La captivité de François 1er pendant un an après Pavie, l’avait profondément blessé et humilié. En revenant en France, le 17 mars 1526, le roi était impatient d’en découdre avec tous ceux qui avaient cherché à contrecarrer les efforts de la Régente, sa mère Louise de Savoie, dans ses actions pour résoudre la crise.
Portrait de François 1er par Jean Clouet. Huile sur bois. H 0,96 L 0,74. Inventaire n°INV 3256. Copyright Notice © Musée du Louvre, © Direction des Musées de France, 1999. Crédit photographique © Réunion des musées nationaux. Musée du Louvre
Il y avait eu tout d’abord les difficultés pour faire enregistrer le Traité de Moore avec l’Angleterre dans une période de crise, qui avaient impliqué la ville et le Parlement de Paris. Il y avait eu les remontrances du Parlement sur toute la politique du roi depuis son avènement, survenues au moment où le Royaume avait désespérément besoin d’unité. Il y avait eu également le refus par le Parlement d’appliquer le Concordat et la procédure engagée par le Parlement contre le Chancelier de France, Duprat. Il y avait eu enfin l’affaire de la nomination de Duprat à l’Evêché de Sens (qui administrait le diocèse de Paris) qui avait été refusée par le Parlement.
Et puis, il y avait eu le procès contre le Connétable de Bourbon dans lequel le Parlement s’était montré plus respectueux du droit des contrats privés que de l’intérêt de la Couronne. La trahison du Connétable devait faire l’objet d’un procès expéditif dans la sévérité duquel on pourrait voir à la fois la Justice qui passe et l’importance pour le Parlement de se recentrer sur ses strictes attributions judiciaires.
Mais revenons brièvement sur ces différentes affaires.
Le traité de Moore
Ce traité de paix avec l’Angleterre avait été obtenu intelligemment par la Régente, Louise de Savoie à un moment où la France était à genoux devant l’Espagne et l’Empire. La Régente avait su démontrer à l’Angleterre que la détention du roi en Espagne permettait à l’Empereur d’espérer résoudre seul la crise sans recours à ses alliés. Elle avait su trouver le vecteur de l’arrangement diplomatique tout en donnant apparemment satisfaction aux énormes demandes financières d’Henry VIII et à celles de son Ministre Wolsey.
Les Ambassadeurs Hans Holbein le Jeune (1497-1553) Inventaire NG 1314 Londres National Gallery
En réalité, Louise de Savoie n’avait fait que consolider la dette existante avec l’Angleterre (1,7 Millions d’écus) en s’engageant sur 300 000 écus supplémentaires, payés à concurrence de 100.000 écus par an tant que Henry VIII vivrait.
Ce traité de Moore permettait de détacher l’Angleterre de l’alliance Espagnole ce qui soulageait d’autant le budget de l’Etat en affectant ailleurs les forces armées affectées à la défense des côtes normandes et du nord.
Le problème était venu des garanties demandées par le chancelier Wolsey, qui souhaitait prémunir l’Angleterre contre l’aléa des décisions royales futures. Il avait donc été exigé la caution solidaire de six villes importantes et celle de la Régente et des principaux nobles du Royaume.
Le Cardinal Wolsey par Sampson Strong, c. 1526 Christ Church Picture Gallery
Si les nobles s’étaient immédiatement exécutés, il n’en avait pas été de même avec les villes notamment de Paris et de Rouen, qui cherchèrent pas tous les moyens à se faire exonérer de l’accord, tandis que le Parlement de Paris prenait tout son temps renforçant les exigences des villes rebelles.
Les Remontrances adressées à la Régente sur la politique du roi
Ces remontrances tombaient au plus mauvais moment : le roi venait d’être capturé à Pavie et la Régente avait demandé à tous les corps, l’union sacrée du Royaume. C’est ce moment de faiblesse de la monarchie que certains conseillers du Parlement, censés protéger la Couronne, choisirent d’exploiter pour remettre en question toute la politique suivie par le roi depuis son avènement, et notamment sa politique italienne. Leurs arguments n’étaient pas mauvais en soi mais ils tombaient très mal car cette action appuyait sur les divisions au lieu de favoriser l’unité que recherchait la Régente.

Louise de Savoie Ecole française Inventaire n° 33461 recto Musée du Louvre département des Arts graphiques Crédit photo © Réunion des musées nationaux
Portrait de Louise de Savoie, mère de François 1er. Sanguine. Anonyme. Ecole française. H 0,290 L. 0,205.N° d’Inventaire INV 33461, recto. Copyright notice © musée du Louvre département des Arts graphiques, © Direction des Musées de France, 1998. Crédit photographique © Réunion des musées nationaux. Paris Musée du Louvre. Département des Arts graphiques.
L’affaire Duprat
Duprat était depuis près de trente ans l’homme de confiance de Louise de Savoie. Il avait été désigné en 1508 précepteur de François 1er, alors que Louise de Savoie et Anne de Bretagne s’étaient unies pour le faire nommer Premier Président du Parlement de Paris en 1508. Le roi avait ensuite élevé son fidèle serviteur à la fonction de Chancelier de France (ministre de la Justice).
Architecte du Concordat de Bologne, Duprat avait joué un rôle essentiel lors de la captivité de François 1er en soutenant l’action de la Régente par son expérience et ses avis pertinents.
Portrait d’Antoine Duprat, chancelier et cardinal (1463-1535) Clouet Jean (1475/1485-1540) peintre Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / Harry Bréjat Cote cliché 00-012360 N° d’inventaire MN135;B155 Fonds Dessins Chantilly, musée Condé
Depuis la mort de sa femme en 1517, Duprat avait opté pour le clergé et, en 1522, il était devenu Evêque de Valence et de Die.
Ce qui devait mettre le feu aux poudres fut la nomination de Duprat par la Régente, au siège archi-épiscopal de Sens (l’Archevêque de Sens couvrant les évêchés suffragants de Paris, de Troyes, de Sens, de Chartres, d’Auxerre, de Meaux, d’Orléans et de Nevers) et à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire.
L’abbaye de Fleury à Saint-Benoît sur Loire (lithographie par Deroy d’après la gravure d’Ernest Pillon) Image provenant du site des Chroniques du vieux Marcoussis
Les parlementaires, au lieu d’appliquer comme leur devoir les y engageait, le Concordat de Bologne qu’ils avaient enregistré, appliquèrent la Pramatique Sanction qui avait été abolie, en appuyant le chapitre de l’abbaye de Saint-Benoît, qui avait élu l’Evêque de Paris François Ponchet. A cette occasion, ils engagèrent une procédure à l’encontre du Chancelier de France.
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Le second avènement de François 1er
Toutes ces affaires successives étaient la preuve d’un flottement institutionnel qui exigeait une vigoureuse reprise en main. Plusieurs historiens ont du reste qualifié cette période de second avènement de François 1er.
L’urgence pour le roi était d’abord de valider les décisions prises par la Régente. Et François 1er commença par Duprat.
Trois semaines après son retour en France, le roi autorisa Duprat à prendre possession de son abbaye ce que ce dernier fit à la tête d’une force armée.
Puis il mûrit longuement ses décisions et il décida de confronter à son grand Conseil, les quatre parlementaires qui avaient été les plus actifs contre Duprat. La rencontre eut lieu le 4 décembre 1526. Duprat prit la parole pour indiquer que le Parlement avait contesté l’autorité de la Régente et publié des arrêts dommageables pour le roi. Les quatre parlementaires tentèrent vainement de justifier leur conduite. Le 10 décembre, le Conseil du Roi conclut que le Parlement avait agi dans l’illégalité, d’une manière susceptible d’encourager les ennemis du royaume. Il annula tous les arrêts du Parlement ayant visé des membres du Grand Conseil (dont Duprat) et il interdit aux quatre parlementaires de reprendre leurs fonctions avant nouvel ordre.
Le 10 janvier 1527, le roi ordonna au greffier du Parlement de lui apporter les procès-verbaux des débats de toute la période de captivité. Le Parlement biaisa en lui expédiant des copies mais, devant l’insistance du roi à obtenir les originaux, il obtempéra.
Quant à François Ponchet, il fut accusé de sédition et il dut se soumettre à une enquête du Grand Conseil. Enfermé à Vincennes, il mourut dans sa prison cinq ans plus tard.
Puis, le roi entreprit de régler ses comptes avec les Parisiens. Il fit arrêter le 14 avril 1527, les huit notables qui avaient conduit l’opposition parisienne au Traité de Moore. Parmi eux se trouvaient trois marchands, un notaire du Châtelet, un chanoine de Notre-Dame et trois parlementaires dont Jean Bouchard, qui avait été l’avocat d’Anne de France aux côtés de Montholon dans le procès les opposant avec le Connétable de Bourbon à la Régente et au Roi de France. Bouchard eut la sanction la plus dure avec une amende de 400 livres, une suspension pendant un an de son activité de parlementaire et une renonciation à vie à toute charge municipale.
Le roi ordonna ensuite de réguler l’autorité du Parlement en matière religieuse. Pendant sa captivité en effet, le Parlement s’était allié à l’Université pour punir l’hérésie. Dès son retour, le Roi s’était élevé contre les persécutions des humanistes et notamment de Berquin. Il accorda sa protection au Cercle de Meaux et Lefevre d’Etaples[i] qui s’était réfugié à l’étranger put rentrer en France pour être nommé précepteur des enfants royaux.
Puis, comme le Parlement se prétendait incapable de contrôler l’Université, il entreprit de prendre en personne la défense de Lefèvre et d’Erasme.
Portrait de Lefevre d’Etaples sous son nom en latin GALLICA-BNF
Et, au début de 1527, François 1er priva le Parlement de tout droit de poursuivre l’hérésie et il retira l’affaire Berquin de leur juridiction (ce qui ne fut pas pour Berquin la meilleure des décisions).
Tous ces signes avant-coureurs étaient trop convergents pour que le Parlement ne vît pas ce qui se profilait. Et pourtant…
Le Lit de Justice de 1527
Il fallait pour rétablir définitivement son autorité que le roi frappât un grand coup. Il décida de tenir un lit de justice en son Parlement[ii]. Il devait d’une part, suite à la mort du Connétable de Bourbon, entériner le retour à la Couronne des apanages de Bourbon et d’Auvergne, et d’autre part il fallait ramener le Parlement qui s’était montré politique, séditieux et irrespectueux des lois, à son rôle strict de pouvoir judiciaire.
Le roi décida de le faire au cours d’une cérémonie parmi les plus spectaculaires de son règne dont l’apparat fut emprunté à celui de l’Empire de Charles Quint. Ce fut, en trois séances, les 24, 26 et 27 juillet 1527, le premier Lit de Justice de la monarchie[iii].
Le trône du roi fut assis au sommet de sept marches sous un dais de velours bleu, fleurdelisé au fil d’or. De part et d’autre du trône, deux rangées de sièges formaient un angle droit. Sur les rangées supérieures étaient assis deux pairs laïcs et trois nobles éminents d’un côté et trois membres du Clergé et un Archevêque, de l’autre. Sur l’une des rangées inférieures étaient assis neuf Maîtres des Requêtes et trois Présidents du Parlement.
Boccace Des cas des nobles et Cleres Dames – Le lit de Justice de Vendôme Folio 2v Miniature en frontispice attribuée à Jean Fouquet Bayerische Staatsbibliothek Munich, Cod. Gall.6 via l’article Wikipedia sur les oeuvres de Jean Fouquet
Le Chancelier Duprat avait pris place au pied des marches dans un fauteuil recouvert du même tissu que le trône.
Duprat échangea quelques mots avec le roi, puis il invita les parlementaires à prendre la parole. Tous tombèrent à genoux puis, sur l’invitation du roi à se relever, le quatrième Président, Charles Guillart entama un long discours (très en avance sur son temps), destiné à justifier les actions du Parlement.
Il défendit tout d’abord le droit des Officiers[iv], à participer à la vie publique. Puis, sans justifier autrement sa thèse, il soutint hardiment que le Parlement ne tenait pas son pouvoir du roi, mais du peuple.
Il dénonça les politiques royales qui avaient causé des frictions entre le Parlement et la Couronne et il s’indigna de l’absolution royale donnée au Grand Conseil pour ses actions illégales concernant les bénéfices de Sens et de Saint-Benoît. Il termina ses propos en reconnaissant le caractère absolu du pouvoir du roi. Mais « si le Roi peut tout ce qu’il veut, il ne doit pas vouloir tout ce qu’il peut [v]». Il s’agissait là d’une critique explicite du roi et de sa manière de conduire la politique de l’Etat.
De tels propos, on s’en doute, n’étaient pas de nature à plaire au roi. Celui-ci ne répondit pourtant pas. Le discours du Président Guillart fut évoqué l’après-midi même au cours d’une séance du Conseil dans l’une des salles du Parlement et il fut décidé de rédiger un édit redéfinissant l’autorité du Parlement.
« En accord avec la politique royale d’avant la captivité », nous dit Robert J. Knecht, « le Parlement n’était plus autorisé à se mêler d’affaires d’Etat et il devait s’en tenir à son rôle judiciaire. Autorisé à présenter des remontrances, le Parlement ne pouvait cependant pas amender la moindre législation royale au moment de l’enregistrer. Toute action du Parlement excédant ses pouvoirs était déclarée nulle, à l’avenir et rétrospectivement. La Cour n’ayant pas le droit de restreindre les pouvoirs de la Régente, toutes les décisions passées de Louise de Savoie étaient entérinées tandis que les actes contradictoires du Parlement, se trouvaient révoqués. L’Edit confirmait l’indépendance du Chancelier vis-à-vis du Parlement et il annonçait la création d’une commission royale chargée de réformer l’administration de la justice, laquelle pâtissait de la domination exercée par quelques familles d’officiers ».
Quand l’Edit fut rédigé, on convoqua les représentants du Parlement devant le Roi. Le secrétaire d’Etat Robertet donna lecture de l’Edit. Puis, le Roi et tous ses conseillers quittèrent la pièce avant de laisser les parlementaires scandalisés, ouvrir la bouche. Puis François 1er fit enregistrer l’Edit non seulement devant le Parlement mais encore devant son Conseil et devant le Grand Conseil. Le Parlement obtempéra et se résigna.
Cette affaire réglée, le roi s’occupa du Connétable de Bourbon qui fut déféré le 27 juillet 1527 devant une cour des pairs, siégeant dans la Grand’Chambre du Parlement. Il fut jugé promptement « crimineux de lèse-majesté, rebellion et félonie »[vi].Le duc fut dépouillé de son titre et de ses armoiries, ses fiefs formellement annexés au domaine royal et ses biens personnels, confisqués.
François Ier présidant le procès du connétable de Bourbon en 1527 Crédit (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés H 0,330 L 0,410 Cote cliché 74-009064 N° d’inventaire invgravures1578 Fonds Estampes Versailles,RMN Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
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[i] Voir l’article sur François des Moulins de Rochefort dans ce blog.
[ii] Le Lit de Justice c’était en réalité « le roi venant tenir sa cour au Parlement. Par ce fait, les membres du Parlement perdaient leur autorité propre : ils n’étaient plus que des donneurs de conseils et le Parlement résidait tout entier dans la personne du Roi. Par sa présence, le roi faisait disparaître, tant qu’il siégeait, ceux qui n’étaient que ses délégués ». Cf. l’article sur le Parlement de Paris sur ce même blog.
[iii] Auparavant, le terme utilisé était celui de « séances royales ». Cf. L’affirmation de l’État absolu (1492-1652) Joël Cornette. Hachette 2009 « En rupture avec la vieille conception parlementaire d’une union solidaire entre le Roi et le Parlement, la haute construction érigée dans la Grand’Chambre du Parlement, isolait le trône royal et, par suite, la personne du Roi, de l’ensemble du corps supposé commun. L’image de la dignité royale française dans l’exercice de sa souveraineté, se rapprochait ainsi de celle qui représentait la fonction de l’Empereur et du Pape ».
[iv] Titulaires des Offices
[v] Citation du Président Guillart extraite de son discours à François 1er dans La vie politique en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles Par Monique Cottret Collection Synthèse et Histoire Edition Ophrys 1991
[vi] Robert J.Knecht Un Prince de la Renaissance
[…] [vi] Voir à ce sujet l’article sur ce Blog : « Le Retour du roi : le Lit de Justice de 1527 ». […]