La syphilis est apparue en 1494. Les Italiens l’ont dénommée « morbus Gallicus » parce que son apparition coïncide avec l’arrivée des soldats de Charles VIII en Italie (voir l’article sur ce Blog sur la première guerre d’Italie). Les Français lui donnent le nom de « grosse vérole » ou de mal de Naples car, l’ayant ramené d’Italie, ils sont convaincus qu’elle infectait Naples de façon endémique. Les Russes qui pensent l’avoir reçue de Pologne, l’appellent le mal polonais. Les Espagnols l’appellent « las bubas » ou maladie pustuleuse.

Entrée de Charles VIII à Naples, le 12 mai 1495
Feron Eloi Firmin (1802-1876) Inv n°MV2696 Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
La syphilis[i] n’est pas la maladie la plus meurtière, à son appartion, mais nulle maladie, pas même la peste noire, n’a provoqué, selon le savant Hensler, un médecin allemand ayant réalisé plusieurs publications sur la syphilis au XVIIIème siècle, davantage de consternation et d’effroi. La maladie, qui est aujourd’hui presque bénigne, prend à l’époque des proportions effrayantes: des pustules d’aspect hideux se répandent sur tout le corps en même temps qu’apparaissent des douleurs violentes dans les membres et à l’aîne, de vastes ulcères et des symptômes formidables comme la perte du nez, des yeux, des lèvres, des organes génitaux… Une lèpre ultra violente et rapide en somme, confondue du reste, avec la lèpre, par nombre de praticiens de la renaissance.
La maladie nouvelle se répand avec une extrême rapidité. On pense qu’en moins de dix ans, elle s’est répandue sur toute la surface du globe.
Le nom de la syphilis vient d’un médecin italien, Girolamo Fracastoro (1478- 1553), qui, le premier, désigna la maladie sous ce nom dans ses travaux sur la transmission des maladies vénériennes, publiés en 1530 sous la forme de poèmes Syphilis Sive Morbus Gallicus. Mais ce n’est que trois siècles plus tard que ce terme se répandit pour désigner la maladie.
A l’origine de la syphilis: la découverte de l’Amérique
D’après l’opinion la plus répandue, la syphilis aurait été rapportée de Saint Domingue (Hispaniola), destination du premier voyage de Christophe Colomb, où elle était à l’état endémique mais avec une très faible intensité sur les indiens arawaks.

L’Arrivée de Christophe Colomb en Amérique
Bry Jean Théodore de (1528-1598) graveur Haïti : Les Indiens Caciques offrent des cadeaux en or. Allemagne, Berlin, BPK
Dans : Americae Vol. VI, 1594
Pourquoi Christophe Colomb aurait-il caché, dans ses lettres et ses mémoires, cette maladie ? Un argument dont se sont servis de nombreux auteurs pour contester l’origine américaine de la maladie. L’auteur cite le témoignage du fils de l’explorateur, Ferdinand Colomb, qui raconte dans ses mémoires, qu’en 1498, quand l’amiral des mers océanes revient à Saint Domingue, il y retrouve la colonie réduite à cent cinquante hommes, tous atteints de la syphilis.
Oviedo, qui publie son « Histoire des Indes occidentales » en 1525, signale que la maladie est arrivée en Espagne avec le retour du premier voyage de Christophe Colomb et que certains marins infectés, ont fait partie de l’expédition espagnole de Gonzalve de Cordoue en Italie pour secourir la dynastie Trastamare attaquée par Charles VIII. La maladie aurait alors touché Naples en 1495. Des auteurs se sont élevés contre cette opinion car les troupes françaises avaient déjà quitté Naples lorsque celles de Gonzalve de Cordoue sont arrivées.
L’auteur estime que Oviedo s’est peut être trompé mais sur le calendrier seulement: les relations étroites entre l’Aragon et la Sicile, fief de la couronne et Naples où régnait un Trastamare, apparenté à Ferdinand d’Aragon, permettent de penser que le mal a pu atteindre Naples beaucoup plus tôt car le retour du premier voyage de Christophe Colomb se situe le 4 mars 1493. Un des marins infectés a eu largement le temps de transmettre le mal à Naples, avant l’arrivée des troupes françaises en février 1495.

La Découverte de l’Amérique par Christophe Colomb QG-1-FOL M 242757 Recueil. Histoire d’Amérique latine et Antilles jusqu’en 1738. planche 3 : découverte de l’île de Guanahani (San Salvador) Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Un traitement identifié en même temps que la maladie
Les Indiens qui connaissent de longue date les effets pervers de cette maladie, quoique largement atténuée chez eux, auraient fourni aux Espagnols le moyen de la guérir avec des infusions de bois de gayac.

Gayac officinal / Gayacum officinale
Duménil Paul-Chrétien-Romain-Constant (1779-?)
Poiteau Pierre-Antoine (1766-1854) botaniste Inv n°D5518 Source : Tussac, François Richard de. Flore des Antilles. Paris, Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN), bibliothèque centrale
Une dernière question se pose: pourquoi la maladie revêtait-elle des formes bénignes chez les Indiens et des formes dégénératives si violentes en Europe ? Il faut penser que les habitants du nouveau monde ont su développer des défenses immunitaires contre la maladie. D’ailleurs, les Arawacs, habitant originaires des Indes occidentales, n’ont-ils pas été la victime, au delà des persécutions, des meurtres commis par les Espagnols, des ravages causés par des maladies bénignes en Europe qui ont dépeuplé des zones entières de la planète, chez des populations n’ayant pas développé leurs défenses immunitaires ?
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[i] Voir à ce sujet l’ouvrage du Pr Auguste Gauthier 1842 « Recherches nouvelles sur l’histoire de la Syphillis« .
[…] 1495, au moment de l’arrivée des Français de Charles VIII. Voir l’article sur ce Blog sur la Syphilis et celui sur l’Epidémie de Danse de […]