Louise de Savoie avait de nombreux projets de développement pour Romorantin que seul, un esprit éclairé, pouvait l’aider à réaliser. Il y avait à Milan un ingénieur renommé dont Charles VIII, Louis XII, Charles d’Amboise et le Cardinal d’Amboise avaient apprécié les nombreux talents. Ce dernier avait cherché sans succès à attirer en France le protégé de son neveu, alors Gouverneur de Milan pour le roi Louis XII.
François 1er, de passage à Milan, après sa victoire de Marignan, tomba en admiration devant la fresque de la Cène, peinte sur les murs du couvent Santa Maria Delle Grazie. Il avait connu des copies de cette fresque déjà célèbre, dont une que le Cardinal d’Amboise avait fait réaliser en 1509 pour le château de Gaillon, probablement par Andrea Solario [i]. Il souhaita immédiatement la détacher du mur du couvent pour la ramener en France mais il recula devant les dommages irréparables que cette opération risquait d’entraîner pour l’œuvre.
De retour en France, il fit part à sa mère Louise de Savoie et à sa sœur Marguerite d’Alençon, des merveilles qu’il avait vues en Italie et des mérites multiples de Léonard de Vinci, et notamment de celui d’hydraulicien. Louise de Savoie pensa immédiatement à ses projets de Romorantin et suggéra à François d’inviter le peintre à sa cour.
Leonard de Vinci Autoportrait Dessin (0,333 x 0,214) Inventaire n°15571 Bibliothèque royale de Turin
L’idée de faire venir le peintre venait-elle de Louise de Savoie ou de son fils ? Peu importe tant les pensées de la mère et du fils étaient liées et fusionnelles. Ce qui est certain c’est que Louise de Savoie, plus que tout autre, avait des projets pour l’industrie du drap à Romorantin dont elle pensait que Leonard de Vinci, ingénieur hydraulicien renommé, pourrait l’aider à les réaliser.
La Sologne[ii] était en effet un territoire marqué par de très nombreux étangs (plus de quatre mille) qui constituait l’élément essentiel du paysage. Les Solognots étaient devenus de véritables experts dans la canalisation des ruisseaux. Louise de Savoie souhaitait développer l’activité de la draperie en encourageant la création de moulins sur la Sauldre que plusieurs îles naturelles, permettait d’envisager.
De son côté, François 1er, qui se trouvait un peu à l’étroit dans le château d’Amboise, cherchait un lieu nouveau qui puisse incarner la majesté royale en confondant dans le même espace une demeure royale et une ville nouvelle.
Quant à Léonard de Vinci, il avait attendu toute sa vie le mécène qui pourrait lui permettre d’exploiter l’ensemble de ses talents. Le roi de France était à l’époque le monarque le plus puissant de la Chrétienté et sa victoire contre les Suisses à Marignan, l’avait auréolé d’un prestige immense. Leonard reçut la lettre du roi, vers le mois d’avril 1516 : il ne tergiversa pas et accepta l’invitation royale.
A son arrivée en France, il fut accueilli par François 1er qui lui attribua le château du Cloux ou du Clos-Lucé, une résidence royale aménagée par Charles VIII pour Anne de Bretagne, à cinq cents mètres du château d’Amboise, ou vivait alors Louise de Savoie depuis l’accession au trône de son fils et qu’elle libéra pour Léonard de Vinci.
Le projet confié à la réflexion de Léonard de Vinci est titanesque. Il ne s’agit de rien moins que de créer une nouvelle capitale royale à Romorantin, ville passée par l’avènement de François 1er du patrimoine d’Angoulême à celui de la Couronne au début de 1515. Léonard doit réfléchir à la construction d’un nouveau Palais, de grandes écuries et d’une ville nouvelle pour abriter les courtisans.
Le concept de ville nouvelle était déjà ancien à l’époque. Depuis les grecs puis les romains, les ingénieurs et les architectes avaient beaucoup réfléchi au concept de la ville idéale. Cette réflexion avait subi une nette inflexion avec les projets du duc d’Urbin, Federico de Montefeltre (1444-1482), un grand condottiere du XVème siècle.
Federico da Montefeltro (1422-1482) Piero della Francesca Galerie des Offices Florence
Une exposition a été consacrée au sujet de la ville idéale en 2012 à la Galerie Nationale des Marches, à l’intérieur du Palais Ducal d’Urbino.
Panneau d’Urbino (2,39×0,67) Galerie Nationale des Marches à Urbino (1460-1500) La Cité idéale à Urbino, attribué à Luciano Laurana, l’architecte du duc d’Urbino.
“Ce tableau, dont ni la fonction ni l’auteur n’ont été à ce jour dévoilés, est un exemple de mélange entre différents domaines d’études et d’arts : art de la peinture, science de la perspective, spéculation philosophique, urbaniste et architecturale. Le tout dans l’atmosphère illuminée de l’Urbino du milieu du XVème siècle, à la Cour du Duc Federico da Montefeltro” nous dit l’exposition.
La ville nouvelle était une réflexion visant à organiser un espace de vie adapté à l’environnement économique et permettant de gérer la présence de nombreuses activités humaines et animales dans les villes. Il s’agissait de prendre en compte les problèmes liés à l’hygiène pour prévenir l’apparition des maladies qui tendaient à revêtir un caractère fortement urbain.
Le traité d’Alberti « De Rea edificatoria », écrit entre 1444 et 1472 et publié en 1485 s’intéresse quant à lui avant tout à l’architecture civile, considérant la cité, à la fois ville et société, comme une totalité organique dans laquelle “les proportions doivent régner sur les parties, afin qu’elles aient l’apparence d’un corps entier et parfait et non celle de membres disjoints et inachevés”. L’un des premiers projets de cité idéale est celui qu’élabore Le Filarete, de 1457 à 1464, pour son protecteur Francesco Sforza.
Statue de Léon Battista Alberti Galerie des Offices Florence
Au tournant du XVe et du XVIesiècle, Léonard de Vinci, inspiré notamment par le Filarete imagine des formes d’urbanisme novatrices, qui traduisent un souci d’ordre et d’hygiène.
Léonard de Vinci avait déjà beaucoup réfléchi, dans les années 1490, aux plans d’une cité idéale. D’autre part, ses connaissances en matière hydraulique étaient très approfondies : n’avait-il pas proposé en 1503 à la ville de Florence de remédier aux crues catastrophiques de l’Arno en proposant un projet de déviation du fleuve avec creusement d’un canal pour le relier à la mer ? N’avait-il pas proposé en 1513, d’assécher les Marais Pontins près de Rome, auprès de Julien de Médicis ?
C’est fort de tous ces projets non aboutis et d’une immense ambition que Léonard se met à l’œuvre en 1517. L’essentiel de ce que nous savons du projet de Léonard de Vinci tient en deux feuillets : le folio 920r du Codex Atlanticus et le folio 270v du Codex Arundel.
Codex Atlanticus – Video You tube
Dès le début, s’impose au Maître toscan la nécessité de concevoir un plan de développement économique d’une vraie ville, avec toutes ses activités connexes et, parmi elles, la maîtrise des transports sur l’eau. Concevoir les plans d’un palais oui, mais avec tout l’environnement économique, créateur de richesses : alors que l’idée d’un palais pour le roi et de logements pour les courtisans est une idée sans doute directement inspirée du roi François, celle de créer, à Romorantin, un vaste projet d’expansion économique est sans nul doute, directement inspirée de la volonté de Louise de Savoie d’œuvrer au développement économique de sa ville de coeur.
Le projet oublié de Léonard a été redécouvert en 1972, par un expert international, spécialiste de Léonard de Vinci, Carlo Pedretti, « The royal Palace of Romorantin » qui a interprété le projet développé par Léonard de Vinci.
Video de France Télévisions : interview de trois spécialistes de Léonard de Vinci
D’après Pedretti, le Maître toscan se situe d’emblée, dans la continuité de tous les projets les plus modernes, intégrant la gestion harmonisée de toutes les activités humaines. Il envisage de créer un vaste quadrilatère traversé par un canal, un palais sur l’eau, comme il avait pu en voir à Venise, de vastes écuries nettoyées automatiquement. Son idée est d’intégrer la gestion de l’eau en associant toutes les activités économiques placées de part et d’autre des canaux. Pour que cette organisation économique ait un sens, il fallait prioritairement désenclaver Romorantin en reliant la ville à la Loire par plusieurs canaux.
Les Canaux
Au XVème siècle, la France était encore sous équipée en canaux par rapport à la Bourgogne ou à l’Italie du Nord. Le transport des provinces méridionales vers Paris était coûteux et dangereux par voie de terre et il était souvent nécessaire de choisir de doubler l’Espagne par la voie maritime. L’idée d’interconnecter les réseaux hydrographiques du Rhône, de la Garonne et de la Loire était donc très séduisante.
Selon le site « Romorantin, le projet oublié de Léonard de Vinci », une première hypothèse suggérait de relier le réseau Rhône et Saône avec le réseau Loire, Cher, Allier sachant qu’au nord de Lyon, il n’y avait que quelques dizaines de kms entre la Haute-Loire et la Saône. Pour raccourcir le trajet, il était possible de relier le Cher et la Sauldre au voisinage de Romorantin.
Mais cet axe présentait des inconvénients certains : si l’on voulait que les eaux de la Saône soit plus élevées que celles de la Loire, il fallait passer par les monts du Beaujolais, ce qui présentait de nombreuses difficultés et nécessitait de grands et onéreux travaux d’aménagement.
Une seconde hypothèse était cependant plus économique : il s’agissait de joindre l’Aude à la Garonne en utilisant l’Ariège, ce qui permettait de joindre Bordeaux, Toulouse et Narbonne par un canal des deux mers. Cette solution ne fut cependant envisagée qu’après l’échec de celle confiée à Léonard de Vinci.
Léonard souhaitait ainsi relier la Sauldre au Cher, ainsi qu’au Beuvron et à la Loire via un réseau d’écluses à sas.
L’objectif était d’accroître le débit de la rivière passant à Romorantin tout en permettant d’organiser un trafic commercial par barges. Ce projet a du reste, été réalisé plus tard, avec le Canal du Berry.
Pour Léonard, comme l’indique le site sur le Projet oublié de Romorantin, une barge de 42 brasses (76,4m) de long sur 7 (12,7m) de large ne coûtait que 25 ducats à construire mais elle pouvait en rapporter 125 000 en une année. La création d’un réseau de transport fluvial constituait donc la base de l’expansion économique d’une région. Les raisonnements économiques les plus avancés ne sont aujourd’hui pas différents.
Léonard réfléchit en réalité à trois projets distincts :
– Le premier, très limité, de 3 ou 4 kms, relie la Sauldre au Cher ;
– Le second, vise à relier la Sauldre et le Cher, par un canal situé en amont de Romorantin,
– Le troisième, le plus ambitieux, vise à relier la Loire au niveau de Blois, en direction de Briare, grâce à la Sauldre, canalisée.
Le codex Arundel précise la pensée de Léonard : il envisage de détourner le cours du Beuvron vers Romorantin, ce qui permettrait de déposer des alluvions sur les plaines de Sologne, pour les rendre plus fertiles. Grâce à un système d’écluses, il pourrait amener la rivière au-dessus de Romorantin, pour alimenter des moulins dans sa descente. Il estime possible d’orienter les eaux boueuses vers les fossés à l’extérieur de la ville, en utilisant la dénivellation pour faire fonctionner huit moulins à foulon pour l’activité de draperie.
Video You Tube sur les divers Codex de Leonard de Vinci
Les eaux stagnantes doivent impérativement être contrôlées pour éviter les maladies pouvant y être associées.
Il raisonne en termes de flux : contrôler l’écoulement des eaux vives et stagnantes est aussi important que de maîtriser les flux démographiques dans les villes. Ainsi, le cours de la rivière ne doit pas passer par les fossés pour éviter que les terres déposées lors des crues n’envasent ces derniers. L’eau devra être déversée dans les fossés par des portes éclusières, ceci permettant d’actionner les moulins et d’évacuer toutes sortes de détritus.
L’ouverture de portes éclusières permettrait également de nettoyer automatiquement les Ecuries. Dans sa réflexion, Léonard s’inspire largement des réseaux de rigoles construites par les Solognots pour approvisionner ou vider les étangs.
« Il articule une entreprise urbanistique hygiénique sur une planification du développement régional basée sur la maîtrise de l’eau ». [iii]
Le Palais
Léonard de Vinci imagine de construire le palais au-dessus de la rivière : est-ce à côté de la rivière ou au-dessus comme à Chenonceaux ? Le terrain aurait été situé près du vieux château, donc dans la continuité du Château construit par le comte d’Angoulême et agrandi entre 1510 et 1512 par Louise de Savoie. Mais ailleurs, Léonard parle de canaux comme à Venise, qui apportent les marchandises par barges directement dans les maisons.
Projet de Palais de Romorantin établi d’après les dessins de Leonard de Vinci Réalisation: Frank SCHILDKNECHT – 57 FRANCE – Tous droits réservés
Conférence sur la Cité idéale de Léonard de Vinci par Patrick Boucheron Site « Romorantin, le Projet oublié de Léonard de Vinci » Crédit photo Réalisation: Frank SCHILDKNECHT – 57 FRANCE – Tous droits réservés
Le site de l’exposition précise en outre : « La cité fluviale est fondée sur une grille orthogonale, un tracé en échiquier non déterminé par un réseau routier mais par des voies d’eau. Le Folio 37v montre à cet égard des détails significatifs de ce projet : deux maisons à façades donnant sur le canal avec des portiques larges d’au moins 5 m reposant sur des colonnes et des arcs. Le canal est d’une largeur très ample (18m) afin d’assurer de la lumière aux ambiances ombragées des portiques. L’étage de la promenade surplombe de 3,60m la surface de l’eau, de sorte que les barques puissent passer facilement sous les ponts et le long des canaux de raccordement qui courent sous les maisons, permettant le déchargement direct des provisions au niveau des entrepôts et des cuisines. La finalité poursuivie par ce projet est de généraliser un dispositif unifié de purge et de drainage hygiénique et de séparer le trafic des marchands de celui des piétons».
Image numérique d’après le Projet de Leonard de Vinci pour le palais de Romorantin Cité idéale Léonard de Vinci – ©Frank SCHILDKNECHT
Conférence sur la Cité idéale de Léonard de Vinci par Patrick Boucheron Site « Romorantin, le Projet oublié de Léonard de Vinci » Crédit photo Réalisation: Frank SCHILDKNECHT – 57 FRANCE – Tous droits réservés
Comme on le voit, il s’agissait de créer une véritable cité lacustre reposant sur un réseau de canaux secondaires traversé par un canal principal. Ces concepts de Léonard de Vinci, qui paraissent tout droit sortis d’une inspiration vénitienne, avaient été posés précédemment par un architecte florentin, Antonio di Pietro Averulino, dit « Le Filarete » qui avait publié un Traité d’Architecture en 25 volumes.
La cour du Palais aurait mesuré 120 brasses de long (218m) sur 80 de large (145m); la façade donnant sur la Sauldre aurait représenté le double de la largeur de la cour soit 290 m. Quant aux douves, leur largeur aurait été de 40 m. Le palais a été décrit dans le Codex Atlanticus [iv]sous la forme d’un grand quadrilatère, doté de tours d’angle et d’une avant-cour flanquée d’écuries. De part et d’autre de la cour, deux fontaines circulaires auraient été édifiées.
Image numérique d’après le Projet de Leonard de Vinci pour le palais de Romorantin La fontaine Cité idéale Léonard de Vinci – ©Frank SCHILDKNECHT
Conférence sur la Cité idéale de Léonard de Vinci par Patrick Boucheron Site « Romorantin, le Projet oublié de Léonard de Vinci » Crédit photo Réalisation: Frank SCHILDKNECHT – 57 FRANCE – Tous droits réservés
Ces dimensions ont été contestées par l’historien Jean Guillaume, dans la Revue de l’Art [v] qui estime qu’avec une telle dimension, le palais ne pouvait pas tenir entre la Sauldre et la route d’Amboise.
Cependant, d’autres dessins réalisés par le Maître contredisent cette image des travaux à réaliser, preuve sans doute que le projet évoluait sans cesse dans l’esprit de Léonard.
Dans le folio 12 585 du Manuscrit de Windsor, le palais qui est situé sur une île accessible par deux ponts, présente trois niveaux d’étages à arcades. Le bord de la rivière sur laquelle donnent les fenêtres du palais, peut être aménagé en gradins sur lesquels prennent place les spectateurs lors des joutes nautiques.
Les Ecuries
Conférence sur la Cité idéale de Léonard de Vinci par Patrick Boucheron Site « Romorantin, le Projet oublié de Léonard de Vinci »
Les Ecuries prennent une place très importante dans le projet de Léonard de Vinci. Sa réflexion sur le sujet remonte à 1487 (Codex Atlanticus) puis se trouve reprise à Milan en 1498, à l’époque où il travaille pour le compte de Galeazzo Sanseverino, le gendre de Ludovic le More puis enfin en 1515, époque où il était au service de Julien de Médicis. Il se trouve qu’au moment où il envisage le projet de Romorantin, en 1517, ce même Sanseverino, le meilleur cavalier d’Europe, est devenu, depuis 1505, le Grand Ecuyer du roi, c’est-à-dire l’Officier chargé des Ecuries royales. L’attention portée par Léonard aux Ecuries n’est donc pas tout à fait un hasard, tant Sanseverino avait joué un rôle important dans sa vie, en tant que mécène et de protecteur.
« Quoiqu’il en soit, les écuries Léonardiennes sont d’une grande sophistication et disposent de rigoles et de canaux souterrains pour évacuer le purin, et de systèmes automatiques pour faire descendre le foin conservé à l’étage, vers les mangeoires ».
Les Travaux engagés à Romorantin
Les comptes de la ville de Romorantin d’après le site de l’Exposition, montrent que les travaux avaient commencé avant la venue de Léonard : ils se sont intensifiés entre 1517 et 1519.
Les travaux réalisés au printemps 1516, qui n’avaient encore aucun rapport avec le projet de Léonard eurent d’abord pour objectif d’aménager les chemins de Blois et d’Amboise afin d’éviter que les charrois ne s’embourbent. Ces travaux témoignaient de la prospérité croissante de Romorantin et de l’élévation du statut de la ville, le comte d’Angoulême, Seigneur de Romorantin, étant devenu roi de France.
Des travaux de terrassement importants furent effectivement réalisés à Romorantin à partir de 1517. La notion d’importance est du reste toute relative: ils étaient importants par rapport à la période précédente mais notoirement insuffisants à l’échelle d’un grand projet comme celui imaginé par Léonard de Vinci. Il semblerait que ces travaux aient davantage concerné les voieries et les ponts, ces ouvrages ayant nécessité beaucoup de remblais.
En ce qui concerne le financement de ces travaux, on sait que François 1er versa 4000 livres à un certain André Courrieu, entrepreneur à Romorantin qui fournissait la ville en bois, pour les travaux d’extension du Palais de Louise de Savoie. Il avait autorisé par ailleurs la ville à lever une taxe sur les ventes de vins (12,5%) dont le produit devait être affecté à l’entretien et à l’extension du mur d’enceinte de Romorantin entre 1515 et 1519. Le commissaire royal chargé de l’entretien de ces fortifications n’était autre que le même André Courrieu qui cumulait également les fonctions de Grenetier royal.
Le site de l’exposition rattache tous ces travaux au projet oublié de Léonard de Vinci. Le fait qu’ils aient été réalisés concommitamment au travail du Maître Toscan n’est cependant pas une preuve de rattachement de ces travaux à son projet.
Du reste plusieurs éléments incitent à mettre en doute cette conclusion sans doute un peu hâtive du site de l’exposition.
Il y a tout d’abord la personnalité particulière du génie italien: ce dernier était en avance sur son temps sur la plupart des sujets qu’il examinait et il se définissait davantage comme un ingénieur concepteur et théoricien que comme un ingénieur de réalisation: la quasi totalité de ses très nombreuses innovations est réstée à l’état de projet. La question importante est de déterminer pourquoi Léonard de Vinci est-il associé à la plupart des grands projets de son temps, avec des compétences reconnues par ses pairs et pourquoi ne se voit-il confié en dehors des commandes artistiques la réalisation d’aucun projet important à l’exception de Romorantin?
François 1er qui a été subjugué par le génie du Maître Toscan, lui demande de réfléchir à un projet qui pourrait donner corps aux grandes idées de sa mère pour le développement économique de Romorantin. Le tort de Léonard (idée personnelle) est d’envisager un projet de façon trop vaste et donc difficile à réaliser (et davantage encore à financer) car il y a plusieurs projets imbriqués l’un dans l’autre et dont la réalisation simultanée conditionne le succès du projet d’ensemble. Etablir des moulins sur la Sauldre ? Facile, il suffit de détourner et canaliser le cours de la Sauldre !
En trois ans d’activité, ce que l’on connaît du projet de Romorantin tient en quatre ou cinq feuillets de codex différents: rien à voir avec un véritable projet d’ingénierie. Du reste, le projet de Romorantin n’est ni plus, ni moins détaillé que les dix mille idées sur les codex du maître toscan, ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas existé un véritable dossier avec plans, études de sols, cartes, établi par le maître toscan, dossier qui, en l’espèce, ne semble pas avoir été retrouvé. Compte tenu de l’état d’avancement du projet posé à l’état de concept seulement, il est très peu probable que les travaux engagés visés dans les comptes de la commune concernent le projet de Léonard. On voit mal du reste, le roi attribuer des recettes particulières à une commune pour réaliser des travaux que l’on n’a pas encore décidés.
Je pense personnellement que les travaux réalisés entre 1516 et 1520 étaient liés aux conséquences des décisions antérieures prises par Louise de Savoie pour accroître la prospérité de sa ville préférée et qui avaient motivé l’invitation de Léonard en France. Ce sont des décisions bien concrètes qui ont été prises par les deux derniers comtes d’Angoulême puis par Louise de Savoie. Dépenses pour sécuriser la ville: réparation du mur d’enceinte de la ville, extension du mur d’enceinte, réalisation de tours de défense. Dépenses pour la qualité de vie: pavage des rues et des voies sortant de la ville vers Blois et Amboise, ouverture de nouvelles routes, réparation et construction de ponts. Dépenses de prestige: extension du palais comtal. Toutes ces dépenses sont destinées à accroître l’attractivité de la cité. Et d’ailleurs, plusieurs courtisans, connaissant l’intérêt de François 1er pour Romorantin, le séjour préféré de sa mère, Louise de Savoie, décident de construire dans cette cité, comme le comte de Saint-Pol par exemple, un Bourbon qui fit construire son hôtel en 1520 dans le centre de Romorantin, hôtel illustré dans le troisième article de ce blog sur Romorantin.
François 1er, sans doute sur le conseil de sa mère prendra plusieurs mesures pour encourager la production de drap à Romorantin notamment en interdisant des importations de draps en 1517-1518.
Pourquoi le Grand projet de Romorantin fut-il abandonné ?
D’aucuns ont attribué l’abandon du projet à une épidémie de peste. Mais le site souligne que les archives municipales apportent un total démenti : il n’y a pas eu d’épidémie importante entre 1518 et 1520.
Il faut donc en revenir à l’intuition de Carlo Pedretti : ce qui fit que le grand dessein qui aurait transformé Romorantin ne vit pas le jour, c’est sans doute que Léonard ne pouvait plus y travailler. Peut-être en raison d’une santé déclinante ?
Le projet était le résultat d’une vie de travail d’un génie capable de maîtriser toutes les techniques. Il n’existait pas d’homme en France, susceptible d’en comprendre les concepts et encore moins, d’en maîtriser l’application.
Ce projet avait deux siècles d’avance sur son temps.
Avec sa ville idéale, ses canaux, ses écuries, son immense palais sur l’eau et ses fontaines, le projet s’avérait insurmontable pour tout autre que le maître toscan.
Mais les idées avancées par Léonard de Vinci furent reprises. Elles constituèrent le terreau sur lequel fleurirent plus tard les grands projets d’aménagement hydrographiques nationaux.
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[i] Voir à ce sujet l’article du site Le coin de l’énigme.com
[ii] Voir à ce sujet le document complémentaire à l’exposition « Léonard de Vinci-Romorantin, Le projet oublié » organisée par le Musée de Sologne du 9 juin 2010 au 30 septembre 2011.
[iii] Document « Romorantin, le projet oublié de Léonard de Vinci » p.12.
[iv] Les notes de Léonard de Vinci ont été rassemblées dans des codex (un codex est un manuscrit ancien avec des feuillets reliés). Le Codex Atlantico est conservé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan au Château Trivulzio.
http://www.youtube.com/watch?v=YqL1-14POiA , http://www.youtube.com/watch?v=VSjrTGEEX5c
[v] Jean Guillaume, « La villa de Charles d’Amboise et le château de Romorantin : Réflexion sur un livre de Carlo Pedretti », Revue de l’Art 1974, n°25.
Interessée par les écuries Léonardiennes , comme celle de Chaumont en charolais ,
Je voudrais savoir si il existe un plan des écuries prévues à Romorantin…
merci si vous avez quelque chose à ce sujet;
Bien à vous .
Anne de Laguiche
Bonjour Anne
Désolé de ma réponse tardive. Leonard n’a pas eu le temps de dessiner un plan des écuries. Il y a dans ses codex des schémas succincts desquels il est possible d’extrapoler la place des écuries. Le projet de Romorantin n’a pas été développé au delà du stade de l’Avant Projet et c’est bien dommage.Je n’ai malheureusement rien sur le sujet. Désolé.
Néanmoins à partir de la Renaissance, les écuries occupaient un espace central dans les châteaux: voir par exemple le modèle des Ecuries du palais d’Urbin qui ne sont pas dues au crayon de Léonard mais à celui d’un des grands architectes de l’époque. Ce qui est intéressant dans ces écuries c’est rôle de l’eau pour le nettoyage automatique des écuries. Leonard était un hydraulicien de génie et si vous retrouvez des écuries avec un nettoyage via des canaux hydrauliques vous pourrez à coup sûr les relier à l’inspiration italienne de Leonard et des autres.
Leonard s’est beaucoup inspiré de ses contemporains. Par exemple son escalier à double révolution de Chambord est directement inspiré par celui du Vatican de Bramante je crois lui même inspiré d’un escalier du même type à Pise au 14eme siècle.
Rien ne se crée tout se transforme …
Bien cordialement
Philippe