Bartolommeo Sacchi dit Platina est l’un des grands humanistes de la renaissance. Fondateur de l’Academia Romana en 1466 avec Pomponio Leto, il est emprisonné deux ans plus tard et l’académie fermée par ordre de Pie II. Il va connaître la gloire avec Sixte IV qui le nomme préfet de la bibliothèque Sixtine. Il est l’auteur d’un célèbre traité de gastronomie de la renaissance.
Bartolomeo Sacchi[i] est né en 1421. Il est issu d’une famille pauvre. Dans sa jeunesse, il sert en qualité de mercenaire au service des condottieres Niccolo Picccinino et Francesco Sforza.
Ayant sans doute un pécule en poche, il se retire de la vie militaire, vers l’âge de vingt-cinq ans, pour se consacrer aux études et il suit les cours de Ognibene Bonisoli da Lonigo à l’école de Mantoue fondée vingt ans plus tôt par Vittore Ramboldini da Feltro (le célèbre éducateur est évoqué dans deux autres articles de ce Blog Une grande famille de la renaissance Italienne, les Gonzague de Mantoue et L’éducation des princes, le prince de l’éducation).
L’école de la « Casa giocosa » (maison joyeuse) devient rapidement l’une des grandes écoles européennes qui va attirer les héritiers de toutes les maisons régnantes et donner un lustre inouï à la ville de Mantoue. Le programme qui combine les disciplines humanistes classiques, à l’enseignement de la rhétorique, fait une large place à la culture religieuse tout en essayant de former des esprits éclairés, équilibrés et ouverts sur le monde. L’enseignement accordait un large espace aux activités physiques : l’équitation, l’escrime, la nage et la chasse. Les leçons de grec et de latin alternaient avec celles de la musique et du dessin. A la « Casa giocosa » on apprenait à penser : « soyez sûrs d’abord que vous avez quelque chose à dire, puis dites le tout uniment ».
C’est donc dans une école prestigieuse pour nobles qu’entre le jeune militaire retraité. Il le doit sans doute à des qualités intellectuelles hors normes, qui doivent lui avoir attiré le soutien de puissants appuis. D’ailleurs, quelques années plus tard, en 1453, il succède à son professeur à la tête de l’école. Il a notamment pour élèves Frédéric de Gonzague (1441-1484), le fils du marquis de Mantoue, et son frère Francesco (1444-1483).
En 1457, il part pour Florence pour étudier le grec et la philosophie auprès de Jean Argyropoulos (voir l’article éponyme sur Wikipedia), un lettré byzantin, qui a émigré en Italie, après la chute de Constantinople, et qui va exercer une immense influence sur la renaissance italienne. Il rencontre plusieurs humanistes à Florence dont, probablement, Le Pogge, alors chancelier de Florence.
En 1462, il accompagne à Rome, son ancien élève, Francesco de Gonzague, nommé cardinal l’année précédente, à l’âge de dix-sept ans, par le pape Pie II. Il fraye à Rome, avec les cardinaux lettrés, notamment, Giacomo Ammannati et Bessarion, ce dernier disposant d’une immense réputation, ayant pesé de tout son poids pour la réconciliation des églises orthodoxe et d’occident, décidée au concile de Florence en 1439, réconciliation qui ne sera pas validée par les chrétiens orthodoxes, ce qui amènera Bessarion à quitter définitivement la Grèce pour s’établir à Rome.
Bartolommeo est nommé en 1464 Abréviateur à la chancellerie du pape Pie II: les poètes et lettrés faisant partie du collège des abréviateurs, étaient chargés de contrôler et au besoin de reformuler, l’intégrité et l’honnêteté des documents pontificaux. Mais, après la mort de Pie II, le 14 août 1464, et l’élection de son successeur, Paul II (Pietro Barbo 1417-1467), il perd sa charge, comme tous ses collègues du collège, ce qui suscite parmi ces derniers une grande émotion. Bartolommeo Sacchi aurait alors rédigé une lettre de protestation au ton jugé menaçant, ce qui, si c’est vrai, n’a pas dû prédisposer le nouveau pape en leur faveur. Bartolommeo va être contraint, pour subsister au cours des années suivantes, de dépendre de la protection du cardinal Francesco Gonzague.
Dans le cercle des humanistes de Rome, il y a également Pomponio Leto, avec lequel, Bartholommeo Sacchi va fonder, trois ans plus tard, en 1465, l’Academia Romana.
Pomponio Leto et l’Academia Romana
Giulio Pomponio Leto (1428-1497)[ii], est le fils illégitime d’un seigneur de la famille Sanseverino. Il fut l’un des plus grands experts en littérature gréco-latine de son temps.
Pomponio (voir l’article sur ce Blog L’Academia Romana de Pomponio Leto: la restauration de la Rome antique) a étudié la littérature classique auprès de Lorenzo Valla (1407-1457), qui est, d’après Erasme, le meilleur grammairien de son temps et de Theodore Gazis (1400-1475), un humaniste grec, traducteur d’Aristote. En 1457, le jeune latiniste est devenu professeur de rhétorique à l’Université de Rome. Il fraye avec Filippo Buonaccorsi, l’un de ses élèves (1437 à 1496) et Niccolo Cosmico Lelio (1420 à 1500).
Lorsque Pomponio décide de créer son Academia Romana, le principe est de restaurer les valeurs et les vertus du monde classique : le terme « restauration » va relativement loin car ils se mettent à célébrer des cérémonies antiques, d’anciennes festivités qu’ils empruntent aux auteurs classiques. Les membres adoptent dès lors un nom latin. Ainsi de Bartholomeo Sacchi, qui devient « Platina », de « Julius Pomponio Letus », de Filippo Buonaccorsi, qui devient « Callimachus », de Niccolo Lelio, qui devient « Cosmicus ».
En 1468, le pape Paul II décide de fermer l’Academia Romana pour conspiration contre l’Etat pontifical. L’accusation ne sera jamais étayée ni infirmée. Le pape a-t-il pensé que les pratiques de l’Academia étaient hérétiques ? A-t-il voulu contrôler les milieux littéraires romains ? A-t-il surtout voulu sévir contre les pratiques de sodomie de certains des membres de l’académie, et notamment de Filippo Buonaccorsi et de Pomponio Leto ?
Car ce dernier, au moment de la fermeture de l’Académie par le pape, se trouve à Venise. Il est certain que l’accusation, très grave pour l’époque, de sodomite, a dû être portée contre Pomponio Leto, car il est emprisonné à Venise : il risque la peine de mort. Il va être sauvé du bourreau par l’éclatement du scandale et extradé à Rome, où il va être emprisonné pendant un an au Castel San Angelo.
Parmi les nombreuses initiatives de renouvellement des antiques festivités latines, fêtées par l’Academia, figure la fête des bergers, ou « Palilia », célébrée tous les 21 Avril, jour anniversaire de la fondation de Rome, évoquée dans les Fastes d’Ovide. Les intentions des intellectuels romains sont mal comprises par le pape Paul II et les universitaires sont accusés d’hérésie et de conspiration contre l’État pontifical.
La police du pape arrête tous les membres de l’académie, à l’exception du poète Philippe Buonaccorsi[iii], qui parvient à s’enfuir et qui ne reviendra jamais à Rome. Son homosexualité est devenue notoire avec ses épigrammes latines, dans lesquelles il évoque notamment son Ganymède Antonio Lépide. Buonaccorsi va connaître dès lors un destin brillant car il parvient à s’échapper d’Italie et à rejoindre en 1472 la Pologne où il est nommé précepteurs des princes, puis ambassadeur à Venise, à Rome et à Constantinople. Sa carrière va atteindre son apogée avec l’accession au trône de Jean Ier Albert Jagellon, en 1492, son ancien élève. Buonaccorsi est considéré comme le grand propagateur de l’humanisme en Europe du nord.
Les membres de l’Académie sont jugés sommairement, soumis à des tortures et emprisonnés au Château Saint-Ange. Pomponio va réussir à prouver son innocence et va être libéré au bout d’un an. Il va changer complètement de vie : une fois sorti de prison, il se marie et partage désormais son temps entre les cours donnés à l’Université et les soirées à la maison… Notons que le pape Paul III (1468-1549), né Alexandre Farnèse, a reçu, entre 1487 et 1489, les enseignements de Pomponio Leto. Pomponio meurt paisiblement en 1498. Pomponio Leto est crédité d’avoir joué un rôle majeur dans la propagation générale de l’humanisme en Italie et le développement d’une pédagogie appropriée pour l’étude des sciences humaines dans les universités.
Toute sa vie, Platina est resté très proche de Pomponio, en dépit de leurs différences d’origine et de caractère. Ils occupent d’ailleurs des maisons voisines sur la colline du Quirinal. Tout-puissant à la cour pontificale, Platina a fait obtenir à son ami Pomponio, d’une pauvreté extrême, une petite maison proche de la sienne. Cette habitation, d’après Jean Marie Audin dans son Histoire de Léon X[iv] , « toute rurale, toute silencieuse, ressemblait un peu à celle que Politien a chantée, c’est-à-dire qu’elle reposait dans une corbeille de verdure, qu’elle était abritée du soleil par des bosquets de lauriers, et du bruit de Rome par d’épaisses murailles« .
Pomponio est un non-conformiste : c’est un déclassé, bâtard d’une famille noble, qui préfère étudier plutôt que de mener une vie aristocratique. Contrairement à nombre de ses collègues et amis, comme Platina par exemple, il ne s’est jamais attaché à la maison d’un ecclésiastique. Sa priorité a toujours été de préserver sa liberté. Ce qui rapproche Pomponio de l’ambitieux Platina, c’est leur amour commun pour l’antiquité.
Platina récompensé
Platina, qui est resté emprisonné pendant un an, a également réussi à prouver son innocence. Il est libéré au printemps 1469. Il est arrivé à l’Academia Romana à travers l’itinéraire d’un épicurien, une philosophie qui a dû, sans doute, être interprétée de façon erronée, pour conduire à de telles accusations d’hérésie.
Paul II meurt en 1471. Lui succède un pape humaniste, Francesco della Rovere, élu sous le nom de Sixte IV, qui apprécie Platina, auquel il confie en 1472, la tâche d’écrire la biographie des papes, œuvre que ce dernier conduit de 1472 à 1474.
L’ouvrage de Platina sur la vie des papes est considéré comme l’ouvrage de référence de l’histoire des papes. Le livre a également été largement reçu parmi les protestants en raison de sa critique ouverte de la morale des ecclésiastiques.
Parallèlement, Platina rédige son traité gastronomique « De honesta voluptate et valetudine » Rome 1475. Un traité rapidement traduit et publié à Lyon à la librairie Estienne, en 1528, sous le titre « Platine de honnête volupté »[v].
La page de titre est tout un programme : « S’ensuit le livre de Platine, très utile et nécessaire à toutes gens, lequel nous montre et nous enseigne comment on doit régir et gouverner le corps humain pour vivre longuement en bonne santé.(…) La première nous démontre en quel lieu l’homme doit faire son habitation (…), la seconde partie nous donne une connaissance de tous fruits bons ou mauvais (…), la tierce traite de toutes espèces d’épices et herbes (…), la quarte de toutes les bêtes bonnes à manger (…), la cinquième des oiseaux (…), la sixième, comment on doit apprêter lesdits oiseaux (…), la septième parle d’aucunes espèces de blés et légumes secs pour faire les potages (…), la huitième des tartres et popelins et toute espèces de viandes en pâte (…), la neuvième, d’apprêter les œufs (…), la dixième et dernière, d’apprêter les poissons (…)»…
Et en 1475, Platina est désigné par Sixte IV, préfet de la Bibliothèque du Vatican, qui vient d’être créée par la bulle « Ad decorem militantis Ecclesiae » du 15 juin 1475. Une fresque de Melozzo da Forli va immortaliser l’évènement.
Platina meurt de la peste le 21 septembre 1481. Il est enterré en grande pompe sur l’Esquilin.
Il trouvera un dernier asile dans la basilique Sainte-Marie Majeure où son épitaphe, qui a longtemps figuré sur son tombeau, a aujourd’hui disparu.
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[i] Cette biographie est issue d’un article qui figure sur le site « Repertorium Pomponianum » consacré à Pomponio Leto, quoique aucun article ne lui soit encore dédié, et qui présente les biographies de toute une série d’auteurs de la renaissance italienne en relation avec Pomponio Leto.
[ii] Voir l’article sur Pomponio Leto et l’Academia Romana.
[iii] Voir l’article en italien sur Buonaccorsi, et celui du site Pomponio Leto. Sur Niccolo Lelio Cosmico et le dictionnaire biographique .
[iv] Jean Marie Audin Histoire de Léon X, site Mediterranée-Antique.
[v] Platine de ho[n]neste volupte. Sensuyt le liure de Platine très utile.
[…] Le premier bibliothécaire désigné par Sixte IV, est Platina (Voir sur ce Blog l’article Platina et l’Academia Romana: humanisme et gastronomie à la Renaissance). […]