadés que le but de l’intervention est une croisade contre les Turcs.
Le marquis del Vasto, bien connu des lecteurs de ce Blog (articles sur Vittoria Colonna et sur le Prince d’Orange I et II), précédemment généralissime pour l’empire, en Hongrie, s’est vu confier la direction des opérations militaires, tandis que Andréa Doria a reçu le commandement de la flotte.

Marquis del Vasto par Le Titien Galerie des Offices
Les troupes de débarquement comprendront trente mille combattants dont deux mille cavaliers et vingt-cinq mille hommes d’infanterie dont douze mille Espagnols, huit mille lansquenets allemands et cinq mille Italiens. Les troupes seront transportées par une armada de quatre cents navires, rassemblés dans tous les ports européens.
Andrea Doria surveille, depuis l’Italie, le rassemblement de toutes les forces navales, de logistique et de guerre.
Pendant que la flotte d’Italie, rassemblée à Gênes, appareille, à la fin avril 1535, pour se faire bénir par le pape à Civitavecchia, Andrea Doria, quant à lui, s’est rendu à Barcelone, le 1er mai 1535, avec seize galères, trois galéons[iv] et une galère capitane quadri-rames.
Charles Quint attend l’arrivée des flottes retardataires du Portugal et d’Anvers, puis il donne le signal du départ, le 30 mai. Il arrive, après avoir essuyé une terrible tempête, le 12 mai à Cagliari, en Sardaigne, où ont été regroupés vingt-deux mille hommes de troupe, avec les galères de Malte, de Gênes, de Corse, de Naples et de Sicile.
Apprenant par des esclaves échappés de Tunis, que Barberousse fait fortifier en toute hâte les défenses de la Goulette, Charles Quint donne le signal du départ de l’armada, qui double Porto Farina (aujourd’hui Ghar El Melh), à quinze lieues au nord de Tunis, le 16 juin.

Tunis Mahdia et Penon de Veles Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
Barberousse a été informé par François 1er du détail des opérations projetées contre lui. Il sait qu’il ne recevra pas de secours de la Sublime Porte, appelée sur d’autres fronts. Longtemps abusé sur les intentions réelles de l’empereur, ce n’est que récemment qu’il a entrepris les fortifications de la Goulette et l’ouvrage, bien que considérable, n’est pas achevé au moment de l’arrivée des troupes de débarquement.
Un rapide conseil de guerre permet à Charles Quint de prendre la décision de réduire par priorité la forteresse de la Goulette.

Le siège de la Goulette en 1535 Frans Hogenberg Paris, Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz Bibliothèque nationale de France (BnF)
Une sortie des assiégés est brutalement repoussée, si brutalement qu’un certain nombre de Turcs, poursuivis par des Espagnols, font le tour des remparts et rentrent dans la forteresse par son côté inachevé, près des étangs. Ils sont suivis de quelques soldats espagnols qui plantent leur drapeau sur les remparts, mais qui sont finalement délogés. Les Chrétiens vont y laisser cent-cinquante des leurs et plus de trois cents blessés. Mais ils vont retrouver le moral car la preuve est faite que la forteresse n’est pas si formidable qu’il y paraît.

La Goulette Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
Barberousse organise plusieurs attaques du camp espagnol. Mais, à chaque fois, des espions dévoués à Moulay Hassan, viennent informer le camp de Charles Quint qui peut prévenir et déjouer ces attaques.
Le 15 juillet 1535, au point du jour, tous les canons du camp, tournés vers les murailles tonnent en mêle temps, tandis que les navires de Doria font de même, depuis la mer. Vers midi, la brèche sur les murs est jugée praticable et toutes les forces se lancent à l’assaut de la citadelle. Les Turcs ne peuvent résister à un tel torrent d’hommes qui surgissent de partout. La forteresse est investie, bientôt prise. Les Turcs décident de fuir. Deux mille d’entre eux passent par le pont qu’ils démolissent derrière eux et quatre mille s’enfuient par les étangs.
A la victoire de la Goulette, Charles Quint récupère trois cents pièces d’artillerie et trente vaisseaux turcs, dont la galère capitane de Portondo. Dans les provisions de boulets, certains portent une fleur de lys, preuve évidente du soutien direct de François 1er à Barberousse.
Forts de ce premier succès, les capitaines s’interrogent sur l’opportunité de la poursuite des opérations. Mais Charles Quint exige de continuer la campagne, pour éliminer complètement les Turcs de Tunis.
Le 20 juillet, l’armée, composée de vingt-deux mille hommes et de douze canons dont six de siège, sort de son campement. Un moment ébranlé par la perte de la Goulette, Barberousse se reprend et il ranime le courage de ses troupes. Il envisage de massacrer les vingt-mille chrétiens captifs de Tunis. Mais le corsaire Sinam de Smyrne, qui vient de revenir de la Goulette avec six mille Turcs, s’oppose à ce projet barbare et lui fait observer qu’un crime aussi odieux lui vaudra l’opprobre du monde entier et la haine de Soliman. Ce langage ferme, retient Barberousse qui se préoccupe alors de son plan de bataille du lendemain.
Il a réussi à constituer une armée aux effectifs supérieurs à ceux de Charles Quint, dont l’ossature est constituée autour de ses neuf mille Turcs qui sont placés à l’avant-garde avec six pièces de campagne. Mille cavaliers arabes sont chargés de verrouiller les étangs et, sur son aile gauche, il a placé douze mille cavaliers berbères et onze à douze mille gens de pied, mousquetaires, arquebusiers ou arbalétriers.
L’armée de Charles Quint s’est ébranlée sous le soleil d’été infernal qui assèche les gosiers. La soif surprend les troupes qui, pour la plupart, n’ont pas suivi les consignes de Charles Quint et ne se sont pas munies d’une gourde. L’empereur comprend que le succès de la journée tournera en faveur de celui qui s’assurera de la possession des puits, pour l’instant contrôlés par les Turcs.
Les arquebusiers espagnols commencent à ouvrir les rangs des Turcs, par les ouvertures desquels, les piquiers s’engagent dans une poussée irrésistible. Les Turcs sont culbutés, dispersés, une déroute rapide qui provoque celle du reste de l’armée de Barberousse. En deux heures, la bataille est gagnée.
Commence celle de la soif pour les troupes de Charles Quint qui ont pris d’assaut les citernes pour se désaltérer et où la plus invraisemblable confusion règne. Les Impériaux n’ont pas exploité leur avantage, ce qui a laissé les troupes turques pratiquement intactes. Elles se sont réfugiées avec Barberousse dans la citadelle de la ville, où le pirate a fait miner la forteresse pour qu’elle s’écroule sur les vingt mille captifs chrétiens.
C’est alors que Barberousse apprend que la ville est en train de se vider de ses habitants, qui ne veulent pas rester prisonniers des rigueurs d’un siège. Aussitôt, il se rue à la sortie de la ville pour tenter d’endiguer le reflux. Mais les Turcs de la forteresse qui pensent que Barberousse a décidé de partir de Tunis, se lancent à sa suite.

Tunis Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
La forteresse de Tunis est donc livrée aux renégats qui ont consigne de mettre le feu aux poudres. Mais, incapables d’assumer un crime aussi monstrueux, trois d’entre eux libèrent les prisonniers qui s’emparent aussitôt des armes de la citadelle, libèrent leurs camarades et culbutent leurs gardiens qui n’ont que le temps de s’enfuir. Les captifs libérés referment les portes de la citadelle et font alors de grands signes à l’armée chrétienne.
Quand Barberousse se rend compte que tous les Turcs sont derrière lui, il est trop tard. La citadelle est prise. Muet de rage, Barberousse ne peut qu’observer du dehors, les signaux adressés par les chrétiens libérés.
Charles Quint a constaté le tumulte mais il en ignore le motif. Il envoie des éclaireurs qui rencontrent des serviteurs de Moulay Hassan, qui lui font part de la révolte des esclaves chrétiens. Aussitôt, il présente son armée aux portes de la ville. Les habitants qui craignent le sac de leur ville se sont pressés autour de leur sultan auquel ils ont apporté leur prompte soumission. Mais aux premiers mots de Moulay Hassan à Charles Quint, soumettant l’idée de renoncer au sac, l’armée à qui le pillage de la ville a été promis, gronde.
Rien ne peut les arrêter. Ils échappent à l’autorité de leurs chefs et se ruent dans la ville. Le sac terrible, va commencer, pendant trois longues journées de terreur et de sang. Les meurtres succèdent aux meurtres, n’épargnant personne, sans distinction d’âge ni de sexe. La population, éperdue a fui la ville en masse : plus nombreuses encore seront les victimes de cette odyssée sans espoir, mortes de faim et de soif.
Barberousse redevient corsaire
Barberousse, voyant la partie perdue, songe tout d’abord à se diriger vers Mahdia. Mais les troupes du sultan Moulay Hassan le harcèlent et le contraignent à changer ses plans. Il décide alors de foncer sur Bône : la colonne s’organise, protégée sur ses flancs par des arquebusiers qui tiennent à distance les cavaliers maures. Il parvient enfin à Bône où il relève le courage de ses soldats. Il dispose de dix galères qu’il a cachées dans le fleuve et il propose à ses hommes de reprendre leurs activités de course. Il équipe très rapidement ses navires auxquels il adjoint trois galères et deux fustes qu’il trouve dans le port. Il se trouve désormais à la tête de quinze vaisseaux prêts à prendre la mer.
Charles Quint est tenu informé par ses espions des préparatifs de Barberousse. Andrea Doria expédie pour intercepter Barberousse, Adam, un capitaine génois peu expérimenté, avec quatorze galères bien armées. Mais Adam, quand il voit la flotte de Barberousse rangée en ordre de bataille, élude le combat et retourne à Tunis sans avoir livré bataille. On soupçonnera toujours Andrea Doria d’avoir voulu épargner son adversaire, gage de sa propre importance. Quand Doria se présente à Bône, avec trente galères et deux mille hommes, la place est vide et Barberousse, reparti pour Alger.
Le six août 1535, un traité solennel d’amitié est signé entre Moulay Hassan et Charles Quint. Le 17 août 1535, les Espagnols rembarquent, non sans avoir laissé à la Goulette une garnison espagnole, ainsi qu’à Bizerte et à Bône.
Quant à Barberousse, deux mois seulement après le désastre de Tunis, il reparaît aux Baléares avec une nombreuse flotte, devant le port de Mahon, à Minorque, qu’il capture par trahison et il emmène toute la population en esclavage.
Alliance entre François 1er et la Sublime Porte
Charles Quint, au retour de Tunis, est auréolé de sa victoire. Il réussit à détacher Venise et les Suisses de l’alliance avec François 1er et à constituer une armée qui vient mettre le siège devant Marseille. Mais l’expédition est un échec et les troupes sont obligées de se retirer le 12 septembre 1536. Pendant ce temps, Saint-Blancart, le général des Galères, a reçu mission de François 1er, de s’échapper de Marseille avec ses douze galères et de faire sa jonction avec la flotte de Barberousse.
Ecrasé de tous côtés par la puissance de Charles Quint, et peut-être par la vertu d’un esprit politique supérieur, François 1er ne peut guère compter que sur la puissance ottomane pour contenir les initiatives de l’empereur. Son ambassadeur à Constantinople, Jean de Laforest, fait feu de tout bois pour entraîner Soliman , jusqu’à présent absorbé par les affaires d’Asie, à porter son regard vers la Méditerranée. Un traité d’alliance est enfin signé par lequel Soliman s’engage à faire diversion avec une armée de cent mille hommes qui attaquera le royaume de Naples par la Calabre, tandis que François 1er attaquera avec cinquante mille hommes, le nord de l’Italie.
Soliman constitue alors une armée de cent mille hommes qu’il conduit à Valona en Albanie, en passant par la Macédoine. La flotte a été confiée à deux Pachas, Barberousse et Lufti Bey. Les Vénitiens ont placé une escadre au nord de Corfou, pour observer la situation. Barberousse a reçu l’ordre de Soliman, de sonder la résistance d’Otrante en Italie et de nouer des intelligences pour son armée.
Difficile cependant de transformer le caractère des pirates, dont le naturel revient vite au galop. Barberousse s’approche de Castro, à cinq lieues au sud d’Otrante où il parvient à obtenir la reddition de la place en contrepartie de la vie sauve et le respect des biens de la population. Mais, aussitôt les portes occupées, ne tenant aucun compte des accords, les Turcs se pressent dans la ville dont ils capturent toute la population, qui est emmenée en esclavage. Pendant ces évènements, d’autres Turcs ont fait passer sur Otrante un parti de cavalerie à bord de palandries[v], qui poussent une reconnaissance et s’emparent de vivres et de nombreux otages. Ces petits évènements ont de grandes conséquences : Soliman constate qu’il n’est plus possible de nouer des intelligences en territoire ennemi : il renonce à transférer son armée en Italie ! Sans doute a-t-il reçu également des informations de France car François 1er n’est pas encore prêt et il n’a pas commencé sa campagne italienne. Soliman ne veut pas faire les frais d’un accord qu’il serait le seul à respecter.
Son irritation est extrême quand il apprend que Doria, utilisant des pavillons vénitiens, puissance neutre, s’est emparé de galères turques dans un coup de main. Il déclare alors sur ce prétexte, la guerre à Venise et ordonne l’attaque de Corfou, île vénitienne, placée du côté Turc du détroit. Barberousse réalise une reconnaissance et son opinion est que la ville est imprenable. Soliman en ordonne cependant le siège, stérile. Soliman décide de se retirer, la citadelle restée intacte, après avoir détruit Corfou et capturé seize mille captifs, mais en ayant libéré ceux de Castro.
L’empereur, le pape et Venise contre Soliman
Cette guerre contre Venise pousse cette dernière dans la ligue que lui offrent le pape et Charles Quint : le 8 février 1538, un consistoire se tient à Rome, en présence de délégués de l’empire et de Venise, au cours duquel le principe est approuvé, de la mise à disposition par l’église de trente-six galères, l’empire et Venise, s’engageant à en fournir chacun, quatre-vingt-deux. Doria est nommé amiral de la flotte impériale et Ferdinand de Gonzague, vice-roi de Sicile, commandant des troupes de débarquement. Il est implicitement convenu que toutes les conquêtes terrestres des coalisés seront abandonnées à Venise.
Le sultan, informé de la constitution de cette ligue, ordonne à ses amiraux de constituer une flotte puissante. Barberousse sort bientôt du détroit des Dardanelles à la tête de cent-trente vaisseaux. Il est avisé de l’entrée de la flotte vénitienne à Corfou. Il part aussitôt dans le golfe de Larta, un quasi-lac intérieur fermé par un étroit goulet, au sud de Corfou où il attend la flotte ennemie. Le golfe est verrouillé par le château de Preveza qui contrôle l’étroit chenal. Le vice-roi de Sicile propose alors de couler plusieurs navires pour bloquer la rade de Larta. Mais Doria oppose que le succès de cette manœuvre n’est pas du tout assuré compte tenu des canons du château de Preveza. Il préconise davantage d’attirer Barberousse dans un lieu plus facile à attaquer et à défendre, où de surcroit, un riche butin peut-être réalisé, du côté de Lépante. La solution de Doria est adoptée. La grande armada défile alors devant le golfe de Larta. Le dernier navire vient juste de passer que les premiers vaisseaux de Barberousse commencent à sortir du golfe et à se ranger en ordre de bataille, non loin du rivage. Andrea Doria adresse l’ordre aux unités les plus éloignées et notamment aux galéons, sa force de percussion, de revenir se positionner au centre de l’escadre. Doria cherche à éviter le combat tant que ses galéons ne sont pas arrivés. L’objectif de Barberousse est exactement opposé, pour les mêmes raisons. Les deux adversaires vont donc se livrer à un jeu de manœuvres et contre manœuvres.
Jusqu’à ce que Barberousse constate qu’à ce jeu, son adversaire sortira inéluctablement gagnant, car il renforce ses effectifs. Il décide donc de lancer la confrontation. Justement, une ouverture se présente : le vent baisse brutalement alors que la flotte chrétienne est encore éparpillée, les navires les plus rapides de la flotte coalisée, les galéons, ayant alors une très grande avance. Il attaque les navires les plus lourds et qui paraissent les plus difficiles à manœuvrer. Deux bâtiments transportant des troupes sont attaqués par un essaim de galères et deux galères de la flotte vénitienne sont rapidement la proie des flammes. Puis, deux autres galères de Venise et une d’Espagne, sont capturées. Doria se rend compte que la bataille est engagée dans une mauvaise position tactique car ses forces isolées peuvent être attaquées par des essaims de vaisseaux ennemis alors que ses propres lignes sont exagérément distendues. Il préfère rompre le combat. A la nuit, les vaisseaux de la coalition s’enfuient en éteignant leurs feux, tandis qu’il se met à pleuvoir, dans une obscurité à couper au couteau.
La flotte ennemie regagne Corfou puis elle part à l’attaque d’une ville turque, Castel Nuovo, à moins de vingt lieues au sud de Raguse (Dubrovnik) dans les bouches de Kotor (actuel Montenegro), qui tombe rapidement entre les mains de la coalition.
Doria place à Castel Nuovo une garnison espagnole au mépris des accords implicites. Barberousse a poursuivi la flotte chrétienne mais il se fait surprendre par une violente tempête qui disperse ses navires. Le commandant de la flotte vénitienne, Vincentio Capello, propose d’attaquer immédiatement Barberousse, en position de faiblesse. Mais Andrea Doria ne tient pas à livrer au sort d’une bataille, son contrôle maritime de la Méditerranée : il a trop à perdre en cas d’échec et si peu à y gagner en cas de réussite. Il fait demi-tour et quitte la flotte coalisée pour retourner à Gênes.
Venise se rend alors compte qu’elle a eu grand tort de faire confiance à l’empereur. Cette guerre risque d’être ruineuse pour elle car le commerce, base de sa richesse, est à l’arrêt depuis le début de la guerre et ses comptoirs de Nauplie et de Malvoisie en Grèce, ont été attaqués par les armées turques. Il est urgent de faire la paix. François 1er soutient auprès du sultan la position de Venise car il est important pour la France de parvenir à désolidariser les coalisés. Mais Soliman irrité, fera attendre Venise, une année supplémentaire.

Sultan Soliman Albrecht Durer Numero d’inventaire NI1286; AI1515 Bayonne Musée Bonnat
Le succès de Barberousse contre Andrea Doria est la première bataille navale remportée par la jeune flotte turque, ce qui flatte l’orgueil de Soliman. Il n’en est que plus déterminé à souhaiter reprendre Castel Nuovo aux Espagnols. Cette fois, Barberousse reçoit le commandement en chef de la flotte. Il arrive dans les premiers jours de juillet 1539 devant Castel Nuovo, au moment où une armée de trente mille hommes conduite par le Perse Uleman arrive par les montagnes. Le corsaire Dragut[vi], un des capitaines de Barberousse, est le premier à faire une reconnaissance, avec trente galères birèmes, tandis que Barberousse, à la tête de quatre-vingt-dix galères et trois bâtiments contenant les engins de siège, vient prendre position à l’endroit désigné par Dragut.
Bientôt, le siège commence avec un bombardement sans interruption, plusieurs jours durant, par une batterie de cinquante canons. La citadelle est rapidement ouverte par plusieurs brèches, tandis que les attaquants parviennent à conquérir une des tours. Le commandant espagnol, Sarmento, comprend qu’il n’est plus possible de défendre la place. Toute la garnison va se battre jusqu’à la limite de ses forces et tomber glorieusement jusqu’au dernier homme. On ne retrouvera jamais Sarmento sous les amas de cadavres.
Barberousse reprend alors la route de Constantinople, laissant Dragut et ses trente galères terroriser les côtes Italiennes. Andrea Doria va confier la chasse de Dragut à l’un de ses neveux, Jannetin Doria, qui va capturer le corsaire non loin d’Ajaccio, en Corse, et le maintenir quatre longues années, enchaîné au banc de rames.
L’expédition d’Alger par Charles Quint
Charles Quint, part en Italie le 29 juillet 1541. Il sait que François 1er a signé un traité encore secret avec Soliman. Il lui faut couper l’herbe sous les pieds du roi de France, en éliminant la base de toutes les opérations turques en Méditerranée occidentale, Alger. Il est en effet convaincu que la chute de la grande ville pirate va déséquilibrer complètement l’organisation des expéditions et inverser le rapport de forces. Il sait d’autre part, que le moment est opportun car la guerre avec la France n’est pas encore déclarée. Il peut donc attaquer isolément, un ennemi qu’il devrait, de toute façon, affronter plus tard, réuni avec la France.
Charles Quint assemble en Italie une flotte de trois cent soixante-dix navires pour transporter vingt-cinq mille hommes, au nombre desquels figurent cinq cents chevaliers de Malte et l’illustre conquistador du Mexique, Fernan Cortez.
La flotte met à la voile le 29 septembre 1541. Plusieurs tempêtes successives mettent à mal l’armada qui parvient cependant à se regrouper aux Baléares. Le 20 octobre, l’armada est en vue d’Alger. Les bâtiments de charge ne sont pas au rendez-vous. Ils sont encalminés, sans vent à trente milles de là. Dès le lendemain, Charles Quint envoie son émissaire, pour proposer au gouverneur d’Alger, un renégat de Sardaigne, de se rendre. Un moment tenté, ce dernier se récuse et repousse la proposition.

Nouvelle Carte du Royaume d’Alger, divisée en toutes ses provinces, avec une partie des Côtes d’Espagne – Ottens R. & J., 1756 Avec l’autorisation du Site SANDERUS ANTIQUARIAAT – ANTIQUE MAPS
Au soir, le vent se met à souffler en rafales. Doria, craignant que des dommages irréparables ne soient causés aux navires, fait déplacer la flotte, dans la baie en deçà du cap Matifou où elle sera davantage protégée. Les opérations de déplacement des navires, vont prendre deux longues journées supplémentaires. Le 23 octobre, au lever du jour, les navires de charge arrivent enfin et jettent leur ancre dans l’embouchure de l’Oued El Harrach.
Les troupes sont alors débarquées à l’aide des galères et de petites embarcations. Charles Quint descend à terre à neuf heures. Il fait distribuer des vivres pour permettre à l’armée de se restaurer, puis il constitue trois corps de sept mille hommes chacun, accompagnés, chacun, de pièces d’artillerie de siège, qui vont prendre leurs positions. Le soir, Charles Quint est optimiste car tous les rapports sont convergents : les remparts vont facilement tomber. La prise de la ville est inéluctable.
Cependant, à neuf heures du soir, le quatrième jour de son arrivée, la pluie se met à tomber avec violence tandis que se lève le vent de nord-est. Au matin, la tempête souffle en rafales terribles. Une pluie diluvienne est tombée depuis la veille au soir. Les soldats doivent faire face à des torrents de boue. Ils n’ont pas fermé l’œil de la nuit : ils sont à peine capables de se défendre. Les mèches des arquebuses sont éteintes. La poudre est mouillée. Une sortie des Algérois provoque une déroute des assiégeants italiens.
Les Espagnols réagissent et poursuivent les assiégés qui rentrent précipitamment en ville et qui bombardent à leur tour l’armée chrétienne, incapables de réagir car les armes à feu sont devenues inutiles. Mais ce qui augmente le désordre c’est que les Maures sont tombés sur des recrues sans expérience, qui ne connaissent pas leurs officiers. Une deuxième sortie de troupes de cavalerie provoque une fuite éperdue vers la mer, où la plupart des fuyards se font massacrer. C’est alors que quelques chevaliers de Saint Jean font bloc et s’interposent. Leur courage et leur sang-froid va permettre de rétablir l’ordre et de sauver la journée.
Pendant ce temps, la tempête est allée croissante. Les bâtiments fatiguent à force de chasser sur leurs ancres. Bientôt l’inévitable se réalise : ils perdent leur mouillage et sont jetés brutalement les uns sur les autres et se brisent comme verre ou bien, poussés vers les rochers, ils viennent s’écraser. En quelques heures, cent-quarante navires sont ainsi poussés à la côte et vont couvrir d’épaves toute la côte d’Alger à Cherchell, à vingt-cinq lieues de là.
Les rescapés sont systématiquement égorgés. Ces massacres vont, paradoxalement, sauver une partie de la flotte qui préfère s’en remettre à la grâce de la mer plutôt qu’à celle des hommes.
Le 26 octobre, la mort dans l’âme, Charles Quint se rend compte que les conditions climatiques interdisent la poursuite des opérations militaires. Il concentre l’armée et parvient à la rétrograder de trois milles le long de la côte. Le lendemain, 27 octobre, Andrea Doria avise l’empereur qu’il a conservé suffisamment de navires pour rembarquer toutes les troupes. Mais il ne pourra réaliser cette opération que sur les plages du cap Matifou (Alger Plage). L’empereur approuve le projet et décide de faire mouvement vers le cap, distant de six lieues environ, mais difficile à atteindre en raison des rivières en crue et des attaques incessantes, les troupes ne pouvant venir qu’au corps à corps alors qu’elles peuvent être attaquées à distance par des nuées de flèches.
Le lendemain, l’armée est bloquée par la vigueur de l’Oued El Harrach, en crue. Avec les débris dont la plage est encombrée, un pont est placé sur l’oued qui permet le passage d’une fraction de l’armée. Le lendemain, les eaux ayant diminué, un gué est trouvé, permettant le passage du reste de l’armée. A partir de cet instant, la poudre étant redevenue utilisable, les assaillants sont facilement tenus à distance et l’armée n’est plus inquiétée.
Le 29 octobre, une nouvelle difficulté se présente avec le passage de l’oued El Hamiz, fangeux et profond qui nécessite la construction d’un second pont, construit, comme le premier avec les épaves trouvées sur le rivage. L’armée est à ce moment si démoralisée, que personne n’a conservé l’esprit combatif, à l’exception de Fernan Cortez, ridiculisé par les lazzis des courtisans, qui propose de repartir à l’attaque d’Alger.
Le 1er novembre, la mer s’étant calmée, l’embarquement peut commencer, très lent. L’armée est à peine à moitié embarquée, qu’une nouvelle tempête se lève, obligeant les navires déjà pleins à chercher le refuge de la haute mer. En bon capitaine, Charles Quint sera l’un des derniers à repartir, le 3 novembre.
Ce nouveau désastre qui s’ajoute aux deux précédentes tentatives espagnoles contre Alger fait croire à la cité victorieuse qu’elle est bénie de Dieu. Hassan-Aga, le renégat sarde qui a défendu Alger, se voit remettre le titre de Vizir par Soliman, étonné.
Nouvelle alliance avec Soliman: Barberousse à Marseille
La nouvelle de la catastrophe d’Alger donne des ailes à François 1er et va précipiter la guerre que l’expédition était censée prévenir. Il envoie en ambassade à Constantinople, Polin, baron de la Garde, qui quitte la France à peu près à l’époque où le roi reçoit des nouvelles de l’expédition d’Alger. Il passe par Venise et de là en Serbie où il rencontre Soliman, de retour d’expédition à Budé. Le sultan déclare qu’une flotte serait conduite l’année suivante en France par Barberousse et que lui-même enverrait une ambassade à Venise pour inciter la ville à un renversement de ses alliances.
Mais Venise a été rendue prudente par la ligue précédente et elle prend garde de ne pas se découvrir. Polin retourne à Constantinople au début janvier 1542. Le refus de Venise a douché l’enthousiasme de Soliman, qui déclare à Polin qu’il remet sans indication de date le départ de la flotte. Mais François 1er entre en conflit avec Charles Quint de façon un peu languissante, de sorte que l’année suivante, il n’est pas trop tard pour amener Soliman à confirmer son accord pour expédier Barberousse en France.
Le 28 mai 1543, Barberousse appareille de Constantinople. Le 20 juin il est à Reggio de Calabre, à la tête de cent-cinquante bâtiments de guerre. La ville que tous les habitants ont fuie, est livrée au pillage et brûlée. La citadelle s’est rendue avec promesse de Barberousse de respecter la vie et la liberté du gouverneur et de ses proches. Mais la vue de la jeune fille réveille des démons endormis chez le redoutable sexagénaire (il a alors soixante-cinq ans), qui trahit sa parole, capture la jeune fille et l’épouse, à bord de son navire.
L’arrivée de Barberousse en France est un grand évènement qui attire autour du jeune comte d’Enghien expédié par François 1er, toute la cour, excitée à l’idée de rencontrer les Turcs, à tel point que le roi lui-même est obligé de réfréner les ardeurs de ses courtisans. Barberousse arrive à Marseille le 5 juillet 1543 et il se rend rapidement compte que rien n’est préparé pour une opération militaire.
Il se plaint tellement à Polin que ce dernier est obligé de partir à la rencontre du roi pour réclamer de nouvelles instructions. Ce dernier est très embarrassé car l’alliance qu’il a réclamée si fortement, devient maintenant difficile à justifier. Signe de bien grande inconséquence chez ce roi. Finalement, il désigne Nice, qui appartient à la Savoie, comme objet de la conquête pour Barberousse.
Après une héroïque résistance, la ville se rend à composition et le comte d’Enghien garantit le respect des biens et des personnes. Une conclusion qui va attirer sur la tête de Polin, une haine violente des Turcs, privés de sac, qui fera craindre à plusieurs reprises, pour sa vie. La ville prise, la citadelle est attaquée simultanément par les Français et les Turcs. Mais les boulets viennent à manquer à l’armée française et Paulin est placé dans l’humiliation de devoir venir, quémander à Barberousse, de lui prêter des munitions. Le vieillard entre alors dans une colère épouvantable, accablant les Français de sarcasmes.
Mais les Français interceptent une lettre annonçant l’arrivée d’une armée de secours commandée par le Marquis del Vasto et une intervention imminente de la flotte de l’amiral Doria. Aussitôt, l’armée française reflue sur le Var tandis que Barberousse s’abrite à Antibes.
Doria de son côté a subi une violente tempête qui a désemparé plusieurs de ses vaisseaux. Polin demande alors à Barberousse si ce n’est pas l’occasion rêvée d’en finir avec Doria. Mais ce dernier n’est pas pressé d’en découdre avec Doria : les deux hommes sont liés par une estime réciproque. Et à plusieurs reprises, Doria n’a pas cherché à exploiter une position de faiblesse passagère de Barberousse.
D’ailleurs, ce dernier ne considère pas Doria comme son ennemi car il entre en discussion avec lui pour la libération réciproque de marins capturés. C’est à cette occasion que Barberousse obtient la libération sans rançon du célèbre Dragut.
Pendant que la flotte turque hiverne à Toulon, le jeune comte d’Enghien est parti en Italie à la tête d’une petite armée française. Il a rencontré le marquis del Vasto à Cerisoles, un village du Piémont, et l’a battu. Cette victoire ne sera d’aucun effet, car le comte n’exploite pas son avantage en délaissant Milan, non défendue.
Pendant ce temps, Charles Quint exploite intelligemment la présence du célèbre et sanguinaire corsaire à Toulon, pour mettre en valeur le caractère monstrueux de son vieil ennemi François 1er. L’Allemagne tout entière et les princes protestants sont horrifiés. La diète déclare les Français, ennemis publics, et elle inflige les plus lourdes sanctions aux lansquenets qui seraient tentés de servir la France.
Le 18 septembre 1544, la paix est signée entre la France et l’empire. C’est ce moment-là que choisit Barberousse pour exiger de François 1er qu’il déclare la guerre à l’Espagne pour permettre à ses hommes de piller les côtes espagnoles. N’ayant pas reçu l’accord de François 1er, il déclare vouloir rentrer à Constantinople, un point sur lequel le roi est tout à fait d’accord. Mais le diabolique corsaire exige d’être au préalable payé, puis qu’il ne peut pas piller, la somme faramineuse de huit cent mille écus (2,8 tonnes d’or).
Or, le roi n’a plus d’argent. Et Barberousse pèse sur la Provence comme sur un pays conquis. Ses bandes parcourent en tous sens le pays, faisant violence aux femmes et réduisant des hommes en esclavage.
Enfin, le roi parvient à payer l’énorme somme pour faire partir le corsaire de France. Le bilan de cette alliance avec Soliman, s’est révélé catastrophique pour la France et l’empereur, seul, en a retiré tous les fruits.
Après avoir ravagé les côtes italiennes, Barberousse rentre enfin à Constantinople, ses navires chargés de trésors et de captifs.
Barberousse meurt en mai 1547, la même année queFrançois 1er, avec lequel il s’est si mal entendu. La fin de sa vie fut, dit-on, abrégée, par l’excès des plaisirs du harem.
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Cette histoire a pour source « L’Histoire d’Alger et de la piraterie des Turcs dans la Méditerranée » Volume 1 par le vicomte Charles Édouard Joseph Rotalier.
[i] Une loi interdisait alors d’enterrer les Chrétiens.
[ii] La présence de galères françaises s’expliquait par la signature de la paix des Dames à Cambrai, en 1529, qui mettait fin à la guerre entre la France et l’Espagne. François 1er avait voulu donner à l’empereur ce gage de l’amitié rétablie entre les deux royaumes, en lutte contre les barbaresques, l’ennemi commun.
[iii] Provisoirement, car François 1er acceptera l’argent mais il ne mettra pas les galères à disposition.
[iv] Les galéons, d’après l’ouvrage du vicomte Rotalier, «sont des bâtiments plus petits et plus bas que les navires de charge, construits pour la guerre. Ils ont des voiles carrées et quelques rames, qui leur permettent de sortir des caps par mer calme. De gros canons qui tirent par des sabords percés à une petite hauteur au-dessus de l’eau, les rendent redoutables et les plus grands galéons portent jusqu’à trente-trois pièces. En pleine mer, par un vent un peu vif, ces navires laissent loin derrière, tous les autres vaisseaux ».
[v] Barges de transport adaptées à la cavalerie.
[vi] Le corsaire Dragut ou Turgut Reis (1514-1565) est l’un des capitaines corsaires turcs de Barberousse. Il aura une brillante carrière dans la flotte de l’empire Ottoman.
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