Le Pinturicchio est longtemps passé pour un peintre mineur de la Renaissance, ce qui explique qu’aucune véritable biographie ne lui ait été consacrée au XIXème siècle contrairement à la plupart des peintres de la Renaissance. Le grand responsable est Vasari qui a englobé d’un même jugement dépréciateur, le maître, Perugino et l’élève, Pinturicchio. Peu de peintres ayant créé une aussi grande masse d’œuvres ont été si peu analysés et critiqués. Est-il la victime expiatoire de la détestation universelle des Borgia dont il devient le peintre officiel en 1492 ?
Les œuvres de jeunesse
Bernardino di Betto naît à Pérouse (Ombrie) en 1454. Il tient son nom de la contraction (Betto) du prénom, Benedetto, de son père, un homme de condition modeste, un artisan qui fait de la coloration de tissus. Il a été nommé en l’honneur du franciscain Bernardin de Sienne, canonisé moins de six ans après sa mort, survenue en 1444. Les biographies qui lui ont été consacrées[i] au XIXème admettent que toute sa jeunesse se déroule entièrement à Pérouse. C’est un homme de toute petite taille. Et comme les noms patronymiques ne sont pas encore très répandus, on le désignera par un sobriquet, celui de « petit peintre » ou Pinturiccio.
Vasari lui donne, dans sa jeunesse, le Pérugin pour maître, mais ce dernier, né en 1448 n’a que six ans de plus que lui. Charles Blanc[ii] note que « si l’on considère que le Pérugin, né en 1446, n’avait que huit ans lorsque Pinturicchio nait à Pérouse en 1454, on doit regarder que le second fut davantage le condisciple du premier plutôt que son élève. Ce qui est certain c’est qu’il existe entre les deux maîtres une ressemblance frappante. C’est la même finesse de dessin, le même goût pour les contours élégants et les formes un peu grêles, la même exécution, délicate et sèche. Pinturicchio est resté toute sa vie, ce que Raphael n’a été que jusqu’à vingt ans, et, pendant que ce dernier amplifiait sa manière, élargissait son horizon et développait son génie dans le sens de la force et de la majesté, le Pinturicchio restait fidèle au style péruginesque ». Une appréciation à mon avis très réductrice.
Il est donc probable que le jeune Bernardino apprendra la peinture, tout d’abord chez un autre de ses contemporains, probablement Benedetto Bonfigli (1420-1496) qui s’installe justement à Pérouse deux ans avant sa naissance.
Le spécialiste italien du Pinturicchio, Corrado, estime, lui, que le maître des jeunes années de Bernardino, est plus probablement Fiorenzo di Lorenzo qui influencera durablement son style. Il est certain que Bonfigli a ouvert son école de peinture à Pérouse, quelques années avant la naissance du jeune Bernardino. Mais les sources biographiques manquent tout aussi cruellement à l’un qu’à l’autre. On a cité également Fiorenzo de Lorenzo, de quinze ans son aîné. Mais ce dernier peut-il vraiment avoir été le maître du Pinturicchio ? Ce ne pourrait être qu’à partir des années 1465, lorsque Fiorenzo a atteint ses vingt-cinq ans. Or, à cet âge, les talents du Pinturicchio sont déjà largement éveillés. Cependant, quand l’on examine les tableaux de la Galerie de Pérouse, attribués à Fiorenzo, il y a incontestablement une parenté de style.

Fiorenzo di Lorenzo
1445 – 1525 Adoration des bergers 1490
Inv.Nr. 178
Perugia, Galleria Nazionale dell’Umbria Image AKG
Car Fiorenzo n’est au fond qu’un petit maître régional dont l’art est loin d’approcher celui du jeune Bernardino. Il est en revanche un maître qui triomphe en Ombrie, susceptible d’avoir exercé une profonde influence sur le jeune Bernardino : Piero della Francesca, le peintre célébrissime de la cour de Frédéric de Montefeltre, duc d’Urbin. D’où viennent en effet ces notions d’architecture que l’on peut observer notamment dans les tavoletta de la vie de Saint Bernardin ? Sûrement pas des maîtres d’inspiration gothique que sont Bonfigli et Fiorenzo !
En 1463, Bernardino est inscrit, d’après certains auteurs, à l’âge de neuf ans, à la confrérie des peintres de Pérouse, ce qui dénoterait un rare talent. Si cette information est exacte, il ne peut s’agir que d’un parrainage d’un peintre déjà illustre dont il est donc probablement l’élève ( Bonfigli?). Pourquoi inscrire un enfant de neuf ans sur la guilde des peintres ? Tout simplement quand l’on estime suffisamment son travail pour le faire intervenir sur certains travaux. Si tel est vraiment le cas, Bernardino doit avoir été placé très jeune pour qu’à neuf ans il soit déjà suffisamment formé pour être inscrit comme peintre. On le retrouverait neuf ans plus tard, en 1472, parmi les decemvirs de la ville de Pérouse (le conseil de ville). Pour être entré ainsi dans ce cénacle il serait donc à cette époque, déjà reconnu par ses pairs et par les autorités de la ville. Il a donc très probablement déjà travaillé pour divers donneurs d’ordres à Pérouse quoiqu’on n’ait rien retrouvé, à Pérouse, de ses jeunes années. Peut-être est-il lié par contrat à son maître comme le fut Mantegna à Squarcione (voir l’article de ce Blog sur Mantegna le premier peintre du monde), ce qui lui interdirait de fait de travailler pour son propre compte ? Mantegna lui-même avait été inscrit à l’âge de neuf ans sur la guilde des peintres de Padoue. Une telle pratique ne serait donc pas un cas isolé pour les apprentis les plus prometteurs.
Lorsque Arnold Goffin s’interroge à propos des peintures sur les épisodes de la vie de Bernardin de Sienne, réalisés pour les frères mineurs de Pérouse, conservés à la Galleria Nazionale dell’Umbria, attribués au Pérugin et à d’autres artistes locaux, il imagine que certaines de ces peintures pourraient être également du jeune Pinturicchio, pendant ses années de jeunesse, notamment celles qui font apparaître des paysages ou celle qui soulignent les drapés, deux éléments parmi les plus caractéristiques du talent de Bernardino. C’est le cas des tavolettas où Saint Bernardin rend la vie à un aveugle, libère un prisonnier, sur le chemin de Vérone et Saint Bernardin guérissant une fillette.
- Pinturicchio Saint Bernardin apparaît à un homme blessé et le guérit Galleria Nazionale dell’Umbria, Perugia Image Wikimedia.it
- Pinturicchio Miracles de Saint Bernardin Guérison d’un homme blessé Galleria Nazionale dell’Umbria, Perugia Image Wikimedia.it
- Pinturicchio Miracles de Saint Bernardin Libération d’un prisonnier sur la route de Vérone Galleria Nazionale dell’Umbria, Perugia Image Wikimedia.it
- Saint Bernardin guérissant une fillette Galleria Nazionale dell’Umbria, Perugia Image Wikimedia.it
Il y a en tout cas une grande probabilité que, sur un tel travail collectif, confié à plusieurs des meilleurs artistes de Pérouse, Pinturicchio ait été sélectionné par les frères mineurs, d’autant qu’il a appartenu au conseil des decemvirs de la ville : il est donc déjà reconnu comme un des peintres qui comptent à Pérouse.
L’inexistence d’œuvres du Pinturicchio à dater, de façon certaine, de cette période de l’artiste entre vingt et vingt-six ans, ont amené les critiques d’art à réexaminer un certain nombre de tableaux ombriens de l’époque et conduit à proposer l’attribution au Pinturicchio, de trois tableaux dans lesquels les principales caractéristiques du peintre ombrien se retrouvent : Saint Gérôme dans le désert, au Walters Art Gallery de Baltimore la crucifixion avec les saints Jérôme et Christophe, à la Galerie Borghese à Rome et la vierge et l’enfant, à la National Gallery de Londres.
- Pinturicchio The Crucifixion with Sts Jerome and Christopher c. 1471 Oil on wood, 59 x 40 cm Galleria Borghese, Rome Image Web Gallery of Art
- Le Pinturicchio Saint Jérôme dans le désert Walters Art Gallery Baltimore
- Pinturicchio The virgin and the child National Gallery London
L’assistant du Perugino à la chapelle Sixtine
La proximité stylistique du Pinturicchio et du Pérugin[iii] suggère que ce dernier, de passage à Pérouse, lui aura proposé de l’emmener avec lui à Rome. Peut-être se sont-ils connus dix ans auparavant, quand ils ont tous deux travaillé pour les frères mineurs ?

Le Perugin Autoportrait Image Web Gallery of Art Collegio del Cambio Perugia
En tout cas, appelé à Rome pour son premier séjour, en 1480, pour peindre les fresques de la chapelle Sixtine, qui sera inaugurée par Sixte IV en août 1483, il offre à Pinturicchio un contrat qui stipule qu’il recevra le tiers des gages du maître, ce qui correspond davantage à la rémunération d’un proche collaborateur que d’un apprenti. A cette date-là, les deux hommes se connaissent probablement bien et, si le second n’est pas connu en dehors de la sphère de Pérouse, ce qui le contraint à accepter une rémunération inférieure, ils ont sans doute une relation d’estime mutuelle pour que le Perugino prenne le risque de l’associer à son nom pour les travaux qui lui sont confiés par le pape Sixte IV. Ils travaillent donc, très probablement, ensemble, depuis de nombreuses années et le Pinturicchio est très habitué à dessiner et peindre, à la manière du Perugino.
Cette circonstance et l’absence d’œuvres de Bernardin relatives à cette période, militent pour l’hypothèse d’un contrat d’exclusivité entre le Perugin et Bernardino pendant cette période, du même type que le contrat signé plus tard pour la chapelle Sixtine, le petit peintre travaillant alors exclusivement sous le nom et à la manière du Pérugin.
Bien que le nom du Pinturiccio ne soit pas cité parmi les artistes de la chapelle Sixtine, il est infiniment probable qu’il y aura travaillé. Comment se serait-il fait connaître sinon, parmi la clientèle des princes de l’Eglise dont il va devenir l’un des principaux artistes, au cours de la décennie suivante ? Mais surtout, pourquoi le Perugino aurait-il signé un contrat attribuant à son collaborateur le tiers de ses propres gains ?
Quelle est la contribution exacte du Pinturicchio aux deux grandes fresques des murs sud et nord du Perugin à la chapelle Sixtine ? S’il faut en croire les critiques, ce serait dans le traitement des paysages pour lesquels le Pinturicchio se révèle un artiste de premier rang qu’il faudrait rechercher sa patte, ce qui limiterait sa contribution au voyage de Moïse et au baptême du Christ. Arnold Goffin estime du reste que la contribution personnelle du Pinturicchio sera plus importante dans le voyage de Moïse où il va travailler autant sur les paysages que les groupes de personnes, que dans le baptême du Christ.
- Pérugin et Pinturicchio Le baptême du Christ Chapelle Sixtine Vatican Image Wikimedia.it
- Pérugin et Pinturicchio Le voyage de Moïse Chapelle Sixtine Vatican Image Wikimedia.it
Après la chapelle Sixtine, les commandes affluent
Après l’inauguration, le 15 août 1483, de la chapelle Sixtine, par le pape Sixte IV, les brillantes qualités du Pinturicchio sont mises en exergue auprès des parents della Rovere du pape et de plusieurs cardinaux, qui vont l’employer pendant toute la décennie suivante, qui sera la plus active de son existence. Ce sera le cas notamment de l’un des nombreux neveux du pape, le cardinal de Saint-Clément, Domenico della Rovere, qui, s’étant fait construire un magnifique palais dans le Borgo vecchio, lui en réclame la décoration.
A la suite de cette commande, Bernardino fait également dans le palais de San Apostola, quelques travaux pour Sciarra Colonna.
Il peint entre 1490 et 1492 deux magnifiques Madones, un sujet qui deviendra récurrent au cours de la décennie suivante. Le prototype de toutes les madones, en 1490, c’est Notre Dame de la paix, l’une des plus belles de toutes les madones jamais peintes par l’artiste. Est-ce l’influence de Botticelli qui a travaillé à la chapelle Sixtine ? On sent en tout cas que le sujet inspire le peintre.
Il travaille avec Mantegna à la décoration du Belvédère entre 1488 et 1490. Le nouveau pape, Innocent VIII, le fait en effet intervenir sur sa villa du Belvédère où il peint sur la loggia, toutes sortes de vues d’Italie, à Rome, Milan, Gênes, Florence, Venise et Naples. Si l’on en juge d’après une des rares peintures qui subsiste de son passage à la loggia du Belvédère, le sujet l’inspire moins que les madones. C’est apparemment une constante chez le petit peintre : son pinceau n’est jamais si agile et gracieux que lorsqu’il est totalement libre. On remarque une étroite parenté de style avec un tableau de Bonfigli au Palais public de Pérouse.
- Benedetto Bonfigli Bûcher de Saint Ercolano à l’extérieur des portes de Pérouse Fresque du Palazzo Pubblico, Perugia Image Web Gallery of Art
- Le Pinturicchio Fresque de la loggia de la villa du Belvédère 1488-1490 Musée Pio Clementino Image Wikimedia
Dans tous ces travaux, le Pinturicchio s’entoure de nombreux collaborateurs d’origine très diverse, qui réalisent l’illustration en vraie grandeur des dessins qu’il conçoit initialement. On peut supposer du reste, qu’il fait davantage intervenir ses collaborateurs lorsque le sujet l’intéresse moins.
Immédiatement après la chapelle Sixtine, il peint les épisodes de la vie de Saint Bernardin dans la chapelle Bufalini de la basilique Santa Maria des Aracoeli, sur le Capitole.
La chapelle Bufalini à l’église Santa Maria des Aracoeli
C’est le premier travail d’importance, confié à Bernardino après la chapelle Sixtine, de 1482 à 1485. Les fresques sont peintes sur trois murs et sur le plafond[iv]. Le commanditaire est un officier du pape, Niccolò di Manno Bufalini, originaire de Citta di Castello en Ombrie, qui exerce la fonction d’avocat du consistoire à Rome.
Le tableau sur les funérailles du saint, de loin le plus complexe et le plus intéressant, est très inspiré des parcours urbains du Perugino et notamment du tableau de la Chapelle Sixtine de Jésus remettant les clefs à Saint Pierre. Parmi les nombreux personnages représentés, figurent les portraits du commanditaire de l’œuvre et de son fils. Ce tableau est caractéristique des multiples influences du Pinturicchio et notamment de l’école de la perspective de Piero della Francesco et des successions de pauvres et de mendiants, à la façon flamande.
- Perugino Le Christ donne les clefs à Saint Pierre Chapelle Sixtine Vatican Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Mort de Saint Bernardin Chapelle Bufalini Eglise des Aracoeli Capitole Image Wikimedia.it
Toutefois, le Pinturicchio n’a pas acquis la formation technique de la perspective car les lignes du tableau ne se croisent pas en un point unique de fuite et le personnage sur la gauche du lit du saint est trop grand, même en tenant compte de l’effet de perspective d’un personnage planté à l’avant-scène.
Quant à la peinture centrale sur les épisodes de la vie de Saint Bernardin, elle manque de construction et il s’agit en réalité d’une succession de personnages que le peintre éprouve des difficultés à marier ensemble, peut-être parce que le plan lui a été imposé par son donneur d’ordre comme de nombreux mécènes en avaient pris l’habitude ?

Pinturicchio Vie de Saint Bernardin Chapelle Bufalini Eglise des Aracoeli Capitole Image Wikimedia.it
Comment s’expliquer sinon, le caractère inventif sur les funérailles du saint et la sècheresse d’imagination du panneau central de la chapelle ?
Mais ces divers ouvrages ne sont encore que des hors-d’œuvre, au regard des premiers grands travaux qui l’attendent de la part du pape Alexandre VI Borgia à partir de son élection, en 1492 (voir les huit articles sur les Borgia sur ce Blog : L’ascension des Borgia de Calixte III à Alexandre VI, la série de la saga des Borgia 1 Giulia Farnese, 2 Lucrece, 3 César Borgia I et II : Les meurtres du cardinal de Valence, César Borgia le duc de Valentinois, Questions à propos des Borgia, Il faut arrêter César Borgia : la conjuration de Magione, l’ombre de César Borgia sur le prince de Machiavel).
La décoration des Camerae Papae : la consécration
Selon les auteurs de l’article « Pinturicchio et la décoration de la «camera segreta» de l’appartement Borgia »[v] « la décoration des « camerae papae » fut menée de 1492 à 1494 : l’intervention de Pinturicchio s’imposait dans la salle des Saints et celle de ses collaborateurs que l’on devine peut-être dans cette même salle apparaît plus manifeste dans les deux autres chambres secrètes puis se révéler exclusive dans les deux pièces de la tour Borgia ».
Les auteurs soulignent que « si les chambres de la tour ont une fonction officielle, celles de garde-robe et de chambre du trésor, la dénomination des camerae papae tout comme leurs dimensions assez réduites indiquent un usage privé pour les pièces de l’aile de Nicolas V tandis que l’ouverture des fenêtres sur le Belvédère révèle leur fonction mi-publique mi-privée en accord avec la présence à l’étage inférieur de la Bibliothèque de Sixte IV (Voir sur ce blog l’article sur la Bibliothèque vaticane et ses préfets à la Renaissance). L’existence d’une bibliothèque privée du pape dans ses propres appartements a été souvent suggérée en particulier dans la salle des Arts Libéraux sur la base d’une correspondance thématique avec sa décoration et de la présence sous les lunettes peintes à fresque, d’une corniche de marbre qui court le long des murs à une hauteur permettant une éventuelle installation de rayons pour les livres ».
- Pinturicchio Appartement Borgia Salle des Arts libéraux L’arithmétique Image Wikimédia.it
- Pinturicchio Appartement Borgia Salle des Arts libéraux la Rhétorique Image Wikimédia.it
- Pinturicchio Appartement Borgia Salle des Arts libéraux la Musique Image Wikimédia.it
- Pinturicchio Appartement Borgia Salle des Arts libéraux la Grammaire Image Wikimédia.it
- Pinturicchio Appartement Borgia Salle des Arts libéraux la Géométrie Image Wikimédia.it
Sous le règne du pape suivant, Jules II (della Rovere) du fait de son hostilité personnelle à Alexandre VI Borgia, désertera les chambres occupées par son prédécesseur. Léon X fera pire encore : il va réoccuper les chambres des appartements Borgia mais il fera disparaître un certain nombre de fresques et notamment celle particulièrement scandaleuse, où l’on voyait le pape Alexandre VI à genoux devant une madone dont les traits avaient été empruntés à Giulia Farnese, sa concubine !
« Les camerae suae occulte » ainsi appelées par Paride de Grassi furent installées juste au-dessus de l’appartement Borgia : la Chambre de l’Incendie occupait les deux espaces correspondants de la Cour Borgia alors que la pièce actuellement connue sous le nom de Chambre de la Signature fut ainsi dénommée par Vasari en référence une circonstance épisodique sous Paul III où le tribunal de la Signature était parfois tenu dans la chambre peinte à fresque par Raphaël entre 1508 et 1509 ».
Le programme iconographique des salles comprend des scènes tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, des légendes de saints et de saintes, des divinités égyptiennes, des représentations allégoriques de la Justice et des diverses sciences qui, sous le nom de trivium et de quadrivium, formaient la base de l’enseignement public dans les écoles. Difficile pour le profane de s’y retrouver ! Ce programme ne saurait être attribué au Pinturicchio et renvoie à l’évidence à la personnalité du commanditaire, le pape Alexandre VI.
Dans ce cas, la question se pose de déterminer comment faire le lien entre le personnage de Sainte Catherine d’Alexandrie, Rome, le pape et les décorations du plafond. C’est la gageure relevée par les auteurs de l’article.
« Dans l’appartement Borgia, le rôle prééminent du pape qui ressort en particulier du programme décoratif de la salle des Saints, est lié la fonction et la valeur symbolique de la Signature qui fut appelée l’audience ou le consistoire du Prince. Elle représentait la personne immédiate du pape en tant que juge suprême de l’Eglise. Le caractère central de la salle des Saints, la seule que l’on puisse donc identifier avec cette « cameram suam secretam » dont parle Burchardo est attesté par une réelle intégration entre la valeur significative et la valeur ornementale des images. Annio da Virerbo, humaniste de la cour Alexandre VI a été probablement chargé de fournir au peintre le matériel allégorico-symbolique pour la décoration des appartements ». (…)
« Dans la salle des Saints une étroite intégration entre le symbolisme animal et la spéculation théologique ressort de la récupération au travers d’Osiris-Apis de l’antique religiosité des mystères païens en tant que composante d’une renaissance de Antiquité classique. Le mythe d’Osiris est raconté dans l’œuvre d’Annio da Viterbo tant dans son « Viterbiae Historiae Epitome » que dans les « Antiquitates ». (…)
« Le mythe d’Osiris qui se rattache aux cultes orientaux axés sur le thème de la mort et de la résurrection de la divinité est représenté ici pour célébrer le pape à travers l’emblème héraldique du taureau dans une sorte d’apothéose qui se manifeste par l’assimilation d’Alexandre VI avec Osiris et donc métaphoriquement avec le Christ selon le thème commun de la résurrection. En effet le mystère de l’incarnation de la mort et de la résurrection du Christ déjà prophétisé par les Sibylles et les Prophètes dans la première salle de l’appartement est au centre des Disputations de sainte Catherine Alexandrie. La représentation de la sainte devant Maximin et les sages orientaux dans l’attitude de la « disputatio » occupe entièrement la paroi nord de la salle et assume l’unité du système iconographique en reliant les représentations mythologiques de la voûte aux épisodes hagiographiques des lunettes et correspond à la fonction présumée de « Signatura » de la salle, sainte Catherine étant la patronne du tribunal de la Sacra Rota. (…)
« La référence à Alexandre est plus étroitement liée au programme iconographique de la salle par le jeu d’une allusion homonymique au pape Borgia et de son assimilation implicite au fondateur de la cité égyptienne. La représentation d’Alexandre le Grand dans un médaillon propose la beauté idéale d’un jeune dieu dont la couronne de boucles autour du visage renvoie l’image solaire d’Alexandre selon un modèle classique dérivé d’une antique figuration orientale du souverain « cosmocrator » où le cercle représente le monde ». (…)
« De plus, à travers Osiris, Alexandre le Grand pouvait s’identifier avec Dionysos le dieu qui meurt et ressuscite tout comme le soleil. La transformation du souverain en divinité astrale est en effet le propre d’une conception orientalo-babylonienne qui en réservant au soleil un rôle primordial considère le souverain comme un reflet direct de la hiérarchie céleste. La signification solaire de l’image d’Alexandre est confirmée en l’occurrence par le voisinage d’un autre médaillon avec la tête de Diane. La Fille d’Isis est donc en rapport étroit avec le sujet des fresques : la déesse est une personnification de la lune et, à ce titre, elle gouverne la nature et est liée à la terre. Une identification précise d’Osiris et Isis avec le soleil et la lune se trouve dans la Biblioteca de Diodore de Sicile, une des sources du programme iconographique à laquelle fait également référence Annio da Viterbo dans ses Antiquitates » !
« Le mythe d’Isis et Osiris a pour point de départ le récit par Ovide dans ses « Métamorphoses » de la métamorphose de la nymphe Io (transformée en génisse par Jupiter) en Isis reine et déesse des Egyptiens auxquels elle donna des lois et enseigna l’écriture. C’est sous cette apparence, en effet, qu’elle figure dans un des octogones sur l’arc qui sépare les deux travées de la salle, assise sur un trône entre deux figures masculines ».
« La présence sur la gauche d’Osiris, de Moïse que l’on reconnaît dans l’homme au turban, avec deux cornes évocatrices des rayons célestes, affirme la continuité entre l’antique savoir égyptien et la tradition hébraïque. Il est donc clair que l’antique sagesse égyptienne se rattache à la tradition hermétique et cabalistique fondée sur la valeur mystique des images et des lettres. Ceci ressort tant de la représentation d’Isis, de Moïse et Mercure Trismégiste dans l’octogone que de l’ensemble de la décoration où l’utilisation symbolique et talismanique des images trouve une justification philosophique précise dans la pensée de Pic de la Mirandole. C’est à lui que l’on doit l’union entre hermétisme et cabale en tant qu’efficace contribution à la doctrine chrétienne. Ses thèses maintes fois condamnées par Innocent VIII reçurent l’absolution, en 1493, d’Alexandre VI favorable à de telles idées, peut-être à cause de ses origines espagnoles, pays où la cabale était développée pendant le Moyen-Age. (…)
Les auteurs détaillent longuement la signification des bestiaires d’animaux représentés par rapport à chacun des thèmes évoqués plus haut, avant de conclure.
« L’utilisation complexe de la décoration ornementale et chargée de sens est donc savamment liée à la célébration du pontife en prenant appui sur la tradition hermétique qui dans la continuité entre sagesse antique et tradition hébraïque justifie l’usage allégorique du mythe égyptien dont le sens eschatologique se dégage aussi en termes christologiques de l’œuvre d’Annio da Viterbo.
« Mutatis mutandis, la célébration du pape Borgia à travers l’apothéose du bœuf Apis dans l’interprétation christologique du mythe d’Osiris, conduit à une équivalence d’Alexandre VI avec le Christ comme juge suprême. La sagesse est incarnée par le biais du mythe solaire auquel le pape est associé (comme il ressort de sa position sous le char du soleil à la voûte de la salle des Sibylles) et qui constitue un des thèmes fondamentaux de la culture hermétique du Quattrocento. Une telle interprétation naturaliste d’Osiris est reprise par Pomponio Léto, l’ami et collaborateur d’Alexandre VI et principal animateur de l’Académie romaine (voir sur ce Blog l’article sur Pomponio Leto et l’Academia Romana). C’est ce qui inspire le programme iconographique des fresques de la salle des Saints où l’apothéose d’Alexandre VI, transformé en divinité solaire conduit également à une identification avec Alexandre le Grand dont la présence dans la salle sert de lien entre les traditions orientale et occidentale Une vaste célébration d’Alexandre VI est donc formulée dans ce décor en parfait accord avec la fonction de « signatura gratiae » de cette salle où le pape exerçait sa souveraineté juridique ».
Ouf. Une démonstration magistrale et extraordinairement approfondie, d’un programme iconographique qui a longtemps paru farfelu et qui a valu aux salles Borgia un jugement sévère d’une postérité incrédule.
Les peintures du château Saint-Ange ont aujourd’hui disparu et celles des appartements Borgia, ne laissent pas toutes du Pinturicchio la meilleure image: dans nombre d’entre elles on ne retrouve pas le pinceau gracieux de ce grand artiste. L’histoire est jugée incompréhensible et quoique les sujets y soient peints, parfois, de jolie façon, l’ensemble apparaît plutôt décousu, une incompréhension que les critiques du XIXème vont imputer en totalité au peintre alors qu’il n’est que l’exécutant. Vasari, soixante-dix ans après, ne se privera pas de critiquer la réalisation des appartements Borgia par le peintre ombrien en déclarant largement surfaite sa réputation. Mais on jette probablement le bébé avec l’eau du bain tant est universelle, au XIXème siècle, la détestation de l’image des Borgia. Le Pinturicchio sera emporté par ce mouvement anti-Borgia lors de la réouverture au public des appartements Borgia en 1897.
Le Pinturicchio est-il devenu, au regard de l’histoire, une autre victime expiatoire et collatérale du parfum scandaleux des Borgia ? (voir sur ce Blog l’article sur L’ombre de César Borgia sur le prince de Machiavel).
Il est de fait cependant que lorsque le pinceau de l’artiste est moins dépendant d’un cahier des charges, il s’avère plus inventif, plus créatif et pour finir, plus beau. Les chambres des Borgia ont été traitées de façon un peu contraintes par le petit peintre. Est-ce la raison pour laquelle ce dernier préfère travailler au dôme d’Orvieto lorsqu’il se fait rappeler un peu sèchement par Alexandre VI ? On a de la peine à reconnaître le même peintre dans les appartements Borgia et à l’église Santa Maria del Popolo. Au Vatican, il n’est que l’ombre de lui-même.
- Pinturicchio La Visitation Appartement Borgia Salle des Saints Vatican Image Wikimedia.it
- Le Pinturicchio Appartements Borgia Salle des mystères de la foi Adoration des Mages Image Wikimedia
- Le Pinturicchio Appartements Borgia Salle des mystères de la foi La Nativité Image Wikimedia
- Le Pinturicchio Appartements Borgia Salle des mystères de la foi L’Annonciation Image Wikimedia
- Pinturicchio Nativité Salle des mystères de la foi Appartement Borgia Vatican Image Wikimedia.it
- Pinturicchio La dispute de Catherine de Sienne Salle des Saints Appartement Borgia Image Wikimédia.it
Il y a cependant, une autre raison possible au discrédit dans lequel on a tenu longtemps, à la suite de Vasari, notamment, les fresques des appartement Borgia : la proximité de ces salles avec les célèbres Stanze de Raphael !
Quelle différence entre des fresques si proches les unes des autres ! On pourra à juste titre, clamer, comme Vasari, que la réputation du Pinturicchio est surfaite.
Mais celui qui tiendra ce discours n’aura pas admiré les fresques admirables de l’église Santa Maria del Popolo.
Les fresques de l’église des della Rovere : Santa Maria del Popolo
Un écrivain contemporain, dans un écrit adressé à Giuliano della Rovere, devenu pape sous le nom de Jules II, lui fait honneur de tous les travaux entrepris pour l’embellissement du chœur de Santa-Maria del Popolo, preuve que même par rapport aux grands artistes du début du seizième siècle comme Raphael et Michel Ange, les peintures du Pinturicchio n’ont pas à rougir de la comparaison.
Pinturicchio est chargé de peindre, sur la voûte, le Couronnement de la Vierge, avec son cortège de prophètes et de sibylles « dont les types si purs et si gracieux ressemblent tant à ceux de Raphaël » comme le note Alexis François Rio, « mais il lui fait exécuter, en outre, les dessins des vitraux des deux fenêtres du chœur, qui sont l’ouvrage de deux célèbres artistes français, Claude et Guillaume Marcillat ».
« La chapelle que fait construire le duc de Sora, Giovanni della Rovere, frère de Jules II, et qui est consacrée à saint Augustin, satisferait peut-être davantage l’œil et le goût, si elle était moins couverte de peintures. Outre le tableau d’autel, représentant la Madone avec l’Enfant-Jésus, entourée de plusieurs saints, il y a l’image assez peu grandiose du Père éternel, puis une Assomption, où l’on reconnaît des figures et même des groupes empruntés à d’autres ouvrages du même peintre, enfin des grisailles de moindres dimensions, où il a tracé, entre autres sujets légendaires, le martyre des deux grands apôtres et celui de sainte Catherine. Mais ce n’est pas encore là qu’il a été le plus heureusement inspiré, c’est dans les compartiments supérieurs qui forment les lunettes de la voûte, et où se trouvent représentés, dans une série de compositions qu’on ne se lasse pas d’admirer, les principaux traits de l’histoire de la Vierge. C’est la même tâche qu’on lui avait donnée à remplir dans l’appartement Borgia; mais quelle différence, non-seulement sous le rapport de la verve et de l’inspiration, mais aussi sous le rapport de l’ordonnance et de l’attention donnée aux moindres détails, comme si l’artiste avait pris ici son œuvre beaucoup plus au sérieux ».
« Cependant il y a une chapelle voisine de celle-là, où Pinturicchio a laissé des fresques encore plus admirables, et qui sont, à tout prendre, avec la Madone si ravissante de l’église de San-Cosimato, ce qu’il exécuta de plus parfait pendant son séjour à Rome. D’abord, le type de la Vierge en adoration devant l’Enfant-Jésus, est un des plus purs et des plus suaves qui soient sortis de l’école Ombrienne, et le paysage, qui sert de fond au tableau, est si riche de coloris et de poésie, si attrayant par le mélange des ruines pittoresques avec les beautés végétales, qu’on pourrait presque lui reprocher de trop distraire le spectateur du grand mystère qu’il a sous les yeux. Au-dessus, dans les lunettes de la voûte, on aperçoit d’autres merveilles, dont on voudrait pouvoir étudier les moindres détails. C’est la légende de saint Jérôme, traitée avec une grandeur et une simplicité de style, qui contraste singulièrement avec la manière molle et diffuse de plusieurs autres compositions du même artiste. Ici tout est sobre et imposant, mais il y a une scène qui fait plus d’impression que toutes les autres, c’est celle où l’on voit le saint, dressé sur son séant, disant le dernier adieu à ceux que la douleur a réunis autour de sa couche ».
- Pinturicchio Adoration du Christ Chapelle Della Rovere Eglise Santa Maria del Popolo Image Wikimedia.it
- Pinturicchio Madone avec les Saints Antoine, François et Augustin Chapelle Basso della Rovere Eglise Santa Maria del Popolo Image Wikimedia.it
« Il y avait donc, dans cette église privilégiée, outre la voûte et les vitraux du chœur, quatre chapelles entièrement peintes par Pinturicchio, et peintes, au moins pour l’une d’elles, avec un tel amour, qu’on chercherait en vain, parmi les autres ouvrages de Rome, et même parmi ceux de Spello, de Pérouse et de Sienne, où l’attendaient d’autres succès, quelque chose qui mérite davantage la qualification de chef-d’œuvre » !
Voilà un commentaire bien senti de la part d’un observateur particulièrement sévère avec le Pinturicchio pour les appartements Borgia.
Bernardino est devenu le Pinturicchio : un peintre en vogue
Six mois après s’être mis au travail, en 1493, dans les appartements Borgia, Pinturicchio décroche un contrat avec la cathédrale d’Orvieto, qui lui commande, pour cent ducats, de réaliser quatre figures dont deux Evangélistes et deux pères de l’Eglise, qu’il devait peindre à côté de la grande chapelle. Comme il travaillait à ces peintures et à d’autres dont il devait orner le petit chevet de l’Eglise, la tribuna minore, et qui, pour avoir été interrompues, n’étaient pas terminées en 1494, les Orvietains reçoivent du pape Alexandre VI une lettre leur demandant qu’on laisse le Pinturicchio suspendre son travail au Dôme, pour venir terminer les peintures commencées dans l’appartement Borgia. Le contrat initial avec la fabrique du dôme d’Orvieto est alors rompu et c’est l’un de ses collaborateurs qui va terminer le travail tandis que, Pintoricchio, le cœur lourd, va devoir rejoindre les appartements Borgia où son inspiration paraît l’avoir définitivement quitté.
D’autant que le peintre, dont la réputation a été établie grâce à ce contrat avec le pape, est assailli de demandes des princes de l’Eglise, en Ombrie ou à Naples, qu’il ne sait pas refuser.

Pinturicchio et atelier Assomption Galleria Napoletana Museo di Capodimonte 1508 Image Wikimedia.it
Il pourra fort heureusement disposer de l’appui de son vieux maître, Benedetto Bonfigli, exercé aux peintures de grande dimension dans le palais public de Pérouse, qui va accepter de lui prêter secours ou le remplacer au Vatican, pendant les absences que nécessitent la réalisation de ses commandes entreprises par ailleurs.
Après avoir terminé la décoration des appartements Borgia et du château Saint-Ange, le Pinturicchio est placé dans l’obligation de retourner à Orvieto pour y achever son travail. Il signe alors, le 14 mars 1496, un contrat avec les surintendants du Dôme, réduisant son travail, moyennant cinquante ducats, à deux figures de saints docteurs qui devaient orner la chapelle du maître-autel. Au prix convenu s’ajoutaient divers avantages dont la libre disposition de bleu outre-mer, six mesures de froment et une de vin, sans compter le logement et les meubles. Le 5 novembre 1496, le peintre donne quittance du dernier paiement intervenu. La fabrique du dôme se plaignit au peintre d’une consommation jugée excessive de bleu outre-mer, une couleur particulièrement rare et chère.
Lors du passage des troupes françaises du roi Charles VIII, en partance pour Naples, en 1495, le pape Alexandre VI a dû se réfugier au château Saint-Ange. Il demande, en 1495, au Pinturicchio, de peindre à fresque la tour qui fait face au château San’Angelo, qui a été détruite depuis lors. Dans cette tour[vi], le Pinturicchio va réaliser six scènes inspirées du passage des troupes françaises à Rome, interprétées dans un sens favorable au pape.
Cette fresque historique, inhabituelle comprenait de nombreux portraits de contemporains célèbres, qui ont été copiés par l’évêque de Côme, Paolo Giove (Musée Paolo Giove dans la villa de l’Evêque sur le lac de Côme) puis une nouvelle fois copiés dans la série Jovian du Musée des Offices à Florence[vii].
Plus personne ne se souviendrait de ce que contenaient ces fresques si un écuyer tranchant, allemand, Lorenz Behaim, longtemps au service des Borgia, n’avait pris le soin de transcrire les légendes des fresques. Le pape Alexandre VI qui avait eu si peur du roi Charles VIII et de son armée de soudards, s’en était vengé en faisant représenter par le Pinturicchio, le roi Charles VIII, le fier conquérant de toute la péninsule, agenouillé devant le pontife qui dit la messe, ou à pied, tenant la bride du Saint-Père à cheval…
La tour, qui contient les réserves de poudre, a été malheureusement détruite, le 29 octobre 1497, par une gigantesque explosion, occasionnée par la foudre.
Le retour du peintre en Ombrie
En 1495, Bernardino retourne s’établir en Ombrie. La gloire acquise comme peintre officiel du pape Alexandre VI, lui vaut tous les honneurs dans sa ville natale.
Il en profite pour se marier avec Grania di Nicolo, une compagne qu’il croit sage et dévouée et qui lui donne un fils, Giulio et une fille, Clélia.
Puis il va décorer la cathédrale de l’archidiocèse de Spolète, à la demande de l’Evêque Eroli. Il y réalise les fresques de la chapelle Eroli, en 1497, aussitôt après son intervention à la tour qui fait face au château Saint-Ange. Ce cycle de fresques est aujourd’hui très endommagé.
Alors qu’il termine son second contrat pour le dôme d’Orvieto, Pinturicchio est invité à Pérouse, pour y signer un contrat, le 13 février 1496, pour la fourniture, moyennant cent-dix florins, à l’église Santa Maria dei Fossi, à Pérouse, d’un grand tableau. Mais rappelé au respect de ses engagements à Orvieto, il n’avait pu réaliser cette commande qu’il ne livrera que deux ans plus tard, en 1498. Ce sera le splendide retable de Santa Maria dei Fossi.

Pinturicchio Retable de l’église de Santa Maria dei Fossi Pérouse Image Wikimedia.it

Pinturicchio Vierge à l’enfant détail du Retable de l’église de Santa Maria dei Fossi Pérouse Image Wikimedia.it
La chapelle Baglioni : Pinturicchio au sommet de son art
A Pérouse, ce sont les Baglioni qui gouvernent la cité. Depuis la mort de Braccio, en 1479, une période de luttes intestines de vingt ans a suivi, clôturée par les « noces rouges » du 21 janvier 1500. Au terme de cette période de troubles, la paix est rétablie et c’est l’évêque Gentile Baglioni qui gouverne, à partir de 1501.
C’est le moment que choisit, Trojolo Baglioni, prieur de la collégiale Sainte Marie Majeure de Spello, à trente km au sud de Pérouse, pour lui commander un cycle de fresques sur la vie de Marie, pour décorer la chapelle Baglioni.
Video You Tube sur la collégiale de Spello
A Spello, le Pinturicchio, au sommet de son art, va délivrer quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre, entre l’été 1500 et le printemps de 1501. Pourtant, le cycle de fresques n’est pas très important avec seulement trois compositions distinctes, sans rapport les unes avec les autres, l’Annonciation, l’Adoration des Bergers et le Christ enfant disputant avec les docteurs outre les peintures du plafond représentant les sibylles Tiburtina, Erythrée, Européa et Samia. Mais le peintre donne tout ce qu’il a au service de la famille des seigneurs de de sa ville natale.
- Le Pinturicchio Les quatre sibylles de la Chapelle Baglioni Collégiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio L’adoration des bergers Chapelle Baglioni Collegiale Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio L’Annonciation Chapelle Baglioni Collegiale Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Dispute de Jésus avec les docteurs Chapelle Baglioni Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
La complexité et la richesse des peintures, les tonalités vives et joyeuses des couleurs, les myriades de détails, qui donnent de la profondeur aux tableaux, vont donner à la chapelle peinte par le Pinturicchio, le nom de Capella Bella.
Le premier tableau, l’Annonciation, revisite le même thème que dans la salle des Mystères des appartements Borgia mais avec un luxe de détails inconnu jusqu’alors, tant dans la pièce que dans le paysage. Dans ce tableau, fait unique dans la peinture, le Pinturicchio va glisser son autoportrait au bas d’une colonne, sur la droite. Sur une colonne, l’année de réalisation, 1501, est inscrite. La composition est simple et traitée à la façon des peintres ombriens. L’histoire est parfaitement claire et les deux personnages apparaissent figés dans une attitude de respect et de grâce. Les couleurs sont riches et harmonieuses. L’ensemble est raffiné et d’une rare élégance. Quelle différence avec la même fresque de l’appartement Borgia peinte quelques années auparavant!
- Le Pinturicchio Appartements Borgia Salle des mystères de la foi L’Annonciation Image Wikimedia
- Pinturicchio L’Annonciation Chapelle Baglioni Collegiale Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
Le second tableau, sur le mur face à l’entrée, est celui de l’adoration des Bergers. Alors que les rois mages attendent à l’arrière, les bras pleins de cadeaux somptueux, les bergers viennent s’incliner avec des paniers et des cadeaux tout simples. Une impression s’exhale de la fresque : celle de la paix et de la tranquillité. La position de la vierge est celle de toutes les madones du Pinturicchio, les yeux baissés et la tête inclinée. Saint Joseph, qui se tient debout près de la Vierge, semble faire un signe de bienvenue aux visiteurs. Les animaux ont un air doux et paisible. Le paysage qui représente ici les deux tiers du tableau fourmille de détails pour amuser l’œil. On voit un chameau à deux bosses à l’arrière-plan, puis une ville, puis, au loin, la mer. Cette succession de plans distincts donne une grande profondeur au tableau. Les végétaux, les arbres, sont dessinés à la manière d’un peintre de miniatures, avec une grande précision et beaucoup de délicatesse, soulignant l’harmonie de l’ensemble.

Pinturicchio L’adoration des bergers Chapelle Baglioni Collegiale Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
La composition du tableau n’est cependant pas exempte de critiques. Il n’y a pas d’unité d’action, partagée par tous les participants. Il y a en fait plusieurs groupes distincts de personnages qui coexistent dans une attitude relativement formelle. Les bergers sont si mal dessinés que l’on pourrait penser que ce n’est pas la même main qui a peint le tableau et les personnages. Mais si l’on fait abstraction de ces critiques, l’ensemble est particulièrement harmonieux.
Le troisième tableau, qui présente la dispute entre Jésus enfant et les docteurs, est d’inspiration très péruginesque. A la différence de la critique opérée pour le tableau précédent, tous les personnages sont gracieux et bien dessinés, ce qui suggère qu’ils ont tous été peints par le Pinturicchio, à la différence du tableau précédent. Sur la gauche du tableau, parmi les spectateurs, figure, en robe noire, le commanditaire de l’œuvre, le prieur Trojolo Baglioni.

Pinturicchio Dispute de Jésus avec les docteurs Chapelle Baglioni Collegiale Sainte Marie Majeure Spello Image Web Gallery of Art
Beaucoup de critiques ont voulu voir dans ce tableau qui vient après celui de la chapelle Bufalini, sur les funérailles de Saint Bernardin, la preuve d’une proximité de pinceau du Pérugin. C’est certain, à la vue de ces tableaux. Mais dans d’autres, il se rapproche davantage de Piero della Francesca. Dans d’autres encore, ce sont d’autres influences qui se font sentir, comme celle de Botticelli dans ses madones. D’ailleurs, toute la course de sa vie sera un long apprentissage. Il améliorera son art au travers de chacune de ses expériences iconographiques avec de nouveaux artistes.
A la vérité, il me semble personnellement, que Pinturicchio sait admirablement faire, à la manière de… C’est une éponge. Il saisit très vite le style propre à chaque peintre et il est capable de s’en inspirer pour apporter une réalisation différente. Ce qui le dessert, c’est l’utilisation d’apprentis ou de collaborateurs moins brillants que lui. Porte-t-il une attention suffisante au travail de tous les détails de ses collaborateurs ? Il est certain que Raphael sera un maître incontesté dans cet exercice. Ce défaut sera imputé à charge au Pinturicchio, à chaque fois que ses prestations seront inférieures aux attentes de son public.

Portrait du Pinturicchio Histoire des peintres de toutes les Ecoles Ecoles Ombrienne et Romaine Charles Blanc p68
Le Pinturicchio à Sienne
En 1502, Bernardino rédige son testament en mentionnant sa femme Grania et sa fille Clélia. Il signe le 29 juin 1502, un contrat avec la famille Piccolomini, prévoyant la réalisation d’un cycle de fresques sur la vie de Pie II, pape de 1458 à 1464 et oncle du cardinal François Piccolomini, qui deviendra lui-même pape pour un peu moins d’un mois, l’année suivante. Avant de commencer ce travail, il repasse par Rome. Il a décidé de répondre, quinze ans après son premier passage, à l’appel d’un Della Rovere, à l’église de Santa Maria del Popolo où le cardinal Riario, neveu du défunt Sixte IV, lui a réclamé la peinture à fresque de douze lunettes dans le cloître, représentant des histoires sur la vie de Marie et de Jésus. Ces fresques ont disparu en 1811, lors de la destruction du cloître pour construire la place. Une copie partielle des fresques subsiste dans la collection Chigi.
Pendant ce court séjour à Rome, il s’essaye au travail de la miniature en réalisant la « Crucifixion avec des pleureuses » aujourd’hui à la Bibliothèque du Vatican.

Pinturicchio, Ceucifixion avec des pleureuses (Barb. Lat. 614, c. 219), 1502 environ, Miniature, Città del Vaticano, Biblioteca Vaticana Image Wikimedia
La mort d’Alexandre VI, due sans doute à l’ingestion de viande avariée, emporte rapidement le pape Borgia, le 18 août 1503. Lui succède pour un mois, le cardinal Francesco Piccolomini, qui décède après vingt-six jours de pontificat, et auquel succède le cardinal della Rovere, le vieil ennemi d’Alexandre VI. Pour le peintre du pape précédent, le Pinturicchio, cette élection sonne le glas de sa carrière pour les pontifes, bien que le Pinturicchio ait longuement travaillé à l’église Santa Maria del Popolo pour la famille della Rovere.
Le contrat signé entre le Pinturicchio et la famille Piccolomini, stipulait formellement que les tètes seules devraient être peintes de la propre main de l’artiste, Le cycle de fresques doit être réalisé en dix tableaux sur les murs de la bibliothèque Piccolomini comme le prévoit le contrat ci-dessous.
« Qu’il soit connu de quiconque lira ou verra le présent écrit, est-il dit au préambule de l’acte, comment le Révérendissime Seigneur cardinal de Sienne, ce jourd’hui XXVIIII de juin MCCCCCII, donne à maître Bernardino. dit le Pentoricchio, peintre de Pérouse, à peindre une bibliothèque, située dans le Dôme de Sienne, sous les conditions et conventions indiquées ci-après, à savoir : … » L’artiste s’engage, tout d’abord, à poursuivre l’œuvre sans interruption ni délai. Il revêtira la voûte « de ces fantaisies qu’aujourd’hui <>n appelle grotesques » ; outre cette voûte, il peindra à fresque « dix histoires » dans lesquelles, selon les instructions qu’il recevra, il représentera « la vie du pape Pie de sainte mémoire, avec les personnages, actions et costumes qui à la bien exprimer sont nécessaires et opportuns, à l’aide d’or, de bleu d’outre-mer. d’émaux, de vert d’azur et autres bonnes couleurs. « Lesdites figures, peintes à fresque, il sera tenu de les retoucher à sec et de les terminer de bonnes couleurs, chairs, vêtements, arbres, paysages, cités, airs, extrémités et ornements. » Au surplus, tous les dessins tant en carions que sur la muraille, devront être de sa main : de sa main, aussi, seront peintes toutes les têtes, qu’il retouchera à sec et conduira à leur complète perfection. Il lui incombera faire les pilastres, chapiteaux, corniches, les cadres pour les inscriptions, etc…. Et, pour salaire et récompense le Révérendissime cardinal promet de lui donner 1000 ducats a Venise, et 200 ducats à Venise pour acheter l’or et les couleurs nécessaires; cent autres ducats à Pérouse, à sa volonté, pour ses besoins et conduire ses bagages et aides à Sienne » : pour lesquels 300 ducats, il donnera bonne caution ».
Son travail est interrompu en 1503 par la mort du prélat qui venait, trois semaines auparavant, d’être élevé à la papauté sous le nom de Pie III. D’autres événements retardent encore l’achèvement de cette grande entreprise. Au cours de l’une de ces interruptions forcées, Pintoricchio peint le portrait d’Alberto Arringhieri, à la chapelle Saint Jean dans la cathédrale de Sienne et dessine la Fortune du pavement de cet édifice. Lors d’une nouvelle interruption, il décore le chœur de Santa Maria del Popolo à Rome. Dès les premiers mois de 1506, il se remet à l’œuvre dans la Bibliothèque Piccolomini et continue à y travailler jusqu’à complet achèvement, trois ans plus tard.
Le dernier paiement effectué par les héritiers Piccolomini à Bernardino et comprenant, du reste, le prix d’autres travaux, aura lieu le 18 janvier 1509.
Le cardinal Francesco Piccolomini, désireux d’y placer la bibliothèque de son oncle, le pape Pie II (Aenea Silvio Piccolomini), a fait édifier une salle, la future Libreria, en prenant sur le presbytère adjacent à la cathédrale de Sienne. Le projet que le peintre est chargé de peindre est de peindre dix chapitres de la vie du pape Pie II.
L’histoire que la famille Piccolomini souhaite entendre et voir est celle d’une épopée religieuse et chevaleresque. Le pape Pie II avait fourni une longue et laborieuse carrière, toute consacrée à la défense des grands intérêts de la chrétienté, menacée à la fois par le grand schisme occidental et par les Turcs. Il avait parcouru presque toute l’Europe comme ambassadeur auprès des diverses cours, il avait reçu la couronne poétique des mains de l’empereur Frédéric III, qui se l’était attaché comme secrétaire et l’avait ensuite chargé de négocier avec le Pape Calixte III, auquel il devait lui-même succéder bientôt, une ligue générale des princes chrétiens contre les Turcs. Son zèle, l’avait fait élever d’abord au cardinalat, puis immédiatement après au pontificat. A sa voix, l’enthousiasme des antiques croisades avait semblé se réveiller en Italie, un concile avait été convoqué par le Pape à Mantoue, on y avait procédé à la canonisation de sainte Catherine de Sienne, et, au milieu des préparatifs de la croisade, le vénérable pontife, victime de son zèle, avait expiré dans la ville d’Ancône, au moment même où un saint ermite avait aperçu son âme portée par des anges dans le ciel.
Fallait-il vraiment choisir le Pinturicchio pour peindre une chronique héroïque ? Peindre des Madones : là le peintre est à son affaire. Mais des épisodes tout tracés qu’il ne s’agit que d’illustrer ? La chronique est trop contraignante pour l’artiste, qui pourrait y perdre son inventivité et sa spontanéité.
Ce qui est certain, c’est qu’après son contrat à la Libreria, le Pinturicchio n’aura plus une seule commande d’importance, à l’exception de la décoration du palais Petrucci de Sienne. Il faut dire qu’il y a désormais beaucoup de concurrence avec Raphael et Michel Ange. Le Pinturicchio est désormais un peintre dépassé.
La chronique de la Libreria sera jugée sévèrement par François Alexis Rio, dans son livre déjà cité : « malheureusement, le génie de Pinturicchio ne se trouva pas à la hauteur de ce magnifique sujet, qui tenait beaucoup plus du genre héroïque que du genre mystique ou gracieux. Or, l’école dont il était sorti l’avait bien initié au culte des saints, mais non point au culte des héros, et ce n’était pas vers cette région de l’idéal que son imagination prenait le plus volontiers son essor.
« En règle générale, Pinturicchio ne sait pas faire poser ses personnages et il sait tout aussi peu les faire mouvoir ou les draper, et voilà pourquoi il aime tant à représenter des foules bien serrées, auxquelles il mêle quelques charmants visages marqués de l’empreinte si suave de l’école Ombrienne et qui désarment momentanément la sévérité de la critique ».
« Son ouvrage comporte de nombreuses faiblesses de style et des incorrections de dessin qui déparent, pour un œil exercé, le plus grand nombre de ces compositions, et dont il doit être rendu seul responsable, bien qu’elles ne soient pas toutes son ouvrage. »
Ici, l’auteur pointe directement la responsabilité du Maître qui n’encadre pas suffisamment ses disciples et qui laisse, dans le résultat final, une approximation, des dessins insuffisants, liés à la moindre qualité ou engagement personnel de ses collaborateurs. La valeur d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible, dit-on…
On se rappellera que lors de la signature du contrat, le Pinturicchio ne s’est engagé à réaliser personnellement que les têtes, « ce qui explique le défaut de proportion ou même d’équilibre qu’on remarque dans certaines figures, même dans celles qui occupent le premier plan ou qui jouent le principal rôle. Ces incorrections sont surtout frappantes dans le troisième compartiment où le jeune Piccolomini reçoit la couronne de laurier, et dans le sixième, où il reçoit le chapeau de cardinal de Calixte III, qu’on prendrait pour un nain déguisé en souverain pontife, tant le raccourci des membres inférieurs est mal rendu ».
- Pinturicchio Frédérick III couronne Eneas Piccolomini de la palme des poètes Fresque de la Libreria Piccolomini Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Aenea Silvio Piccolomini est élevé cardinal Museo del Opera del Duomo Sienne Image Web Gallery of Art
Ces imperfections dans le traitement des personnages sautent d’autant plus aux yeux qu’il y a deux compositions, de la main de Raphael, dans lesquelles elles disparaissent totalement, déclare Alexis François Rio, suivant en cela, l’affirmation de Vasari. A l’époque, Raphael, est encore l’élève du Pérugin. Raphael va intervenir sur deux tableaux : celui dans lequel le jeune Piccolomini accompagne le cardinal Capranica au concile de Bâle, et celui du mariage de l’empereur Frédéric III avec Eléonore de Portugal.
- Pinturicchio Le cardinal Aenea Piccolomini part pour le concile de Bâle Museo del Opera del Duomo Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Enea Silvio Piccolomini présente Eleonore du Portugal à Frédérick III Museo del Opera del Duomo Sienne Image Web Gallery of Art
Concernant le second tableau : « la seconde composition, qui lui est attribuée (à Raphael), la cinquième de la série, est, il faut l’avouer, la plus gracieuse de toutes : elle représente le mariage de l’empereur Frédéric III avec Eléonore de Portugal, et le groupe de femmes qui forment le cortège de la nouvelle impératrice est tellement éblouissant, qu’on ne songe même pas à chercher du regard le jeune Piccolomini. Ici, c’est la fiancée qui est l’héroïne; mais ses traits et ses formes n’ont rien de commun avec les types de l’école Ombrienne et semblent indiquer un portrait de famille plutôt qu’une création spontanée de l’artiste ».
Alexis François Rio estime que « la technique éblouissante de ces deux tableaux fait d’autant plus ressortir les imperfections des huit autres. Les défauts qui déparent la plupart de ces fresques, se retrouvent dans celle qu’il a peinte en dehors de la sacristie, et qui représente le couronnement de son nouveau patron, devenu pape sous le nom de Pie III. C’était le cas de raviver ses inspirations par la reconnaissance, mais l’artiste, engagé dans une fausse voie, oubliait jusqu’aux règles élémentaires de la composition pittoresque, reléguant au fond du tableau la figure en demi-relief du personnage principal, et mettant sur le premier plan, dans les attitudes les moins appropriées à une scène si sérieuse, une multitude d’acteurs insignifiants qui n’ont d’intéressant que la richesse ou la bizarrerie de leurs costumes ».

Pinturicchio Couronnement du pape Pie III en 1503 Fresque de la Libreria Piccolomini à Sienne Image Web Gallery of Art
Voilà un jugement sans concession sur ces fresques de la Libreria, qui paraissent si merveilleuses au premier regard.
Arnold Goffin, dans sa Biographie critique du Pinturicchio apporte un jugement plus nuancé.
« C’était une belle chronique à peindre, riche en épisodes de fête ou de solennité, susceptible de permettre l’évocation, en de nobles décors monumentaux, d’assemblées nombreuses, de cortèges de personnages chamarrés, velus de brocart, de velours ou de soie. Et le seul défaut de l’œuvre provient, précisément, sans doute, de l’abondance des scènes très analogues que le peintre avait à figurer. Il était difficile de diversifier essentiellement la représentation d’événements tels que la réception d’Eneas Sylvius, envoyé soit du concile de Bàle, soit de l’empereur, par le roi d’Ecosse on par le pape Eugène IV: tels, encore, que sa consécration en qualité de cardinal et son élection à la papauté. C’est toujours un souverain trônant qui écoute ou bénit, entouré de sa cour de dignitaires ou de cardinaux. Si adroitement que Bernardino ait varié l’attitude des acteurs, la disposition et les éléments du décor — ici. la nef d’une église, là, l’intimité d’une chapelle, ailleurs, une place publique, ailleurs encore, des salles palatines éclairées par des fenêtres ou de belles arcades qui s’ouvrent sur une échappée radieuse de pays : il ne se pouvait point que la répétition de motifs forcément identiques ne devint un peu fastidieuse… ».
- Pinturicchio Frédérick III couronne Eneas Piccolomini de la palme des poètes Fresque de la Libreria Piccolomini Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Couronnement du pape Pie III en 1503 Fresque de la Libreria Piccolomini à Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Le pape Pie II au concile de Mantoue en 1459 Fresque de la Libreria Piccolomini à Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturicchio Le pape Pie II au concile de Mantoue Museo del Opera del Duomo Sienne Image Web Gallery of Art
- Pinturiccio Le cardinal Piccolomini reçu Ambassadeur à la cour du roi James d’Ecosse Image Museo del Opera del Duomo Sienne Web Gallery of Art
« Heureusement, les prestiges de la couleur, une couleur chaude et vibrante, sauvent tout : il y a dans celle-ci une joie propre, un rythme qui, se répercutant, pour ainsi dire, de fresque en fresque, marie et confond toutes ses tonalités vives en une harmonie totale, à la fois douce et incisive. »
« A notre sentiment, rien n’autorise à dénier à Bernardino la paternité entière d’une œuvre où sa personnalité brillante se manifeste dans la plénitude de ses dons originaux. Et cela particulièrement dans les pages à propos desquelles, surtout, le nom de Raphaël a été prononcé : le Départ d’Eneas pour Bâle et la rencontre de Frédéric III et d’Eléonore de Portugal ».

Pinturicchio Enea Silvio Piccolomini présente Eleonore du Portugal à Frédérick III Museo del Opera del Duomo Sienne Image Web Gallery of Art
Il est probable cependant que Raphael soit intervenu pour dessiner les cartons de deux tableaux : les critiques d’art s’entendent aujourd’hui sur des dessins de la main de Raphael relatifs à cette entreprise, au Louvre, à la Galerie des Offices et à l’Ashmolean Museum de l’Université d’Oxford. Raphael est d’autre part représenté avec le Pinturicchio parmi les spectateurs de la cérémonie de canonisation de Sainte Catherine de Sienne, ce que le Pinturicchio n’aurait certainement pas fait en l’absence d’une collaboration active.

Pinturicchio Canonisation de Catherine de Sienne Fresque de la Libreria Piccolomini à Sienne Raphael et Pinturicchio au premier rang Image Web Gallery of Art

Pinturicchio Raphael et Pinturicchio au premier rang Canonisation de Catherine de Sienne Détail Fresque de la Libreria Piccolomini à Sienne Image Web Gallery of Art
Raphael est-il l’auteur de deux des tableaux ou bien a-t-il simplement proposé des dessins ? Une lecture juridique du contrat inclinerait en faveur de la seconde proposition car le contrat stipule que les têtes doivent avoir été peintes par le Pinturicchio. Rien n’empêche dans ce cas, que Raphael ait peint la totalité des personnages et le reste du tableau. Or ce qui paraît le plus critiquable dans les peintures du Pinturicchio, paraît, de fait, la contribution de ses élèves ! On n’a pas tous les jours sous la main un collaborateur de la classe d’un Raphael !
Cependant, il existe un élément indubitable qui contredit l’affirmation perfide de Vasari, et, à sa suite, de Alexis François Rio, selon laquelle Raphael serait le véritable auteur de certaines fresques de la Libreria : à la date où Raphael aurait pu travailler à Sienne, les fresques n’étaient même pas commencées. Car elles seront, de fait, réalisées, par suite des retards successifs, entre 1506 et 1509 ! Raphael ne peut donc pas être l’auteur des fresques, ni même de deux d’entre elles, même s’il a participé, peut-être à la demande des commanditaires, au dessin de certaines d’entre elles.
Qui donc en est l’auteur alors ? Qui d’autre sinon le Pinturicchio, qui, rejeté par le nouveau pape Jules II, et sans autre contrat que ceux avec la famille Piccolomini pour laquelle il travaille exclusivement depuis 1502, aurait davantage été impliqué dans la réalisation de tous les personnages des tableaux ?
Reste une dernière question : qui doit-on croire entre les portraits à charge et à décharge des deux critiques d’art ?
Il semble bien que chacun des deux ait des arguments même si « l’anti-Borgianisme » primaire de Rio, apparaisse le fruit de la période au cours de laquelle il s’exprime. Il appartient cependant au lecteur seul, de fonder sa propre opinion.
La conclusion de cette controverse, nous est donnée par l’historien britannique de l’art Siennois, Robert Langton Douglas[viii] : « mais, lorsqu’on a épuisé toutes les critiques, la Bibliothèque de la cathédrale de Sienne n’en possède pas moins, sans contredit, l’une des décorations intérieures les plus superbes qui existent dans le monde entier ».
La décoration du palais du Magnifique Pandolphe Petrucci
Celui qui gouverne la ville de Sienne depuis 1487, est un parvenu, d’origine modeste, Pandolfo Petrucci. Riche, il a décidé de se faire construire un palais, celui du Magnifique Pandolfo (selon l’expression florentine où « Magnifique » désigne les hommes importants).
Les travaux du palais, dont il ne reste plus que la façade sur la via dei Pellegrini, débutent en 1505 pour s’achever en 1508. Ils sont réalisés par Domenico di Bartolomeo sur un projet de Giacomo Cozzarelli, architecte et sculpteur de Sienne.
En 1509, alors que le Pinturicchio est entré dans l’intimité de Pandolfo Petrucci, celui-ci lui commande trois fresques pour son nouveau palais, près de San Giovanni.
Pour la décoration de son Palais, Pandolfo a choisi les meilleurs artistes italiens. Le clou de la décoration, c’est une salle magnifique, un carré de 6,74m de côté et d’une hauteur de 5,14m, qui contient les fresques du Pinturicchio, de Luca Signorelli et de Girolamo Genga, « le tout agrémenté de stucs précieux et de sculptures en bois de l’incomparable Antonio Barili, maître de Giovanni, lequel exécuta les portes et le plafond des Stanze au Vatican. (…) Une voûte à pendentifs reposait sur une riche ordonnance de pilastres, qui se détachaient sur les fresques, encadrées de moulures rehaussées d’or. L’or étincelait de tous côtés : sur les stucs de la voûte, sur les bois sculptés sur les mille détails des peintures et sur le fond des fresques. Cela faisait comme un ruissellement de lumière… »[ix].
Les événements de Sienne qui suivent la mort de Petrucci, contraignent le fils de ce dernier, Borghese Petrucci à l’exil. Le palais est alors démantelé. Ne subsistent aujourd’hui des magnifiques décorations de ce palais, que le plafond, reconstitué au Metropolitan Museum de New York et trois fresques, deux de Luca Signorelli et une du Pinturicchio, celle du retour d’Ulysse, à la National Gallery de Londres.

Pinturicchio Le retour d’Ulysse Fresque du palais Magnifico de Petrucci à Sienne National Gallery Londres Image Web Gallery of Art
Les dernières œuvres et la mort
La rémunération véritablement royale que perçoit le Pinturicchio à Sienne, lui permet d’acquérir des maisons et des terrains qu’il donnera ensuite en dot pour l’établissement de ses filles. Mais il est mauvais ménager de ses finances personnelles et c’est son épouse, Grania, qui tient les cordons de sa bourse.
Sigismondo Tizio (1458-1529), son ami, raconte qu’il mourut de faim, par suite du dénuement complet où son épouse, Grania, le laissait, malade, pour aller coqueter avec son galant.
Ce qui inspire Alexis François Rio à conclure avec cette épitaphe sur le Pinturicchio :
« La cause de sa mort ne fut pas, comme le prétend absurdement Vasari, le désespoir d’avoir manqué une belle occasion de s’enrichir aux dépens des moines franciscains de Sienne. Non, ce ne fut ni la honte, ni le remords qui rendirent amers ses derniers moments, mais le sentiment affreux de l’abandon dans lequel le laissait mourir celle qui avait partagé jusque-là les diverses vicissitudes de sa fortune, et qui, dans son impatience de contracter un nouveau lien, s’enfuyait avec son ignoble complice, après avoir fermé la porte sur son mari agonisant, de manière que ses plaintes ne fussent entendues de personne.

Pinturicchio Le chemin du calvaire 1513 51×42,5 cm Collection Borromée Isola Bella Image Wikimedia
Ceci se passait en 1513, et l’on voit dans le palais Borromeo, à Milan, une petite miniature de Pinturicchio, de la même date, qui représente Jésus portant sa croix, et qui pourrait bien être une allusion à celle que ce martyr de la patience conjugale avait à porter lui-même ».
Video You Tube sur l’œuvre du Pinturicchio par AMICIDELL’ARTE VARESE
____________________________________________________
[i] Evelyn March Philips Pintoricchio Bell Londres 1901 Livre Archives Internet , Pintoriccio His life work and time Corrado Ricci 1902 Londres Le Pinturicchio Biographie critique Arnold Goffin Paris.
[ii] La vie des meilleurs peintres sculpteurs et architectes par Giorgio Vasari Livre GALLICA-BNF-INHA.
[iii] Voir à ce sujet le livre de Alexis François Rio : De l’art Chrétien Volume II Ecole Ombrienne Hachette 1864 Livre Google book
[iv] Voir à ce sujet l’excellent article en italien sur Pinturicchio sur le site Wikiwand.
[v] Cieri-Via Claudia, Blamoutier Nadine. «Characteres et figuras in opere magico». Pinturicchio et la décoration de la «camera segreta» de l’appartement Borgia. In: Revue de l’Art, 1991, n°94. pp. 11-26;
[vi] Cristina Acidini, Pintoricchio, in Pittori del Rinascimento, Scala, Firenze 2004, citée par l’auteur de l’article sur le Pinturicchio sur le site Wikiwand.
[vii] Voir à ce sujet l’article Série Jovian sur Wikiwand. La série Jovian a été initiée par le premier grand-duc de Toscane, Cosme de Médicis, qui a demandé, en 1552 à Cristofano dell’Altissimo, de copier la galerie des portraits de Paolo Giovo dans son musée du lac de Côme.
[viii] Robert Langton Douglas Histoire de Sienne Volumes I Histoire politique et sociale et II L’art Siennois. Livres Archives Internet.
[ix] Le Palais del Magnifico à Sienne Article de A. Franchi dans L’art : Revue hebdomadaire illustrée (1888) Site de la bibliothèque de l’Université de Heidelberg.
Très intéressant travail ! Bravo…
Dommage qu’on ne puisse pas les télécharger en PDF. Est-ce un parti pris de votre part ?
Cordialement.
Bonjour, Comme vous l’aurez peut-être constaté, mon travail qui tourne autour de mes romans historiques, vise à rechercher les clefs de la renaissance. J’essaie dans tous mes articles, à la fois d’avoir les sources les plus larges et les plus diverses(avec les liens pour les télécharger), afin de donner une interprétation qui m’est personnelle et qui n’aurait aucun sens si l’article circulait sur la toile. Tous mes articles intègrent cette recherche. Je me suis fait une spécialité de résumer des livres du XIXème siècle car je puise toute mon information de ce qui est publié sur Internet: la conséquence, c’est que je perds la plupart des contributions, souvent les plus significatives, de l’époque actuelle (à l’exception de celles qui ont été publiées sur internet). Je suis donc dans l’obligation d’analyser pour donner au lecteur l’image d’une subjectivité. A ma manière, je suis un « first author » bien imparfait. Mon souci est d’attirer des lecteurs sur mon site et de susciter des critiques, des controverses. Enfin, une autre raison du fait que je ne souhaite pas le libre téléchargement sur Internet, c’est que mes recherches nécessitent un travail très important de collecte et de mise en forme (plusieurs centaines d’heures pour les articles de plus de 10000 mots) : autant que j’en ai un retour par des visites sur mon site !
Pour continuer et poursuivre l’expérience du Pinturicchio, je vous invite à lire les articles liés sur Annius de Viterbe, sur Pic de la Mirandole, sur l’hermétisme des appartements Borgia et sur l’Ombre de Cesar Borgia sur le Prince de Machiavel. Comme vous le constaterez, dans la plupart de ces articles, je donne au moins une conclusion personnelle importante (notamment sur Annius de Viterbe et Machiavel).
Bien cordialement
Gratien/Philippe Gendre