Les guerres d’Italie initiées par Louis XII et François 1er, pour la conquête du duché de Milan, prennent leur source dans le testament de Jean Galéas Visconti. Ce dernier avait décrété qu’en cas de non postérité des fils qu’il avait eus de sa cousine, Catherine Visconti, sa fille, Valentine, qui avait épousé Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI de France, serait l’héritière du duché.
Louis XII, héritier en ligne directe de Valentine, sa grand mère, fut le premier à revendiquer le duché de Milan. Les rois qui l’avaient précédé, Louis XI et Charles VIII figuraient en effet parmi les plus solides soutiens de la dynastie des Sforza qui s’était emparée du duché de Milan après l’épisode de la République Ambrosienne.
Il convient de souligner en outre que la première expédition d’Italie, conduite par Charles VIII en 1494-1497, avait pour objectif la récupération du Royaume Angevin de Naples, Cette question fera la matière d’un article à rédiger, qui lui sera spécialement consacré. On se contentera ici de préciser que le Royaume de Naples contrôlait alors le sud de la péninsule italienne et la Sicile. Pierre III d’Aragon (1240-1285), ayant épousé Constance de Sicile, héritière de Manfred de Hohenstaufen, lança une expédition contre la Sicile qu’il occupa en 1282: les angevins se replièrent alors sur Naples et la partie continentale du royaume.
En 1442, le roi Alphonse V d’Aragon s’empara du royaume de Naples. En lui réunissant la Sicile, il créa le royaume des deux Siciles, dépendant de la Couronne d’Aragon, qu’il laissa à son fils bâtard, Ferrante ou Ferdinand 1er d’Aragon (1423-1494). Le roi de Naples, qui faisait régner la terreur sur son peuple, était en conflit ouvert avec la Papauté qui fit appel à Charles VIII, lequel fit valoir ses droits sur Naples, hérités de son dernier titulaire, le Roi René, mort en 1480, qui avait cédé tous ses droits à Louis XI. Une armée franco milanaise pénétra en Italie et s’empara rapidement du royaume de Naples, qui fut laissé sous l’administration d’un vice-roi, Gilbert de Montpensier, le père du Connétable de Bourbon.
Les Espagnols étaient donc solidement implantés dans le sud de l’Italie, au moment des expéditions lancées par Louis XII et François 1er. Des familles espagnoles avaient fait souche dans la péninsule en s’alliant avec de puissantes familles de patriciens romains, comme les Colonna, qui devinrent les plus fidèles alliés de Charles Quint. Certains de ces ressortissants italo-espagnols devaient faire une très belle carrière dans les armées impériales, notamment, don Fernando d’Avalos (1490-1525), Marquis de Pescara, qui gagna la bataille de Pavie…
De retour de Naples, les Français doivent faire face à une coalition montée rapidement, la Ligue de Venise, comprenant, outre Venise, les Etats pontificaux, le duché de Milan, le Saint Empire et la Couronne d’Aragon. Louis XII fera payer très cher, quelques années plus tard, cette volte face, à Ludovic le More, duc de Milan. Mais le roi Charles VIII parvient à rentrer en France sans trop de difficultés, grâce au gain inespéré de la bataille de Fornoue (juillet 1495).
L’expédition sur Milan s’explique donc à la fois par la revendication des droits des Orléans sur Milan, et par la volte face de Ludovic Le More, sorti unilatéralement de l’alliance avec la France.
Quant à la revendication de François 1er, elle s’explique parce que ce dernier, arrière-petit-fils de Valentine Visconti, en ligne directe mais de la tige des comtes d’Angoulême, avait épousé Claude de France, fille de Louis XII et héritière des droits des Orléans sur Milan. Avant son départ pour l’Italie et sa magnifique victoire de Marignan, François 1er s’était fait remettre solennellement par son épouse, ses droits sur Milan.
Depuis l’an Mil, les cités italiennes du nord de l’Italie jusqu’à Rome, étaient sous le contrôle du Saint Empire Romain Germanique, comme le montre la carte ci-dessous.
Carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
L’évolution du contexte politique en Italie centrale a été fortement impactée par le conflit entre les empereurs successifs du Saint Empire Romain Germaniques, qui prétendaient à une monarchie universelle, un thème repris plus tard par des hommes comme Gattinara, le conseiller le plus écouté de Charles Quint, et les Papes. L’italie a été alors traversée, de ville en ville par des courants Guelfes (partisans du Pape) et Gibelins (partisans de l’Empereur).
Les différentes factions se retrouvaient dans les villes en épousant les intérêts d’une famille contre une autre. Cette querelle se terminera au treizième siècle avec la disparition des derniers Hohenstaufen et la victoire du Pape. L’affaiblissement de l’Empire en résultant, de nombreuses enclaves territoriales acquirent alors leur indépendance, dévoilant une carte d’Italie, dans laquelle la Papauté était devenu le plus puissant des territoires. Ce fut le point de départ de la vocation à la domination territoriale, dont les Borgia, père et fils devaient se faire, deux siècles plus tard, les plus ardents théoriciens.
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Cette carte montre notamment que la limite du Saint Empire, qui intégrait auparavant les Etats pontificaux a été remontée au nord de ces derniers. C’est cette domination, plus théorique que réelle, qui explique l’évolution des Seigneuries initiales, en comtés, marquisats, duchés et principautés, par la grâce des Empereurs successifs du Saint Empire Romain Germanique. Jusqu’au 16ème siècle, les factions de guelfes et de Gibelins ont survécu, tant que les Papes ont voulu exercer un pouvoir territorial autonome en Italie centrale.
En 1500, le duché de Milan est occupé par les Français, depuis l’année précédente. Il reste sous le contrôle théorique du Saint Empire. Venise est devenue une grande puissance territoriale dans le nord de l’Italie, attirant alors les regards à la fois de l’Empire et de la France.
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La famille Visconti, fit de cette Cité-Etat, en moins de deux siècles, un ensemble territorial ayant atteint une grande importance en Italie du nord. Jean Galéas Visconti acheta en 1395, auprès de l’Empereur Venceslas 1er, l’érection de la Seigneurie en Duché: ce fut l’acte fondateur de la principauté de Milan. La ville s’était très fortement enrichie par l’industrie de l’acier qui avait attiré de nombreux artisans de plusieurs professions. Jean Galéas étendit sa domination dans toutes les directions autour de Milan, soumettant, les unes après les autres, les petites cités-Etats satellites. Il se livra à des dépenses jugées somptuaires mais qui constituent aujourd’hui les plus grands trésors de son époque: la cathédrale de Milan, la Chartreuse et le château de Pavie, qui laissèrent les finances du duché à sa mort, dans un état exsangue. Il avait épousé en premières noces, Isabelle de France, la fille du Roi Jean II le Bon et donc la soeur du roi Charles V et du premier duc de Bourgogne, Philippe le Hardi ce qui montre le prestige qu’avait alors atteint le duc de Milan. Charles VI rapprocha encore les deux familles en faisant épouser Valentine de Milan à son frère, Louis 1er d’Orléans.
La mort du duc Jean Galéas Visconti laissa le duché entre les fils qu’il avait eus de sa cousine germaine, Catherine Visconti, soit deux enfants marqués par les tares de la consanguinité, dont les règnes cruels furent impuissants à conjurer les tiraillements des factions gibelines et guelfes.
En 1447, à la mort du dernier duc, Philippe Marie, des partisans des Visconti, nobles et juristes Gibelins, créent la République Ambrosienne, du nom de Saint Ambroise, Evêque de Milan au IVème siècle et Saint Patron de la ville. Mais la tendance Gibeline des Ambrosiens suscite rapidement la méfiance des Guelfes. Les villes de Pavie, Parme, Lodi et Plaisance, font sécession, ces deux dernières villes se donnant à Venise. Pour éviter la dislocation du duché, la ville se donne à Francesco 1er Sforza, un condottiere, qui avait épousé Blanche Marie Visconti, une fille illégitime du dernier duc de Milan.
Ce dernier rétablit rapidement l’autorité de la cité sur les villes ayant fait sécession.
Très rapidement, l’autorité des Sforza est reconnue par tous les Etats italiens puis par les grands Etats européens. Les ducs de Milan deviendront les meilleurs appuis de la France de Louis XI en Italie, jusqu’à la fin du XVème siècle et les prétentions de Louis XII à l’héritage de Valentine de Milan.
Sous l’administration de Ludovic Sforza, un des princes les plus riches d’Italie, Milan vécut son âge d’or. Ludovic Sforza sut attirer à lui des talents tels Léonard de Vinci qui produisit une grande partie de ses oeuvres à Milan.
La Cène 1495-1497. Réfectoire du couvent santa Maria della Grazie (Milan) Vinci Léonard de (1452-1519) peintre, dessinateur Crédit Photo (C) Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Mauro Magliani CAL – Alinari Archives, Florence détrempe H 4,600 L 8,800 Inventaire n+CAL-F-008204-0000;CAL-F-008205-0000;CAL-F-008210-0000;CAL-F-008212-0000 Italie, Milan, couvent Santa Maria della Grazie.
Ludovic Sforza, se vit très sévèrement puni par Louis XII, car il finit ses jours en prison, dans la forteresse de Loches. Quant à Maximilien qui avait appelé les Suisses contre François 1er, son sort fut beaucoup plus enviable: il négocia la remise de ses droits sur le duché contre une rente de trente mille écus par an et une seigneurie sur les bords de Loire où il passa le reste de sa vie.
La conquête du duché par Louis XII en 1499 et sa perte en 1512, puis sa reconquête en 1515 puis sa perte en 1523, laissèrent finalement le duché entre les mains de François II Sforza qui régna jusqu’à sa mort en 1535. Depuis 1526, l’année de Pavie, où François II avait appelé les Espagnols au secours contre l’armée française conduite par François 1er, le duché était resté occupé par l’armée espagnole, toutes les structures administratives entrant progressivement en déshérence, pour laisser la place à une sorte de république militaire. A la mort du dernier duc, resté sans postérité, le duché revient à l’Empire (et donc à l’Espagne), le suzerain naturel en droit féodal.
L’Espagne se trouvait ainsi présente durablement en Italie au nord avec l’investiture du duché de Milan et en Italie du sud avec celle du Royaume des Deux-Siciles. Les guerres d’Italie se clôturaient ainsi par la victoire du Saint Empire Romain Germanique de Charles Quint, sur la France.
Portrait d’une dame de la cour de Milan, dit à tort « la Belle Ferronnière » Vers 1485 ou 1495 Vinci Léonard de (1452-1519) peintre, dessinateur Crédit Photo (C) Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier huile sur bois H 0,630 L 0,450 Inventaire n°INV778 Paris musée du Louvre
Les notes de bas de page, ci-dessous, présentent la source des différentes vignettes figurant dans le tableau de la Séquence des Ducs de Milan, ci dessus.
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1) Jean Galéas Visconti, Gian-Galeazzo Visconti (1351-1385), 1er Duc de Milan en 1395 Crédit Photo (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles gravure sur bois H 0,138 L 0,095 Fonds Estampes Inventaire n° LP4.66.3 Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.
2) Louis 1er d’Orléans, Louis 1er d’Orléans Musée franco américain du Château de Blérancourt.
Valentine de Milan, par François Richard Fleury (1777-1852) vers 1802, Huile sur toile H 0,540 L 0,460 Crédit Photo © Gérard Blot ; © Réunion des musées nationaux Inventaire n°M.M.2003.20.1 Rueil-Malmaison ; Musée National des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau.
3) Charles d’Orléans, par François l’Ange (1800-1872) : Le poète Charles d’Orléans (1391-1465), prisonnier en Angleterre. 1845 Huile sur bois 0,46 0,39 Crédit photo © Maertens Inv n° 990.9 © Bourg-en-Bresse, musée de Brou, © Direction des musées de France.
Marie de Clèves, Tapisserie de 1460-1465 © Musée des arts décoratifs Paris Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz. Tapisserie d’origine flamande. H 2,45 L 1,920. Cote cliché 00-014378 Inventaire n°Inv21121.
4) Louis XII, Jean Perréal, 1514 © Windsor, collections de S.M. la Reine d’Angleterre Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2014.
Anne de Bretagne, Enluminure de Jean Bourdichon (1457-1521) Gallica BNF Manuscrits Latins 9474
5) Francesco Sforza, Huile sur bois de Bonifazio Bembo (actif entre 1444 et 1477) peinte vers 1460 Image Web Gallery of Art (http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/b/bembo/index.html) H 0,400 L 0,310 Milan, Pinacoteca di Brera.
Blanche Marie Visconti, Huile sur bois, de Bonifazio Bembo (actif entre 1444 et 1477) peinte vers 1460 Image Web Gallery of Art (http://www.wga.hu/frames-e.html?/html/b/bembo/index.html) H 0,490 L 0,310 Milan, Pinacoteca di Brera.
6) François 1er, Roi de France JeanClouet 1475-1540 INV3256 Musée du Louvre.
Claude de France, fille de Louis XII et Anne de Bretagne, épouse de François 1er Huile sur Bois Corneille de Lyon (1500-1575) Moscou Musée Pouchkine.
7) Galéas Sforza, Portrait de Galéas Maria Sforza, duc de Milan Vers 1471. Commande de Laurent de Médecis à l’occasion de la venue du duc à Florence Pollaiuolo Piero del (1443-1496) Crédit photographique (C) Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / Nicola Lorusso peinture sur bois Fonds Peintures H 0,65 L 0,43 Inventaire n° CSE-S-000118-9368;INV1890-1492 Cote Cliché 12-519605 Italie, Florence, Galerie des Offices.
Bonne de Savoie, vers 1475-1500, Ecole milanaise, Crédit Photo (C) The National Gallery, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department, , peinture sur toile, H 1.397 L 0,605 Inventaire n°NG2251 Royaume-Uni, Londres, National Gallery.
8) Ludovic le More, Ludovic Le More Giovanni Ambrogio de Predis Ludovico il Moro, Trivulzo, Miniature de la Grammatica Latina par Elio Donato Bibliothèque du Château Trivulzio Code 2167.
Béatrice d’Este, Giovanni Ambrogio de Predis (1455 – 1508) Portrait d’une dame- Portrait présumé de Béatrice d’Este épouse de Ludovic le More Huile sur bois H 0,51 L 0,34 , Milan, Pinacoteca Ambrosiana.
9) Jean Galéas Sforza, Tableau de Giovanni Antonio Boltraffio : Jean Galéas en Saint Sébastien, d’après l’article éponyme de Wikipedia. Huile sur bois H 0,48 L 0,36 cm, Musée Pouchkine, Moscou.
Isabelle de Naples, Tableau attribué à Ambrogio de PREDIS 1455-1508, Portrait d’une dame de profil, présumé être celui d’Isabelle de Naples, l’épouse de Jean Galéas Sforza. L’oeuvre est inscrite sous le n° d’inventaire NG5752. On peut l’admirer à la National Gallery à Londres.
10) Blanche Marie Sforza (1472-1510) par Ambrogio De Predis 1455 – Après 1508, vers 1493-1495. Huile sur bois H 0,138 L 0,47 Inventaire n° GG_5622. Provenance Collection du château d’Ambras Innsbruck, Kunsthistorisches Museum, Vienne, Peintures Galerie.
Maximilien 1er Empereur, par Albrecht Dürer (1471-1528) daté 1519 Huile sur bois H 0,740 m L 0,615 n° d’Inventaire GG 825 Kunsthistorisches Museum Vienne.
11) Maximilien Sforza, Hercule Maximilien Sforza (1493-1530), duc de Milan Premier fils du duc Ludovic Marie Sforza dit Le More et de Béatrice d’Este, frère de François II Sforza, neuvième duc de Milan de 1512-1515 Miniature de Ambrogio de PREDIS (1455-1508) de la Grammatica Latina par Elio Donato Bibliothèque du Château Trivulzio Code 2167 Photo Web Gallery of Art .
12) Francesco II Sforza, copie du tableau de Tiziano Vecellio : « Ritratto di FRancesco II Sforza » qui se trouve à la Villa del Principe Palazzo Andrea Doria Gênes.
Détail du portrait de la Villa del Principe

[…] [i] Voir l’article sur les Ducs de Milan […]