L’exil du Parlement à Poitiers résulte d’une succession d’évènements dramatiques pour la Couronne qui prennent leur source dans la folie du roi Charles VI et dans l’assassinat de son frère, le duc d’Orléans commandité par le duc de Bourgogne, Jean-Sans-Peur. Ces évènements vont indirectement déclencher, dix ans plus tard, la guerre des Armagnacs et des Bourguignons. La coalition entre les intérêts anglais et bourguignons, les défaites françaises, le territoire français envahi, vont provoquer une des crises les plus graves de toute l’histoire de la monarchie.
Bataille d’Azincourt Chroniques. – Bruges. Auteur : Monstrelet, Enguerrand de (1390?-1453). Vers 1470-1480 (?). Collection : Louis de Bruges ; librairie de Blois Maître de la Chronique d’Angleterre (actif vers 1470-1480) Enlumineur Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 2680 Folio 208 Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
A la suite de la victoire d’Azincourt survenue l’année précédente, le roi d’Angleterre, Henry V, rencontre en 1416, le duc de Bourgogne Jean-Sans-peur : ce dernier l’assure de la neutralité de la Bourgogne si Henry V s’engage dans la conquête de la France.
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La guerre des Armagnacs et des Bourguignons
Le roi anglais, qui s’était rembarqué pour l’Angleterre immédiatement après la victoire d’Azincourt, prépare soigneusement son retour en France en se livrant à une intense campagne diplomatique. Fort du soutien de l’Empereur du Saint Empire et de la neutralité amicale du Duc de Bourgogne il constitue une flotte importante qui bat la flotte française en Baie de Seine le 25 juillet 1417, ouvrant ainsi la voie à la flotte de débarquement.
Cette dernière débarque dix mille hommes et mille cinq cents chevaux. Henry V entreprend alors la conquête, une à une de toutes les places normandes.
A Paris, le parti de Bernard Armagnac[i], beau-père du duc Charles d’Orléans[ii] est revenu au pouvoir en 1415, chassant le parti Bourguignon et en s’appuyant sur une nouvelle volte-face de la reine Isabeau de Bavière. Cette dernière, en froid avec le duc de Bourgogne depuis l’année précédente, avait décidé de faire alliance avec les Armagnacs[iii].
Entrée d’Isabeau de Bavière à Paris Chroniques. Bruges. Auteur : Froissart, Jean (1337?-1410?). Date : 1470-1475 (?). Collection : Louis de Bruges ; librairie de Blois Auteur Froissart Jean (1333 ou 1337-après 1400) chroniqueur, Maître d’Antoine de Bourgogne (15e siècle) enlumineur Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire : FRANCAIS 2646 Folio6 Fonds Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
L’armée de Gascons des Armagnacs, sème la terreur dans Paris et aux alentours tandis que la politique fiscale écrasante du Connétable, lui aliène ses divers soutiens dans la capitale.
Le comte d’Armagnac Partie de : » Armorial de Gilles Le Bouvier » Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF FRANCAIS 4985 Folio 111verso Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Puis, les deux princes héritiers de la Couronne, frères aînés de Charles de Ponthieu, placés sous le contrôle du duc de Bourgogne, meurent successivement, l’un en 1415 et le second en 1417. Charles de Ponthieu devient le seul prétendant au trône. Protégé par sa belle-mère, Yolande d’Aragon, il coulait jusqu’alors des jours heureux en Anjou, loin de la politique.
Arrivée de louis II d’Anjou à Paris – Yolande d’Aragon avec la coiffe Chroniques. Bruges. Auteur : Froissart, Jean (1337?-1410?). Date : 1470-1475 (?). Collection : Louis de Bruges ; librairie de Blois Auteur : Froissart Jean (1333 ou 1337-après 1400) chroniqueur, Maître d’Antoine de Bourgogne (15e siècle) enlumineur Crédit photographique :(C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 2646 Folio 321v Fonds : Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Yolande d’Aragon, justement, à l’appel de Bernard d’Armagnac, lui demande de venir à Paris où il est intronisé à l’âge de quatorze ans[iv] Lieutenant Général du Royaume.
Pendant ce temps, Bernard d’Armagnac, à court d’argent veut mettre la main sur les trésors d’Isabeau de Bavière, avec laquelle les rapports s’étaient entre-temps dégradés. Cette dernière est expédiée prisonnière, sous bonne garde, à Tours.
Dès lors, Isabeau portera une rancune tenace à l’égard de son fils qui a voulu la déposséder et elle n’a plus que haine pour le parti d’Armagnac. Rejetant ses amis d’hier, elle se tourne vers le duc de Bourgogne qui, revenant du siège raté de Paris et soucieux de renforcer la légitimité de son action, saisit avidement la main tendue.
- Jean Sans Peur Duc Bourgogne Musée de l’Hospice Comtesse
- Marguerite de Bavière Musée de l’Hospice Comtesse
Portrait de Jean sans Peur, duc de Bourgogne (1371-1419) N° d’inventaire Inv.P.1525 Fonds Peintures et Portrait de Marguerite de Bavière (1363-1424), duchesse de Bourgogne, épouse de Jean sans Peur N° d’inventaire Inv.P.773 Fonds Peintures Ecole flamande Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais / Jacques Quecq d’Henripret Huile sur bois H 0,410 L 0,300 Lille, musée de l’Hospice Comtesse Acquisition Dépôt du musée des Beaux-Arts de Lille
Dès que l’alliance entre Isabeau de Bavière et le duc de Bourgogne est connue, les Armagnacs confirment au nom du roi, par Ordonnance, la désignation de Charles comme Lieutenant général du Royaume. Des lettres sont envoyées par tout le royaume demandant de ne pas obéir aux instructions qui émaneraient du duc de Bourgogne et de la reine Isabeau. La situation est devenue très confuse : mais elle va encore s’aggraver.
Le Parlement de Paris prête serment au duc de Bedford
Le 6 janvier 1418 des lettres patentes signées par la reine autorisent le duc de Bourgogne à saisir les énormes profits des ateliers monétaires royaux, entérinant officiellement une situation de fait. Mais progressivement, le royaume s’enfonce dans l’anarchie. Paris est entouré d’un glacis de villes passées sous contrôle bourguignon, tandis que les Anglais, devenus maîtres de la Normandie, sont à deux journées de marche de la capitale.
Dans la nuit du 28 au 29 mai 1418, plusieurs centaines de parisiens, conduits par Perrinet Leclerc, ouvrent la porte Saint-Germain aux troupes bourguignonnes qui se ruent dans Paris. Chez les Armagnacs, la surprise est complète : le chancelier et la plupart des Conseillers, sont arrêtés. Le Connétable, après quelques jours de clandestinité est arrêté à son tour.
Entrée des Bourguignons à Paris (mai 1418) Partie du manuscrit : « Vigiles de Charles VII ». 1484 (?). Episode de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons Auteur Martial d’Auvergne (1440-1508) Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 5054 Folio 15verso Fonds Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Le Prévôt de Paris, Tanguy du Châtel, a gardé tout son sang-froid : il se rue à l’hôtel du dauphin, rue Saint-Antoine et il l’entraine rapidement à travers les jardins vers la Bastille. Il fait ouvrir une poterne et le dauphin, suivi de quelques conseillers s’enfuit en hâte sur Melun où il rafle quelques forces de garnison. Le lendemain, à la tête de mille cinq cents hommes, ils essaient de reprendre le contrôle de Paris mais les affrontements tournent en faveur des Bourguignons.
Le retrait des Armagnacs est alors le signal de gigantesques massacres perpétrés par les Parisiens : on tue tout ce qui est déclaré « Armagnac », vidant çà et là beaucoup de querelles privées n’ayant rien à voir avec la politique. On dénombrera au moins mille cinq-cents victimes.
Massacre des Armagnacs par les Bourguignons à Paris (mai-juin 1418) » Vigiles de Charles VII. » 1484? par Martial d’Auvergne (1440-1508) Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 5054 Folio 16verso Fonds : Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Pendant ce temps, Henry V reprend ses opérations depuis la Basse-Normandie et il vient mettre le siège devant Rouen qui doit se rendre le 2 janvier 1419 et qui est soumise à une contribution de trois cent mille écus d’or. Henry V peut alors ouvrir les négociations avec le Dauphin d’une part et les Bourguignons d’autre part. Mais le duc de Bourgogne ne peut encore se résoudre à adopter officiellement le parti de l’Angleterre. Au contraire, il prend contact avec le Dauphin pour organiser une paix générale.
Après plusieurs rencontres infructueuses, la paix est déclarée entre les deux partis en mai 1419 et l’on convient de se retrouver le 10 septembre à Montereau sur Yonne, chaque parti étant accompagné de dix chevaliers. Alors que le duc est agenouillé devant le dauphin, Tanguy du Châtel, aidé du comte de Narbonne, neveu du comte d’Armagnac, frappe de sa hache Jean-sans-Peur, lui coupe la main qu’il avait levée pour se protéger et lui fend le crâne, accomplissant ainsi la vengeance posthume du duc d’Orléans, assassiné par ce même duc de Bourgogne douze ans plus tôt.
Assassinat de Jean sans Peur au Pont de Montereau Enguerrand de Monstrelet, Chroniques (abrégé) par le Maître de la Chronique d’Angleterre, enlumineur, Bruges, vers 1470-1480. Provenance : Louis de Gruuthuse. Paris, Bibliothèque nationale de France, Mss, fr. 2680, f. 288 © Bibliothèque nationale de France
Ce meurtre prémédité, à l’instigation duquel le dauphin est sans doute partiellement responsable, réveille les passions à la Cour de Bourgogne, qui ne se dépêche pas pour autant à conclure avec Henry V. Finalement, une alliance Anglo-Bourguignonne se contractualise au traité d’Arras, le 2 décembre 1419 et, dès le 17 janvier 1420, une lettre de Charles VI à Troyes, décrète le Dauphin Charles « parricide, coupable de lèse-majesté, ennemi de Dieu et de Justice ».
Charles en prend son parti et s’efforce de ramener à l’obéissance les provinces du midi, qui s’étaient portées du côté bourguignon. De son côté, le duc de Bourgogne, aidé de quelques forces anglaises, investit toutes les places au nord de Paris pour les nettoyer de leurs contingents Armagnacs.
Et le 21 mars 1420, les comtes de Kent et de Warwick, envoyés pour négocier le traité de paix à Troyes avec le duc de Bourgogne et Isabeau de Bavière, entrent dans une ville en liesse. En quelques jours, le traité de Troyes [v], si désastreux pour la France est mis en place : le roi d’Angleterre retrouve la grande Aquitaine du traité de Brétigny, il épouse Catherine de France et il est convenu qu’il devienne roi de France à la mort de Charles VI.

Catherine de France épouse Henry V d’Angleterre à l’instar de sa soeur aînée, Isabelle qui avait épousé Richard II -ci dessus Fr 2646 Folio 6 BNF
Chroniques. Bruges. Auteur : Froissart, Jean (1337?-1410?). Date : 1470-1475 (?). Collection : Louis de Bruges ; librairie de Blois Auteur : Froissart Jean (1333 ou 1337-après 1400) chroniqueur, Maître d’Antoine de Bourgogne (15e siècle) enlumineurCrédit photographique :(C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire FRANCAIS 2646 Folio6 Fonds : Miniatures et enluminures Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Le 29 avril à Paris, l’ensemble des conseillers du Parlement et de la Chambre des Comptes sont réunis pour enregistrer le traité de Troyes qui est approuvé, le parlement justifiant ainsi sa désignation d’Anglo-Bourguignon que l’histoire lui décernera.
Traité de Troyes Archives Nationales Document n° AE/III/254
Le Parlement de Poitiers
Un nouveau Parlement[vi] a été désigné le 22 juillet 1418 par lettre de Charles VI. Ce nouveau Parlement est immédiatement soupçonné d’esprit partisan par les armagnacs.
Le Dauphin et ces derniers réagissent immédiatement avec l’Ordonnance de Niort du 21 septembre 1418, qui institue le Parlement de Poitiers. Cette création unilatérale, qui sera dissoute dix-huit ans plus tard, sera désignée dans l’histoire sous le terme de « translation du Parlement à Poitiers » alors qu’il exista bel et bien deux Parlements concurrents se prévalant tous les deux de l’Autorité du Roi, l’un pour le compte de Henry VI, Roi de France et d’Angleterre, né en 1421[vii], et l’autre, pour le compte du Dauphin Charles de Valois.
L’ordonnance de Niort[viii] désignait 2 Présidents, trois Maîtres des Requêtes de l’Hôtel[ix] et treize conseillers soit une composition minimale pour l’ensemble des territoires de la Couronne, mais relativement confortable pour le petit nombre de régions soumises à l’autorité du Dauphin. Parmi les membres du Parlement de Poitiers, il y avait des personnalités connues pour leur attachement à la Couronne et aux familles d’Orléans et de Valois.
On citera tout d’abord Jean Jouvenel des Ursins qui pouvait se prévaloir d’une longue carrière au service de la monarchie. Menacé de mort par le Duc de Bourgogne à son entrée dans Paris, il s’enfuit et rejoint le Dauphin à Niort. Charles de Ponthieu le désigne Président au Parlement de Poitiers, l’un de ses fils devenant Conseiller et un second, avocat général.
Jean Jouvenel naquit à Troyes en 1360, sans doute dans une famille de bourgeois drapiers (son grand-père était drapier et son père magistrat). A l’âge de vingt-trois ans, il devient Conseiller du roi en son Châtelet. A partir de 1386, grâce à la bienveillance de son beau-père, le Seigneur de Noviant, il fut nommé Prévôt des Marchands de Paris, un office qu’il exerça avec autant de zèle que d’intelligence et il résigna son office en 1400 en réussissant à faire sur ses compétences, l’unanimité du roi, des marchands, de la noblesse ou des gens d’Eglise.
La Famille Jouvenel des Ursins 1445-1449. Provenance : chapelle Saint-Remi à Notre-Dame de Paris. Jean Ier Juvenal des Ursins (1360-1431), prévôt des marchands (1389-1400) Ecole française Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen-Âge) / Gérard Blot Peinture sur bois H 1,650 L 3,500 Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge Dépôt du musée du Louvre
Depuis 1392, il était membre du Conseil du Duc d’Orléans[x]. En 1400, après sa résignation il est nommé au Parlement de Paris en qualité de Conseiller et Avocat du Roi. Il avait su conquérir la confiance absolue du roi Charles VI qui lui fit toujours bon accueil. Partisan de la paix, il se fit remarquer par son courage dans les épisodes délicats des révoltes parisiennes sous l’administration du duc de Bourgogne. C’est cet homme, âgé de près de soixante ans dont quarante de bons et loyaux services auprès de la monarchie qui venait rejoindre le parti du Dauphin à Bourges. Pour partir rejoindre le roi, il dut abandonner les biens de toute une vie de labeur et il se retrouva ruiné. Le Dauphin eut donc à cœur d’essayer de rattraper partiellement les sacrifices à lui consentis par son fidèle serviteur.
Avec Jean Jouvenel sont désignés en qualité de Conseillers Guillaume Jouvenel, plus tard Chancelier de France et Jean Jouvenel, Evêque de Beauvais qui devait également faire une carrière prestigieuse en qualité d’Evêque de Laon et d’Archevêque de Reims. Fut désigné également le premier Président Vailly, qui lui aussi avait fait une longue carrière au Parlement de Paris, ainsi que trois Maîtres des Requêtes.
Guillaume Jouvenel des Ursins (1401-1472), baron de Trainel, chancelier de France par Fouquet Jean (1420-1477/1481) peintre Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot N° d’inventaire INV9619 Fonds Peintures Huile sur bois H 0,960 L 0,730 Paris, musée du Louvre
En tout, entre 1418 et 1436, ce furent cinquante-deux Conseillers qui furent membres du Parlement de Poitiers.
Le 27 février 1423, le Parlement de Paris renouvelle son serment à Henri de Lancastre, duc de Bedford et Régent de France. Il se compose alors de quatre Présidents de la Grand’Chambre, de deux Maîtres des Requêtes de l’Hôtel, de deux présidents des Enquêtes, de vingt-cinq conseillers clercs ou laïques, de l’avocat du roi et du Procureur général.
John, Duke of Bedford – Les Heures du Duc de Bedford à l’usage de Paris par le Maître du Duc de Bedford N° d’inventaire Add MS 18850 folio 256v British Library
Le Parlement de Poitiers va s’avérer relativement inefficace[xi]. Avec des circonstances atténuantes. Car les subsides du « petit roi de Bourges » sont notoirement insuffisants. Les conseillers sont rarement payés et quand ils le sont, c’est avec d’énormes retards. Du coup, un certain nombre des conseillers sont affectés à d’autres tâches, de « missi dominici », d’émissaires ou de diplomate. Dans ces conditions, les effectifs qui restent se montrent économes de leurs moyens. Le Parlement semble avoir eu trop conscience de sa faiblesse, pour ne pas s’épargner les difficultés que son strict devoir ne lui imposait pas d’affronter.
Partout le Roi et son administration sont méprisés. En voulant armer les Seigneuries pour résister à l’envahisseur anglais, ces derniers se sentent autorisés à reprendre leurs guerres privées et à faire régner la terreur dans les campagnes. On se fiche ouvertement de l’autorité royale et le Parlement n’a aucune autorité.
Au mois de septembre 1435, le Parlement est si démuni qu’il ne parvient plus à faire exécuter ses décisions d’arrestation. Il en vient alors à s’adresser au peuple et aux nobles pour mettre en commun leurs efforts afin d’arrêter le coupable.
Le Parlement de Poitiers eut gravement à souffrir de la période d’anarchie dans laquelle il inscrivait son action. Malgré leur compétence et leur désintéressement les Conseillers ne parvinrent pas à être efficaces : leurs arrêts étaient bafoués, les sergents étaient battus, partout, les malfaiteurs semblaient triompher. A eux seuls, ils ne pouvaient pas inverser l’anarchie qui s’était emparée du royaume.
Si le Parlement de Poitiers ne laissera pas dans l’histoire une forte image, c’est avant tout parce que l’époque ne s’y prêtait pas. Mais les leçons de l’anarchie, du désordre triomphant, des seigneuries impertinentes et rebelles, ne seront pas perdues et susciteront moins de vingt ans plus tard les plus grandes réformes auxquelles le pouvoir royal se soit attelées.
Le 15 Mars 1436, le roi Charles VII reconnaît les procédures et les jugements réalisés par le Parlement Anglo-Bourguignon qui ne portent pas atteinte aux intérêts de ses partisans, tout en soulignant qu’il n’entendait pas reconnaître par cette validation rétrospective, la juridiction exercée par le roi d’Angleterre. Après avoir reçu la députation du Parlement de Paris, il ordonna le 15 Mai 1436 de fermer et sceller les Chambres et les Greffes de Poitiers et il ordonna par lettres patentes de Tours en Août 1435, le rapatriement à Paris du Parlement, dans le Palais de la Cité.
En application du traité d’Arras[xii], Charles VII avait l’obligation de replacer douze des anciens Conseillers du Parlement Anglo-Bourguignon. Mais il s’était engagé, à l’égard de ses partisans du Parlement de Poitiers à réserver les deux tiers des places aux membres de ce dernier et de les choisir par préférence à ceux qui s’étaient ralliés aux Anglais. D’où l’urgence, pour Charles VII, de se hâter… lentement et de réfléchir soigneusement à l’équilibre du prochain Parlement de façon à mécontenter le moins de monde possible.
Proclamation de la Paix d’Arras D’après une miniature des Chroniques d’Enguerrand de Monstrelet. Recueil : « Rois et reines de France et personnes de différentes qualités dessinés d’après des Monuments. T. VI, Règne de Charles VII – Années 1422 à 1461 » Le Traité d’Arras signé entre Charles VII et Philippe III le Bon met fin à la querelle des Armagnacs et des Bourguignons par Boudan Louis (17e siècle-18e siècle) graveur et miniaturiste français Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF N° d’inventaire RESERVE OA-14-FOL Folio 6 Fonds Dessins Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF)
Il fit donc fonctionner le Parlement de façon provisoire, à la fin de l’année 1436. Puis il procéda à des nominations successives, à de grands intervalles, pour remplacer les membres démissionnaires. Ceci, jusqu’à l’Ordonnance de Montil-Les-Tours en 1454 qui réorganise le fonctionnement de la Justice et qui pose le principe de la reconstitution des chambres avec une composition stable de la Grand’Chambre. Cette réforme était rendue indispensable par des procédures judiciaires de plus en plus longues et une justice seigneuriale de moins en moins crédible.
La refondation judiciaire de 1454 est la première grande manifestation royale en France, de reconquête de l’espace judiciaire par l’Etat aux dépens des Seigneuries féodales. Elle vise à poser en termes clairs, accessibles à chacun, les principes de la justice royale sur toute l’étendue des territoires de la Couronne. Cette ordonnance pose également le principe de la rédaction des Recueils des Coutumes[xiii] en langue d’oïl, première tentative de donner une source écrite, comme élément de preuve certaine.
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[i] Bernard VII d’Armagnac était le beau-père de Charles d’Orléans. Il prend la tête du parti des Armagnacs et devint en 1415 Connétable de France et se voit désigné le 12 février 1416, capitaine général du Royaume. Son parti, pendant la folie du roi Charles VI, gouverne concrètement la France jusqu’en 1418, après avoir chassé de Paris le parti Bourguignon de Jean-Sans-Peur.
[ii] Charles d’Orléans resta prisonnier des Anglais de 1415 à 1440. Il se révéla pendant son exil un grand poète.
[iii] Tous les détails qui suivent sont empruntés au livre de Bertrand Schnerb paru chez Perrin en 2001 : « Armagnacs et Bourguignons : la maudite guerre 1407-1435 ».
[iv] Date de la majorité légale du roi de France depuis les Lois Fondamentales du Royaume définies par les Ordonnances de 1403 et 1407 de Charles VI.
[v] Le traité de Troyes fut signé le 21 Mai 1420
[vi] Il comporte quatre Présidents, quatre Présidents des Enquêtes, onze conseillers clercs et vingt-trois conseillers laïques. Ce Parlement fut concurrent jusqu’à 1436 de celui de Paris qui avait prêté serment au Duc de Bedford, régent de France. Mais Charles VII, soucieux de réconcilier la France, de légitimer toutes les décisions non politiques du Parlement de Paris, tout en affirmant la validité des décisions du Parlement de Poitiers, jugea plus utile de fondre en 1436 les effectifs des deux Parlements en fermant définitivement le siège de Poitiers.
[vii] Henry V mourut le 31 Août 1422, quelques mois avant Charles VI qui décéda lui, le 21 octobre 1422. Un fils venait de naître de son union avec Catherine de France, le 6 décembre 1421, Henry VI. Trop jeune pour régner, la régence du nouveau Roi de France et d’Angleterre, au titre du Traité de Troyes fut exercée par Jean de Lancastre, duc de Bedford, le frère d’Henry V.
[viii] Dans l’article LE PARLEMENT ROYAL A POITIERS (1418-1436) Didier Neuville Revue Historique T. 6, Fasc. 2 (1878), pp. 272-314 Presses Universitaires de France
[ix] « Les Requêtes de l’Hôtel sont un tribunal royal tenu à partir de la fin du XIVe s. de façon permanente dans l’enclos du Palais à Paris par des conseillers du roi, appelés par la suite maîtres des requêtes, qui y ont compétence pour juger certaines affaires privilégiées. Les Requêtes de l’Hôtel connaissaient en particulier des causes des personnes ayant droit de committimus, c’est-à-dire le droit d’être jugé, au civil et en première instance exclusivement à toute autre cour souveraine, devant les Requêtes de l’Hôtel à Paris ou devant les Requêtes du Palais au Parlement de Paris. Ce droit s’appliquait à des particuliers (dont les princes du sang, les ducs et pairs, etc.) et aux membres de diverses communautés (officiers et domestiques de la Maison du roi, magistrats des cours souveraines, Trésoriers de France, etc.). Parmi les affaires des particuliers dont s’occupaient les Requêtes de l’Hôtel, la moitié au XVIIIe s. concernait le règlement de leurs créances avec la procédure de saisie réelle des biens, baux judiciaires, vente par adjudication et distribution du prix aux créanciers. Le tribunal des Requêtes de l’Hôtel était chargé également de causes extraordinaires qui lui étaient renvoyées par arrêt du Conseil du roi, par exemple la révision de l’affaire Calas en 1764-1765. Dans ce cas, les Requêtes de l’Hôtel jugeaient souverainement et sans appel, au civil comme au criminel. À partir du milieu du XVIe s. et surtout du règne d’Henri IV, un certain nombre d’affaires firent partie de ses attributions permanentes : exécution des arrêts du Conseil privé ou des jugements des commissions extraordinaires du Conseil, falsification de sceaux, exécution des lettres délivrées par le Chancelier portant privilège ou permission d’imprimer, poursuites criminelles incidentes aux instances pendantes au Conseil, etc. Les Requêtes de l’Hôtel furent supprimées par décret de l’Assemblée constituante des 6 et 7 septembre 1790. » Extrait du site des Archives Nationales
[x] Louis d’Orléans, frère de Charles VI avait épousé Valentine Visconti, l’héritière du duché de Milan, qui sera revendiqué plus tard par son petit-fils, Louis XII, puis par son arrière-petit-fils, François 1er. Louis d’Orléans qui exerça à partir de la folie de son frère le roi Charles VI et pendant plus de dix ans, la réalité du pouvoir, fut assassiné en 1407 par son principal concurrent le duc de Bourgogne Jean-Sans-Peur.
[xi] Ces observations relativement qualitatives sur l’efficacité du Parlement de Poitiers sont extraites de « l’Histoire du Parlement de Paris de l’Origine à François 1er 1250-1515 » Tome Premier Organisation, Compétence et Attribution, Megariotis Reprints Genève 1894.
[xii] Traité signé le 20 septembre 1435 entre Charles VII et le duc de Bourgogne Philippe le Bon par lequel ce dernier reconnaît le roi de France en contrepartie d’une dispense de l’hommage des Ducs de Bourgogne au Roi de France et le transfert au Duc, des comtés d’Auxerre et de Macon. Ce traité mit fin officiellement à la guerre des Armagnacs et des Bourguignons. Il comportait l’obligation pour Charles VII de reprendre douze noms parmi les Conseillers du précédent Parlement Anglo-Bourguignon.
[xiii] La rédaction de ces « Coutumiers », ne fut véritablement entreprise que vers la toute fin du XVème siècle et le XVIème siècle. L’invention de l’Imprimerie et les innombrables coutumes de France, allaient générer des éditions imprimées multiples qui s’élevèrent, sans être tout à fait assuré de leur exhaustivité, au chiffre astronomique de 2161 éditions… Article « Pistes pour une histoire de l’édition juridique française sous l’ancien régime » de Yves-Bernard Brissaud publié dans la Revue « Production et usages de l’écrit juridique en France du Moyen Age à nos jours ».
J’apprecie beaucoup votre site, Excusez moi cependant de vous indiquer que le rencontre du roi d’Angleterre et sa promise n’est pas le mariage d’Henri V et Katherine de France (1420), mais de Richard II et d’Isabel, comme indique le texte (BNF fr. 2646 fo 6).
Meilleurs sentiments
Bonjour
Je vous remercie de cette précision. Je vais immédiatement corriger.
Bien cordialement
Gratien
Bonjour.
Il ne vous semble pas-si étrange que le cheval sous Bernard д’Armagnac porte les armes de la maison d’Albret ? Peut-être, contrairement à la signature, sur l’image est représenté Charles Ier d’Albret ?
Je demande au pardon pour mien mauvais français.
Respectueusement, fitzJehan.
Votre français est parfait et vos connaissances sont très pointues. Il s’agit effectivement des armes d’Albret. Le fautif est la Bibliothèque Nationale de France qui a désigné le personnage de l’image du grand armorial comme Bernard d’Armagnac ce qui n’est manifestement pas le cas. Vous pouvez peut-être adresser à la BNF un correctif ?
Bien cordialement
Je ne pense pas que l’opinion d’un retraité de la Russie, est l’autorité pour la BNF.
Quand une information est fausse il est toujours légitime de la remettre en question. Le fait même que vous ayez été capable de la repérer fait de vous un observateur avisé. Je vous rassure tout de même, il m’est arrivé la même aventure: j’ai osé émettre un avis dubitatif à la BNF sur des manuscrits attribués à Robinet Testard, un peintre qui a suscité un assez grand nombre d’articles de ce Blog. La personne qui m’a répondu, de façon très aimable, du reste, m’a déclaré que l’attribution avait été réalisée par François Avril qui est effectivement le tout premier spécialiste mondial de l’enluminure française du moyen âge. Qui suis-je pour contester François Avril ? Et Pourtant, je suis convaincu que si cet immense savant, aujourd’hui à la retraite (il est âgé de 78 ans) se remettait sérieusement à l’étude de ce manuscrit, il changerait d’avis. Il s’agit du manuscrit des Grandes Chroniques de France http://www.photo.rmn.fr/archive/13-549431-2C6NU0559JZX.html : qu’un peintre âgé de moins de vingt ans à l’époque se soit vu confier l’illustration d’un tel manuscrit est une impossibilité surtout que, par la suite, ses tableaux reprendront tout au plus 3 ou 4 personnages, jamais davantage. Mais il est inutile d’engager une polémique sur un sujet aussi mince car si l’enlumineur n’est pas Robinet Testard, qui est-ce ? Vous avez un avantage sur moi : vous savez que ce n’est pas Bernard d’Armagnac mais un Albret: lequel ? Est-ce Alain d’Albret, le connétable de France, pour figurer ainsi dans le grand armorial ?
Bien cordialement
Pardonnez moi, c’est Charles d’Albret tué à Azincourt en 1415. Il était le cousin du roi Charles VI par les Bourbon (sa mère et la mère de Charles VI étant des Bourbon).