
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 70, Porcia BNF
Il s’agit du quatre-vingtième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui présente Porcia, fille de Caton d’Utique, l’épouse courageuse et fidèle de Marcus Brutus, son cousin germain.
Plutarque dresse le portrait des relations puissantes entre Marcus Brutus et son épouse:
« 2 III Caton le philosophe, était frère de Servilie, mère de Brutus; ce fut lui surtout que Brutus se montra jaloux d’imiter, comme son oncle. Il devint même son gendre. (…)
« 13 XV Sa femme, qui était auprès de lui, s’aperçut bientôt qu’il éprouvait un trouble extraordinaire, et qu’il roulait dans son esprit quelque projet difficile dont il avait peine à trouver l’issue. Porcia, comme nous l’avons dit, était fille de Caton; Brutus, dont elle était cousine, l’avait épousée jeune encore, quoiqu’elle fût déjà veuve de Bibulus, qui lui avait laissé un fils du même nom que son père, et dont on a encore un petit ouvrage intitulé « Mémoires de Brutus ». Porcia, qui avait fait son étude de la philosophie, et qui aimait tendrement son mari, joignait à une grande élévation d’esprit beaucoup de prudence et de bon sens : elle ne voulut demander à Brutus le secret dont il était si occupé qu’après avoir fait l’épreuve de son courage.
« Elle prit un de ces petits couteaux dont les barbiers se servent pour faire les ongles, et, ayant renvoyé toutes ses femmes, elle se fit à la cuisse une incision profonde, d’où il sortit une grande quantité de sang, et qui lui causa bientôt après des douleurs très vives et une fièvre violente accompagnée de frissons. Brutus était dans la plus vive inquiétude sur un état si alarmant, lorsque sa femme, au fort de la douleur, lui tint ce discours : « Brutus, je suis fille de Caton, et je suis entrée dans votre maison, non pour y être comme une de ces concubines qui ne partagent que le lit et la table, mais pour être associée à tous vos biens et à tous vos maux. Vous ne m’avez donné, depuis mon mariage, aucun sujet de plainte : mais moi, quelle preuve puis-je vous donner de ma reconnaissance et de ma tendresse, si vous ne me croyez capable ni de supporter avec vous un accident qui demande du secret, ni de recevoir une confidence qui exige de la fidélité? Je sais qu’en général on croit les femmes trop faibles pour garder un secret : mais, Brutus, une bonne éducation et le commerce des personnes vertueuses ont de l’influence sur les moeurs; et j’ai l’avantage d’avoir Caton pour père et Brutus pour mari. Cependant je n’ai pas tellement compté sur ce double appui, que je ne me sois assurée que je serais invincible à la douleur ».
« En même temps elle lui montre sa plaie, et lui raconte l’épreuve qu’elle a faite. Brutus, frappé d’étonnement, lève les mains au ciel, et demande aux dieux de lui accorder un tel succès dans son entreprise, qu’il soit jugé digne d’être l’époux de Porcia; et aussitôt il lui fait donner tous les secours que son état exigeait.
« 15 XVIII Dans ce moment, un esclave de Brutus vient, en courant, lui annoncer que sa femme se meurt : Porcia, pleine d’inquiétude sur l’événement, et ne pouvant, supporter le poids de son chagrin, avait bien de la peine à se tenir dans sa maison : au moindre cri, au plus léger bruit qu’elle entendait, tressaillant de tout son corps, comme les femmes qui sont saisies de la fureur des Bacchantes, elle allait demander à tous ceux qui revenaient de la place ce que faisait Brutus; et à tout moment elle envoyait pour en savoir des nouvelles.
Enfin, l’affaire traînant en longueur, les forces lui manquèrent. L’agitation violente que lui causait son inquiétude la jeta dans un tel accablement, qu’elle n’eut pas le temps de rentrer dans sa chambre; pendant qu’elle était assise dans sa cour, elle tomba dans une défaillance qui la priva de tout sentiment; son visage en fut défiguré, et elle perdit l’usage de la voix. Quand ses femmes la virent dans cet état, elles poussèrent des cris affreux qui attirèrent les voisins, et le bruit de sa mort se répandit promptement dans la ville; mais revenue bientôt de son évanouissement, et ayant repris ses sens, les soins que ses femmes lui donnèrent la remirent dans son état naturel. La nouvelle de sa mort jeta Brutus dans le plus grand trouble; cependant son malheur personnel ne lui fit pas abandonner l’intérêt public, et il ne sortit pas du sénat pour aller chez lui.
23 XXVII Déjà Rome se partageait entre César et Antoine; les armées étaient comme à l’encan, et se vendaient à celui qui mettait la plus haute enchère. Brutus alors, désespérant de rétablir les affaires, prit le parti de quitter l’Italie; et traversant par terre la Lucanie, il se rendit à Élée, sur le bord de la mer. Porcia, qui devait de là retourner à Rome, s’afforçait de cacher la douleur que lui causait sa séparation d’avec son mari : mais son courage échoua à l’aspect d’un tableau dont le sujet était tiré de l’histoire grecque.
Il représentait les adieux d’Hector et d’Andromaque, qui recevait, des mains de son mari, Astyanax son fils encore enfant, et tenait les yeux fixés sur Hector. La vue de ce tableau, en rappelant à Porcia son propre malheur, la fit fondre en larmes; elle alla le considérer plusieurs fois dans le jour; et chaque fois cette image de sa situation renouvelait ses pleurs. Acilius, un des amis de Brutus, témoin de la douleur de Porcia, prononça ces paroles d’Andromaque à Hector : « Seul vous me tenez lieu d’un père et d’une mère ; Vous êtes à la fois mon époux et mon frère». Pour moi, lui dit Brutus en souriant, je ne puis pas adresser à Porcia les paroles d’Hector à Andromaque : « Allez ; et, reprenant vos toiles, vos fuseaux, A vos femmes, chez vous, partagez leurs travaux».
Car si la faiblesse de son corps ne lui permet pas les mêmes exploits qu’à nous, elle nous égalera du moins à combattre pour sa patrie, par la fermeté de son âme. Ce trait nous a été conservé par Bibulus, fils de Porcia
53 LXI Nicolas le philosophe et Valère Maxime, rapportent que sa femme Porcia, résolue de se donner la mort, mais en étant empêchée par tous ses amis qui la gardaient à vue, prit un jour dans le feu des charbons ardents, les avala, et tint sa bouche si exactement fermée, qu’elle fut étouffée en un instant.
Cependant il existe une lettre de Brutus, dans laquelle il reproche à ses amis d’avoir tellement négligé Porcia, qu’elle s’était laissée mourir pour se délivrer d’une pénible maladie. Il semble donc que ce soit de la part de ces deux écrivains un anachronisme, car cette lettre, si elle est véritablement de Brutus, fait assez connaître la maladie de sa femme, son amour pour son mari, et le genre de sa mort ».
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[i] Plutarque Les Vies des hommes illustres Brutus. 2 III, 13 XV, 15 XVIII, 23 XXVII, 53 LXI.
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