Philibert de Chalon, prince d’Orange va servir toute sa courte vie, inconditionnellement, l’empereur Charles Quint dont il va devenir le plus haut représentant en Italie. D’une bravoure extrême, d’un esprit chevaleresque, il se montre un chef de guerre prudent et hardi. Stratège tout autant que tacticien, modéré dans la victoire autant que tenace face à l’adversité, il va réaliser l’impensable: pacifier une Italie déchirée par des luttes féodales fratricides.
Lorsque Jean IV de Chalon meurt en 1502, les Chalon d’Arlay sont une très ancienne famille issue d’une branche cadette des comtes de Bourgogne, alliée aux plus grandes familles européennes. Il est le cousin germain d’Anne de Bretagne par sa mère, Catherine de Bretagne, sœur du duc François II.
La première épouse de son père est Jeanne de Bourbon, fille de Charles 1er de Bourbon, l’un des personnages les plus influents en France.
Sa seconde épouse, Philiberte de Luxembourg, est la petite fille de Louis de Luxembourg, comte de Saint Pol et connétable de France, exécuté pour trahison par Louis XI en 1475. Ce dernier est lui-même le petit-fils de Pierre 1er de Luxembourg, dont la fille, Jacqueline, a épousé Jean de Lancastre, duc de Bedford. Par Elisabeth Woodville, leur fille, les Luxembourg sont alliés aux rois d’Angleterre Edouard IV puis Edouard V Plantagenêt, aux comtes de Kent, de Pembroke, et aux ducs de Buckingham.
Les oncles, tantes et cousins de Philiberte se sont alliés aux plus grandes familles flamandes ou wallonnes : les Salm, les Croï, les Egmont, de Hornes, les ducs de Clèves, de Savoie et de Gueldre.
Jean IV de Chalon est lui-même prince souverain d’Orange, un ancien comté du Royaume de Bourgogne échu à Lothaire, un des fils de Charlemagne. Le royaume de Provence a été intégré au saint Empire Romain Germanique et le comté d’Orange, passé sous le contrôle de la famille des Baux en 1173 est érigé en principauté, par l’empereur Frédéric 1er Barberousse. En 1388, le mariage de Marie des Baux, fille unique du dernier prince d’Orange, avec Jean de Chalon, seigneur d’Arlay, fait passer la principauté chez les Chalon-Arlay.
Philibert de Chalon[i] est né le 18 mars 1502, au château de Lons-le-Saunier, construit par Hugues de Chalon (1334-1392) sur l’emplacement de l’actuel hôtel de ville[ii]. Son père, Jean IV, vicomte de Besançon, est très malade : il va mourir trois semaines plus tard, entre le 6 et le 12 avril 1502.

Vesontio Braun, Georg (1541-1622) Civitates orbis terrarvm Library of Congress Geography and Map Division Washington, D.C.
A la mort de son père, la situation financière du jeune prince d’Orange, est embarrassée. Jean IV s’est montré piètre administrateur et il a financé ses guerres par l’emprunt. Philiberte de Luxembourg va défendre bec et ongles le patrimoine de son fils en lançant procès sur procès. Parallèlement, elle négocie avec Philippe le Beau, roi de Castille et comte de Bourgogne, la restitution des seigneuries de Chatelbelin et Orgelet, qui avaient été confisquées à Louis de Chalon. Elle vend régulièrement des actifs, ce qui lui permet, progressivement de racheter la quasi-totalité des créances qui grevaient le patrimoine de son fils.

Philippe1er « Le Beau » de Habsbourg Master of the Legend of the Magdalen Kunsthistorisches Museum Vienne
Ce dernier va vivre son enfance à Nozeroy (33 km au sud-ouest de Pontarlier), une résidence favorite des Chalon d’Arlay, que Louis le Bon (1388-1463) avait fait reconstruire, entre 1440 et 1450, au prix énorme de 100 000 livres. Dans cette résidence fastueuse, les Chalon avaient reçu le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire et son épouse et le dauphin de France, futur Louis XI.
La faveur dont bénéficiait son père, cousin germain d’Anne de Bretagne, auprès de Louis XII, se poursuit avec le fils. Le 20 septembre 1502, Louis XII nomme Philibert capitaine de la ville de Rennes, en remplacement de son père. En février 1507, Philiberte expédie sa fille Claude servir Anne de Bretagne en qualité de dame d’honneur.

Louis XII Jean Perréal Royal Collection Trust
Le roi Louis XII accumule des petits cadeaux qui ne lui coûtent pas grand-chose, pour essayer de détacher le prince d’Orange de l’Empereur, son suzerain naturel : ainsi des sels de Salins que la princesse est autorisée à exporter vers la Bourgogne, par lettres patentes du 17 juillet 1508, ou encore des lettres de naturalité, permettant à Philibert de posséder des biens en France.
Toujours soucieuse de restaurer la situation patrimoniale de son fils, la princesse joue habilement auprès de l’Empereur et obtient des avantages financiers significatifs. Conscients de l’importance des princes d’Orange parmi les grands vassaux de cette zone tampon entre la France et le Saint-Empire, les deux souverains font assaut d’amabilités, pour se concilier le jeune Philibert.
L’empereur Maximilien a un autre motif d’intérêt : par son mariage avec Marie de Bourgogne, la fille de Charles le Téméraire, il est devenu le neveu de Jean IV, le père de Philibert, qui avait épousé, en premières noces, Jeanne de Bourbon, la belle-sœur du duc de Bourgogne, par conséquent, la tante de Marie de Bourgogne. Philibert est donc un proche parent par alliance du roi d’Espagne et de son fils, Charles Quint.

Maximilien 1er Albrecht Dürer Kunsthistorisches Museum Vienne
Cette rivalité positive des deux princes les plus puissants de la chrétienté a permis à la princesse d’Orange d’acquérir une position de premier plan dans la comté de Bourgogne. Aussi, n’est-ce pas sans une certaine appréhension que la princesse voit le jeune François 1er succéder à Louis XII. L’attitude de ce dernier est plus que courtoise : au mariage de sa fille, Claude de Chalon, avec Henri, comte de Nassau, ambassadeur de Maximilien auprès du roi de France auquel il avait apporté l’hommage des comtés de Flandre, d’Artois et de Charolais, François 1er assiste au contrat de mariage passé à Paris le 23 avril 1515. Le roi accorde à la princesse à cette occasion plusieurs dotations importantes en réparation des services rendus par son mari sous les rois précédents.

François 1er 1524 Atelier de Jean Clouet Musée Condé
Mais les relations durent se détériorer par la suite car, bien qu’âgé de quatorze ans, seulement, en1516, Philibert, sans doute avec l’accord de sa mère, choisit de se mettre au service de son impérial cousin, Maximilien.
Ce refroidissement avec la France est sans doute lié à l’édit général (est-il sa conséquence ou l’inverse ?) de François 1er « révoquant toutes les aliénations faictes du domaine de la couronne depuis le trespas de Charles septiesme, … » et ordonnant au Parlement du Dauphiné à Grenoble, d’annexer la principauté d’Orange au Dauphiné. Cette confiscation fut d’autant plus sensible à Philiberte et son fils qu’elle leur enlevait le plus beau fleuron de leur domaine et leur dignité de princes souverains dans le concert européen.
Peu de temps après, Philibert se rend avec sa mère auprès de Charles, Roi de Castille, où il rencontre Marguerite d’Autriche. La question de la principauté d’Orange est évoquée mais l’archiduchesse conseille la prudence. Il faut essayer de jouer sur le sens de l’équité du roi pour obtenir réparation.

Jan Hey 1490 Marguerite d’Autriche MET Museum de New York
Pendant son séjour, Philibert est nommé gouverneur et lieutenant-général des comtés de Bourgogne et du Charolais. Bien que déchargé depuis un acte du 16 juillet 1516, de la tutelle de sa mère, celle-ci intervient puissamment dans l’administration du comté en guidant son fils. Puis, sur convocation de François 1er, Philibert et sa mère vont assister, en octobre 1517, au baptême du jeune comte de Clermont, le fils du prestigieux connétable de Bourbon à Moulins. A leur retour, Philibert préside les Etats de la province, réunis à Dôle, le 11 novembre 1517.
Sur l’invitation du roi de France, Philibert et sa mère se rendent en France en grand appareil (plus de quatre-vingts personnes et cent vingt-trois chevaux). Philibert assiste au baptême du dauphin, François, le 26 avril 1518. Philibert sait, apparemment, se montrer convaincant car le roi a d’abord l’intention de le marier avec une princesse française et de lui restituer la principauté d’Orange. Restitution confirmée par lettres patentes du 17 mai 1518, que le parlement du Dauphiné refuse d’enregistrer. De nouvelles lettres de jussion sont expédiées le 17 juillet mais le parlement persiste dans son attitude, en attribuant simplement à Philibert, les revenus de la principauté, soit un bénéfice illusoire. Philibert n’a donc rien obtenu de concret de son voyage en France.
Pense-t-il avoir été dupé par le roi François 1er ? Le roi a-t-il joué double jeu en accordant la restitution de la principauté d’un côté tout en demandant au Parlement de n’en rien faire ? C’est probable[iii]. Philibert choisit le camp impérial, ce qui signifie la lutte armée contre François 1er lorsque la guerre s’allumera.
A la fin de l’année 1518, l’empereur Maximilien, qui souhaite s’attacher ce vassal que le roi de France pourrait récupérer en lui promettant la restitution de sa principauté, décide de lui accorder la Toison d’or[iv]. L’une des conséquences de cette attribution est le serment prêté au Grand Maître, qui attache indéfectiblement, à peine de forfaiture, l’impétrant auprès de l’ordre et par conséquent au parti de l’empereur.

Le Titien Charles Quint portant le collier de la toison d’or Musée du Prado
Un nouveau voyage pour se rendre à la cour de François 1er, est décidé, à la fin de 1518, pour tenter d’obtenir une fois encore, la restitution de sa principauté. Pendant que Philibert est choyé à la cour de France où il fait de lourdes dépenses qui le placent bientôt dans l’embarras, le chapitre de la toison d’or s’est tenu à Barcelone. Il y est proclamé chevalier en compagnie notamment, de Christian II, roi du Danemark, et de Sigismond 1er, roi de Pologne. Cette nomination n’est pas pour Philibert une surprise. Mais la longue lettre qui accompagne la remise du collier, de Charles-Quint, devenu empereur depuis le 28 juin 1519, pleine d’impatience qu’il soit toujours à la cour de France, est comminatoire. Philibert retourne aux affaires du comté de Bourgogne.
Philibert a ramené de la cour de France le goût des tournois et autres joutes. Il organise à Nozeroy, au cours de la semaine du 26 décembre 1519, un grand tournoi réunissant plus de cent chevaliers, plus de mille hommes d’armes et toute la noblesse du comté.

Livre des Tournois Barthelemy d’Eyck Français 2695, fol. 57v-58, Tournoi entrée des juges diseurs BNF Mandragore
Ce fut le dernier tournoi organisé en Franche-Comté.

Roi René d’Anjou Livre des tournois Combat des tournoyeurs Français 2695, fol. 100v-101, BNF Visualiseur Mandragore
Le 20 janvier 1520, Philibert part rencontrer Charles-Quint en Espagne, pour se faire remettre son collier de la toison d’or. Le jeune prince d’Orange, qui a conservé son titre, bien que son domaine lui ait été confisqué, a tout à craindre de Charles-Quint, par son séjour prolongé à la cour de France, l’année précédente. Mais l’empereur, astucieusement, reçoit son vassal avec les plus grands honneurs. Ne sont-ils pas proches parents et n’ont-ils pas, tous les deux, les mêmes sujets de griefs à l’égard de la cour de France, le prince pour sa principauté d’Orange et l’empereur pour son duché de Bourgogne ?
Il nomme Philibert capitaine de 50 lances et l’emmène avec lui dans son voyage vers l’Allemagne, qui passe par l’Angleterre, où il a l’intention de s’arrêter. Au moment d’accompagner l’empereur, Philibert rédige son testament, où il lègue tous ses biens à sa sœur Claude, comtesse de Nassau et à son fils, René, s’il venait à décéder sans postérité.
A Londres, le séjour de quatre jours est particulièrement court. Mais le terrain a été savamment préparé auprès du cardinal Wolsey auquel l’empereur a promis de l’aider à obtenir la tiare lors de la prochaine élection pontificale. Le roi Henry VIII décide de se ranger dans l’alliance avec l’Espagne, dès que la guerre s’allumera avec la France. N’est-il pas l’époux de Catherine d’Aragon, la fille des rois catholiques et tante de Charles Quint ?
Puis l’empereur se rend aux Pays Bas où il est solennellement sacré empereur, le 23 octobre 1520 à Aix-la-Chapelle. A son retour en comté de Bourgogne, le prince d’Orange s’arrête à Besançon, dont il est vicomte et Maire. Puis il part assister à l’enterrement de sa sœur, Claude, décédée brutalement, le 21 mars 1521.
Après avoir levé sa compagnie de 50 hommes d’armes, il part à Tournai, dont son beau-frère, le comte de Nassau, fait le siège, pour le compte de l’empereur et qui capitule le 1er décembre. La riposte de François 1er est immédiate : il confisque tous les biens du prince d’Orange en France et notamment ses seigneuries du Dauphiné et de Lamballe en Bretagne, des ports de Couesnon et d’Arguenon, : son comté de Penthièvre est attribué à Louis de Lorraine, comte de Vaudémont et sa principauté d’Orange, à Gaspard de Coligny, qu’il avait fait maréchal de France, en 1516. Pour compenser ces pertes, Charles Quint remet immédiatement à son vassal des terres en Artois, appartenant à Marie de Luxembourg.

Philibert de Chalon Ecole française N° d’inventaire AA35 F9 Chantilly Musée Condé Photo RMN René Gabriel Ojéda
Il organise avec sa mère, qui assure en son absence la gestion des affaires du comté de Bourgogne, la signature du traité de neutralité de Saint-Jean-de-Losnes, entre les deux Bourgognes, traité de neutralité, qui est reconduit tous les trois ans, dont il avait, au préalable, entretenu Charles-Quint et pour la signature duquel il avait obtenu son accord.
Puis, Philibert part pour la Navarre, au début de l’année 1522, pour son premier commandement militaire. François 1er, à l’appel du roi de Navarre, Henri II d’Albret, qui cherche à reconquérir la partie au sud des Pyrénées de son royaume conquise par les Espagnols, dix ans auparavant, a expédié une armée sous le commandement de Bonnivet, conquérir Fontarabie en Navarre, où trois mille gascons se sont retranchés. Charles Quint a décidé de reconquérir la place. Une armée de vingt-quatre mille hommes a été levée, placée sous le commandement du Connétable de Castille, Don Inigo Hernandès de Velasco et de Philibert de Chalon, prince d’Orange. Ce dernier a été chargé de faire diversion en Béarn afin d’attirer à lui les troupes françaises pendant que Fontarabie est cernée de toutes parts.

Henri II d Albret Roi de Navarre Ecole de Jean Clouet N° d’inventaire MN 47 Chantilly Musée Condé Crédit photo © René Gabriel Ojéda ; © Réunion des musées nationaux
Mais malgré la valeur manifestée par le prince d’Orange, qui atteint tous ses objectifs de campagne, Fontarabie est secourue par les forces du Maréchal de Chabannes. Cependant Charles Quint est satisfait des compétences déployées par son jeune capitaine de vingt-et-un ans et il décide de le nommer général de son infanterie, à la tête de dix mille hommes, par lettres patentes du 17 octobre 1523.
En attendant la levée de ses troupes, le jeune général est reparti à l’assaut de Fontarabie, défendue par Don Pedro de Navarre et Franget, avec ses forces combinées à celles du Connétable de Castille et ils finissent par emporter la cité après un siège meurtrier où le prince d’Orange est blessé. Le connétable de Castille est parvenu à convaincre son neveu, le défenseur de la place Don Pedro de Navarre, que la situation des Français est désespérée, ce qui était faux[v].
Charles Quint remercie le prince d’Orange en lui confiant le commandement de troupes de renfort, destinées au théâtre des opérations d’Italie, que le prince d’Orange doit conduire à Marseille assiégée par connétable de Bourbon. Hugo de Moncade, l’ancien capitaine de Cesare Borgia, devenu général de Charles-Quint, devait soutenir l’attaque en contenant, sur mer, les initiatives du grand condottiere génois, l’amiral Doria, au service de la France.
Le 30 mai 1524, le prince d’Orange s’embarque à Barcelone, dans un brigantin qui doit le conduire à Monaco, seigneurie dont l’indépendance par rapport à la République de Gênes avait été reconnue par Louis XII. Ne trouvant pas auprès du roi François 1er, le même soutien que les rois précédents, le seigneur de Monaco a négocié avec Charles Quint un traité d’alliance, début 1524. Les galères d’Hugo de Moncade se sont embouquées dans la baie de Monaco.
Mais les galères françaises dirigées par l’Amiral La Fayette bloquent la baie de Monaco à la hauteur de Villefranche-sur-Mer. Le brigantin de Philibert vient donner en plein des galères françaises. Quand il aperçoit le pavillon royal, il est trop tard. Les galères ont tôt fait de le rattraper et de le faire prisonnier. Il est transféré à Villefranche d’où il écrit, accablé, une lettre à sa mère, le 5 juillet car il sait que le roi François 1er lui fera durement payer ce qu’il considère comme une trahison[vi].
Philiberte saisit l’Archiduchesse Marguerite d’Autriche, qui écrit à François 1er pour proposer une rançon et qui multiplie toutes les manœuvres diplomatiques en demandant notamment au cardinal Wolsey de faire écrire par le roi Henry VIII une lettre au pape pressant celui-ci d’intervenir auprès de François 1er. Mais ce dernier considère le prince d’Orange comme un traître et il refuse de le libérer.
Charles Quint est très irrité de cette affaire car la capture est intervenue en territoire neutre, celui du duc de Savoie qui, à l’époque, descend jusqu’à la Méditerranée depuis l’acte de dédition de Nice[vii]. Charles Quint écrit au duc de Savoie pour lui intimer de réclamer l’élargissement du prince d’Orange, s’il souhaite que sa neutralité soit respectée à l’avenir.
François 1er fait interner Philibert de Chalon dans la grosse tour du château de Bourges et il exige qu’il soit traité durement. Le prince arrive à Bourges le 19 août 1524.
L’empereur est plein de sollicitude pour son jeune général. Par une lettre du 8 décembre 1524, il attribue à Philiberte les revenus du comté de Saint-Pol et de la seigneurie d’Oisy, en compensation des seigneuries confisquées en France.
Pendant ce temps, Philibert est enfermé dans une pièce obscure équipée d’une cage de fer. On le sépare de Jean de Fallerans son fidèle vassal qui avait tenu à l’accompagner en prison. Afin d’ébranler sa fidélité, ses gardiens lui annoncent la mort de Charles-Quint, avec certification par plusieurs témoins. Finalement, au bout de trois semaines, Philibert apprend la vérité par son barbier qui transmet une lettre à sa mère, lettre que cette dernière fait suivre à l’empereur en début d’année 1525.
C’est alors que François 1er est fait prisonnier à la bataille de Pavie. Charles-Quint réclame aussitôt la libération du prince d’Orange et la restitution de ses domaines confisqués. Le lieutenant Général de l’empereur en Italie, Charles III de Bourbon et le vice-roi de Naples, Charles de Lannoy sont dépêchés à François 1er dans sa prison, pour négocier notamment la libération de Philibert. Un traité est établi comportant paiement d’une rançon de cent mille écus.
Mais la régente, Louise de Savoie, la mère de François 1er, a bien compris que le prince d’Orange pouvait constituer un élément de la négociation globale pour la libération de son fils. Elle ne donne pas suite à ce traité. Charles-Quint lui ayant fait savoir qu’il pourrait user à l’égard du roi des mêmes traitements infligés au prince d’Orange, la régente fait transférer le prisonnier au château de Lusignan en Poitou, où le prisonnier arrive le 25 avril 1526.

Louise de Savoie Ecole française Inventaire n° 33461 recto Musée du Louvre département des Arts graphiques Crédit photo © Réunion des musées nationaux
Lannoy, qui était en correspondance régulière avec Louise de Savoie, intervient à son tour, le 31 août, auprès de François 1er, dans sa prison madrilène, lui demandant d’intervenir auprès de la Régente pour mettre le prisonnier en liberté sur parole. François acquiesce. Mais Louise de Savoie ne se laisse pas fléchir. Elle décide de changer Philibert de prison et de le faire conduire à Lyon, d’où elle négocie avec l’Empereur la libération du roi.
Finalement, ce n’est qu’au mois de novembre qu’il parvient à Lyon. Il est reçu le 14 novembre par la Régente qui lui fait bon accueil. Mais qui refuse obstinément de le libérer ou de l’échanger contre une rançon. Il est placé en surveillance rigoureuse et sévère à Lyon, au sein même de la résidence de la Régente. Cela fait maintenant plus de dix-huit mois que le prince d’Orange est incarcéré. Il ne voit pas de solution se profiler. Il trouve sa situation d’autant plus injuste que tous les grands vassaux de François 1er, capturés à Pavie, ont été libérés sur parole pour constituer leur rançon. Il décide de s’évader.
Ses serviteurs creusent un souterrain dans la pierre et parviennent dans un caveau situé juste en dessous de sa chambre. Le 29 décembre 1525, il est conduit auprès de la régente qui souhaite discuter avec lui des options possibles pour la libération du roi. Il passe toute la journée avec elle. Pendant ce temps, ses serviteurs creusent l’épais plafond du caveau et parviennent sous son lit. Le soir, Philibert est reconduit dans sa cellule et se conforme strictement à ses habitudes.
Les gardes souhaitent alors entamer leur partie de cartes habituelle. Mais les cartes sont introuvables. Le serviteur du prince est accusé de les avoir dissimulées. Il s’en défend. Les gardes insistent et veulent vérifier si elles ne sont pas sous le lit du prince qui paraît dormir. Un garde tombe alors avec un cri dans le caveau qui est découvert. Aussitôt tout le corps de garde est en ébullition : le lit est déplacé et les préparatifs de fuite sont découverts.
La Régente, qui vient de partir le 29 décembre à la rencontre de sa fille, Marguerite, dont le retour d’Espagne est annoncé, est informée. Elle décide de faire transférer le prisonnier à Vienne, en Dauphiné, pour y être soumis à une étroite et sévère surveillance.
Mais les duretés carcérales vont bientôt s’achever car le Traité de Madrid est signé le 14 janvier 1526. Ce traité comporte notamment l’article 32, entièrement dédié à Philibert de Chalon, comportant, outre sa libération, sa réintégration dans tous ses biens confisqués par le roi comprenant outre sa principauté d’Orange, ses seigneuries du Dauphiné et de Bretagne et le paiement des dettes des rois précédents aux Chalon d’Arlay.
Sitôt libre, le prince retourne à bride abattue à Nozeroy. Son retour au pays est salué par des réceptions solennelles et quasi triomphales à Salins et à Dôle.

Chateau de Nozeroy Vosges Site Amis du vieux pays de Nozeroy
Mais l’exécution du Traité de Madrid tarde à se concrétiser car, à peine libéré, François 1er, qui reçoit Lannoy à Cognac, l’avise que les Etats de Bourgogne ont refusé d’enregistrer la partie du Traité relative à la cession de la Bourgogne. C’est un véritable camouflet pour Charles Quint qui doit se repentir d’avoir écouté le chevaleresque Lannoy qui était partisan de la libération immédiate plutôt que le calculateur Gattinara (voir l’article de ce Blog Gattinara) qui était partisan d’une libération du roi après exécution intégrale des principaux articles du Traité. Le roi de France proposait en compensation une rançon de deux millions d’écus.
La guerre se rallume immédiatement entre la France et l’Empire et le prince d’Orange voit s’évanouir en fumée toutes les promesses antérieures. Furieux d’avoir été, une nouvelle fois, dupé par le roi de France et plutôt que de réclamer une haute charge à l’empereur, charge qu’il aurait certainement obtenue, Philibert décide de se venger de François 1er en rejoignant les lansquenets de Frundsberg qui doit renforcer Charles de Bourbon, qui assemble à Milan une importante armée contre la ligue de Cognac, animée par la France.
Il fait part de son projet à l’empereur qui l’affecte auprès de Bourbon à Milan.
Il embrasse une dernière fois sa mère, le 6 novembre 1526 et part, accompagné d’une dizaine de seigneurs et d’une trentaine de cavaliers d’escorte. Il a décidé de passer par l’Allemagne afin de rejoindre Frundsberg qui assemble, du côté de Merano (Haut-Trentin dans le nord-est de l’Italie), une fraction de ses troupes, soit onze mille hommes environ.
Frundsberg descend bientôt en Italie pour trouver la route de Milan barrée par les forces de Francesco Maria della Rovere, commandant de l’armée de la ligue de Cognac. Il infléchit sa route par Mantoue, passe par Ferrare où le duc lui livre l’artillerie qu’il lui avait préparée, puis les troupes se frayent un chemin dans le Mantouan pour rejoindre par le sud la ville de milan. Ils arrivent le 14 décembre 1526 à Fiorenzuola, une petite ville entre Parme et Plaisance, où ils ont prévu d’attendre Bourbon, qui a quitté Milan (tous les évènements importants de cette campagne sont racontés dans l’article de ce Blog sur le sac de Rome). Frundsberg qui vient d’être victime d’une attaque d’apoplexie est contraint de s’aliter à Mantoue, laissant son armée sans chef naturel.
Le prince d’Orange se porte à la rencontre de Bourbon qu’il retrouve à Pavie. Tous deux ont beaucoup de points communs. Ils sont braves jusqu’à la témérité. Ils ont eu tous les deux à souffrir des spoliations de leurs biens par le roi François 1er, auquel tous les deux portent une haine implacable (voir l’article sur le Procès pour l’héritage de Bourbon).
Bourbon, qui a été informé de l’arrivée du prince d’Orange par l’empereur, le désigne en qualité de capitaine-général de l’armée impériale, commandant des chevau-légers, le 12 janvier 1527.
Bourbon ne reçoit qu’au compte-gouttes de l’Empereur les ressources nécessaires pour payer son armée. Il faut trouver des expédients. On rançonne ça-et-là les bourgeois des villes. Mais ces solutions ne sont que ponctuelles. Il faut trouver d’autres ressources pour payer l’armée. Notamment par le pillage des villes vaincues.
Il n’y a pas des quantités de possibilités. Ferrare et Mantoue sont des principautés amies. Il est exclu de s’attaquer à trop forte partie, à Venise. Naples appartient à l’Empire. Sienne fournit les approvisionnements de l’armée : difficile de s’attaquer à elle.
Florence ? La ville est entourée d’une muraille importante et il faudrait beaucoup de temps pour s’en emparer. Or l’armée a quelques canons de campagne raflés à Ferrare mais pas d’artillerie lourde. Et puis, il y a l’armée de la ligue, sous le commandement du duc d’Urbin, Francesco Maria della Rovere, imposante, qui rôde à proximité. Difficile de livrer bataille sur deux fronts : on a vu le résultat à Pavie !
Reste Rome où le Pape Clément VII est l’âme de la ligue de Cognac. Rome où l’on sait pouvoir s’appuyer sur les forces du cardinal Pompeo Colonna, rival du pape élu, qui dispose d’un parti très influent, allié traditionnel de l’Empereur. Il faut emporter la ville rapidement si l’on veut éviter l’affrontement avec les forces du duc d’Urbin. Et puis, Bourbon sait pouvoir compter sur la motivation des lansquenets Luthériens de Frundsberg. Si le pape à Rome est l’objectif, ils suivront sans rouspéter et sans être payés.

Clément VII (Medicis) Sebastiano del Piombo1485-1547 1526, huile sur toile 145 x 100 cm @ Museo di Capodimonte, Napoli.
Le raisonnement est vite fait. Bourbon choisit de foncer sur Rome, le plus rapidement possible, pour prendre de vitesse le duc d’Urbin. On pille ça-et-là quelques petites villes, Immola par exemple, ce qui permet de verser quelques avances sur solde. A Rome, c’est la consternation chez le Pape, qui apprend la nouvelle dès le 2 avril 1527.
Le Pape, qui désespère du duc d’Urbin et qui voit arriver, impuissant, l’armée formidable de Bourbon, qui s’apprête à ravager la Toscane, la Romagne et les Etats pontificaux, se résout à négocier avec l’Empire. Il rencontre à cet effet, François Angeli, général de l’Ordre de Saint-François et confesseur de Charles Quint, qui lui est expédié par ce dernier. Le 15 mars est signé un traité par lequel le Pape rétablit le cardinal Colonna, règle 60 000 écus à Bourbon pour l’armée impériale et Lannoy, vice-roi de Naples, se constitue otage à Rome en garantie de l’accord. Le marquis del Vasto, napolitain, reçoit l’ordre de quitter l’armée impériale et de rejoindre Naples.
Aussitôt, Clément VII, pourtant bien payé pour savoir que les accords n’engagent que ceux qui en ont besoin, licencie ses troupes. Rome n’a plus d’armée pour la garder. Le premier acte de la tragédie est consommé.
Car le duc de Bourbon fait savoir haut et fort que 60 000 écus ne suffisent pas pour contenter l’armée : il aurait fallu évoquer le chiffre de 200 000 écus ! Le vice-roi de Naples, Charles de Lannoy, est alors expédié en toute hâte à Florence par le Pape Clément VII, avec les lettres de change requises, pour mobiliser 200 000 écus. Il revient ensuite au camp de Bourbon avec une proposition de versement de 80 000 écus comptant et 70 000 à trois mois (Florence a-t-elle voulu barguigner comme à son habitude ?). Les soldats, mis au courant de ces propositions, peut-être instrumentés en sous-main par leurs chefs, et alléchés par la perspective d’un sac, refusent avec indignation : Lannoy, découragé, renvoie l’argent à Florence et retourne à Naples.
L’armée continue son chemin vers Rome, attirant à elle des bandes de pillards et de bandits italiens attirés par la perspective d’un sac. A Rome, le Pape est dans tous ses états et ne sait plus à quel saint se vouer. Irrésolu dans l’action, il balance perpétuellement entre deux choix sans savoir s’arrêter à une solution solide. Il a licencié son armée et il ne peut compter, pour s’opposer aux 20 à 30 000 hommes de Bourbon que sur quelques centaines de gardes, sur la garde suisse et sur la milice de Rome, faiblement motivée. Cette dernière est en effet persuadée que l’affaire se résoudra, comme d’habitude, par des indemnités financières qui seront supportées par des tiers. Dès le lendemain, elle va cruellement déchanter.
Car Bourbon s’est installé sous les murs de Rome (voir sur ce site Le sac de Rome). Dès le début de l’attaque le lendemain, alors qu’un épais brouillard est tombé sur la ville, Bourbon a donné le signal de l’attaque. Tenant une échelle de la main, il encourage ses hommes à monter à l’assaut : il s’écroule soudain, percé de part en part par une grosse balle d’arquebuse, tirée du haut des remparts, en plein brouillard. Immédiatement l’assaut se met à flotter. Les hommes, irrésolus ne savent plus quel parti prendre.
Le prince d’Orange se lève alors, et prend la direction de l’attaque : aux cris de « Bourbon, Bourbon », l’armée, ivre de rage, se rue à l’assaut des remparts, protégée par le brouillard qui commence à s’effilocher tandis que la pluie commence à tomber.
La poussée formidable des trente mille hommes répartis sur plusieurs points à la fois l’emporte rapidement sur des combattants trop peu nombreux et inexpérimentés. Le massacre peut commencer. Dans cette ville qui compte à peine 50 000 habitants, quatre mille vont mourir au terme de la première journée de terreur, soit bien davantage que pour la Saint-Barthélémy (qui ne fera « que » 3 500 victimes sur une population de Paris de 150 000 habitants au moins).
Ce massacre va être suivi de violences effroyables sur la population, pires que la mort, car le motif est de s’emparer des bas de laine et autres trésors.
Le prince d’Orange, qui participe au pillage tente bien de s’opposer à ces excès, mais c’est chose impossible. Les lansquenets n’obéissent à personne. Les Espagnols, la force la plus homogène, ne sont pas plus dignes de confiance. Les Italiens ? Ce sont pour la plupart des troupes irrégulières ou des bandits, qui ne veulent pas se faire distancer par leurs camarades.
Rome va subir l’une des pires catastrophes de son histoire et son martyre va se dérouler sur neuf long mois d’occupation. L’humanité va y perdre de très nombreux trésors, à jamais détruits.
La soldatesque a commencé à se livrer au pillage de la bibliothèque Vaticane : elle cherche l’or et mutile sauvagement les magnifiques manuscrits. Le prince d’Orange est mis au courant : il constitue un cordon de sécurité et parvient à contenir les pillards non sans que ces derniers n’aient eu le temps de procéder à des dégâts irréparables. Mais ce que la bibliothèque Vaticane a conservé du passé, elle le doit à l’intervention du prince d’Orange.
Ce dernier a positionné quelques troupes d’Allemands et les chevau-légers sur lesquels il sait pouvoir compter, en avant du Vatican dans des positions retranchées. Bien lui en a pris car, le troisième jour du pillage, les troupes du duc d’Urbin se présentent devant Rome en flammes. Voyant que la ville est déjà livrée à tous les excès, le duc d’Urbin, qui a personnellement beaucoup souffert des papes Médicis, Léon X et Clément VII et qui n’a rien à gagner à affronter des troupes bien retranchées, choisit de se retirer !

François Marie de la Rovere duc d’Urbin par Le Titien Galerie des Offices
Le premier soin de Philibert est de donner des obsèques à Bourbon, ce qu’il fait dès le premier jour. Puis il s’occupe de mettre le siège devant le château Saint-Ange, où le pape s’est réfugié avec la plupart des cardinaux et trois mille personnes. Des négociations s’engagent entre les Impériaux et le Pape : il est convenu que le Pape et tous les cardinaux libèrent la place et se retirent sur la route de Naples, en contrepartie d’un versement de 250 000 ducats dont cent mille comptant et le reste vingt jours après. Mais les lansquenets allemands déclarent qu’ils s’opposeront à tout arrangement tant qu’on ne leur aura pas versé leurs arriérés, qu’ils estiment à 300 000 écus.
C’est alors que Clément VII, désirant reprendre la négociation sur d’autres bases, demande au délégué des Impériaux, l’abbé de Najera de s’aboucher avec le vice-roi de Naples, Lannoy pour lui proposer de discuter en direct avec le Pape. Cette initiative, qui se réalise dans le dos du prince d’Orange suscite de sa part de violentes récriminations auprès de l’abbé de Najera qui lui rétorque que Lannoy est davantage fondé que lui, à représenter l’empereur par sa qualité de Vice-roi de Naples. Il ajoute que le prince d’Orange n’a pas reçu une quelconque autorité de l’empereur pour parler au nom de l’armée. Ce faisant, l’abbé de Najera exprime le point de vue commun des Espagnols par rapport au prince d’Orange, perçu comme représentant plutôt le parti des Allemands.
Philibert adresse alors un courrier à l’empereur relatant les difficultés qu’il rencontre, demandant des instructions. Mais le courrier est intercepté par les Français et ce n’est que plusieurs mois plus tard que l’empereur est informé par un double de ce courrier, adressé à Hugo de Moncade.
Le 29 mai, le prince d’Orange qui se trouve dans les tranchées au bas du château Saint Ange, s’écroule, grièvement blessé à la tête par un tir d’arquebuse. Le projectile entre par la joue gauche, juste au-dessous de l’œil et ressort par l’oreille. On pense le prince mortellement atteint. Contre toute attente, le prince échappe à la mort et, vers la fin juin, guérit progressivement.
La capitulation de Modène, fin mai et la révolte de Florence contre les Médicis, font comprendre au Pape qu’il est plus que temps de négocier vraiment car il vient de perdre avec la révolution de Florence, le soutien financier de la riche cité commerçante.
Quatre commissaires, deux Espagnols et deux Allemands sont désignés par les Impériaux pour rencontrer les quatre délégués du pape. On reprend le précédent accord qui avait été suspendu et on étale un peu les modalités de règlement en exigeant toujours cent mille écus comptant. On exige cependant la remise en dépôt de huit personnalités otages, les villes d’Ostie et Civitavecchia, de Plaisance, de Parme et de Modène.
Quand les Allemands apprennent le texte de l’accord, ils manifestent hautement leur réprobation car ils n’ont aucune confiance dans le pape. Le prince d’Orange doit se faire porter, alité jusqu’aux mutins, pour se porter personnellement caution des engagements du Pape. Les Allemands recevraient d’abord 100 000 ducats puis, les Espagnols, 50 000. Ces derniers, mécontents, se révoltent le 6 juin 1527. Ils accusent Lannoy et Del Vasto de s’être entendus avec le pape pour les tromper. Lannoy est obligé de s’enfuir précipitamment pour ne pas être massacré.

Marquis del Vasto par Le Titien Galerie des Offices
En même temps se pose pour l’armée la question du commandement. Orange assure au moins en partie celui des Allemands mais il est contesté par les Espagnols. Il en résulte une bataille rangée entre les Espagnols auxquels les Italiens se sont joints, pour attaquer les Allemands, retranchés au Campo di Fiore. L’ordre n’est rétabli que par l’intervention des officiers.
Pendant l’été, la famine s’installe à Rome dont l’anarchie avait chassé tous les fermiers des environs, rançonnés tous les jours jusqu’à abandonner la ville à elle-même. Puis, les milliers de cadavres restés sans sépulture déclenchent la peste qui fait mourir 200 personnes par jour parmi l’armée. La plupart des officiers quittent Rome pour se mettre à l’abri des rigueurs de l’été dans les environs mais Allemands et Espagnols préfèrent braver la peste que de renoncer aux indemnités qui leur ont été promises.
Le pape est en retard de ses paiements. Les Allemands, furieux, pillent le train de munitions de l’armée et les bagages personnels du prince d’Orange. Finalement, le Pape obtient une avance de 70 000 écus d’un banquier génois, qui permettent de réaliser une fraction des règlements en retard. Le 10 juillet, les infanteries allemande et espagnole quittent Rome. Mais le solde n’est pas versé à temps. Les troupes allemandes restées à Rome menacent de mettre le feu à la ville et de se saisir des cardinaux et du pape.
Le Pape se décide enfin à expédier auprès de l’empereur un légat « a letere », en la personne de Martin du Portugal. Pendant ce temps, le prince s’est retiré de Rome pour hâter sa guérison. Il adresse un courrier à l’empereur dénonçant les menées de ses rivaux et demandant, en récompense de ses services, le duché de Milan et le titre de capitaine général de l’armée.
Mais ce n’est pas Philibert qui est nommé. Charles-Quint choisit le duc de Ferrare, Alphonse d’Este, âgé de cinquante-et-un ans. Il a pour lui le prestige de ses campagnes militaires, l’autorité de la naissance et un grand ascendant sur les princes italiens. Pour Madrid, il s’agit d’un bon choix.

Alphonse 1er d’Este Duc de Ferrare n° d’inventaire LP8.75.2 Estampe Album Louis-Philippe Crédit photo (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon
Mais il n’y a aucune chance que ce capitaine réussisse à mater l’armée allemande et espagnole en Italie. Ce qui montre l’éloignement de Madrid des problèmes réels que traverse la capitale italienne. A l’évidence l’informateur entendu à Madrid n’est pas le prince d’Orange. S’agit-il de son ennemi personnel Charles de Lannoy, toujours prompt à récupérer les victoires des autres ? C’est possible et même probable. Car le prince d’Orange a sans doute été vigoureusement critiqué pour son manque d’autorité sur l’armée, alors qu’il n’était investi d’aucune autorité sinon celle de capitaine des chevau-légers ! Et que cette autorité lui a été sévèrement disputée par ceux-là mêmes qui tentaient de le décrédibiliser auprès de l’empereur.
Le duc de Ferrare reçoit donc le 1er juillet sa nomination comme Capitaine Général de l’armée d’Italie avec le prince d’Orange pour adjoint, Lannoy étant chargé des négociations de paix. Le beau-frère de Philibert, le comte de Nassau, sans doute instrumenté par l’empereur lui conseille d’accepter cette nomination car il sera chargé de prendre la succession du duc de Ferrare au cas fort probable où celui-ci se retirerait.

Henri III (1483-1538),comte de Nassau et seigneur de Bréda , comte de Nassau-Dillenbourg N° d’inventaire LP9.25.3 album Louis-Philippe Photo (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Versailles, Châteaux de Versailles et de Trianon
Mais le duc de Ferrare décline l’offre de l’empereur, les troupes étant par trop indisciplinées. Car une nouvelle armée française, conduite par le maréchal Lautrec, est annoncée. Le duc de Ferrare menace de se placer sous la protection de la Ligue de Cognac si une armée n’est pas de toute urgence expédiée en Lombardie. La confusion est à son comble à Rome. Car le Pape n’a plus d’argent, plus de crédit. Il a perdu le secours de Florence. Par suite de leurs divisions, plus personne ne gouverne, du côté espagnol. Lannoy est incapable d’apporter les subsides promis. Les Allemands menaçent de se mettre à la disposition de l’armée française. A bout de patience, le 20 septembre, ils vont piller Rome une seconde fois.
Lannoy, épuisé par les tensions de cette situation confuse, meurt le 23 septembre 1527. Le prince a été une nouvelle fois déçu dans ses ambitions car la lieutenance du duché de Milan a été attribuée à don Antonio de Leyva, un espagnol de Naples qui avait défendu victorieusement Pavie assiégé par François 1er. Cette nomination est politique. L’empereur sait que Leyva se fera obéir des troupes espagnoles.
Il nomme Moncade à Naples, en qualité de vice-roi par intérim mais sans lui en donner le titre, en remplacement de Lannoy. Le prince n’a rien obtenu. L’empereur le sent bien : il flatte son amour propre en le consultant sur des problèmes de grande stratégie et il lui explique que s’il se montre patient, son tour viendra.
De son côté, l’armée française de Lautrec, forte de 40 000 hommes, est entrée en Italie au début de l’été. Le 6 octobre, elle est entrée à Pavie qu’elle a saccagée en mémoire de la défaite du roi deux ans plus tôt. L’entrée des Français inverse le rapport de forces. Mantoue et Ferrare sont détachées de l’alliance espagnole, tandis que les Vénitiens et Francesco Sforza, alliés de la ligue de Cognac, viennent mettre le siège devant Milan.

Odet de Foix Vicomte de Lautrec Jean Clouet Inventaire n°MN136;B8 Musée Condé
Il n’est que temps pour Clément VII de signer la paix. Les finances sont exsangues. Le crédit est mort. L’activité économique est à l’arrêt. Le 23 novembre, le traité de paix approuvé par l’empereur est présenté au pape et aux cardinaux. : il est signé le 26 octobre. Le pape est rétabli dans son autorité spirituelle mais il doit convoquer un concile pour la réformation des églises qui se sont séparées. Il autorise l’empereur à lancer une croisade, financée notamment par la dîme sur les biens ecclésiastiques de tous les royaumes, Mais la même clause de paiement immédiat est dans l’accord que le pape signe tout en se sachant incapable de l’honorer. Il prend donc le parti de s’évader. Dans la nuit du 6 au 7 décembre 1527, il trompe la surveillance de ses gardiens en s’enfuyant du château Saint-Ange, déguisé en marchand.
Le marquis del Vasto réussit à ramener de Naples 47 000 ducats, aussitôt distribués aux huit mille Espagnols rescapés de la peste, le 29 décembre. Le départ des Espagnols est dès lors, tenu pour certain, les Allemands attendant, eux, d’être complètement payés.
Le 1er janvier 1528, pressé par tous, le prince d’Orange accepte les fonctions de capitaine général laissées vacantes par la défection du duc de Ferrare. Il semble que le long délai apporté à cette acceptation tienne tout d’abord à sa répugnance à assumer une fonction qu’il sait périlleuse, mais il est possible que ce délai réponde à un calcul : celui de faire taire toute forme d’opposition de la part des capitaines espagnols, afin de réunir les consensus requis. Le 31 janvier, la nouvelle parvient à Rome que l’armée française est passée en Pouilles depuis Ancône et qu’elle se dirige vers Naples. Il semble qu’une partie de ses effectifs ait fondu en chemin, en garnisons laissées dans les diverses villes ralliées à la Ligue de Cognac.
De son côté, le prince d’Orange qui est parti pour Naples dans l’espoir de trouver les 150 000 écus qui manquent, n’a réussi à en trouver que 50 000, avec l’espoir d’en ramener 20 000 de plus si le pape réussit à vendre un chapeau de cardinal supplémentaire.
Cette ultime indemnité que le prince ramène de Naples permet d’obtenir un accord des Allemands qui acceptent d’en rabattre sur leurs prétentions.
Le 17 février 1528, l’armée impériale quitte Rome après neuf mois et demi d’occupation et des pertes supérieures à dix millions de ducats pour la ville.
Cet article se poursuit avec Philibert de Chalon – Le siège de Florence (1529-1530)
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[i] Cet article est réalisé à partir de l’ouvrage extrêmement documenté d’Ulysse Robert « Philibert de Chalon, Prince d’Orange, Vice-roi de Naples » Paris Plon 1902.
[ii] Le château fut entièrement détruit par un incendie, le 24 février 1510,
[iii] Quoique le parlement soit tout à fait dans son rôle en refusant de détacher un domaine appartenant à la couronne.
[iv] Cet ordre de chevalerie est fondé en 1430 par le duc de Bourgogne Philippe Le Bon. Après la mort du dernier duc, Charles Le Téméraire, l’Ordre passe à Maximilien, époux de Marie de Bourgogne, la fille unique du Téméraire, puis à son petit fils Charles Quint qui en fait l’Ordre le plus honorifique de son règne. Il porte le nombre des chevaliers, de 25 à l’origine, à 51 en 1517. Les membres, qui devaient prêter serment, étaient tenus de porter en toutes circonstances le lourd collier en or. Voir à ce sujet l’article très complet de Wikipedia.
[v] A la suite de cette affaire, Don Pedro se retira en Espagne où il n’eut pas à se repentir de sa conduite alors que Franget, le capitaine français fut exposé sur le gibet de Lyon, désarmé, son écu brisé, déclaré traître et félon, incapable de servir le roi et dégradé roturier, lui et tous ses déscendants.
[vi] Le prince d’Orange, sujet et vassal du roi de France pour ses possessions en France, est également sujet de l’empereur pour ses possessions beaucoup plus importantes en terres d’empire. La question est plus compliquée pour les terres de la comté de Bourgogne. Car la Franche Comté, fief de Marguerite d’Autriche, était devenue française par le mariage projeté entre cette dernière et Charles VIII. L’annulation de ce mariage a rendu la Franche-Comté à Marguerite d’Autriche mais la suzeraineté reste française. Un traité a été signé à Saint-Jean-de-Losne au mois d’avril 1508, suivi d’un autre, le 28 août 1512, entre La Trémouille, au nom du roi Louis XII et le premier président du Parlement de Dijon, du côté français et, du côté de la comté, Philiberte, princesse d’Orange et Hugues Marmier, délégué par le parlement de Dôle. Ce traité reconnaissait aux Francs-Comtois, la liberté de servir l’empereur. La question est de savoir si ce traité a été ou non enregistré par le Parlement de Paris pour cet acte accompli par le gouverneur de Bourgogne. Il est probable que l’attitude de François 1er devait être justifiée en droit pour établir la trahison du prince d’Orange.
[vii] Le 28 septembre 1388, la ville de Nice se rattache au comte Amédée VII de Savoie pour obtenir sa protection contre la maison d’Anjou.
Bonjour
Il y a une suite à l’article de Philibert. C’est le siège de Florence. Pour les autres articles du même genre voir les catégories Borgia (notamment la conspiration de Magione), Personnages, Femmes, chronique d’Urbin I et II un article qui devrait vous intéresser.
Gratien