Alberti, Florentin de cœur mais enfant illégitime d’une lignée de banquiers [i], naquit à Gênes en 1404 et vécut pratiquement toute sa vie en dehors de sa patrie, qui ne le reconnut comme l’un des siens qu’à la fin de sa vie. Il fut un des plus grands humanistes de son époque, un homme aux connaissances universelles, philosophe et architecte. Il fut l’un des grands esprits de la Renaissance italienne.
Le père de Battista, Lorenzo, membre du parti populaire en lutte contre les Albizzi, avait été exilé par ces derniers en 1401. De 1387 à 1412, le gouvernement des Albizzi s’acharna contre la famille Alberti par une série de vexations successives dues à son implication dans des complots régulièrement déjoués et à l’importance économique de la famille.
Il avait huit ans quand son père s’installa à Venise pour prendre la direction de la filiale vénitienne de la banque familiale. Son père lui ayant reconnu une intelligence vive et précoce, le plaça en pension dans un collège de Padoue réputé, dirigé par le célèbre humaniste Gasparino Barsizza. Il y reste jusqu’en 1418 et y apprend le grec et le latin. Puis il est inscrit en 1420 à l’université de Bologne, où il poursuit sans enthousiasme des études de droit, qu’il délaisse volontiers pour l’étude littéraire, la Poésie, la physique et les mathématiques.
A la mort de son père, il est écarté de l’héritage familial pour cause d’illégitimité et il traverse une étape économiquement difficile. Ses études traînent en longueur jusqu’à ce qu’un de ses parents, protonotaire apostolique et Trésorier du Pape, résidant à Bologne, l’aide à obtenir son diplôme de Docteur en droit canon en 1428. Il se laisse alors persuader d’embrasser une carrière cléricale et de recevoir les ordres mineurs afin de pouvoir entrer dans l’administration pontificale.
Portrait de Leo Battista Alberti Anonyme XVIème siècle Site UMSOI
En 1428, la sentence d’exil contre la famille Alberti est partiellement levée, mais il ne rentre pas à Florence avant 1434 : il s’est alors, suivant la tradition humaniste, ajouté un second prénom, celui de Léon devant Battista.
Si l’église lui procura le confort matériel qui lui permettait de mener ses activités intellectuelles, il ne souhaita jamais faire carrière et se satisfit d’un rang obscur et médiocre dans la hiérarchie cléricale bien qu’il ait cotoyé dans sa vie de nombreux cardinaux, ces princes de l’Eglise souvent humanistes et plusieurs papes.
Il devient membre du collège des abbreviatori des lettres pontificales et part prendre possession de son poste à Rome de secrétaire aux brefs et à la Curie. Il peut y faire des fouilles des monuments romains et y conduire des expériences d’optique. Il est alors nommé par le pape Eugène IV, prieur de San Martino in Gangalandi, à Signa, près de Florence, ce qui lui assure des revenus confortables. De 1434 à 1445, il va suivre les errances du pape à Bologne, Ferrare et Sienne.
Sur le plan éthique comme sur celui de sa production artistique, il raisonne en écartant toute vision spiritualiste. Sa conception est celle d’un monde global dont les valeurs sont celles de l’homme. La vertu de l’homme en société plaît à Dieu : « Disons donc qu’à l’homme a été donnée la vie pour se servir des choses, pour être vertueux et devenir heureux. Or, celui qui pourra être défini heureux sera aussi bon à l’égard des hommes comme celui qui est bon à l’égard des hommes est en même temps agréable à Dieu ; tandis que celui qui emploie mal les choses nuit aux hommes et déplaît à Dieu… » [ii].
Alberti s’est fait connaître durant sa vie pour ses traités de morale et pour ses livres artistiques. « Pendant une dizaine d’années,[iii] , la production littéraire d’Alberti est fort riche et diverse dans ses formes comme dans ses sujets : dialogues, traités, fables, divertissements mathématiques, éloges paradoxaux, contes, aucun genre ne lui est étranger. Il faut saluer en particulier Momus, excellente allégorie politique, d’une belle liberté de ton et d’allure, qui mérite d’avoir une place insigne dans la littérature européenne. La rédaction d’une Grammatichetta de la langue toscane et l’organisation d’un concours de poésie en langue vernaculaire, le Certame coronario, qui connut un grand succès populaire mais fut dédaigné par des lettrés passéistes, témoignent du souci qu’il eut toute sa vie de diffuser le savoir intellectuel à l’intention d’un plus large public. Il rédige un important traité inspiré de l’Économique de Xénophon, le Della famiglia, pertinente analyse de la vie sociale en Italie au milieu du Quattrocento ».
Pour ses œuvres morales, on citera de 1432 à 1434, les trois livres sur La Famille, complétés par un quatrième en 1441, Le Teogenio en 1441, le De tranquilitate animi composé avant 1443, le Momus, une allégorie politique, vers 1443 également et le De Iciarchia vers 1470. Du côté artistique, il y a deux œuvres majeures : son traité De Pictura en 1435 et de Re Aedificatoria en 1449.
Le traité De la Peinture, en langue italienne, qu’il adressa pour avis à Brunelleschi fut très mal reçu par ce dernier, qui voyait d’un mauvais œil des secrets étalés en place publique par un jeune homme sans expérience et étranger à Florence. Alberti introduit alors de nombreuses modifications en 1339-1441 et il traduit l’ouvrage publié en latin De Pictura qu’il dédie à Gian Francesco de Gonzague, seigneur de Mantoue. Ce traité incorpore, pour la toute première fois dans la littérature, une démonstration scientifique de la perspective.
Puis il publie le De Aedificatoria, où il reprend et renouvelle les écrits de l’architecte écrivain Vitruve. « Son ouvrage est un traité humaniste[iii] consacré à l’architecture, d’une érudition très dense. Chaque page témoigne d’une profonde connaissance des textes philosophiques, scientifiques et historiques, mais l’auteur connaît tout aussi bien la poésie, la littérature et la rhétorique. Le livre ne cite pas moins de cinquante auteurs classiques; mais nombreuses sont aussi les références implicites, en particulier aux auteurs du Moyen Age. En outre, Alberti bénéficie d’une expérience personnelle très riche, et d’une connaissance directe non seulement des ruines de l’antiquité, mais aussi de l’architecture contemporaine et des techniques de maçonnerie et de construction.
Alberti traite de l’architecture comme d’une science humaine globale, qui, s’occupant de l’homme compris tant comme individu singulier que comme membre d’une communauté, prend soin de l’insérer consciemment dans un territoire afin de contribuer au bonheur de son existence. L’architecture naît en même temps que l’homme et se développe parallèlement à la société humaine, qu’elle contribue à organiser, à protéger et à structurer.
L’architecte est le dépositaire d’un savoir profond et son œuvre est le produit d’un intellect qui est en relation avec la nature par le biais des matériaux, avec l’histoire d’un territoire par le choix des lieux et des environnements dans lesquels il faut construire, et du fait de la typologie constructive avec l’organisation sociale. »
D’après Robert Foir [iv], « il dégagea les principes de la nouvelle architecture (définition des ordres, proportions tirées du corps humain, etc…) et des développements sur des questions d’urbanisme, de philosophie, d’esthétique et d’histoire. Pour Alberti, l’architecture ne saurait être réduite à un problème de technique et de style. Sa finalité est de créer pour l’homme un environnement non seulement esthétique, mais adapté à ses activités multiples. C’est pourquoi il considère l’architecture antique comme un modèle à adapter aux réalités nouvelles ».
Avec le De Aedificatoria Alberti va influencer très profondément toutes les générations suivantes, dont Bramante, car il va être le premier à codifier les critères du nouveau style de la Renaissance. C’est lui qui va poser de façon théorique, dans son traité Villas, complémentaire au De Aedificatoria, le rapport entre les jardins et la villa, preuve sans doute qu’à cette époque, les jardins étaient déjà habituels pour les villas princières.
Alberti était un génie, touchant avec bonheur, comme Léonard de Vinci plus tard, à tous les domaines créatifs de l’ingéniosité humaine.
« Développant un véritable talent d’ingénieur polytechnique, tourné vers les solutions pratiques, il conçoit et réalise diverses inventions dont une chambre optique permettant de voir des perspectives, une machine hygrométrique, un dispositif pour mesurer les profondeurs marines,… » [v].
D’après l’article Wikipedia sur Leon Battista Alberti, il était doué en toutes sortes de matières, d’une grande beauté et un touche-à-tout de génie (musique, physique, mathématiques, cryptographie). .
Après 1454, de nombreux contemporains s’adressent à lui, en qualité d’architecte. Il réalise pour Sigismond Malatesta à Rimini, le chemisage de l’église gothique de San Francesco, le premier monument classique, par l’ajout d’une « incamiciatura » à l’antique. Il établit les plans de deux églises de Mantoue, San Andrea et San Sebastiano. Il intervint ensuite, de façon hypothétique sur le Palais Rucellai à Florence où on lui doit peut-être l’utilisation en façade de trois ordres de pilastres superposés, dont la grille modulaire vient se plaquer sur le revêtement traditionnel en bossages.
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[i]Les éléments de la biographie de Battista Alberti sont extraits notamment de la note d’Alberto Tenenti « L’originalité de Léon-Baptiste Alberti » de l’Université de Paris 3.
[ii] Traité sur la famille de Battista Alberti cité par Alberto Tenenti
[iii] Présentation de Danielle Sonnier du De Pictura de Battista Alberti
[iv] Extrait du site Architectura de L’université de Tours.
[v] Le grand Atlas de l’Architecture Mondiale par l’Encyclopaedia Universalis Septembre 1982. P 274
[vi]Presentation de Danielle Sonnier Ibid.
[…] Battista Alberti (voir sur ce Blog, l’article sur Léon Battista Alberti, le théoricien de génie) compose son traité “de aedificatoria” avant l’année 1472. Plusieurs copies […]