L’ascension des Borgia n’est pas le fruit du hasard: elle est liée au parcours exceptionnel de deux hommes étonnants par leur charisme et leur génie de l’intrigue. Elle se situe au carrefour de la Renaissance et du moyen-âge, alors que l’Italie morcelée dans une poussière de petites principautés cherchait à retrouver la trace de sa grandeur passée.
L’origine des Borja
La famille des Borja est originaire de la petite ville de Jativa en Espagne, près de Valence[i]. Après la conquête de Valence sur les Maures, en 1238, par le roi d’Aragon, Jaime 1er le Fortuné, ce dernier avait lancé ses troupes à l’assaut de l’antique Saetabis, une place aux longs remparts, protégée par une forteresse massive, abritant de nombreux ruisseaux et bassins d’une eau cristalline.
Le roi Jaime avait partagé les terres entre ses chevaliers et, parmi eux, Esteban de Borja, originaire de Borja, village reconquis sur les Maures, un siècle plus tôt et donné à leur ancêtre, un bâtard du roi d’Aragon, don Ramiro Sanchez. Ils portaient sur leur blason un taureau « de gueule »[ii].
Au début du XIVème siècle, la branche aînée des Borgia avait émigré au royaume de Naples, tandis que la branche cadette était restée en Espagne.
La jeunesse d’Alfonso de Borja
Le 31 décembre 1378, Alfonso de Borja naît au château de Torreta dans une famille de bonne et ancienne noblesse Aragonaise. Les Borja de Jativa forment déjà un groupe familial important, ancré dans la noblesse locale. L’une des sœurs d’Alonso, Catalina, épousera don Juan de Mila, baron de Mazalanes.
1378, c’est l’année où éclate le Grand Schisme d’Occident avec l’élection de deux Papes, l’un à Rome (Urbain VI) et l’autre à Avignon (Clément VII). Le souverain d’Aragon, Pierre IV le Cérémonieux, a choisi la neutralité, une position que les jurés de Valence s’efforcent de maintenir, malgré l’influence de certains chauds partisans du Pape Clément VII, comme le cardinal Pedro Martinez de Lula, lié à la famille royale d’Aragon et en particulier à l’Infant don Martin, époux de l’une de ses cousines. Le Pape l’a désigné son Légat pour l’Espagne.
Il est assisté d’un dominicain, prieur du couvent de Valence, Vicente Ferrer, qui sera plus tard connu sous le nom de Saint Vincent Ferrier. Il s’agit d’un orateur exceptionnel à l’éloquence passionnée, qui arrache des larmes à ses auditeurs subjugués. Lors de l’un de ses déplacements, le frère repère la ferveur du jeune Alfonso de Borja et lui prédit son accession « à la plus haute dignité qu’il soit donné à un mortel ».
Alfonso fait des études de droit à l’Université de Lerida, située à mi-chemin de Saragosse, la capitale de l’Aragon et de Barcelone. En 1387, au décès de Pierre IV, son fils Jean 1er lui succède : sous la pression du Cardinal de Luna, il se range au Pape d’Avignon. Or, le 28 septembre 1394, le cardinal de Luna devient Pape d’Avignon sous le nom de Benoît XIII. Les faveurs pleuvent alors sur les Aragonais : Alfonso de Borja obtient une prébende de chanoine sur l’église cathédrale de Lerida.
Le pape espagnol d’Avignon Benoît XIII
En 1398, le roi de France Charles VI assiège Benoît XIII, auquel il a retiré son obédience, et le fait prisonnier. Ce dernier parvient à s’échapper en 1403, et il réussit à regagner l’obédience de la France en 1408. C’est l’époque où deux hérésies menacent la Chrétienté de l’intérieur : à l’ouest, l’une est exprimée en Angleterre par John Wiclef qui soutient l’idée de la prédestination absolue et l’autre à l’est, en Bohême, avec Jean Huss. Il devient indispensable de réunir les deux courants de l’Eglise à Rome et à Avignon.
Les Papes ne réussissant pas à s’entendre, la France prend l’initiative de réunir un concile à Paris qui déclare Benoît XIII schismatique et hérétique. Ce dernier rétorque en réunissant à Lerida un concile qui proclame sa légitimité. En juin 1409, un nouveau concile, réuni à Pise par les cardinaux des deux obédiences, dépose à la fois Grégoire XII, le pape de Rome et Benoît XIII.
La mort sans enfant du dernier roi d’Aragon, oblige Benoît XIII à s’occuper personnellement de la succession d’Aragon, pour être certain d’y trouver un abri. Les parlements de Catalogne, Valence et Aragon, élisent un comité de neuf sages dont plusieurs partisans de Benoît XIII qui parviennent à soutenir le petit-fils de Pierre III d’Aragon, Fernando de Antequera, choisi le 25 juin 1412 comme roi d’Aragon. Alfonso de Borja qui a suivi depuis toujours le frère Vicente Ferrer, l’un des neuf sages de la commission, a désormais ses entrées à la cour d’Aragon : il a trente-quatre ans.
Sûr de l’obédience de l’Aragon, Benoît XIII parvient à se maintenir alors que ses rivaux de Rome, les Papes Jean XXIII et Grégoire XII, sont contraints d’abdiquer en mai et juillet 1415. Mais en 1416, il perd l’obédience de l’Aragon et en 1417, il est déposé par le concile de Constance, qui parvient à faire élire un nouveau Pape, le cardinal Otto Colonna, réunissant les deux obédiences qui va prendre le nom de Martin V et mettre fin au grand schisme occidental.
Benoît XIII (1329-1423), devenu un vieillard (il a alors quatre-vingt-sept ans), excommunie en bloc Martin V et ses cardinaux et il se réfugie avec les quatre cardinaux qui lui restent, dans son repaire fortifié de la presqu’île de Peniscola où il va résister pendant six ans jusqu’à sa mort, Il a alors perdu toutes ses obédiences à l’exception d’un seul territoire, l’Armagnac en France.
Alfonse V d’Aragon et la question napolitaine
Le roi d’Aragon, Alphonse V, continue de soutenir Benoît XIII en sous-main car il a choisi de conquérir le royaume de Naples que lui dispute Louis III d’Anjou, soutenu par le pape Martin V…
Juan Macip Navvarro dit Juan de Juanes Portrait d’Alphonse V d’Aragon dit “le Magnanime” Musée de Saragosse
A Peniscola, la situation frise le ridicule. Le dernier cardinal de Benoît XIII, Jean Carrier, élit à lui seul un nouveau pape sous le nom de Benoït XIV. Alphonse V refuse de recevoir le légat de Martin V, tant qu’il n’a pas reçu une proposition positive de ce dernier quant au royaume de Naples. Puis, Il charge ensuite Alonso de Borja de partir à Peniscola exiger l’abdication du nouvel anti-Pape. Le 26 juillet 1429, l’anti-pape prononce son abdication et, réunissant ses derniers fidèles, il élit le cardinal Otto Colonna sous le nom de Martin V…
D’après Pisanello copie du portrait de Martin V Otto Colonna Galerie Colonna Rome
Cette parodie permet à l’ancien antipape de recevoir l’Evêché de Majorque et au négociateur, Alfonso de Borja, de recevoir, le 20 août 1429, une somptueuse promotion : l’évêché de Valence. Alfonso dispose alors de la confiance du Pape et de celle du roi qui lui confie, en plus de ses fonctions de Secrétaire du roi, celle de précepteur de son fils bâtard, Ferrante, dont il fera après la conquête, le roi de Naples.
L’Evêque de Valence est alors devenu, à l’âge de quarante-et-un ans, l’homme de confiance du roi d’Aragon et son diplomate attitré. Dans l’intervalle de ses missions publiques, il rend visite à sa famille à Jativa où naît le 1er janvier 1432, Rodrigo (le futur Alexandre VI), fils de sa sœur Isabelle et d’un cousin Borja éloigné. Le frère aîné de Rodrigo deviendra duc de Spolète et Préfet de Rome. Ses sœurs feront toutes des mariages avantageux. Dix ans plus tard, un autre enfant, Francisco de Borja sera fait cardinal en 1500 par Alexandre VI.
L’Evêque de Valence accompagne son roi dans toutes ses entreprises de conquête du royaume de Naples qui tombe entre ses mains en 1442. La réorganisation du royaume est réalisée par Alfonso de Borja qui supprime les anciennes libertés et établit les grands offices, les conseils et les magistratures sous le contrôle des grandes familles aragonaises ou catalanes de Naples (les Avalos, Guevara, Centelles, Cardona et Mila). Il institue enfin le Sacro Consiglio, tribunal jugeant en dernier appel et présidé par le Roi.
Alphonse V, maintenant qu’il a conquis Naples est tout à fait favorable à une réconciliation avec Rome. Il expédie son évêque favori négocier la paix avec Eugène IV, devenu Pape en 1431, après la mort de Martin V. Cette négociation est brillamment conduite et le 14 juin 1443, l’Evêque de Valence s’engage au nom du roi d’Aragon, à accepter Eugène IV comme seul Pape légitime et à lui apporter une armée de cinq mille hommes pour déloger le condottiere Francesco Sforza de la Marche d’Ancône, qu’il occupait au détriment de la Papauté. En contrepartie, le Pape donne à Alphonse V l’investiture sur le royaume de Naples (soumis théoriquement au Saint-Siège) et diverses dépendances de Rome (notamment le Bénévent).
Le cardinal Borja devient Borgia
L’année suivante, le négociateur habile reçoit le chapeau de cardinal le 2 mai 1444 avec une latinisation de son nom qui devient désormais Borgia. En juillet il reçoit le titre de Cardinal-Prêtre des Quatre-Saints-Couronnés. Il est autorisé à conserver son Evêché de Valence. Le 15 juillet, le fils bâtard d’Alfonse V, Ferrante, est accepté par le Pape, à succéder à son père comme roi de Naples ce qui est une reconnaissance implicite du rôle de précepteur joué par le cardinal Borgia, devant lequel s’ouvre désormais, arrivé à soixante-six ans, une nouvelle carrière d’Eglise.
Dès qu’il est nommé prince de l’Eglise, le cardinal Borgia s’occupe d’assurer l’élévation de sa famille. Son neveu (fils de sa sœur aînée Catalina) devient Evêque de Segorbe dans le royaume de Valence. Rodrigo, son neveu, dont Alfonso est devenu tuteur, à la mort de leur père, son beau-frère, Jofré de Borja, commence son élévation, à quatorze ans, avec plusieurs bénéfices lucratifs.
Bacchus Jaume Escriva dit Jacomart La Cène Tryptique offert part le cardinal Borgia futur Calixte III Musée de la Cathédrale de Segorbe, “
Un nouveau Pape est élu le 6 mars 1447, sous le nom de Nicolas V. C’est un ami des humanistes qui fait de la bibliothèque Vaticane, l’une des premières au monde. Le nouveau Pape entreprend de rénover le Saint-Siège en construisant un nouveau bâtiment, qui est décoré par Fra Angelico et il lance le projet de reconstruction de la Basilique Saint-Pierre de Rome. Plusieurs évènements importants se passent à l’extérieur, qui contribuent à redonner à la Papauté, son prestige d’avant le schisme : renonciation du dernier anti-pape Félix V en 1449, jubilé de 1450, canonisation de Saint Bernardin de Sienne, ouverture du procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, rétablissement de la discipline dans les couvents et réforme ecclésiastique au sein du Saint-Empire.
Le pape, très fortement secoué par la chute de Constantinople, en 1453 et l’écrasement successif de deux armées chrétiennes (défaite de Ladislas V de Hongrie à Varna en 1444 et en octobre 1448, de Jean Hunyade, Régent de Hongrie à la bataille de Kosovo), décède le 15 mars 1455.
Le Sacré Collège compte alors vingt membres dont cinq sont absents. Sur les quinze cardinaux restants, sept sont italiens, deux sont orientaux, deux sont Français et quatre Espagnols. Mais les cardinaux Prospero Colonna et Latino Orsini, qui peut compter sur les cardinaux Espagnols s’affrontent… Pour sortir de l’impasse on propose alors le Grec Bessarion qui réunit huit suffrages : mais l’opinion risquerait d’être choquée par un Pape ayant renoncé depuis si peu de temps au grand schisme.
De guerre lasse, à la suite d’un conciliabule « dans les latrines » d’après Aenea Silvius Piccolomini, on se résout à un pape de transition, par adhésions successives, en la personne d’Alfonso Borgia, âgé de soixante-dix-sept ans, dont on espère que l’âge certain, donnera un règne court. Alfonso accepta cet honneur et prit le nom de Calixte IIII.
Le pontificat de Calixte III Borgia
Son premier acte fut de faire canoniser Vicente Ferrer, qui lui avait prédit cette élévation soixante-dix ans plus tôt. Le 7 juillet 1456, Calixte III cassait les condamnations frappant Jeanne d’Arc et la réhabilitait solennellement. Ces deux consécrations soulignaient combien le nouveau Pape croyait en un plan divin qu’il était lui, chargé de réaliser sur terre. Il est frappant de constater que Louise de Savoie, quatre ans après l’élévation de son fils François à la royauté, obtint du Saint-Siège, la canonisation de Saint-François de Paule, qui lui avait prédit en 1493, qu’elle aurait un fils et que ce fils serait roi, ce qui paraissait bien improbable à l’époque. Et Louise de Savoie, comme Calixte III eut alors le sentiment que l’avènement de son fils faisait partie d’un plan divin.
Saint Louis d’Anjou et Vicente Ferrer (Vincent Ferrier) Juan Macip Navarro dit Juan de Juanes Musée cathédrale Valence
Pour être élu pape, en mars 1455, Calixte III avait dû s’engager envers le Sacré Collège, de ne pas nommer des parents à des dignités majeures. Il se contente donc de donner à son neveu Rodrigo la dignité de Notaire apostolique et à l’Evêque de Segorbe, le gouvernement de Bologne.
Juan Macip Navarro dit Juan de Juanes (1510-1579) 1568 Alfonso de Borja Evêque de Valence Pape Calixte III Musée de la Cathédrale de Valence Crédit Photo Institut Cervantes
Il réussit ainsi à endormir le Sacré-Collège mais seize mois plus tard, dans un consistoire secret, il élève ses deux neveux à la pourpre cardinalice. Luis Juan de Mila reçoit le titre abandonné par son oncle de Cardinal des Quatre-Saints-Couronnés et Rodrigo, celui de Cardinal-diacre au titre de Saint-Nicolas in Carcere Tulliano. Le choix de cette petite église n’est pas indifférent : elle s’élève dans une position centrale face au Capitole, contre le théâtre de Marcellus, transformé en château fort par les Orsini. Le sanctuaire a juridiction sur l’ensemble des prisons de la ville ce qui donne à Rodrigo une responsabilité de police.
En 1455, le frère de Rodrigo, Pedro-Luis, de sept ans son aîné, reçoit le titre de Capitaine général de l’Eglise et de gouverneur du château Saint-Ange où il entre le 15 mars 1456.
Après avoir ainsi favorisé sa famille, Calixte III procède à une seconde nomination cardinalice avec la promotion de six cardinaux, représentant les principales puissances européennes. Ce qui lui permet de poursuivre l’élévation de sa famille. En décembre 1456, le cardinal Rodrigo est nommé Légat de la Marche d’Ancône puis, en 1457, la fonction la plus lucrative de la Curie, celle de vice-chancelier, qui octroie les grâces et fait rentrer les taxes, est attribuée à Rodrigo.
Pour faire taire les voix qui commencent à monter contre ce népotisme familial, Calixte III s’allie aux Colonna contre les Orsini. Attachés aux Colonna, la majeure partie des cardinaux donnent leur accord à la nomination de Don Pedro Luis au poste de Préfet de Rome, la plus haute dignité laïque. Don Pedro va bientôt constituer autour de lui un état-major d’aventuriers catalans de tout poil, qui viennent de Valence, d’Aragon ou de Naples.
Calixte III sacrifie tous les trésors du patrimoine du Vatican et de Rome pour lesquels il a peu d’intérêt, à l’engagement de la guerre contre les Turcs. Il arme des bateaux de guerre et des galères pour faire la course en Crète mais il n’est suivi par aucun des Etats européens qui avaient promis leur concours. Malgré les échecs successifs des armées d’Europe centrale contre les Turcs, il rencontre des petites victoires en Grèce où la flotte pontificale défait la flotte Turque à Metelin et capture vingt-cinq vaisseaux, en août 1457. Un mois plus tôt, le héros national Albanais, Georges Castriota, dit Scanderberg, écrase l’armée du chef Turc Isa-Bey.
GjergjnKastrioti Skenderberg par Ludwig Holbert (1684-1684-1754) Galerie des Offices Florence
Depuis plusieurs années, les rapports n’avaient cessé de se dégrader entre le Pape Calixte III et le roi d’Aragon, Alphonse V. Ce dernier meurt le 27 juin 1458. Dès lors Calixte règle toutes les questions pendantes : il érige l’Evêché de Valence qu’il avait gardé, étant Pape, en Archevêché, qu’il donne à son neveu Rodrigo et il distribue d’autres bénéfices Aragonais aux membres de la famille Borgia. Puis il déclare que Naples est une dépendance de l’Eglise et que le fils naturel d’Alphonse ne peut en aucune façon ceindre la couronne. Il proclame que le royaume de Naples est en déshérence et défense est faite à tous les sujets napolitains de prêter serment de fidélité à qui que ce soit, tant que le Saint-Siège n’a pas validé la succession.
Le 1er Août 1458, alors que la rupture avec le royaume le plus fort et le plus structuré de la péninsule italienne est complète, il confère le siège archi-épiscopal de Naples au cardinal Teobaldo, le frère de son médecin et à son neveu, Luis Jean, l’opulent Evêché de Lerida.
Puis il tombe malade. Rome n’attend pas sa mort pour se révolter et se livrer au pillage systématique de tous les biens du clan Borgia. Sentant que la fin du Pape est proche, Don Pedro Luis, décide de s’enfuir pour échapper à la vengeance des Orsini. Il remet donc aux cardinaux toutes les places fortes dont il a la garde y compris le Château Saint-Ange et, le 6 août, escorté de trois cents cavaliers et deux cents hommes de pied, il quitte Rome, avec le Cardinal Barbo et Rodrigo déguisé, pendant que le palais de ce dernier est livré au pillage. Barbo et Rodrigo quittent don Pedro qui suivi de ses troupes va à Ostie où il doit retrouver une galère. Don Pedro mourra mystérieusement quelques jours plus tard à Civitavecchia.
La mort du Pape survient le 6 août 1458 et l’on parle du prochain conclave pour le 16 août. Rodrigo rentre à Rome, avec le souci de préserver sous le prochain règne les acquis du règne précédent.
Alors que le cardinal de Sienne, Aeneas Silvius Piccolomini, qui bénéficie de l’appui de Francesco Sforza, duc de Milan et de Ferrante d’Aragon, roi de Naples, se voit crédité de neuf suffrages, le cardinal d’Estouteville qui lui est opposé en obtient six. Le cardinal Rodrigo Borgia fait alors pencher la balance en apportant solennellement son appui au cardinal de Sienne qui est élu sous le nom de Pie II.
Sous le Pontificat de Pie II
Le Cardinal Borgia n’a encore que vingt-six ans. Il a été abondamment pourvu en bénéfices et nominations diverses, qui lui donnent à la fois un rôle central dans le fonctionnement de l’Eglise et l’un des tous premiers revenus de la Curie. Le nouveau Pape Pie II se retrouve dans le cardinal Borgia. Bien qu’âgé de plus de cinquante ans, prématurément vieilli, il a gardé le souvenir de ses frasques de jeunesse qu’il va dorénavant s’efforcer de réduire, mollement et discrètement chez ses jeunes cardinaux.
Rodrigo est un homme charmant et charmeur. Son regard, sa voix, la modulation de ses expressions lui donnent tout à la fois beaucoup de grandeur, de beauté et de distinction. Il a toujours sur le visage une expression de gaieté et de bonheur. Ses yeux noirs sont magnifiques. Un témoin, Jason, Naimus de Milan, cité par Ivan Cloulas, admire en lui : « le front serein, les sourcils royaux, la figure portant l’empreinte de la libéralité et de la majesté, le génie, l’harmonieuse et héroïque proportion de tous les membres »…Apparemment, il sait séduire les hommes.
Mais les femmes ne lui sont pas indifférentes, loin de là. Il plaisante avec elles tandis que ses yeux les déshabillent et qu’il les envoûte d’un regard chaleureux et amical. Ses conquêtes sont innombrables mais il connaît le prix du silence et de la discrétion.
La première mission du jeune et fringant cardinal sera pour Sienne où le Pape souhaite ériger sa bourgade natale Corsignano, en évêché. Mais à Sienne, comme à Rome, il y a de jolies femmes. Et des soirées pimentées qui reviennent aux oreilles du Pape. Le cardinal Borgia se fait admonester par ce dernier mais il parvient à se justifier et le Pape lui pardonne cette peccadille en lui recommandant la prudence.
Fresque du Pinturicchio Librairie Piccolomini (annexe de la cathédrale de Sienne) Couronnement de Pie II sans doute à l’Eglise du Latran
Le 25 avril 1459, le Pape est à Florence où une fête magnifique est organisée par Cosme, en présence de son petit-fils, Laurent, âge de dix ans et du fils du duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza. Puis le 17 mai, il est à Ferrare où son entrée est un véritable triomphe. Le 27 mai, le Pape est à Mantoue, dont le marquis, Ludovic de Gonzague réussit à éclipser les splendeurs de Ferrare et où il attend les représentants des puissances européennes pour discuter de sa prochaine guerre contre les Turcs. Mais ces derniers ne sont pas au rendez-vous et les semaines passent de parties de chasses ou en parties fines sur les lacs de Mantoue.
A partir de la mi-septembre, les ambassadeurs se décident à venir. Mais le bilan est nul, chaque puissance étant davantage intéressée par les problèmes à sa porte que par la lutte contre les Turcs. Désespéré, le Pape publie sa bulle, le 14 janvier 1460, appelant les chrétiens à prendre les armes pendant trois ans contre les Turcs.
Le retour à Rome après dix mois d’absence, est chaotique : le désordre s’est à nouveau installé dans la ville éternelle, livrée aux conflits entre les Orsini et les Colonna.
Au retour de Mantoue, le Pape voit se succéder, un à un, tous les représentants des royaumes chrétiens d’orient, bousculés par l’avancée des Turcs. En 1461, c’est le tour de Thomas Paléologue, despote de Morée et descendant des empereurs de Byzance et en octobre, c’est une autre parente de la même dynastie déchue, la jeune reine de Chypre, Charlotte de Lusignan, qui passe par Rome pour rejoindre son beau-père, le duc de Savoie.
En 1462, Jean de Castro, fils d’un jurisconsulte de Padoue qui avait fui Constantinople, découvre des mines d’alun à La Tolfa, près de Civitavecchia. C’est une aubaine pour les finances pontificales car l’alun est un fixateur des couleurs pour la teinturerie, une activité florissante dans toutes les villes italiennes, à Florence et en Europe du nord. Dès 1463, huit mille ouvriers travaillent dans les mines qui rapportent d’un seul coup cent mille ducats par an au trésor pontifical.
La croisade contre les Turcs, plusieurs fois remise est enfin financée et programmée : il s’agit de réunir les flottes pontificales et Vénitiennes qui transporteront quatre mille croisés à Raguse, attaquée par la flotte ottomane.
A l’arrivée du Pape à Ancône, le 19 juillet 1464, la flotte Vénitienne n’est pas encore arrivée. Il faut attendre un long mois avant qu’elle ne rejoigne Ancône. Entre temps, la peste est arrivée et un grand nombre de soldats a déserté. L’opération est désormais compromise et Raguse passera sous le contrôle des Turcs, une soumission qui ne portera pas tort à la République, bien au contraire.
Mais ce coup du sort porte un coup fatal au Pape, déjà perclus de goutte et malade. Il expire dans d’effroyables douleurs, le 15 août 1464.
Sous le Pontificat de Paul II
L’ami fidèle de Rodrigo, le cardinal Vénitien Pietro Barbo lui succède sous le nom de Paul II. Ce dernier a construit sa somptueuse résidence cardinalice, le Palais de Venise à Rome, qui fait l’émerveillement de tous et il a peuplé son palais de tableaux de sculptures et d’œuvres d’art. Il y transporte ses salles de réception et transfère le siège des réjouissances de la Place Navona à la longue artère, comme le souligne Ivan Cloulas, qui traverse les vieux quartiers de Rome pour aboutir au Palais de Venise : on donne à cette artère selon le vœu du Pape, le nom de Corso, pour y faire des courses, à pied, d’ânes, de taureaux, de chevaux débridés…
Le cardinal Borgia qui va sur ses trente-six ans, vit en prince de la Renaissance dans cette cour luxueuse, où il possède des courtisans et des maîtresses.
Un premier fils lui naît, en 1468, d’une mère inconnue : Pedro Luis, qu’il reconnaît immédiatement mais qui sera légitimé par une bulle de Sixte IV du 5 novembre 1481. Viennent ensuite au monde, toujours de mères inconnues à ce jour, en 1469, Girolama puis, en 1470, Isabella.
Le cardinal Borgia a retrouvé ses fonctions les plus étendues à la Curie. On reparle de croisade mais une fatalité semble s’exercer sur ce terme : dès lors que ce mot est exprimé, les Papes meurent comme des mouches. C’est également le cas de Paul II en juillet 1471.
Sous le pontificat de Sixte IV
Rodrigo a anticipé : son habileté et sa clairvoyance lui permettent de choisir sans se tromper le candidat qui a le plus de chances d’être élu. Et le 9 août 1471, le cardinal franciscain, Diego Della Rovere est élu Pape sous le nom de Sixte IV.
Orsini est nommé camerlingue, l’administrateur des affaires temporelles du Pape tandis que Borgia se voie attribuer la très riche abbaye bénédictine de Subiaco. En sa qualité de doyen des cardinaux-diacres, Rodrigo couronne Sixte IV le 22 août 1471. Mais le 30 août, il est désigné cardinal-évêque d’Albano, l’un des sept sièges suffragants de Rome. Puis, six mois plus tard, il est nommé camerlingue du Sacré-Collège, le trésorier du collège des cardinaux, fonction qui exige qu’il prononce des vœux de célibat.
Juste de Gand Pedro Berruguete Sixte IV Musée Le Louvre Inv MI 644 H 1,16 L 0,56 © Musée du Louvre/A. Dequier – M. Bard
Puis, Rodrigo est expédié à Valence pour négocier l’accord des rois Espagnols pour financer la nouvelle croisade contre les Turcs organisée par le Pape.
La réception par le roi Jean II d’Aragon, frère d’Alphonse V, est royale. L’accueil des gens du pays pour son cardinal est à la fois joyeux et émouvant et plus encore à Jativa, sa ville natale.
Rodrigo se rend ensuite en Castille où le roi Henri IV, taxé d’impuissance, laisse une fille héritière, Jeanne, que les mauvaises langues attribuent aux œuvres du favori du couple, Beltran de la Cueva. La sœur du roi, Isabelle de Castille, s’est préparée à une éventuelle prise de pouvoir en épousant son cousin, Ferdinand d’Aragon, héritier de l’Aragon, un mariage non reconnu par Henri IV qui le qualifie d’incestueux. La guerre civile est proche à l’arrivée du cardinal Borgia.
Mais ce dernier rencontre Isabelle et Ferdinand. Il conseille au Pape de régulariser le mariage en accordant les exemptions de consanguinité, apportant ainsi un appui décisif à Isabelle de Castille. En contrepartie de cet appui, Rodrigo aimerait bien un cadeau royal. Il y a justement un duché disponible, celui de Gandie, à proximité de Valence : ce duché, créé en 1399 est tombé en déshérence en 1361 et a été rattaché à la couronne d’Aragon. Entre Ferdinand et Rodrigo, un accord implicite est admis : si le mariage se fait et si les deux époux viennent à unir les couronnes d’Aragon et de Castille, alors, Ferdinand, dès qu’il accèdera au trône d’Aragon, lui accordera le duché de Gandie pour la personne qu’il désignera.
Isabelle la Catholique Oeuvre anonyme attribuée à Antonio del Rincon H 0,735 L 0,885 Huile sur toile Collection du Généralife Museo Casa de Los Tiros Alhambra Grenade
Pour finir, la mission de Rodrigo en Espagne est qualifiée à Rome de succès : il a déterminé les deux rois d’Aragon et de Castille à financer la guerre contre les Turcs. Mais cette guerre ne donne pas les résultats escomptés car l’allié turcoman du Saint-Siège est battu par les Turcs et Sixte IV finit par se désintéresser des affaires d’orient.
A son retour à Rome, il trouve la ville bruissante des merveilles déployées par les neveux du Pape, faits cardinaux dès le 16 décembre 1471. Julien della Rovere détient une série d’Evêchés (Lausanne, Coutances, Viviers, Mende, Ostie, Velletri) et d’Archevêchés (Avignon et Bologne) tandis que son cousin, Pierre Riario est encore mieux doté : archevêché de Florence, patriarche de Constantinople, une foule d’Evêchés : il dispose d’un revenu annuel de soixante mille ducats.
Les sept autres neveux du Pape qui n’ont que des ambitions laïques sont tous comblés de faveurs : Léonard della Rovere a été nommé Préfet de Rome et marié à une fille naturelle de Ferrante, roi de Naples, Jean della Rovere a épousé Jeanne de Montefeltre avec une option sur le duché d’Urbin, Girolamo Riario a épousé Caterina Sforza (voir l’article sur « Caterina Sforza : l’indomptable lionne de Forli » sur ce Blog) comtesse d’Immola : un accord prévoit que le duc de Milan apportera trente mille ducats auxquels le Pape ajoutera quarante mille ducats qu’il demande à la banque Médicis de financer. Mais Laurent le Magnifique qui ne souhaite pas se voir former un petit Etat aux bornes de la République, refuse. La dot sera finalement financée par les Pazzi.
Liaison du cardinal Borgia et de Vanossa Cattanei
A Rome, Rodrigo a d’énormes revenus aussi importants que ceux du neveu du Pape, Pierre Riario, qui vient de mourir en 1474 à Venise, avec environ 60 000 ducats par an[iii].
Son palais est magnifique comme le cite un de ses contemporains, Jacques de Volterra, cité par Ivan Cloulas : « le cardinal possède un palais aussi beau que commodément agencé qu’il s’est construit à mi-chemin du pont Saint-Ange et du Campo dei Fiori. Il a des revenus énormes. Il a une grande quantité d’argenterie, de perles, de tentures et d’ornements d’église, brodés d’or et de soie, des livres relatifs à toutes les sciences, et tout cela est d’un luxe digne d’un roi ou d’un Pape. Je ne parle pas des innombrables joyaux qui ornent ses lits, ne de ses chevaux, ni de tous les objets d’or, d’argent et de soie qu’il possède, ni de sa garde-robe, aussi riche que précieuse, ni des masses d’or entassées dans son trésor »…..
Depuis l’année 1472, la liaison entre Rodrigo Borgia et Vanossa Catanei, sa maîtresse, est devenue publique. Le cardinal a alors quarante ans, il est dans la force de l’âge et au faîte d’une carrière dans l’Eglise que nul autre ne surpasse. Bien qu’ayant prononcé ses vœux depuis 1471, sa vie avec une maîtresse ne choque personne, bien que certains lui en fassent reproche, discrètement. Lui, il aime la vie et l’amour. Et il va vivre avec Vanossa la plus longue histoire d’amour de sa vie.
Portrait présumé de Vanozza Catanei Innocenzo Francucci da Imola Galerie Borghese
Lorsqu’il s’affiche avec sa maîtresse, celle-ci, qui a dix ans de moins que lui, est déjà âgée pour l’époque : elle a trente ans. Raison pour laquelle, certains auteurs, aux dires d’Ivan Cloulas, attribuent au couple une rencontre à Mantoue en 1460 et peut-être les naissances des trois premiers enfants sans mère déclarée.
Si le portrait de la Congrégation de la Charité à Rome est bien le sien, c’est une belle femme blonde, aux yeux verts, ayant beaucoup d’énergie dans le regard.
En 1474, au retour d’Espagne, Rodrigo installe officiellement Vanossa dans une maison qui lui appartient sur la place Pizzo di Merlo, tout près de son propre palais. Il lui donne pour époux Domenico d’Arignano, un officier de la vice-chancellerie, ce qui leur permet de se voir régulièrement car elle suit son mari lorsque le cardinal vice-chancelier est en déplacement.
Quand vient l’été, le cardinal Borgia se retire avec les officiers du Vatican et leurs épouses à son abbaye de Subiaco, à quatre-vingts kilomètres de Rome, bien protégé par de fortes murailles et à l’air pur et frais.
C’est là que Vanossa donnera naissance en 1475, à Juan. L’enfant est réputé né de mariage légitime, mais il est reconnu immédiatement par Rodrigo Borgia. En 1476, lui naît un autre fils, Cesare, alors que sa mère est devenue veuve. Puis, vient le tour de Lucrèce, qui voit le jour à Subiaco en avril 1480. Rodrigo décide de régulariser à nouveau la situation de Vanossa en lui donnant un nouivel époux, Giorgio di Croce, secrétaire de Sixte IV. Le nouvel époux est riche et possède une belle maison de campagne au milieu d’un vignoble et d’un verger.
En 1482, Rodrigo reconnaît un dernier fils, Gioffre, puis, les relations entre les deux amants s’espacent. Vanossa se remarie en 1486, après la mort de son second mari, avec un Mantouan, Carlo Canale, un homme de lettres réputé, très fier de son union avec l’ancienne maitresse du vice-chancelier.
En 1482, Rodrigo marie sa fille aînée à un noble romain, Gian Andrea Cesarini mais elle mourra l’année suivante. En 1483, sa seconde fille, Isabelle, épouse un autre noble romain.
Son fils aîné, Pedro-Luis, part alors en Espagne où les rois d’Aragon et de Castille sont engagés dans la Reconquista. Il se bat bravement au siège de Ronda puis le roi d’Aragon, Ferdinand, exécutant sa promesse, dix ans plus tôt, le fait duc de Gandie et lui propose pour épouse Dona Maria Henriquez, nièce du roi. Mais il meurt en 1488 à Civitavecchia, sans avoir eu le temps de consommer son mariage.
Depuis 1476, Rodrigo est devenu à qurante-cinq ans le doyen du Sacré Collège et, lors de ses missions à l’extérieur, le Sacré-Collège lui fait une escorte jusqu’à la sortie de Rome et il vient l’y accueillir quand il rentre de mission.
Le 12 août 1484, Sixte IV meurt. Les Colonna sonnent la révolte contre les Riario et les Orsini, alliés du Pape défunt, dont tous les palais sont pillés. Le palais de Girolamo Riario et de Caterina Sforza à Rome est détruit de fond en comble et les arbres du jardin brûlés. Il y avait en effet une terrible haine des Colonna contre Girolamo, qui, en tant que gouverneur du château Saint-Ange avait torturé jusqu’à la mort le protonotaire Colonna (voir l’article Caterina Sforza).
Sous le pontificat d’Innocent VIII
Lors du conclave qui suit, tous les cardinaux sont unanimes à dénoncer le népotisme du dernier règne : chacun s’engage, s’il devient pape, à ne créer cardinal qui n’ait dépassé l’âge de trente ans et soit devenu docteur en théologie ou en droit. Le nouveau Pontife ne devra confier aucune des forteresses à aucun des membres de sa famille, clerc ou laïc.
Rodrigo est bien obligé de s’engager, comme les autres cardinaux, en pensant peut-être secrètement que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ?
Dans cette élection, il a en face de lui, le cardinal della Rovere, qui est comme lui, dans l’incapacité de réunir les deux tiers des voix et qui lui fauche l’herbe sous les pieds en adoptant sa technique de se déclarer, le premier, en faveur du cardinal génois Jean-Baptiste Cybo. Forcé de s’incliner, Rodrigo proclame lui aussi son adhésion.
Le cardinal Cybo présente beaucoup de points communs avec Rodrigo : ils ont le même âge (cinquante-deux ans) et le nouveau Pape vit au milieu de ses enfants naturels, une douzaine, dont deux seulement, ont été légitimés.
Le Pape étant bloqué par son serment lors du conclave, il ne peut décemment pas faire bénéficier ses enfants des places à pourvoir à son arrivée. Le cardinal della Rovere en profite en réclamant, en contrepartie de son rôle déterminant dans l’élection, une série de places pour lui et ses proches.
Pape Innocent VIII Peinture anonyme 18ème siècle H 0,48 L 0,354 Inv M 176 Crédit photo © BOUCHAYER © Chambéry, musée des beaux-arts de Chambery © Direction des musées de France, 2005
Puis, allié au cardinal La Balue, représentant du roi de France Charles VIII, ils font pression sur le Saint-Père pour engager les hostilités contre Naples qui ne cesse de provoquer son suzerain théorique. Les premières batailles sont décevantes et Rodrigo intervient bientôt pour supplier le Pape de ne pas donner suite à son projet d’appeler le roi de France à l’aide. Il s’oppose alors violemment au cardinal La Balue : les noms d’oiseaux volent de part et d’autre. Le Pape interrompt la séance mais il va suivre la proposition du cardinal Borgia en choisissant la paix séparée avec Naples.
En mars 1487, il scelle son accord d’union avec Laurent le Magnifique qui marie sa fille, Marie-Madeleine de Médicis (1473-1526) et le fils bâtard du Pape, Francesco Cybo (1450-1519) futur duc de Spolète. Il s’engage à nommer Jean de Médicis (1475-1521), alors âgé de douze ans, cardinal (le futur pape Léon X). Voir sur ce Blog l’article sur les Médicis de 1400 à 1600.
Le Pape, libéré des contraintes napolitaines, grâce à la signature de la paix peut à nouveau penser à une croisade contre les Turcs. C’est alors que survient l’affaire du prince Djem qui paraît l’occasion propice.
Le frère et rival du sultan Bajazet II, s’était réfugié à Rhodes en 1482, auprès de Pierre d’Aubusson, Grand Maître des chevaliers de Rhodes, qui l’avait gardé en hôte forcé avec une contribution annuelle de quarante mille ducats du sultan Bajazet pour tenir son frère éloigné de Constantinople. En 1489, Innocent VIII s’est fait livrer le prince Djem par le Grand Maître : il pense mettre le prince Djem à la tête de la prochaine croisade afin qu’à sa vue, les troupes et les populations Turques, lui fassent leur soumission.
Pendant ce temps, Rome reçoit la nouvelle, le 2 janvier 1492, de la capitulation de Grenade. Des fêtes sont célébrées, tout particulièrement chez Rodrigo Borgia qui estime y avoir contribué, tant par ses actions en Espagne que par la participation de son fils aîné à la guerre.
Le 2 juillet 1492, Innocent VIII rendait l’âme, déchaînant les ambitions.
Rencontre avec le destin: Alexandre VI
Bernadino di Betto, dit Pinturicchio (1454–1513) Pape Alexander VI. (Rodrigo Borgia) Detail de la fresque de la Résurrection vers 1492-1495 Appartement des Borgia Musées du Vatican
Car l’ambitieux cardinal Della Rovere s’est rapproché de la France, qui lui a promis 200 000 ducats et de Gênes, qui lui en a promis 100 000. Fort de cette manne et des neuf suffrages qui lui sont acquis, il peut envisager d’acheter les votes qui lui manquent.
Le parti de Milan, dont le chef est Ascanio Sforza, compte sept voix au départ. Il peut en obtenir quatre autres. Mais il peut soutenir plusieurs candidats alternatifs dont les candidatures des cardinaux George Costa, le Portugais et Rodrique Borgia, l’Espagnol.
Enfermés dans la chapelle Sixtine, les cardinaux se livrent à trois scrutins successifs, à l’issue de marchandages serrés. Le parti de Milan réussit à atteindre 14 votes mais aucun candidat ne fait l’unanimité. Le mieux placé est Rodrigo Borgia. La voix qui manque, il l’obtiendra du patriarche de Venise ; le vieux Maffeo Gherardo, qui, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, ne dispose plus, d’après Ivan Cloulas, de toutes ses capacités mentales.
Le 11 août 1492, le conclave annonce l’élection du pape Alexandre VI Borgia.
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[i] Tout cet article est étroitement inspiré du très docte ouvrage Les Borgia d’Ivan Cloulas chez Fayard 1987.
[ii] C’est-à-dire de couleur rouge.
[iii] Composés de 18 000 ducats pour l’Archevêché de Valence, 1200 ducats pour l’Evêché de Porto, 7000 pour celui de Carthagène, 8 000 pour les fonctions de vice-chancelier, et les revenus de toutes ses abbayes et Evêchés qui, tous ensemble, représentent 20 à 25 000 ducats par an.
En lisant tout cela, on se demande comment chaque pape pouvait systématiquement s’appeler : “Saint” Père.
Intéressant, très complet et sans tout retenir on en tire une image globale: tout n’était qu’influence, fortune, jeu d’alliance.
Un pape n’était ni plus ni moins qu’un roi mais le plus puissant de tous puisqu’il pouvait faire en gros ce qu’il voulait.
La Réforme, Luther? Pas étonnant!
Mais aussi, on a beaucoup brodé sur la famille Borgia et surtout sur Cesare, l’inspirateur du “Principe” de Macchiavel.
Est-ce vrai que pour faire élire son père Pape, il aurait menacé de mort (et serait même allé jusqu’à empoisonner ) quelques cardinaux?
Non bien entendu que non. Cela fait partie de la légende noire de Césare Borgia. A l’époque de l’élection, en 1492, Cesare avait à peine 18 ans et il poursuivait ses études pour devenir docteur en droit dans l’objectif de faire une carrière d’église, que son père, Alexandre VI avait tracée pour lui.
L’inspiration de Machiavel pour le Prince constitue la matière d’un article don j’ai déjà planifié les grandes lignes mais qui ne sera rédigé que quand j’aurai terminé la saga des Borgia en cours de rédaction. Il faut noter à ce sujet que, entre le moment où Machiavel a rencontré Cesare Borgia (3 rencontres en tout) et l’époque où il rédige le Prince, sa façon de considérer Cesare Borgia a complètement évolué.
Quant à la séquence des Papes de Calixte à Rodrigo, ce qui est frappant c’est que ce dernier n’est ni le premier, ni le dernier à concevoir le trône pontifical comme un outil de promotion de sa famille. Il n’est pas davantage responsable que les autres papes (et plutôt moins) du scandale du commerce des indulgences qui provoquera les thèses de Luther. D’autres Papes ont associé leurs enfants au pouvoir avant et après Rodrigo Borgia.
La question intéressante est de savoir pourquoi Alexandre VI a-t-il cristallisé la réprobation plus que chacun de ses prédécesseurs ou de ses successeurs! Je pense, mais c’est une thèse qu’il faudra approfondir, que c’est la contestation introduite par l’Eglise Luthérienne qui rendra la postérité des Borgia particulièrement détestable. Il valait peut être mieux jeter l’eau du bain Borgia, comportant beaucoup d’aspects critiquables, plutôt que le bébé, l’Eglise en montrant que le péché était celui d’une famille et non celle des papes successifs. Ce serait donc une entreprise de nettoyage ex-post ?
Quant à l’observation sur le Saint-Père, on est là sur le symbole de l’Eglise. Quand Sixte IV donne l’ordre d’éliminer Laurent le Magnifique et son frère du paysage politique de Florence lors de la Conspiration des Pazzi (Article http://autourdemesromans.com/les-medicis-une-banque-pour-un-trone/) sans qu’il n’y ait mort d’homme, on est au comble de l’hypocrisie politique. Le Pape reste suivant la formule consacrée, le Saint-Père mais ses actions sont loin, très loin des principes moraux qui nous gouvernent aujourd’hui
Bonjour, je dois faire un travail scolaire sur Lucrèce Borgia et dans ce but je recherche des informations sur son frère, Juan. Malheureusement, que ce soit dans les livres ou sur internet, très peu de choses sont écrites à son sujet. Pourriez-vous me recommander un livre, un site ou un article qui pourrait m’aider? Ou vous-même me donner quelques informations à son sujet?
Bonjour,
Je parle assez longuement de Juan Borgia dans mes divers articles sur les Borgia. Lisez l’articles sur Cesar Borgia Première Partie le Cardinal de Valence (categorie Borgia) sur ce Blog et vous trouverez pas mal d’informations. Vous trouverez également des infos sur l’article Lucrece Borgia. Pour cette dernière, je vous recommande de lire l’excellente biographie de Maria Bellonci dont le lien figure à la fin de l’article Lucrèce. Attention la version consultable sur Internet est limitée.
Sinon posez moi vos questions précisément et je vous apporterai les réponses
Bien cordialement. Gratien
bonjour
j’aurais aimé recevoir de votre part, la photo en hd de Saint Louis d’Anjou et Vicente Ferrer (Vincent Ferrier) Juan Macip Navarro dit Juan de Juanes Musée cathédrale Valence pour mes recherches
Merci beaucoup
Bonjour Fabienne,
Ceux qui délivrent les photos sont ceux qui en détiennent le copyright. Nous autres sites qui ne faisons ni publicité ni vente, sommes tolérés par les propriétaires à la condition de nommer nos sources. Pour votre recherche, il vous appartient de retrouver sur internet une source légale. Pour ce faire, vous pouvez utiliser des logiciels de recherche d’image comme Google chrome ou bien Tin-eye: l’application vous trouve les occurrences de cette image sur internet et vous les balayez une à une jusqu’à trouver celle qui détient les droits. Pour le musée de la cathédrale de Valence, il est probable que ce dernier soit le propriétaire à moins que le diocèse n’ait passé un contrat avec un tiers habilité à traiter de tous ses copyright. Sinon, vous pouvez retrouver l’adresse internet de ce musée et lui demander de vous autoriser sans vous faire payer à utiliser une image dans votre travail de fin d’études ce qu’ils font généralement quand la démarche est bien cadrée.
Bien cordialement
Philippe