
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 39v, Reine de Saba BNF
Il s’agit du quarante-et-unième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici pour la seconde fois la Bible, avec la légende de la reine de Saba, un récit que l’auteur emprunte peut-être aux Antiquités Judaïques de Flavius Josephe, qui raconte ainsi le voyage de Nicaula auprès de Salomon[i] :
« Et en effet, comme, après l’extinction de ces rois, une femme monta sur le trône, il nous dit son nom, à savoir Nicaulis, montrant bien que si les rois mâles pouvaient porter le même nom, il n’en était plus de même pour la femme : c’est pourquoi il nous a indiqué son nom propre. De mon côté, j’ai trouvé aussi dans les livres de notre pays qu’après Pharaon, beau-père de Salomon, aucun roi d’Égypte ne fut plus appelé de ce nom, et que plus tard Salomon reçut la visite de la femme en question, reine d’Égypte et d’Éthiopie. Mais nous aurons bientôt à nous occuper d’elle. (…)
« La femme qui gouvernait en ce temps-là l’Égypte et l’Éthiopie était d’une sagesse accomplie et, à tous égards, digne d’admiration ; ayant oui parler du mérite et de l’intelligence de Salomon, elle conçut un si vif désir de le voir, d’après tout ce qu’on racontait journellement au sujet de son pays, qu’elle se rendit auprès de lui.
« Elle voulait, disait-elle, se convaincre par l’expérience et non sur la renommée, qui, par sa nature, peut être complaisante à une fausse apparence et se démentir ensuite, puisqu’elle dépend entièrement de la qualité des informateurs. Tel fut le motif de son voyage, mais elle voulut surtout faire l’épreuve de la sagesse du roi en lui proposant à résoudre des difficultés qui passaient son propre entendement.
« Elle s’en vint donc à Jérusalem en grande pompe et avec un grand déploiement de richesse. Elle emmenait des chameaux chargés d’or, de parfums variés et de pierres précieuses. Quand elle fut arrivée, le roi la reçut avec joie. Il se montra fort empressé en toute chose à son égard et, en particulier, résolut les problèmes proposés plus vite qu’on n’eût pu s’y attendre, grâce à la vive pénétration de son esprit.
« La reine fut stupéfaite, reconnaissant l’extraordinaire sagesse de Salomon, dont la réalité dépassait encore la réputation. Elle admira aussi infiniment la demeure royale pour sa beauté et sa grandeur ainsi que pour la disposition des édifices, où elle put constater toute la prudence du roi.
Mais ce qui porta son admiration à son comble, ce fut la maison appelée Forêt du Liban, la magnificence des repas quotidiens, les apprêts, le service, le vêtement des serviteurs, l’élégance savante qu’ils déployaient dans leurs fonctions ; elle n’admira pas moins les sacrifices quotidiens offerts à Dieu et les soins qu’y apportaient les prêtres et les Lévites.
« Ce spectacle, renouvelé chaque jour, l’émerveillait à l’extrême, et, ne pouvant contenir sa surprise, elle manifestait ses sentiments d’admiration en adressant au roi des paroles qui trahissaient son émotion : « En vérité, dit-elle, ô roi, tout ce qui vient à notre connaissance par oui-dire, nous le recevons avec méfiance ; mais pour ces biens que tu possèdes en toi-même, je veux dire la sagesse et la prudence, et ceux que la royauté t’a conférés, la renommée qui nous en est parvenue n’était certes pas mensongère. Que dis-je ? Si vraie fût-elle, elle nous a dépeint une félicité bien inférieure à celle dont je suis ici témoin.
« En effet, la renommée n’essayait que de persuader les oreilles, mais elle ne renseignait pas sur la valeur des choses autant que le font l’observation directe et la vision personnelle. C’est ainsi que moi, qui n’ajoutais pas foi à ces rapports qui me décrivaient tant de choses et si grandes, je viens d’en contempler de bien plus considérables. Et j’estime heureux le peuple des Hébreux, ainsi que tes serviteurs et tes amis, qui ont la joie tous les jours de servir ta personne et d’entendre ta sagesse.
« Aussi peut-on à bon droit bénir Dieu, qui a tant aimé ce pays et ses habitants qu’il t’en a fait roi.
« Lorsqu’elle eut ainsi témoigné par ses paroles les sentiments que lui avait inspirés le roi, elle acheva de les exprimer par ses présents. Elle lui donna, en effet, vingt talents d’or, une quantité inimaginable d’aromates et des pierres très précieuses. On dit aussi que la racine du baume, que notre contrée produit encore aujourd’hui, nous vient d’un présent de cette femme.
« A son tour, Salomon lui fit beaucoup de présents de valeur, en se conformant surtout à ses désirs : non seulement il ne lui refusait rien, mais, plus prompt qu’elle, il allait au-devant de ses intimes désirs et montrait sa générosité en s’empressant de lui céder justement ce qu’elle ambitionnait. Avant ainsi donné et reçu ces présents, le reine d’Égypte et d’Éthiopie revint dans ses États« .
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[i] ANTIQUITES JUDAÏQUES de Flavius Josephe texte numérisé et mis en page par François-Dominique FOURNIER.
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