Les deux grands centres italiens de construction navale au moyen âge sont Venise et Gênes, pour des raisons voisines: cités maritimes tournées vers le commerce avec l’orient et carrefour naturel des matières premières de la construction navale. L’étude de Furio Ciciliot s’est basée sur la compilation des actes notariés de Savone et de Gênes pour essayer de cerner l’activité des chantiers navals de Ligurie au moyen âge.
Dans la continuité des Dossiers et Articles réalisés sur Gênes (l’émergence d’une grande puissance maritime, Gênes, entre insurrection et soumission, Andrea Doria, amiral de François 1er, les tarides), nous poursuivons avec cet article, le survol des activités génoises à travers un sujet important, la construction navale, proposé par une étude remarquable[i] publiée par Furio Ciciliot sur les Cahiers de la Méditerranée.
Pour lire cet article, cliquer sur le lien suivant: Etude sur les chantiers navals de Ligurie.
Les principaux chantiers navals de Ligurie, regroupent, autour de Varazze, ville pionnière, ceux de Finale, Savona, Porto Venere et Genova. On y produit régulièrement des embarcations liées au trafic local ou commercial et des unités liées au transport vers la terre sainte: “Les navires génois et ligures qui s’aventuraient sur les routes de Terre Sainte entre la fin du xie et la seconde moitié du xiiie siècle devaient répondre à des caractéristiques précises : taille importante (pour le transport), standardisation (si le navire était utilisé à des fins militaires) ou forte spécialisation (afin de satisfaire des besoins particuliers comme par exemple le transport des destriers de guerre)”. On peut donner trois exemples de ce type de commandes: la nef, la galère et l’uscere.
“La nef (à coque ronde, avec deux mâts à grandes voiles latines, supportant jusqu’à mille tonnes) ressemble à une forteresse ou à une ville flottante, d’un mouvement lent mais imperturbable et offrant une traversée sûre ; déjà en 1125, une source signale qu’elle pouvait transporter plusieurs centaines de personnes.
L’Estrif de Fortune et Vertu par Martin Le Franc.
Maître de Coetivy (actif vers 1450-1475) Ms296-folio28recto Chantilly, musée Condé
Coque d’un navire porté par un dragon, vue de profil, et esquisse du dragon
Pisanello (dit), Pisano Antonio di Puccio (avant 1395-1455) Inventaire n°INV2289-recto Paris, musée du Louvre, D.A.G.
“La galère obéit à une spécialisation plus marquée et possède une coque aux dimensions pratiquement inchangées (40 mètres de long pour une capacité de plusieurs centaines de tonnes) pendant tout le Moyen Âge, bien que l’on observât un nombre non négligeable de changements mineurs. En 1264 déjà, plusieurs chantiers navals de la côte ligure purent construire des galères semblables à coût égal, signe de leur standardisation notable.
Prince sur une galère en train d’appareiller
Teniers David (1610-1690)
peintre
Van Kessel Jan I (1626-1679) Inventaire n° MNR731 Paris, musée du Louvre
L’uscere constitue un bateau spécialisé, employé en de rares occasions à propos desquelles on dispose toutefois d’une documentation précise, élaborée par les premiers historiens faisant autorité sur cette question et des archéologues spécialisés sur les questions navales. La cargaison qu’il transportait était constituée de chevaux ; les cales se transformèrent en une sorte d’écurie et la proue s’ouvrait pour permettre l’accès des animaux”. L’uscere constitue sans nul doute, la version maritime de la Taride (voir l’article sur ce Blog) pour le transport fluvial.
A la différence des arsenaux publics de Venise, les chantiers navals de Ligurie sont dans leur immense majorité des petites entreprises indépendantes. Toutefois, les chantiers navals de Gênes, comme ceux de Venise, sont publics.
L’émergence des chantiers navals de Ligurie est liée à la proximité des principales sources d’approvisionnement en matières premières: la présence à proximité de la côte, et à différents niveaux d’altitude (du niveau de la mer à 1 500 mètres), des principaux types de bois (pour l’armature et le revêtement de la carène : du bois de chêne à feuilles caduques ; pour celui de la partie émergée de la coque : du bois de hêtre et du pin ; pour les mâts : du bois de sapin blanc et de mélèze), des principales fibres textiles (surtout le chanvre), et de fer exploité dans certaines localités côtières (pour les accessoires ferreux et l’ancre).
Altimétrie indicative des bois utilisés pour la construction navale en Ligurie Figure de Francesco Murialdo Publiée dans l’article de Furio Ciciliot
On utilise le chêne à feuilles caduques pour l’armature et le bordage de l’oeuvre vive de la coque (la partie immergée de la coque), le hêtre et le pin pour le bordage de l’oeuvre morte (la partie émergée de la coque), le sapin blanc et le mélèze pour les mâts. L’auteur signale l’utilisation, dès 1259, de bois naturellement courbés, ce qui donne une idée du niveau de développement atteint au moyen-âge par ces chantiers navals.
L’auteur a recensé dans les archives, une quarantaine au moins de types de navires dont le Galion (construit de 1195 à 1656), la caravelle (1159-1654), la Caraque (1157-1848), l’uscere (1190-1392) et la taride (1224-1371). Chaque type de navire était construit afin de répondre à des besoins précis, mais avec le souci de la polyvalence car ces navires, qui appartenaient à des armements privés, étaient fréquemment réquisitionnés par la république de Gênes, pour intégrer des flottes militaires ou de transports de troupes. Les armements commerciaux pouvaient également, en cas de besoin, s’adonner à la guerre de course.
La variété des besoins de transport local ou transatlantique, fluvial ou maritime, civil ou de guerre, à rames ou à voiles, suscitait, en permanence, l’adaptation des nouveaux concepts développés en temps de guerre, pour des applications civiles, témoignant d’un très haut degré des techniques et connaissances de constructions navales.
Défaite d’une flotte de pillards anglais en 1403
Gudin Jean Antoine Théodore de, Baron (1802-1880) Inventaire n° MV1369 Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon
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[i] Voir l’article sur “Les chantiers navals en Ligurie du Moyen Âge à l’époque moderne (xiie - xvie siècles)” par Furio Ciciliot sur le site des Cahiers de la Méditerranée.
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