Le Parlement est issu de la Curia Regis, dont il constituait la section judiciaire. Il demeura unique jusqu’à ce que des créations de Parlements provinciaux viennent, à partir du XVe siècle, en augmenter le nombre. Mais le prestige et l’importance du Parlement de Paris demeurèrent sans égal, tant par son ancienneté que par l’importance de son ressort qui couvrait près du tiers du royaume. Le Parlement de Paris pouvait siéger dans tous les autres Parlements, soit un privilège unique à l’exception du Parlement de Toulouse, qui pouvait également siéger à Paris[i].
Le Louvre durant le règne de Charles V (1337-1380) Forteresse construite par Philippe Auguste (1165-1223), transformée en résidence royale par Charles V Hoffbauer Théodore-Joseph-Hubert (1839-1922) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz Fonds Dessins Aquarelle Paris, musée Carnavalet
A l’origine du Parlement: la « Curia Regis »
La Chambre des Comptes, elle aussi issue de la « Curia Regis », prit très tôt son indépendance mais elle s’installa en général, à Paris et en province, à proximité immédiate du Parlement.
Vue de la Chambre des Comptes, de la Sainte Chapelle et d’une des portes du Palais de Paris Dessiné par Israël Silvestre – H 0,361 L 0,473 Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-VE-53 (G)
Pendant le règne de Saint-Louis, la section judiciaire, le Parlement, fut définitivement fixée à Paris, là où résidait le roi, au Palais de l’île de la Cité. La section judiciaire, fut divisée sous le règne de Saint Louis en plusieurs commissions pour que les procès fussent plus rapidement instruits et jugés. Dès les années 1270 on trouve alors dans ses grandes lignes l’organisation du Parlement avec la Grand Chambre ou Chambre des Plaids, une commission nommée pour recevoir les Enquêtes et une autre pour les Requêtes. La Grand Chambre tenait lieu de Chambre criminelle.
Palais de Justice en 1850 Peinture de Boisson d’après une gravure d’Israel Silvestre
La France est alors divisée entre le domaine royal et les fiefs rattachés à la couronne. Dans ces derniers, l’exercice de la justice a été délégué aux seigneurs féodaux. L’autorité du Parlement à ses débuts, se résume donc essentiellement au domaine royal pour lequel il constitue une cour Souveraine, c’est-à—dire qu’elle siège en premier et en dernier ressort.
L’extension du domaine royal à partir du treizième siècle fit passer, des pays de droit écrit comme le comté de Toulouse dans les domaines de la Couronne, ce qui nécessita la création d’une nouvelle commission, qu’on appela « l’Auditoire du droit écrit », dont les membres étaient détachés de la « Grand’Chambre ». Ces membres siégeaient à part les vendredi, samedi et dimanche de chaque semaine.
Le rattachement à la couronne de fiefs apanagés entraîna la subsistance des tribunaux en vigueur dans ces fiefs avant leur rattachement, sous la responsabilité du Parlement de Paris, qui vint siéger dans ces tribunaux au cours « d’assises » de durée fixes (d’une semaine à deux mois suivant l’importance des fiefs). Des délégations du Parlement étaient ainsi envoyées à époques fixes tenir l’Echiquier de Normandie et les Grands Jours de Champagne. Une troisième délégation, qui siégeait à Toulouse, à l’octave de Pâques (les 8 jours qui suivent le dimanche de Pâques), jugeait les causes de Toulouse, Carcassonne, Beaucaire, Quercy, Rouergue et Périgord.
A partir de 1308, une distinction s’opéra à la Chambre des Requêtes entre celles de la langue d’oïl (pays de droit coutumier) qui comprenaient six maîtres et celles de la langue d’oc (pays de droit écrit) avec quatre maîtres. Puis, en 1318, les sectionnements furent supprimés, de même que l’Auditoire et l’on conserva uniquement la Grande Chambre, la chambre des Requêtes et la Chambre des Enquêtes.
Vue de Paris avec le Palais de la Cité, la Sainte-Chapelle et Notre-Dame, Anonyme Crédit Photo © Pierre Barbier / Roger-Viollet Paris, musée Carnavalet
Jusqu’à la grande Ordonnance de 1345, le nombre de Maîtres (qui deviendront plus tard les Conseillers du Parlement), désignés par le roi pour faire partie de chaque Chambre, pouvait varier fortement. A la Grand Chambre notamment, le nombre de juges pouvait varier en fonction de la cause : à côté des vingt ou trente chevaliers et clercs qui y siégeaient régulièrement on voyait siéger des archevêques, des pairs du Royaume, de puissants Seigneurs, les grands officiers de la Couronne, des maréchaux et le Maître des arbalétriers. Jusqu’en 1302, les Baillis et les Sénéchaux qui passaient à Paris, pouvaient siéger au Parlement.
Ce nombre considérable de membres était plus nuisible qu’utile au fonctionnement de la justice. Dès 1318 il était en forte diminution. Peu au courant du droit une grande partie des Seigneurs laïques se retirèrent. Quant aux Clercs, mieux instruits, ils furent éloignés par Philippe V du Parlement en 1319 : il ne fit d’exception que pour les membres du Grand Conseil.
Les membres de droit : les Pairs de France
Par une Ordonnance de 1389, Charles VI décida que les seuls membres du Clergé pouvant siéger de droit au Parlement, avec les Conseillers, étaient le Chancelier, les Pairs de France, les Maîtres des Requêtes de l’Hôtel, l’Evêque de Paris et l’Abbé de Saint-Denis.
Vue panoramique de Paris en 1588, depuis les toits du Louvre, avec le pont Neuf en construction A gauche de l’île de la Cité on aperçoit les tours de la Conciergerie – Hoffbauer Théodore-Joseph-Hubert (1839-1922) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz 1890 N° d’inventaire P.155 Fonds Peintures Huile sur toile H 1,210 L 2,020 Paris, musée Carnavalet
Les Pairs de France siégeaient de droit au Parlement, ce qu’ils ne faisaient que dans les grandes circonstances. De surcroît, ils ressortissaient à ce tribunal pour leurs affaires personnelles ou celles de leur pairie, même après la création des parlements provinciaux. Il y avait à l’origine douze pairs de France (sur le modèle des douze pairs de Charlemagne) : sur ce nombre, six étaient clercs et six laïques. Les six clercs étaient l’Archevêque de Reims, les Evêques de Laon et de Langres, qui portaient de par leurs seigneuries le titre de duc, les Evêques de Beauvais, de Noyon et de Chalons, portant le titre de comte. Du côté des pairs laïques, il y avait les ducs de Bourgogne, de Normandie et de Guyenne et les comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse.
Séance du Parlement – Sans indication de source – d’après le site Les Manuscrits de Pierre Lorfèvre Chancelier de France Site commun de l’IRHT (Institut de Recherche des Textes) et du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique)
A quand remonte cette création des douze pairs ? Probablement entre le XIIème et le XIIIème siècle. Mais les retours à la Couronne des grands fiefs réduisirent le nombre de pairs laïques : du temps de Philippe IV le Bel, le duché de Normandie et les comtés de Toulouse et de Champagne étaient réunis à la Couronne. Philippe IV Le Bel décida de rétablir le nombre de douze pairs en procédant à trois nouvelles nominations au profit des ducs de Bretagne et d’Anjou et du comte d’Artois. A partir de cette date, la nomination des Pairs de France devenant rattachée au roi de France, le nombre de Pairs évoluera en fonction et au rythme des nominations royales. Cependant, jusqu’au XVIème siècle, il ne fut créé de pairies qu’au profit des fils de France ou des princes du sang.
Les Magistrats clercs et laïques
Parmi les magistrats faisant partie du Parlement, il y avait des conseillers laïques et des clercs. En ce qui concerne les clercs, l’usage s’était répandu très tôt chez les premier capétiens, de recourir à des « consiliarii » instruits, connaissant le droit canon et au fait des procédures en matière religieuse. Ces conseillers avaient à l’origine un rôle subalterne. Mais l’importance de ces conseillers s’accrut fortement au treizième siècle avec le renforcement de la compétence professionnelle du Parlement.
Les premiers capétiens avaient délégué aux seigneuries la totalité de leur pouvoir judiciaire. Très tôt, ils s’inspirèrent de l’organisation en vigueur dans l’Eglise pour créer, à l’image des « praepositi », des prévôts, qui étaient leurs représentants locaux.
Prévôt des maréchaux (figure d’officier royal) Recueil : « Rois et reines de France et personnes de différentes qualités dessinés d’après des Monuments. T. VI, Règne de Charles VII – Années 1422 à 1461 » Anonyme Collerction de Gaignières Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image N° d’inventaire RESERVE OA-14-FOL Folio117 Fonds Dessins BnF Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Ces prévôts étaient des juges qui rendaient la justice, sans possibilité d’appel. Mais ils exerçaient de multiples fonctions : ils avaient des attributions administratives, militaires et financières. Ils mobilisaient le ban du roi et ils étaient, dans les domaines du roi, chargés d’encaisser les recettes.
Veuë du chasteau de la Bastille a Paris Silvestre Israël (1621-1691) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Adrien Didierjean N° d’inventaire EST-S-1 Fonds Estampes H 0,157 L 0,313 Chantilly, musée Condé
On s’en doute, de nombreux abus furent constatés et Philippe Auguste décida d’introduire dans le domaine relevant directement de la Couronne, des Baillis ou Sénéchaux[ii] qui vinrent assurer des fonctions de juges dans leur Baillage, chaque Bailli contrôlant un certain nombre de Prévôts. Les Baillis étant les supérieurs hiérarchiques des Prévôts, l’habitude se prit rapidement pour les justiciables locaux d’en appeler auprès du Bailli des jugements rendus par les prévôts. D’autre part, un certain nombre de justiciables échappèrent dès le début à l’autorité des Prévôts : ils vinrent voir les Baillis pour se faire juger. Les Baillis exercèrent donc à la fois en première instance et en appel des sentences prévôtales et seigneuriales. Petit à petit, ils remplacèrent les Prévôts dans une grande partie de leurs attributions.
La généralisation des Baillis, à chaque fois qu’une province donnée en apanage revenait dans le domaine royal, finit par étendre cette organisation à tout le territoire.
Cour de Baillage – Sans source identifiée
Ainsi, la réforme de l’organisation de la justice qui avait produit les Baillis, produisit-elle une réforme plus importante encore, celle de l’Appel, par lequel la Cour du Roi réduisit les compétences des justices seigneuriales qui jusqu’alors, jugeaient sans appel.
Dès lors, les affaires devinrent plus nombreuses, régulières et plus complexes, nécessitant le recrutement d’experts bien formés et d’un Parlement fonctionnant de façon permanente. Il fallut alors qu’il devint sédentaire : c’est ce que décida Philippe IV Le Bel, qui attribua le Palais de la Cité aux Cours Souveraines (Parlement de Paris et Chambre des Comptes).
Le terme de Parlement lui-même, apparut à l’époque de Louis IX (Saint-Louis). Ce terme dérivait du mot « Parlamentum », désignant une assemblée délibérante ou l’on parlait en public.
L’Ordonnance de 1278 introduit des changements importants : un Président est désigné, le corps qui prend les décisions est encore appelé le Conseil et le personnel qui assure les prestations commence à prendre un caractère professionnel car des gages lui sont attribués de façon régulière par le roi.
Jean de Selve (1465-1529) magistrat et diplomate français Premier président au parlement de Paris. Album Louis-Philippe Crédit photographique (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles N° d’inventaire LP10.6.1 Fonds Estampes H 0,189 L 0,146 Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
Dans un règlement célèbre, dont la date est incertaine mais située après l’année 1296, le Parlement prend tournure : seront désignés plusieurs Présidents choisis par les Pairs de France dont deux devront être présents de façon continue au Parlement. Sont désignés, nominativement, dix-huit chevaliers ou laïques et seize clercs qui devront résider au Parlement de façon continue en la Chambre des Plaids. Auront encore accès au Parlement un petit nombre des membres du Conseil du Roi mais tous les autres, à l’exception des Pairs de France, en sont désormais exclus.
Chaque année, le roi procédait à la nomination des membres du Parlement pour l’année suivante mais petit à petit, l’habitude se prit de renouveler les mêmes personnes sur des profils de compétences.
Le Parlement devient une juridiction permanente
En 1344, la fonction de Conseiller devint pour la première fois permanente mais non encore inamovible.
Le Parlement lui-même qui se réunissait en plusieurs assises par an, tendait à fonctionnait de façon plus durable voire permanente. Du temps de Saint-Louis, il y avait quatre sessions. Philippe IV le Bel fut le premier à organiser les sessions du Parlement : après 1308, on ne trouve plus qu’un seul Parlement par an mais dont la session durait depuis la Saint-Martin d’hiver jusqu’à la fin Mai. Le Parlement était devenu au début du quatorzième siècle une juridiction permanente.
Le Parlement fonctionnait essentiellement comme une cour d’appel des jugements rendus par les Baillis. Il rendait ses sentences au nom du roi, source de toute justice mais la forme retenue pour ses arrêts était « la Cour ordonne » ou « la cour condamne ». .
Le parlement était organisé en plusieurs sections :
– la Grand Chambre : la plus ancienne, la seule à l’origine, toujours chargée des causes importantes et privilégiées, et des affaires civiles jugées en première instance à l’audience des bailliages et sénéchaussées ; c’est elle également qui procédait à l’enregistrement des ordonnances et lettres patentes, à la présentation des lettres de grâce, de rémission, etc., et à la réception des officiers du Parlement et des officiers de justice du ressort ;
Portrait du Cardinal Duprat Premier Président du Parlement de Paris de 1508 à 1515 – Dessin de G. Mercier Réalisé pour le livre d’Ambroise Tardieu, Grand dictionnaire biographique du Puy-de-Dôme, Moulins, Imprimerie de C. Desrosiers, 1878. Portrait extrait de la planche VIII. D’après Wikipedia
– la chambre de la Tournelle : délégation de la Grand Chambre, chargée de juger les affaires criminelles ; les délégués, choisis parmi les membres laïcs, se réunissaient dans la petite tour (la tournelle Saint-Louis) pour instruire les procès, les sentences étant prononcées par la Grand’Chambre. Il faut attendre l’article 25 de l’Ordonnance de Montils-Les-Tours (avril 1454) pour trouver la première répartition fonctionnelle : la « Grand’Chambre » est compétente pour les délits entraînant la peine capitale tandis que les affaires ordinaires doivent être jugées par une délégation se retirant dans une autre salle. François 1er prit la décision en 1515, de créer une chambre distincte pour les affaires criminelles.
« Le petit Châtelet », 1780 Hoffbauer Théodore-Joseph-Hubert (1839-1922) Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz Fonds Dessins aquarelle Paris, musée Carnavalet
– la chambre des enquêtes, compétente au civil et au petit criminel, notamment sur les enquêtes ordonnées par la Grand Chambre ; dès les origines, les rois capétiens prirent l’habitude de désigner des responsables chargés de réaliser des enquêtes, des informations sur les dossiers introduits en la « Grand’Chambre ». Saint-Louis avait créé en 1347 les « Enquêteurs royaux » avec pour mission de se rendre dans les différentes parties du domaine pour y recueillir les plaintes et doléances de ses sujets à l’encontre des officiers royaux (Baillis ou Sénéchaux, Prévôts, etc…). En 1308, pour la première fois, les Enquêtes reçoivent une existence précise, le roi Philippe IV le Bel ayant décidé de nommer neuf Maîtres aux Enquêtes ; il faudra attendre l’Ordonnance de 1454 pour trouver la trace d’une chambre des Enquêtes comportant deux sections, ou deux chambres dotées chacune d’un Président et de 15 conseillers clercs et laïques. Le nombre des chambres fut porté à cinq un siècle plus tard, avant d’être réduit par la suite.
Séance du Parlement Sans indication de source d’après le site Les Manuscrits de Pierre Lorfèvre Chancelier de France Site commun de l’IRHT (Institut de Recherche des Textes) et du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique)
– la chambre des requêtes du Palais, chargée, à partir du seizième siècle de ne juger que les personnes qui avaient le privilège du « committimus ». c’est-à-dire le droit d’être jugé, au civil et en première instance exclusivement à toute autre cour souveraine, devant les Requêtes de l’Hôtel à Paris ou devant les Requêtes du Palais au Parlement de Paris. Ce droit s’appliquait à des particuliers (dont les princes du sang, les ducs et pairs, etc.) et aux membres de diverses communautés (officiers et domestiques de la Maison du roi, magistrats des cours souveraines, Trésoriers de France, etc. La Chambre des Requêtes s’appelait sous Saint-Louis « les plaids de la Porte » parce que les causes étaient réceptionnées à la Porte du Palais royal. On appelait également les Maîtres des Requêtes, des « poursuivans » parce qu’ils devaient suivre la personne du roi.
Le Parlement de Paris et, à sa suite, tous les Parlements dans leurs ressorts, avait des pouvoirs extrajudiciaires qu’il tirait de la coutume et qu’il avait constitués peu à peu. Les parlementaires estimaient être les gardiens des lois fondamentales du royaume et ceux de l’inaliénabilité du domaine de la Couronne, ce principe lui-même paraissant s’être développé avec les règnes de Louis XI et François 1er. Une loi, pour être appliquée dans le ressort du Parlement, devait être enregistrée. Elle était donc analysée, commentée et le Parlement refusait parfois de les enregistrer en adressant des remontrances au roi.
Retable du Parlement de Paris milieu 15e siècle Ecole française Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi Inventaire n°RF2065 Fonds Peintures Huile sur bois H 2,260 L 2,700 Paris, musée du Louvre. [iii]
Comment une institution qui dépendait à l’origine de la volonté royale avait-elle pu, en trois siècles, déborder de la sphère judiciaire pour entrer dans la sphère politique ?
La raison essentielle résidait dans la confusion des pouvoirs et dans la coutume, un problème endémique de l’ancienne monarchie : on érigeait en principe de droit une décision antérieure qui pouvait constituer un abus dans une situation différente. D’autre part, les rois successifs avaient pris l’habitude d’associer leurs parlements ou des membres éminents de ces derniers à leurs décisions ou en les faisant participer individuellement aux Conseils du roi. Cette pratique s’était notamment développée au moment du grand schisme d’occident[iii].
Le droit d’enregistrement, lui, avait une autre origine d’après les jurisconsultes du XVIème siècle. Sous les premiers capétiens, le roi avait l’obligation, coutumière, de faire approuver toutes les lois par l’assemblée des barons et prélats réunis dans la « Curia Regis ». Ce droit, le Parlement l’aurait conservé. Que l’anecdote soit vraie ou fausse, le fait est que ce droit d’enregistrement allait devenir une arme politique entre les mains du Parlement.
Il est cependant probable que la pratique de l’enregistrement se soit développée sur une position réitérée régulièrement dans les ordonnances royales stipulant que si tel ou tel point d’une décision s’avérait contraire au droit ou à la justice, le Parlement ne devait pas l’appliquer. D’où l’émergence d’un droit, puis d’un devoir de conseil de la part des Conseillers du Parlement, position qui sera théorisée un peu plus tard, notamment par Jean Bodin.
Toujours est-il que l’application stricte de ce pouvoir allait susciter l’opposition entre le Parlement et François 1er, opposition qui ne put trouver sa solution, provisoirement, que dans un « lit de justice »: Il s’agissait pour le roi de se rendre personnellement en son Parlement et de faire transcrire l’Ordonnance sur les registres, sous ses yeux et sans délibération.
Boccace Des cas des nobles et Cleres Dames – Le lit de Justice de Vendôme Folio 2v Miniature en frontispice attribuée à Jean Fouquet Bayerische Staatsbibliothek Munich, Cod. Gall.6 via l’article Wikipedia sur les oeuvres de Jean Fouquet
Le Lit de Justice c’était en réalité « le roi venant tenir sa cour au Parlement. Par ce fait, les membres du Parlement perdaient leur autorité propre : ils n’étaient plus que des donneurs de conseils et le Parlement résidait tout entier dans la personne du Roi. Par sa présence, le roi faisait disparaître, tant qu’il siégeait, ceux qui n’étaient que ses délégués[iv] ».
Le caractère altier de François 1er et sa tendance à l’absolutisme allait créer un malentendu durable avec le Parlement qui fut la source de lourds affrontements qu’une gestion plus concertée aurait sans doute permis d’atténuer.
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[i] Cet article a été rédigé à partir de deux ouvrages : L’Histoire du Parlement de Paris des Origines à François 1er 1250-1515 par Félix Aubert paru chez Megariotis Reprints à Genève et Le Cours élémentaire d’Histoire du Droit français par A. Esmein.
[i] Les Sénéchaux étaient en droit, un terme différent pour désigner les Baillis : la qualification de Sénéchal était utilisée dans le midi et dans l’ouest de la France. Celle de Bailli dans les autres régions. En ce qui concerne les prévôts, ils portaient également des noms différents selon les régions : ils pouvaient s’appeler « châtelains », « voyers » ou « viguiers ».
[ii] Le Grand Schisme d’occident survient à l’occasion de l’élection de deux papes en 1378, l’un à Rome et l’autre à Avignon. La résidence des Papes avait été déplacée par Philippe IV le Bel à Avignon depuis 1309. L’élection contestée d’un pape à Rome sous le nom d’Urbain VI en 1378, et d’un autre à Avignon sous celui de Clément VII, créa une situation inédite de deux papes prétendant tous deux diriger la Chrétienté. Ce schisme partagea toute l’Europe et créa une grande instabilité politique et religieuse de 1378 à 1420 date de l’entrée de Martin V à Rome qui clôt définitivement le grand schisme.
[iii] Ce tableau (voir l’article Wikipedia) daté de 1450 environ, a été réalisé pour le Parlement de Paris. Il est décroché à la révolution et expédié au Musée qui deviendra plus tard le Louvre. Réclamé par les magistrats de la Cour d’Appel, il reviendra orner la grande salle du Palais. La loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 sonnera l’heure du retour définitif au Musée du Louvre.
[iv] Cours d’Histoire du droit déjà cité.
[…] tant qu’il siégeait, ceux qui n’étaient que ses délégués ». Cf. l’article sur le Parlement de Paris sur ce même […]