Les Héroïdes d’Ovide sont des lettres d’amour imaginaires, que s’écrivent des hommes et des femmes célèbres de l’antiquité. L’ouvrage d’Ovide se compose de vingt et une lettres; ce sont celles de : Pénélope à Ulysse, Phyllis à Démophon, Briséis à Achille, Phèdre à Hippolyte, OEnone à Pâris, Hipsipyle â Jason, Didon à Enée, Hermione â Oreste, Déjanire â Hercule, Ariane à Thésée, Canace â Macaire, Médée à Jason, Laodarnie à Protésilas, Hypermnestre à Lyncée, etc…
Les quatorze premières lettres[i], qui sont issues de femmes seulement, passent pour avoir été véritablement écrites par Ovide. Cette oeuvre qui est publiée entre -13 et +3 de notre ère, connut un très grand succès â Rome, car les contemporains s’ingénièrent à trouver dans ces vieux mythes, des allusions à des évènements de leur temps, et les considérèrent comme une sorte de chronique scandaleuse.
L’un des écrivains en vue de la fin du quinzième siècle, Octavien de Saint-Gelais, s’intéresse à ces petits poèmes. Grand hélléniste et latiniste il va donner une traduction complète de cet ouvrage dans notre langue. Depuis l’Ovide moralisé (voir l’article sur ce Blog Un incunable de la BNF, l’Ovide moralisé) Ovide passe pour un auteur latin dont la lecture est recommandée pour ses leçons de morale.
Né à Cognac en 1466, Octovien de Saint-Gelais était le fils de Pierre de Saint-Gelais, seigneur de Monthieu et de Sainte-Aulaye. Ses parents l’envoient de bonne heure à Paris. Après avoir passé quelques années au collège Sainte-Barbe, il étudie la théologie au collège de Navarre. Malheureusement, une longue et pénible maladie (la poliomyélite ?) le rend valétudinaire à vingt-trois ans. Il lui faut être sage malgré lui, et il se tourne alors vers l’Eglise. Recommandé par le comte d’Angoulême, il fait rapidement fortune à la cour. En 1494, Charles VIII obtient pour lui, du pape Alexandre VI, l’évêché d’Angoulême. Après être resté trois ans auprès du roi, Saint-Gelais, appelé par Louise de Savoie, se décide à se consacrer entièrement à son ministère: il se retire à Angoulême, où il meurt en 1502, âgé seulement de trente-six ans. Il laisse un certain nombre d’ouvrages, de valeur assez inégale. Il est l’oncle du du poète et musicien Mellin de Saint-Gelais (1491–1558).
A quelle date Octovien entreprend-il cette traduction ? D’après les spécialistes, il n’est pas encore évêque, lorsque Charles VIII lui demande cette traduction. Ce qui situerait ses travaux entre les années 1483 et 1494, mais plus probablement après le mariage avec Anne de Bretagne qui est également la date de son accession au pouvoir, soit après 1491. La traduction des Héroïdes paraît au moment où la première guerre d’Italie a mis l’antiquité classique à la mode. Le succès est immédiat et plusieurs copies du manuscrit sont faites, ainsi que plusieurs impressions successives. Cette oeuvre est conservée dans quatorze manuscrits souvent de très grand luxe et richement enluminés nous dit François Avril[ii] qui poursuit : “Saint-Gelais, qui devait sa fortune aux Angoulême, n’eut sans doute rien de plus pressé que de faire parvenir le texte de son oeuvre à la veuve de son protecteur, Louise de Savoie, laquelle expédia son “escrivain” attitré, Jean Michel, acheter le parchemin nécessaire pour établir une copie soignée des épîtres ovidiennes. La transcription et l’enluminure du volume étaient sans doute achevées dès 1498, car, à l’accession de Louis XII au trône, la comtesse d’Angoulême dut, sur les instances du roi, quitter définitivement Cognac et s’installer avec ses enfants à Amboise”.
Ce n’est pas le premier essai d’Octovien de Saint-Gelais pour le comte d’Angoulême: il a déjà rédigé pour lui, “le Régime des Princes“, de Gilles de Narbonne et lui a dédié en 1488 “l’Estrif de fortune“.
Le manuscrit 875 de la BNF contient dix-neuf grandes et belles miniatures, d’un art très original et très personnel. Elles peuvent être attribuées, d’aprè le caractère de leur style, à l’enlumineur en titre de Charles d’Angoulême et de Louise de Savoie, Robinet Testard. Paul Durrieu dans son article ci-dessous, souligne que Testard figurait déjà parmi les valets de chambre de Charles d’Angoulême en 1484 et en 1487. Dans l’état de 1487, il est, de plus, désigné comme enlumineur; ses gages étaient alors de 35 livres par an, Après la mort de Charles d’Angoulême, il resta au service de Louise de Savoie et de son fils, qui fut plus tard François qui, après son avènement, continua ses faveurs au vieux miniaturiste attitré de sa famille. Testard reçut une pension de cent livres par an, qu’il touchait encore en 1531, comme « enlumineur et varlet de chambre ordinaire du roy »
Paul Durrieu poursuit en soulignant “que l’oeuvre de Robinet Testard est assez considérable. La plupart des manuscrits qu’il a peints viennent de Charles d’Angoulême et de Louise de Savoie. Parmi eux il faut citer en première ligne, pour leur importance et leur beauté les “Echecs Amoureux” (Bibi. Nat. Ms. fr. J43) et “le livre des Clercs et nobles femmes”(voir sur ce Blog les 106 miniatures de Robinet Testard, qui font l’objet de 106 articles des Cleres et nobles femmes), traduit de Boccace (Bib. Nat. Ms. fr. 599). Mais on trouve aussi des peintures de sa main dans des volumes exécutés pour d’autres personnages. C’est lui, par exemple, qui est l’auteur, des deux grandes miniaturcs du canon dans le magnifique Missel de Nouailher, aujourd’hui au séminaire de Poitiers. De lui encore sont les illustrations d’un charmant livre d’heures de la Bibliothèque Royale de Bruxelles ; la place destinée recevoir les armoiries du possesseur y est restée en blanc, mais on découvre dans une miniature le blason des La Rochefoucauld, sculpté au dessus d’une porte. Testard est un miniaturiste inégal, incomplet à bien des égards. Chez lui le dessin souvent laisse fort à désirer, principalement à la fin d’un volume, quand il se néglige par lassitude. Mais il rachète ces défauts par une naïveté charmante dans sa gaucherie, par une observation très juste de certains détails et surtout par un sentiment remarquable de la couleur et de l’harmonie des tons. Il excelle â combiner les violets et les bleus avec les jaunes et les rouges orangés, ce qui donne à ses peintures une teinte chaude et ambrée très particulière“.
“Dans le manuscrit des Héroïdes, Testard n’a pas cherché à nous représenter les événements qu’exposent les lettres des héros et des héroïnes. Il se borne généralement à nous montrer un personnage qui écrit, assis, vu à mi-corps. La scène se passe dans une petite pièce, d’architecture très simple. Par une fenêtre placée au fond, on aperçoit la campagne dans laquelle serpente une rivière et le miniaturiste ne manque presque jamais d’animer son paysage par quelques oiseaux, généralement des cygnes, dont il excelle à rendre les allures souples et les mouvements gracieux. Il aime d’ailleurs à prouver qu’il sait observer la nature et nous montre des animaux pris sur le vif, dans les poses les plus naturelles”.
Les plus réussies de ces miniatures sont au nombre de trois. Ce sont celles qui représentent OEnone, Ariane, et Pâris dont Paul Durrieu poursuit ainsi la description.
Pour la lettre d’Oenone écrivant à Pâris, Oenone est figurée au milieu d’une épaisse forêt : elle est debout; une branche d’arbre, posée sur deux fourches, lui tient lieu de pupitre. A droite, un grand lévrier gris la regarde: il gratte avec sa patte la jupe de sa maîtresse pour attirer son attention. A gauche, un mouton blanc, vu de face.
Pour illustrer l’épître d’Ariane à Thésée, notre miniaturiste a également cherché à composer un véritable petit tableau . La scène se passe au bord de la mer. Ariane debout remet â un batelier, agenouillé dans sa barque, la lettre qu’elle vient d’écrire. Elle pleure, et, de la main gauche, appuie son mouchoir contre sa joue. Son costume est très simple elle porte une robe unie, de couleur violette, dont elle a relevé la jupe qu’elle serre sous son bras droit. Sa seconde jupe est rouge, avec de petites fleur dorées. Ses longs cheveux d’un blond ardent, séparés par une raie sur le sommet de la tête, tombent en désordre sur ses épaules. L’infortunée Ariane a un air à la fois triste et résigné, qui la rend particulièrement touchante, et contraste avec l’expression de bestialité féroce du messager. Ces deux personnages, placés tout à fait au premier plan et vus seulement jusqu’à mi-jambes, se détachent nettement sur un fond de paysage d’un ton très doux: à gauche, un promontoire rocheux avec quelques arbres, à droite, une île avec un grand château-fort. Sur la mer, dont les vagues s’allongent en lignes bien parallèles, on aperçoit un navire et des cygnes noirs.
Nous retrouvons les même qualités de coloriste, mais à un degré moindre, dans la miniature qui accompagne l’épître de Pâris à Hélène. Pâris, placé de trois quarts à gauche, est assis devant une petite table, la tête inclinée. De la main droite il tient sa plume et de la main gauche son grattoir; son écritoire est placée sous la table à côté de lui. Par dessus son pourpoint noir et blanc, noué de rubans verts, il porte un grand manteau brun, brodé d’or et doublé d’hermine. A son cou est passée une grosse chaîne d’or. Une abondante chevelure brune encadre le visage entièrement rasé; la tête est couverte d’un bonnet carré en drap rouge. Le fond est formé par une tenture noire à dessins bleus. Tous ces tons, un peu éteints, s’harmonisent d’une manière remarquable, et donnent à la miniature un charme un peu doux, que n’arrive pas à détruire le dessin trop accusé et maladroit de la figure et des mains.
François Avril note également que “les illustrations de Robinet Testard surprennent par leur format monumental qui marque une rupture avec ce qu’il avait peint jusqu’alors. L’exécution est sèche et graphique, comme toujours chez Testard, mais les visages, trop grands par rapport au reste du corps, et très soigneusement modelés, dénotent une certaine recherche d’individualisation et semblent d’authentiques portraits. C’est le cas de la Laodamie du folio 71v, dans laquelle Maulde La Clavière proposait de reconnaître Louise de Savoie elle-même. (…)
Si tout effet de dramatisation est en général évité, Testard n’en parvient pas moins à susciter parfois l’émotion par le seul jeu des lignes et de la couleur, ainsi dans la très expressive et tragique figure de Canace, fille d’Eole, tachant de son sang, la lettre d’adieu qu’elle écrit à Macaire, son frère incestueux (folio 58v)“.
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[i] “LES MANUSCRITS A MINIATURES DES HÉROÎDES D’OVIDE, TRADUITES PAR STGELAIS ET UN GRAND MINIATURISTE FRANÇAIS DU XVP. SIÈCLE” par Paul Durrieu et JEAN J. MARQUET DE VASSELOT.
[ii] François Avril et Nicole Reynaud “Les manuscrits à peintures en France 1440-1520“, Flammarion Bibliothèque Nationale 1993.
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