L’Université de Paris s’est tout d’abord définie comme un regroupement des professeurs des collèges et des facultés de la ville de Paris, organisés en « nations ». Les études nécessitaient un premier cursus de quatre à six ans pour devenir Maître es-Arts et un second, beaucoup plus long, de neuf ans pour devenir docteur en médecine et de seize ans pour devenir docteur en théologie, la discipline reine. Il n’y avait pas un seul lieu d’enseignement mais autant de lieux que de collèges, pour ce qui concerne la faculté des Arts.
Histoire de l’Université de Paris
Au début du douzième siècle, il y avait à Paris quatre écoles : celle de Saint-Germain-des-Prés, celle de Saint-Germain l’Auxerrois, celle de Sainte Geneviève et celle de la Cathédrale que l’on nommait « Scola Parisiensis ». Pour faire face au nombre croissant d’étudiants, le chapitre de la cathédrale fut dans l’obligation de créer un deuxième établissement à l’église Saint-Julien-le-Pauvre et en 1147, un nouveau collège vit le jour : celui de Dace ou de Danemark, fondé, pour les étudiants de cette nation, rue de la Montagne Sainte-Geneviève[i].
Ethiques d’après Aristote : présentation des enfants par leurs parents à leur professeur n° d’inventaire Ms 278-folio183recto Fonds Miniatures et Enluminures Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda Chantilly, musée Condé
Sous Philippe-Auguste plusieurs collèges furent fondés : celui de Saint-Thomas du Louvre, établi par Robert de Dreux, quatrième fils de Louis-le-gros, celui des Bons-Enfants, fondé en 1208 par un bourgeois de Paris nommé Etienne Belot, celui de Notre Dame des dix-huit, fondé sur l’emplacement actuel du jardin de la Sorbonne et enfin, celui de Constantinople ou collège grec, fondé dans l’impasse d’Amboise près de la place Maubert.
Très rapidement, les collèges de Paris s’organisèrent en nations [ii] de France, d’Angleterre, de Normandie et de Picardie et se dotèrent, en 1203, d’un chef unique, un syndic ou procureur élu pour six semaines, chargé de les représenter, qui deviendra ultérieurement le recteur, généralement issu de la faculté des Arts. Cette élection ne deviendra régulière qu’à l’imitation de l’Université de Bologne, vers 1230. Il s’agissait d’une élection, à la bougie, réalisée auprès d’électeurs choisis dans les quatre nations. Ce recteur de l’Université, véritable Etat dans l’Etat, disposera d’immenses privilèges de forme puisque, dans les actes publics de l’Université, le nom du recteur précède les noms des princes, du légat du Pape, des cardinaux et des Pairs de France.
A l’origine de la fédération des collèges de Paris, il y a la volonté des Maîtres, comme le souligne C.Beaune [iii] cité par R.Barbier : « Paris est une université (à la différence de Bologne), où les maîtres fédèrent toutes leurs écoles et négocient avec le pouvoir. Les écoliers les ont rejoints plus tard. Très nombreux mais très jeunes ils ne font pas le poids. Le pouvoir, dans les assemblées universitaires, leur échappe. Seuls les professeurs fournissent les doyens et les recteurs. »
A l’occasion d’une échauffourée, une rixe comme il s’en produisait fréquemment, mais qui provoqua la mort de cinq clercs écoliers, l’Université fut reconnue par le roi Philippe-Auguste, comme dotée d’une identité intrinsèque.
Un gentilhomme allemand était écolier à Paris : il envoya son serviteur, chercher du vin à l’auberge. Ce serviteur y fut maltraité. Les compagnons du serviteur allèrent châtier le coupable qu’ils laissèrent à demi-mort. La population, outrée, courut chercher le Prévôt de Paris qui tua les coupables, mais également le gentilhomme allemand.
Craignant que cet incident ne jette une ombre sur la réputation de l’Ecole de Paris, alors en pleine expansion, le roi Philippe Auguste, publia en 1200 [iv], à Béthisy, une ordonnance, organisant le statut privilégié des écoliers de Paris : dorénavant, ni le prévôt, ni aucun officier du roi n’aurait autorité de justice sur la « communauté » ou « corporation » des écoliers et des Maîtres qui devraient relever exclusivement de l’Official de Paris (tribunal de l’Evêque) de même que le chef des Ecoles (le recteur). Par extension, l’Official de Paris fut désigné responsable de toutes les affaires relatives aux personnels travaillant pour les écoliers et pour les chanoines de Notre Dame. Cette ordonnance attribue le « for ecclésiastique » à tous les écoliers et maîtres et elle définit le statut des clercs qui sont exemptés de taxes et de service militaire.
Cette ordonnance ne faisait qu’entériner, du reste, une bulle papale de Célestin III (1191-1198), en 1194, qui décréta que les clercs ne seraient jugés que par le droit canon et les tribunaux ecclésiastiques du lieu où ils étudieraient.
Dès 1208, les premiers statuts de l’Université sont rédigés comportant des dispositions sur les vêtements, sur l’ordre des leçons. Ces statuts sont complétés en 1215 par le légat du Pape, un anglais, Robert de Courçon, qui avait fait ses études à Paris et à Oxford et qui reconnaît l’existence de l’Université au nom du pape Innocent III (1198-1216) : il ordonna l’étude de la grammaire de Priscien et de la dialectique d’Aristote par la faculté des Arts. Les bacheliers ne purent obtenir le titre de Maîtres qu’après avoir professé pendant quelque temps. Les vêtements font l’objet d’un article spécial, prescrivant la modestie des tenues.
Au treizième siècle, la corporation formée par les écoles parisiennes était appelée « studium generale ». Ce n’est qu’en 1231 qu’apparut pour la première fois le terme « Universitas » pour désigner collectivement l’ensemble formé par les étudiants et par les Maîtres. Le terme “Universitas” est utilisé pour la première fois pour les écoles de Paris, dans la bulle “Parens scientiarum universitas“, du pape Grégoire IX (1227-1241) qui avait fait ses études à Paris : ce dernier reconnaît l’existence de l’Université de Paris et les mesures prises par Robert de Courçon. Il entérine les décisions précédentes prises par les rois de France et confirme l’autorité de l’Evêque de Paris sur l’Université.
Registre sur parchemin (43 ff.) contenant les statuts et conventions particulières de de la faculté de théologie de l’Université de Paris, copiés à la fin des années 1530. Base ARCHIM Les collections du Musée des Archives nationales — AE/II/581 – Cote MM247
Cette bulle vint régler une grave affaire survenue entre 1229 et 1231, pendant laquelle, pour la première et la dernière fois de son histoire, l’Université déserta Paris pendant deux ans.
Une rixe anodine ayant éclaté avec des écoliers qui refusaient de payer leur note de vins, les voisins du cabaretier infligèrent une correction aux débiteurs, lesquels revinrent en force avec leurs amis, détruisirent les biens du cabaretier et molestèrent tous ceux qui se trouvaient là. Une plainte fut adressée à l’Evêque qui jugea que la nature de l’infraction nécessitait le recours à la reine, Marguerite de Provence, l’épouse de Louis IX. Celle-ci alla un peu vite en besogne et invita le prévôt de Paris à se saisir des coupables.
Aussitôt l’Université fit bloc et vint voir la reine pour réclamer justice pour l’Université. Ils n’obtinrent pas tout ce qu’ils réclamèrent et ils décidèrent alors de cesser immédiatement leurs enseignements et de quitter la ville qui fut désertée pendant deux ans. Cet incident de simple police eut des rebondissements extra-nationaux puisque le roi Henri III d’Angleterre écrivit personnellement au représentant de l’Université pour le conjurer de reprendre les enseignements.
Pour clôturer la crise, une bulle du Pape Grégoire IX vint reconnaître officiellement, en 1231, l’existence de l’Université de Paris, placée sous l’autorité de l’Eglise.
L’université acquiert d’immenses privilèges
Jugés par les tribunaux ecclésiastiques de Paris, les étudiants devaient aller à Rome en pèlerinage pour y obtenir leur grâce. Afin d’éviter les trop nombreux débordements liés à ces pèlerinages, les papes confièrent leur droit d’absolution aux abbés de Saint Victor à Paris[v].
Pour loger les nombreux étudiants expédiés à Paris par les monastères et les diocèses de province, les papes Nicolas III (1277-1290) et Boniface VIII (1294-1303) autorisèrent l’Université de Paris à acquérir des maisons dans la ville et les faubourgs, qui furent à l’origine d’autant de nouveaux collèges, comme celui de Pierre Sorbon, chapelain et confesseur du roi saint Louis, qui deviendra la Sorbonne.
Bulle du pape Clément IV approuvant la fondation de la Sorbonne et règlementant l’élection du proviseur.Acte en latin donné à Viterbe, le 23 mars 1268 Cote document AE/II/1814 L262/pièce 109 Base ARCHIM
L’enseignement du droit civil commença à Paris au début du douzième siècle mais, sur une plainte adressée par Bernard de Clairvaux (le futur saint Bernard 1090-1153), le pape Alexandre III (1159-1181) défendit aux moines d’étudier le droit et la médecine (on disait alors « la physique »).
Enfin, Honorius III (1216-1227) défendit, par une bulle de 1220, d’enseigner le droit civil à Paris, une interdiction qui subsistera jusqu’à ce que Louis XIV parvienne, avec difficulté, à la faire lever.
Au début de son histoire, l’Université se servit du sceau de l’Evêque de Paris pour sceller ses actes. En 1243, le Pape Innocent IV (1243-1254) accepta que l’Université se dote de son propre sceau portant l’inscription « Universitatis magistorum et scolarium parisiensium ».
Au début de chaque nouveau règne de roi accédant au trône, ce dernier jurait de préserver intacts les privilèges de l’Université et celle-ci savait, au besoin, rappeler au souverain ses obligations.
Ainsi, en 1304, sous le règne de Philippe IV le Bel, un clerc ayant commis un acte répréhensible, soit qu’il ait commis un assassinat soit qu’il ait parlé trop haut de personnes trop hautes, fut appréhendé par les sergents du prévôt Jumel de Paris et pendu sur le champ malgré sa qualité d’ecclésiastique.
Aussitôt, le recteur de l’Université ordonna la fermeture des classes dans tous les collèges et les facultés et l’official de Paris, secondant l’Université, ordonna sous peine d’ex-communion, à tous les membres du clergé de la capitale, maîtres et élèves, de se réunir à l’église de Saint-Barthélémy.
Ils se rendirent de là à la demeure du Prévôt dont ils firent le siège, en prononçant à l’envi des anathèmes tous plus violents les uns que les autres, que le peuple reprenait en chœur. Le roi Philippe IV le Bel dut fonder deux chapelles en expiation de l’injure du prévôt qui fut immédiatement destitué de sa charge.
Ainsi, en moins de cent ans, l’autorité de l’Université était devenue telle qu’elle pouvait faire reculer l’arbitraire royal. Il convient toutefois de préciser que Philippe IV le bel se préparait à un coup d’Etat contre les templiers. Il savait qu’il allait s’opposer frontalement au Pape et il avait besoin du soutien de l’Université : il avait donc pris la décision, en 1297, d’exonérer les membres de l’Université du droit de péage dans tout le royaume, un privilège énorme, surtout que les clercs de l’Université étaient déjà déchargés de toute obligation militaire.
Lorsque le roi Philippe Le Long fit approuver par ses barons le principe de la loi salique, pour la détermination des règles de succession au trône, il consulta également l’Université, qui fut dès lors, associée à toutes les grandes décisions du royaume, bien qu’elle n’en ait jamais reçu officiellement l’investiture.
L’université était dotée d’un tel prestige qu’elle pouvait même en imposer par rapport au Pape. Ainsi le Pape Jean XXII ayant dit un jour dans un sermon que les Saints ne jouiraient de la vue de Dieu que le jour de la fin du monde, le roi de France consulta l’Université sur ce point. Les très savants docteurs de la faculté de Théologie déclarèrent que les saints voyaient Dieu face à face et ils obligèrent le Pape à se rétracter.
Benoît XII (1334-1342) autorisa les docteurs de l’Université, à porter un chaperon rouge et il ordonna que les élèves les plus prometteurs de chaque monastère, fussent envoyés à Paris pour y suivre des études.
Réunion de docteurs de l’Université Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528 Bibliothèque nationale de France, Miniature 27v Département des manuscrits, Français 1537
Après la défaite de Poitiers en 1356, et la captivité du roi Jean II le Bon en Angleterre, l’Université resta fidèle au roi de France qui, à son retour de Londres, confirma l’exemption de l’Université, de tout subside et impôt.
Honorius IV (1288-1292) voulut créer une chaire d’arabe, une initiative qui eut peu de succès. L’initiative réussit davantage avec Clément V (1305-1314) qui établit dans les Universités de Paris, Oxford et Bologne, des professeurs d’arabe, d’hébreux, de grec ancien et de chaldéen.
La Bibliothèque – Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528 Bibliothèque nationale de France, Miniature 80r Département des manuscrits, Français 1537
A partir de 1338, les fonctions de doyens de chaque faculté, auparavant données à des maîtres choisis, devinrent électives. L’année suivante, les maîtres des Arts des quatre nations de France décidèrent qu’ils paraîtraient dorénavant aux disputes et assemblées publiques, avec chapeau et épitoge fourrée. On supprima enfin le droit de béjaune, une cotisation forcée exigée des nouveaux entrants à l’Université.
Le roi Charles V avait un très grand respect pour le savoir et il déclara l’Université, “la fille aînée du royaume“. En 1366, Charles V accorda une nouvelle faveur à l’Université, celle d’acheter le vin, sur présentation de son sceau, sans payer la taxe.
Le roi Charles V prit l’habitude de consulter l’Université sur chacune des grandes décisions du royaume. Il recourait du reste fréquemment aux compétences des grands esprits de l’Université, chargés de missions de confiance ou diplomatiques par le souverain. Ainsi, au moment du grand schisme, l’Université, consultée par le roi répondit, malgré l’opposition des nations de Picardie et d’Angleterre, qu’elle reconnaissait le pape d’Avignon, Clément VII, une décision très politique.
Au début du quatorzième siècle, l’Université occupait toute la montagne Sainte-Geneviève, le faubourg Saint-Germain et le quartier Latin. La rue du Fouarre était spécialement destinée aux étudiants de la faculté des Arts. A la fin du règne de Charles V, les collèges étaient devenus si nombreux que l’on comptait dans les assemblées des Arts, plus de dix mille suffrages.
Le Pape Innocent VI décida de réformer l’Université en 1366. Les professeurs reçurent l’ordre de donner leurs cours oralement, on défendit, par souci d’humilité, aux élèves, d’être assis sur des bancs et ils durent s’asseoir par terre. On fixa à seize ans la durée des cours de la faculté de Théologie, et à neuf ans celle des cours de Médecine pour obtenir le doctorat. Enfin, les classes durent commencer le matin à cinq heures du matin.
Pendant toute la période de troubles qui succédèrent à la folie de Charles VI, l’Université se comporta généralement en défense des intérêts gallicans face aux empiètements du Pape
Lors de l’occupation de Paris par les Anglais, consécutive au Traité de Troyes, l’Université se rangea aux côtés du Parlement au profit des Anglais et elle participa positivement au procès de Jeanne d’Arc en détachant au Procès à Rouen, six membres de la faculté de théologie.
Dès l’invention de l’imprimerie, le recteur Guillaume Fichet appela en 1470, trois imprimeurs allemands à s’installer à Paris, dans l’Université, pour réduire le prix des études pour les étudiants : il s’agissait de Ulrich Gering, de Constance et de Martin Krantz et Michel Friburger de Colmar.
L’Imprimerie Chants royaux sur la Conception, couronnés au puy de Rouen de 1519 à 1528 Bibliothèque nationale de France, Miniature 29v Dép. Manuscrits Français 1537
Lors de l’engagement par Louis XI de la réforme pour révoquer la pragmatique sanction, l’Université, qui défendait les libertés gallicanes, fit une violente opposition à Louis XI. Ce dernier déclara en 1467, à l’inverse des rois précédents depuis deux cents ans, que l’Université ne devait pas s’occuper des affaires d’Etat.
Louis XI, très soupçonneux des traîtres éventuels, fit expurger l’Université de ses dirigeants étrangers. En contrepartie, il confirma tous les privilèges de l’Université, fit ouvrir une nouvelle école de Médecine en 1472: on fit sous son règne, la première opération de la pierre [vi].
Enfin, l’Université s’opposa à François 1er, lors de l’enregistrement du Concordat de Bologne, par le Parlement, qui abolissait la pragmatique sanction. Le clergé déclara que l’église Gallicane, en concile pouvait seule, décider si la pragmatique sanction devait ou non être abolie. Après que François 1er eut contraint le Parlement à céder sur cette question (voir l’article sur ce Blog sur l’enregistrement du concordat de Bologne), l’Université convoqua une assemblée générale de ses membres le 27 mars 1518 : on décida d’appeler du Concordat signé avec le Pape au futur Concile, au pape futur et au Parlement, de défendre aux libraires, d’imprimer ou de vendre le Concordat sous peine d’y perdre leur état, et enfin de prier l’Archevêque de Lyon, Primat des Gaules, de convoquer un concile. Le Procès-verbal de cette décision fut affiché le même jour dans toute la ville.
François 1er fit alors marcher la troupe sur l’Université. Les principaux meneurs furent arrêtés (on les libéra quelques mois plus tard) et l’Université dut plier comme l’avait fait le Parlement.
L’organisation de l’Université
L’université de Paris au Moyen Age [vii] était composée de quatre facultés. La faculté des Arts tout d’abord, a un caractère préparatoire aux trois autres facultés : on y enseigne les disciplines du trivium c’est-à-dire les “arts de la parole” et qui se composent de la grammaire, de la rhétorique et de la logique ou dialectique et les disciplines du quadrivium, soit l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie. Les trois autres facultés concernent les études supérieures de Théologie, de Droit canon et de Médecine, après l’obtention de la Maîtrise-es-Arts.
Discours adressé au nom de l’Université de Paris à Mary d’Angleterre, reine de France en 1514 par maître « MAY DU BREUL », docteur en théologie Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 5104
La philosophie y prenait la forme de la dialectique, centrée sur l’argumentation. Par le terme « musique » il fallait comprendre une sorte de métaphysique de la musique. Il s’agissait d’enseigner les rapports de la musique avec l’arithmétique, l’harmonie des astres et les lois de l’acoustique.
L’université de Paris ne dispose pas d’un unique bâtiment et les locaux de la faculté des Arts (en réalité une fédération des écoles d’arts) sont des maisons situées pour la plupart sur la rive gauche, appartenant soit à la faculté, soit aux maîtres eux-mêmes, à moins qu’elles ne soient louées.
L’université, comprise comme la corporation des Ecoles d’Arts et des collèges était ouverte aux enfants qui pouvaient obtenir le grade de bachelier à partir de l’âge de quatorze ans : ils devaient nécessairement y être entrés beaucoup plus jeunes pour prétendre en sortir à cet âge minimum.
Pour Paris, on compte 120 écoles d’arts comme les collèges de Navarre et du Cardinal Lemoine. Concrètement, les universités ne regroupent pas toutes l’ensemble des facultés, et souvent l’organisation est moins rigoureuse que les statuts ne le laissent supposer. De plus, des rivalités existent entre facultés, et la faculté des Arts (bien que disposant généralement de beaucoup plus d’étudiants et dispensant les savoirs académiques élémentaires) ne parvient pas toujours à s’imposer face au prestige de ses consœurs.
Liber ethicorum (Henricus de Alemania, XIVe) Site F Desouche Histoire
Il y avait alors dans l’Université comprise comme la corporation des écoles de la capitale, plusieurs centaines de maîtres et sans doute plusieurs milliers d’élèves. Le recrutement des maîtres était international avec un grand nombre de prêtres anglais notamment [viii].
Déroulement des études et diplômes
Avant la création de l’Université, il était ouvert à quiconque d’enseigner. Néanmoins, la création d’un corps de Maîtres nécessita de mieux définir les critères d’accès à ce corps. Les chanceliers de Notre Dame et de Sainte-Geneviève exigèrent bientôt une « licence » accordée par le Maître des Ecoles, c’est-à-dire une investiture accordée par le chancelier de l’Ecole sur le territoire de laquelle on souhaitait enseigner. Un grand nombre de collèges se situèrent sur les territoires respectifs de ces deux chancelleries.
Seuls les deux chanceliers ci-dessus eurent le droit de délivrer cette licence. Ils n’avaient, du reste, pas le droit de refuser cette licence aux personnes qui en étaient capables et qui avaient rempli les formalités exigées, c’est-à-dire ceux qui avaient été reçus « bacheliers » et qui avaient exercé pendant quelques années des fonctions d’enseignement. Pour être reçu bachelier, un grade intermédiaire entre l’Ecolier et le Maître, il fallait passer par une cérémonie de remise du grade, suivie d’un repas.
Beaune précise, toujours d’après le document de R.Barbier, que l’année universitaire est divisée en deux périodes. Du mois d’août chez les Artiens (du mois de septembre pour les facultés supérieures) jusqu’à la fin juin, a lieu un enseignement intensif dit “ Grand ordinaire ”. Un “ Petit ordinaire ”, répétitions faites par des bacheliers remplaçant l’enseignement magistral, a lieu de mi-septembre à mi-octobre. Mais cette année universitaire est aussi interrompue par 80 jours de fête, par les jours de procession et d’obsèques des maîtres, ainsi que par une centaine de jours consacrés à des enseignements non obligatoires. Ce qui laisse environ 150 jours d’enseignement universitaire proprement dit, dont la matinée est réservée aux enseignements des maîtres (dits “ ordinaires ”) d’une durée de deux ou trois heures, l’après-midi voyant se dérouler des répétitions et exercices assurés par les bacheliers (enseignements dits “ extraordinaires ”).
Registre des notaires. Cours de droit à l’université. Cote cliché 01-015123 Crédit Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz Italie, Bologne, Museo civico medievale
Chaque étudiant arrivant dans une ville universitaire doit s’inscrire auprès d’un maître qu’il a choisi et qui l’immatricule. Il n’y a pas d’examen d’entrée, le maître décide si l’étudiant a ou non le niveau minimal requis.
Le niveau d’entrée requis des étudiants à la faculté des Arts est probablement au minimum de connaître l’écriture et la lecture. Sans doute le futur étudiant devait-il aussi connaître au moins des rudiments de latin. Le nouveau venu s’engage à suivre l’enseignement de son maître et celui-ci est responsable de ses étudiants, tant moralement que juridiquement, et il en loge parfois quelques-uns. Demeurant en ces débuts de l’université, très autonomes à l’intérieur de leurs écoles, les maîtres ont généralement trois bacheliers et un licencié nouveaux par an.
Durant ses années d’études, l’étudiant est tout d’abord un simple élève, puis, devenant candidat à la maîtrise tout en continuant à suivre les leçons du maître, il commencera à enseigner lui-même. Plus précisément, après être entré à la faculté des Arts vers 14 ans, il atteint normalement après quatre ans et demi d’études le niveau du baccalauréat ès arts.
“Lorsque le temps en est venu, le maître lui fait passer au moment de Noël un premier examen (la responsio) permettant de vérifier les connaissances acquises. Si le bilan est satisfaisant, il passe au début du Carême qui suit un nouvel examen (la determinatio) devant un jury, et il doit quelques jours plus tard soutenir une dispute publique à l’issue de laquelle il obtient le baccalauréat.
Docteur de l’Université en 1586 Bibliothèque nationale de France, Bouchot, 1094 Collectionneur : Roger de Gaignières (1642-1715) BNF
Cette déterminatio, étape importante dans le parcours de l’étudiant, signifie son aptitude à s’engager dans une nouvelle phase académique, et une cérémonie, l’inceptio, vient marquer l’événement. Toujours à la faculté des Arts, notre bachelier suit ensuite de un à trois ans d’études pour obtenir la licence. A Paris, l’examen de licence (ayant lieu au printemps) se déroule devant un jury composé de maîtres et d’un représentant du chancelier de Notre-Dame (ou du chancelier lui-même)
Interrogé oralement sur divers textes, l’étudiant doit donner l’assurance et jurer qu’il a bien étudié les livres inscrits au programme, qu’il a assisté aux disputes prévues. De son côté, le maître le présente au jury, et garantit sa bonne conduite.
Six mois après cet examen de licence, le détenteur de la licence effectue une nouvelle inceptio de maîtrise (supérieure à celle du baccalauréat), qui prend la forme d’une leçon inaugurale devant le chancelier et un jury de six maîtres. Par cette leçon inaugurale, l’étudiant devient potentiellement maître ès arts à son tour, cette cérémonie rituelle (plutôt qu’examen véritable, celui-ci ayant eu lieu en passant la licence) constituant le premier acte solennel et professionnel du futur membre de la corporation des maîtres. Le grade de maîtrise constitue le premier but idéalisé de l’étudiant, qui a maintenant environ vingt ans, et ses études à la faculté des Arts ont duré en moyenne de quatre ans et demi à six ans et demi.
Mais pour ceux renonçant à exercer leur nouvelle compétence de maîtres à la faculté des Arts, la maîtrise ouvre l’accès aux facultés supérieures délivrant chacune des diplômes de bachelier, licencié et docteur. Dans la plus prestigieuse de ces facultés, celle de Théologie, les étudiants – obligatoirement maîtres ès arts – sont bien sûr nettement plus âgés que ceux de la faculté des Arts, ils ont en moyenne entre 20 et 35 ans. Le maître ès arts voulant devenir bachelier en théologie doit suivre un enseignement beaucoup plus long : sept ans d’audition de cours sont nécessaires, après quoi il devient sententiaire pendant une année, qui est suivie de quatre ans durant lesquels il participe en tant que bachelier à des disputes et collations. Son Maître le présente alors au Chancelier pour l’examen de licence maîtrise, une commission ayant déjà examiné les capacités du candidat, sa moralité et le respect de la durée prévue des études.
Les études dans les facultés supérieures de Droit et de Médecine se déroulaient vraisemblablement à partir de 20 ans et en neuf ans après la maîtrise ès arts pour obtenir le doctorat à la faculté de Médecine) la cérémonie d’examen et d’intronisation (inceptio là aussi) parmi les docteurs dure deux jours.
Le premier jour, après que son maître ait fait son éloge, l’étudiant soutient une première dispute devant un jury, puis il reçoit les insignes de docteur (bonnet, anneau d’or, livre ouvert). Le second jour, soutenance d’une nouvelle dispute en présence de nouveaux maîtres, suivie le soir d’une déterminatio publique. Enfin arrivent des festivités souvent très coûteuses, et un banquet est offert à tous les nouveaux collègues Ces festivités étaient prescrites (et limitées dans leurs débordements possibles) par les statuts universitaires : “ Les examens étaient en effet assortis de cadeaux, de réjouissances et banquets – aux frais du nouveau gradé – qui scellaient la communion spirituelle du groupe et l’admission du nouveau en son sein”.
Comme les beuveries, les potaciones des premières guildes, ces manifestations étaient le rite où la corporation prenait conscience de sa solidarité profonde. La tribu intellectuelle se révélait à ces jeux où chaque pays apportait parfois sa note traditionnelle : bals en Italie, courses de taureaux en Espagne, etc…” (extrait de la séquence V du cours de René Barbier).
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[i] Histoire de l’Université de Paris Par Charles Richomme 1840 –
[ii] Dont l’existence paraît attestée dès 1169 car Henri II dans sa querelle avec Thomas Becket, archevêque de Cantorbery, aurait proposé de prendre pour arbitres la cour des pairs de France (le futur Parlement de Paris) ou les suppôts des diverses provinces de l’Ecole de Paris. Histoire de l’Université par Eugène Dubarle Didot Frères 1844.
[iii] C. Beaune 1999 – Education et Cultures. Du XIIème au milieu du XVème siècle. Ed.Sedes. Toutes les informations sur le cursus des élèves et le déroulement des études sont extraites de la séquence V du remarquable cours de René Barbier de l’Université de Paris VIII
[iv] Les rois successifs confirmèrent cette ordonnance et dotèrent les étudiants de privilèges importants notamment le plafonnement des prix de leurs logements. Ces privilèges firent des étudiants une « république turbulente et indisciplinée » à laquelle on dut interdire, en 1218, le port des armes.
[v] Il s’agissait d’une abbaye de moines suivant la règle de Saint Augustin, très renommée au douzième siècle, fréquentée notamment par Bernard de Clairvaux et Thomas Becket, dont le cloître était le lieu d’animation d’une école de théologie et des arts libéraux.
[vi] Opération de lithotomie.
[vii] Cours e-learning de René Barbier, Professeur à Paris VIII dont le blog rappelle toutes les publications. Les très intéressantes séquences 1 à 5 de ce cours présentent un panorama des études scolaires et universitaires depuis l’époque romaine jusqu’au moyen-âge.
[viii] Voir à ce sujet l’excellent article de la grande spécialiste de l’Université au moyen-âge, Nathalie Gorochov, dans l’article « Les maîtres parisiens et la genèse de l’Université (1200-1231) » sur le site du Centre de Recherches Médiévales et Humanistes
[…] Le Pape est pour la Chrétienté une autorité spirituelle qui détient un contrôle hiérarchique et financier sur les ecclésiastiques de tous les pays chrétiens. En ce sens, le Pape s’ingère dans la politique des Etats à travers les dignitaires religieux qui, dans chaque pays, exercent un réel pouvoir. D’autant plus que les clefs du savoir sont, jusqu’à la Renaissance, exclusivement détenues par l’Eglise.Les hauts dignitaires des administrations royales sont souvent des clercs ou des dignitaires ecclésiastiques. L’université de Paris est sous le contrôle de l’Evêque de Paris et ses programmes régentée par le Pape (voir l’article sur ce Blog L’Université de Paris : un corps de maîtres jaloux de ses privilèges). […]