Sandro Botticelli a mis en oeuvre la gloire des Médicis et du plus renommé d’entre eux, Laurent le Magnifique, à tel point que leur image est devenue inséparable. Ses allégories complexes du printemps, de la naissance de Vénus et de la calomnie d’Apelle, qui présentent un caractère extrêmement savant ont laissé pensé qu’il était lui-même un homme très instruit. Il était un génie de la peinture, assurément, mais il avait pour conseillers techniques quelques unes des plus grandes sommités intellectuelles de tous les temps.
Les jeunes années
Alessandro di Mariano Filipepi[i], Sandro en diminutif florentin, surnommé di Botticello, naît en 1444 dans une maison de la Via Nuova à Florence.
Son père, Mariano di Vanni di Filipepi est un tanneur prospère, installé sur les bords du Mugnone, une rivière qui se jette dans l’Arno, à petite distance du Ponte-Vecchio. Mais la famille vit dans une grande maison de la Via Nuova, devenue la Via Porcellana dans le Borgo Ognissanti, juste à côté de l’église de Santa-Lucia.
Les conditions de vie de la famille sont confortables et le père dispose de plusieurs maisons et terres dans Florence et autour de la ville. Il est donc en mesure de donner une bonne éducation à ses enfants.
Alessandro est le quatrième fils de la fratrie. Son frère aîné, Giovanni, a suivi la profession du père et il est devenu négociant en peaux. Il a pris le surnom de Botticelli « petit tonneau ». Ce surnom vient-il d’une enseigne de la tannerie familiale ou d’une terre donnée au fils aîné par le père ? Le second, Antonio, est devenu orfèvre et libraire. Le troisième, Simone, né en 1443, est parti, à l’âge de quatorze ans, étudier la banque, à Naples, auprès de Paolo Rucellai, un riche banquier florentin.
Alessandro va suivre des études littéraires jusqu’à l’âge de treize ans. Il est d’une santé délicate. Car Vasari raconte que le benjamin n’a aucun goût pour les études ni pour l’arithmétique. Son père renonce à une carrière cléricale sans doute, un temps, envisagée, pour placer le jeune rebelle, en apprentissage, chez son frère Antonio, où il est possible qu’il soit resté un ou deux ans. D’après Julia Cartwright, il n’existe pas d’orfèvre nommé Botticelli à Florence, à l’époque et le surnom repris par Alessandro, serait celui adopté par son frère aîné.
Lorsque Sandro signera plus tard ses œuvres, il utilisera tantôt son nom patronymique, Sandro di Mariano, ou bien, « di Botticelli » ou « detto Botticello ».
Toujours est-il qu’après avoir été, fugitivement, apprenti orfèvre, il convainc son père que sa véritable vocation n’est pas l’artisanat mais la peinture. De ce bref passage dans l’atelier de son frère, il retiendra l’art de la ciselure, une grande précision dans l’ornementation et le traçage des contours.
Son père décide alors de le placer chez Fra Filippo Lippi del Carmine[ii], un carmélite, peintre renommé de Florence, au service de Cosme de Médicis.
Alessandro entre donc à l’âge de quinze ou seize ans, en 1459 ou en 1460 dans l’atelier du grand peintre florentin. Il va passer les trois années suivantes à imiter son maître si étroitement, qu’il en devient bientôt le disciple préféré.
L’apprentissage
A-t-il travaillé à Prato, avec les autres compagnons de l’atelier de Fra Filippo, qui sont à l’œuvre depuis 1452, au très célèbre cycle des « Histoires de Saint Étienne et de Saint Jean Baptiste » de la chapelle majeure du Dôme de Prato ? C’est infiniment probable car, à partir de 1463, le maître se trouve plus fréquemment à Prato qu’à Florence et tous les collaborateurs de l’atelier sont appelés à participer à l’achèvement du cycle des fresques de Prato, qui avait pris beaucoup de retard. Mais, plus encore, on peut déceler dans les personnages, leurs costumes ou la lumière des fresques, les germes de l’art de Botticelli. Prato a été le véritable creuset de la formation de Sandro Botticelli.
D’après Julia Cartwright, le pinceau du jeune Sandro Botticelli se remarque plus précisément dans les dernières fresques de la série, sur les murs droit et gauche de la chapelle : la scène du banquet d’Hérode en l’honneur de Salomé et celle des Obsèques de Saint-Etienne. On constate du reste que les quatre fresques du haut sont d’inspiration gothique alors que la renaissance pointe son nez dans les deux du bas. Ces fresques ont été peintes en 1464, alors que Fra Filippo se hâte de terminer un travail pour lequel il a pris beaucoup de retard. Le jeune Alessandro aurait été étroitement associé aux cartons de ces deux fresques, puis à leur réalisation, entre 1464 et 1465.
Au début de l’année 1465, Botticelli revient à Florence où il continue de peindre les madones de Fra Filippo qui deviendront des motifs iconographiques récurrents dans l’œuvre du peintre, tels que cette première Madone, en 1466.
Il n’accompagne pas son maître pour la décoration du plafond de la cathédrale de Spolète, en 1467, mais les anges des fresques y ont une telle proximité stylistique avec ceux de Botticelli, que l’on peut tenir pour assuré que l’élève a dû être étroitement associé à l’élaboration des cartons.
Du reste, on peut penser qu’Allessandro a pris, dès 1467, une position centrale dans l’atelier du vieux maître, qui lui laisse la direction de l’atelier et la conduite de ses commandes artistiques, pendant qu’il est à Spolète. Car, après la mort du maître, en 1469, c’est lui qui va accueillir le fils de Fra Filippo, Filipino, alors âgé de douze ans, pour former, à son tour, le fils de son formateur.
Suivront, pendant les années suivantes, toute une série de vierges à l’enfant, qui présentent toutes, un air de ressemblance entre elles, comme la madone à la Roseraie, la vierge à l’enfant d’Avignon ou la madone avec deux anges. Ces tableaux présentent un tel air de parenté, qu’il était difficile de ne pas les attribuer au pinceau du jeune Botticelli.
Pendant cette période charnière de sa vie, Botticelli poursuit sa formation en s’imprégnant du style de deux grands maîtres de la peinture à Florence, le peintre sculpteur et orfèvre Andrea del Verrochio[iii] et le peintre orfèvre, Antonio del Pollaiuolo.
La rapide ascension
Il fréquente assidûment l’atelier des frères Pollaiuolo[iv], dont la proximité lui vaut, grâce au soutien de Tommaso Soderini, son voisin, par ailleurs un homme de confiance des Médicis, de participer à l’exécution d’une commande, par le « Tribunale della Mercanzia » de sept tableaux allégoriques représentant les vertus. Piero Pollaiuolo, qui a pris du retard sur l’exécution des sept œuvres est rappelé à l’ordre par l’attribution de l’un des sujets, la Force, à Botticelli : l’Allégorie de la Force sera réalisée suivant un modèle qui est celui des autres vertus, mais dans une attitude et une expression qui est celle de Botticelli : visage incliné et triste, qui fait penser à celui de ses madones.
Peu après le retour de Filippino, le fils de son maître disparu, à Florence, Alessandro part installer son atelier dans une maison Via della Porcellanna, près de l’Eglise Ognissanti, achetée en 1464, sans doute par son père, car elle jouxte la maison familiale.
De cette période charnière de la jeunesse d’Alessandro, vont naître plusieurs œuvres dont L’adoration des Mages, peinte avec le jeune Filippino en 1470 ou 1471, aujourd’hui à la National Gallery, à Londres.
L’œuvre montre, sur la gauche des rois mages, un groupe de personnages peints à la manière du peintre orfèvre, Antonio del Pollaiuolo mais le tableau présente la particularité d’avoir été composé par Filippino Lippi et terminé et mis en forme par Botticelli, selon le site du National Gallery.
Parmi les œuvres de jeunesse de Botticelli, figurent les deux petits tableaux conservés au Musée des Offices, sur « la découverte du cadavre d’Holopherne » et « le Retour de Judith à Bétulie » commandés à Botticelli en 1472. Ces deux tableaux sont caractéristiques, d’après Julia Cartwright, du Botticelli de l’ère Pollaiuolo. D’autres auteurs revendiquent pour le retour de Judith, une influence de Fra Filippo Lippi. Le tableau du retour de Judith est le plus remarquable des deux car l’on sent dans ce tableau, les germes de la maturité stylistique de Botticelli. Le paysage arrière est quasi inexistant: c’est une sorte de décor de théâtre destiné à mettre l’oeuvre en perspective. Les deux femmes sont en mouvement: la servante a l’extrémité du pied posé sur le sol: c’est un instant saisi sur le vif. L’intensité dramatique de ce tableau repose sur la mise en scène des contrastes: le cimeterre qui vient de couper la tête d’Holopherne et le rameau d’olivier, les traits angéliques et pâles de Judith et la tête sombre d’Holopherne, l’air de madone de Judith et l’acte qu’elle vient d’accomplir. Judith fait penser à l’allégorie de la force tranquille que Botticelli a peinte deux ans plus tôt mais elle se présente comme une madone à l’air triste, comme si elle regrettait le geste horrible qu’elle vient d’exécuter. Le retour de Judith prépare pour Botticelli, la Naissance de Vénus.
La proximité stylistique des frères Pollaiuolo, se retrouve dans un autre tableau, achevé vers 1474, avant celui d’Antonio Pollaiuolo, du « Saint Sébastien », peint, d’ordre de Laurent le Magnifique, pour l’église Santa Maria Maggiore, en 1473-1474.
Dès l’année 1472, la réputation de Botticelli est établie à Florence grâce au soutien actif de Laurent le Magnifique qui a reporté sur le plus prometteur des élèves de Fra Filippo Lippi, la protection des Médicis. Dès lors, les commandes vont se succéder sans interruption tant de la part des maîtres de Florence que de celles de tous leurs affidés et courtisans.
Laurent le Magnifique lui confie en 1474, la réalisation d’une figure de Pallas pour une bannière à exposer pour la joute chevaleresque organisée place Sainte-Croix, le 29 janvier 1475. La bannière représente Pallas, habillée d’une robe blanche et d’une veste d’or, devant des oliviers en flammes. Elle tient dans sa main droite une lance et dans sa main gauche un bouclier, arborant la tête de Méduse. Le thème de cette bannière sera, plus tard, repris dans le tableau de Pallas et le centaure.
La joute sera brillamment remportée par Julien de Médicis, sous les yeux de la belle Simonetta Cattaneo-Vespucci dont il est platoniquement amoureux et dont Botticelli fera le portrait. Vespucci est un ami de Julien de Médicis et un serviteur proche et dévoué des Médicis. Laurent le Magnifique lui-même parle avec affection des charmes de la belle Simonetta, adulée par tout le cercle néoplatonicien de Careggi comme l’écrit le Politien (voir sur ce Blog l’article sur la naissance de Vénus et le printemps de Botticelli : entre épicurisme et néoplatonisme) : « parmi tant d’excellents dons, elle avait porté ses manières très attractives à un tel degré de suavité que tous pouvaient bénéficier du privilège de son amitié, tous pouvaient estimer être aimés d’elle et il semblait absolument impossible qu’autant d’hommes puissent l’aimer sans excitation ni jalousie et que tant de femmes l’apprécient sans ressentir à son encontre la moindre nuance d’envie » (Julia Cartwright The Life and Art of Sandro Botticelli).
D’après Julia Cartwright, les tableaux de Julien de Médicis ne seraient pas de la main de Botticelli mais de l’un de ses élèves et le seul tableau d’un Médicis, peint par Botticelli, serait ce tableau d’un jeune homme, représentant Giovanni de Médicis, le fils cadet de Cosme de Médicis, oncle de Laurent le Magnifique, mort en 1463. Ce tableau aurait été réalisé à partir d’une empreinte mortuaire en cire, réalisée sur le gisant de Giovanni, mort prématurément à quarante et un ans. Le sujet du portrait est identifié, d’après Julia Cartwright, par le médaillon de Cosme de Médicis, que tient le jeune homme entre ses mains.
L’adoration des mages de l’église Santa Maria Novella
Giovanni de Medici apparaît également dans les personnages représentés dans le tableau de l’Adoration des Mages, réalisé vers 1475 ou 1476, aujourd’hui au musée des offices, qui réunit tous les personnages de la cour de Laurent le Magnifique. On aperçoit ce dernier, sur la gauche du tableau, tenant de ses deux mains, le pommeau de son épée, enlacé par Pic de la Mirandole (voir l’article de ce Blog sur Pic de la Mirandole : l’outrecuidance d’un génie au carrefour de deux mondes), et le Politien[v] à ses côtés. Le vénérable vieillard, en manteau sombre, agenouillé devant les pieds du bébé, est Cosme de Médicis, le fondateur de la lignée des Médicis. Le deuxième roi mage, au centre de la composition, en cape rouge, c’est son fils, Pierre de Médicis, le goutteux. Le troisième roi mage, en robe blanche, agenouillé aux côtés de son frère, c’est Giovanni, le fils cadet de Cosme, dont nous avons déjà parlé plus haut. Certains critiques ont voulu reconnaître dans le jeune homme debout aux côtés de Giovanni, Julien de Médicis, le frère cadet de Laurent. L’homme en robe bleue dont le visage est tourné vers le spectateur, est le commanditaire de l’oeuvre, Giovanni Lami. Quant à l’homme en robe ocre, dans le bord droit du tableau, qui regarde ostentatoirement le spectateur, il s’agit d’un autoportrait de Sandro Botticelli.
Cette œuvre va susciter un énorme enthousiasme chez les contemporains. Vasari dira à propos de ce tableau : « il est impossible de décrire précisément la beauté impartie à chacune des différentes figures, qui sont toutes placées dans différentes positions. Quelques-unes sont de face, d’autres, de profil, d’autres aux trois-quarts, pendant que d’autres encore, paraissent regarder le sol. Il y a là une infinie variété d’expressions. Les jeunes et les vieux sont représentés avec une telle individualité qu’elle révèle le maître parfait que l’artiste est devenu à cette date. Tant pour le dessin, que pour la composition et les couleurs, le travail est tellement parfait et admirable que tous les peintres de notre temps sont émerveillés de contempler ce tableau » (Julia Cartwright The Life and Art of Sandro Botticelli). Une opinion un peu emphatique mais qui révèle le caractère novateur de la composition qui met en valeur le bon gouvernement des Médicis à Florence.
D’après Julia Cartwright, qui cite le témoignage de contemporains, ce tableau aurait été commandé en hommage aux Médicis par un fidèle, d’une vieille lignée de marchands, Giovanni Lami, pour l’autel de la famille : le tableau était positionné au-dessus de l’autel de marbre sur la gauche des grandes portes de l’église de Santa Maria Novella, de sorte qu’il était impossible, en sortant de l’église, de ne pas le voir. Cet hommage direct à la puissance de la famille qui gouverne Florence, à la vue de tous et reconnaissable par chacun, était une façon de faire sa cour pour un serviteur de Laurent le Magnifique, qui assurait la promotion de l’artiste, identifié, dès lors, comme l’un des supports privilégiés de la grandeur des Médicis eux-mêmes.
Le tableau devait rester là jusqu’en 1570, date à laquelle la rénovation de l’église impose la destruction de l’autel des Lami et la vente du tableau à Fabio Mondragone, un chambellan espagnol du grand-duc de Toscane, lequel, ayant fait faillite, cinq ans plus tard, va le céder aux collections du grand-duc, dans la villa de Poggio où il va rester jusqu’en 1796, date de son transfert au musée des Offices.
Le sujet de l’adoration des mages est devenu, entre 1470 et 1475, un thème récurrent de Botticelli, peint à de nombreuses reprises, sous diverses variantes, pour différents commanditaires. Outre les deux tableaux de la National Gallery de Londres, il y a celui des Offices et celui de la National Gallery of Art de Washington.
L’art des portraits
Un autre sujet va absorber l’artiste pendant cette période féconde où il s’attache à développer son art : les portraits des seigneurs et des dames de la cour de Laurent le Magnifique. De nombreux portraits de dames ou de jeunes hommes concernent des personnalités ou des enfants de personnalités, parmi les plus en vue de l’époque, dont l’attribution reste à déterminer avec preuves à l’appui.
Dès lors, Botticelli va travailler exclusivement pour les Médicis et cette période verra se réaliser la plupart des immortels chefs-d’œuvre de l’artiste. Tout le cercle des humanistes qui entourent Laurent le Magnifique est alors néo-platonicien et le monde grec, et ses mythes, est à l’honneur, au sein de cette petite coterie d’intellectuels enthousiastes.
L’un de ces grands collectionneurs, Giovanni de Médicis, « le popolano », un cousin et filleul de Laurent le Magnifique, sur la fin de sa vie, l’époux de Caterina Sforza, père du condottiere Jean de Médicis des Bandes noires et grand-père du duc Cosme 1er de Toscane (voir sur ce Blog les articles sur Caterina Sforza l’indomptable lionne de Forli et le dernier condottiere : Jean de Médicis des Bandes noires), constitue dans sa villa de Castello, acquise en 1477, sur le conseil de son cousin Laurent le Magnifique, une magnifique collection de peintres de la renaissance dont la plus belle des collections de Botticelli.
Les allégories du Printemps et de la naissance de Vénus
Est-ce du reste, Giovanni, ou bien son frère aîné, Lorenzo (1463-1503) qui est le collectionneur ? Sans doute les deux frères tour à tour car, à l’occasion du mariage de Lorenzo l’aîné, ce dernier aurait reçu de Laurent le Magnifique, son parrain (le grand-père de Giovanni est le frère cadet de Cosme, le grand-père de Laurent le Magnifique), pour son mariage, en 1482, les œuvres du Printemps réalisé entre 1478 et 1482 et de Pallas et le centaure (1482-1483). Quant au tableau de la naissance de Vénus il aurait été commandé par Laurent, à l’occasion des noces de Lorenzo avec Sémiramide d’Appiano le 24 août 1482 et de son installation dans un palais de Florence, dans la via Larga. (Sur l’interprétation des deux tableaux de Botticelli voir l’article de ce Blog sur la naissance de Vénus et le printemps de Botticelli : entre épicurisme et néoplatonisme).
Les toiles de Mars et Vénus et de la Naissance de Vénus sont-elles liées à la même commande ? Personne ne le sait. Mais il existe une incontestable cohérence des quatre toiles dans lesquelles les historiens de l’art se sont complus à admettre le principe d’un cycle de l’Amour chez Botticelli.
De là à conclure que les quatre toiles auraient été élaborées pour le compte des cousins Médicis, il y a un pas que je ne franchirai pas, même si ces toiles devaient avoir abouti, in fine, à la villa de Castello, ce que constate Vasari, soixante ans plus tard. Car les toiles de Mars et Vénus et de Pallas et le Centaure, renvoient davantage à l’image de Julien de Médicis, le frère assassiné dans la conjuration des Pazzi en 1478 alors que celles du Printemps et de la naissance de Vénus, sont clairement liées l’une à l’autre et prennent naturellement leur place dans la chambre d’une jeune mariée, par la promesse de procréation qu’elles comportent. Plusieurs auteurs (et notamment Jane C. Long, dans son article[vi], ont souligné qu’il s’agissait peut-être d’un sujet à rattacher à la tradition de l’épithalame (poème lyrique chanté à l’occasion d’un mariage) : « ces poèmes faisaient référence à Vénus en tant que patronne du mariage, donc la Vénus terrestre qui rend le corps fertile et le stimule, dans le but d’avoir un mariage heureux et fructueux menant à la procréation. Long explique que si certains de ces poèmes pouvaient avoir un ton parfois érotique, dans leur évocation de Vénus, c’était pour louer la femme afin d’éveiller chez l’homme un désir sexuel dans le but de la féconder » (Jane C Long).
Le personnage central de l’inspiration de Botticelli est clairement le Politien, qui va guider le peintre par ses descriptions poétiques précises, que le peintre va illustrer par des images. Et s’il paraît très logique, à mon avis, de rattacher les deux tableaux du Printemps et de la naissance de Vénus, à un même cycle de l’amour, en l’honneur du mariage, en revanche, les deux autres toiles paraissent d’inspiration davantage poétique et avoir pour unique destinataire, le maître de Florence, Laurent le Magnifique qui a commandé ces œuvres poétiques au Politien, pour commémorer la mort tragique, d’abord de Simonetta, en 1476, puis celle de Julien en 1478.
Car la description du Printemps aurait été tirée du poème « Rusticus » d’Ange Politien, la description de Mars et Vénus du songe de Julien dans les Stances du même Politien, tandis que le tableau de Pallas et le Centaure serait issu, lui, des passages des Stances du Politien, où Simonetta est revêtue des armes de Pallas et où Julien apparaît en centaure.
En témoignent, ces vers du Politien[vii], extraits de la Giostra, composée pour Laurent le Magnifique en l’honneur de Julien de Médicis (qui a remporté la joute de 1475), sur la naissance de Vénus, où l’on voit clairement le tableau se dessiner devant nos yeux :
« Dans la tempétueuse Egée, dans le sein de Thétis, on voit l’élément génital, accueilli sous diverses rotations de planètes, errer de par les ondes, au milieu de blanches écumes ; et dedans, née d’actes charmants et joyeux, une jeune fille au visage non humain, poussée vers le rivage par de lascifs zéphyrs, avance sur une conque, et le ciel semble s’en réjouir.
On dirait que l’écume est vraie, que la mer est vraie, et vraie la conque, vrai le souffle des vents ; on pourrait voir briller les yeux de la déesse, et le ciel et les éléments rire autour d’elle ; les Heures en robe blanche fouler le sable ; le Zéphyr boucler leurs longs cheveux épars. Leur visage n’est ni le même ni pas le même, comme il convient à des sœurs.
On pourrait jurer que la déesse vient de sortir des ondes, en pressant de sa main droite sa chevelure, de l’autre recouvrant son tendre sein ; et, sous l’empreinte du pied sacré et divin, le sable se couvre d’herbes et de fleurs. Puis, avec un visage joyeux et précieux, elle est accueillie par trois nymphes qui l’enveloppent d’une robe semée d’étoiles. »
(Ange Politien – La Giostra)
Si cette interprétation est correcte, le Politien aurait été le conseiller technique de Botticelli, interpréteur des mythes grecs, pour les quatre tableaux dont deux seulement, auraient représenté le cycle de l’amour, les deux autres, Mars et Vénus et Pallas, concernant la commémoration du souvenir. On pourra cependant objecter à cette interprétation, que la présence de Vénus, à elle seule, est une évocation de la capacité procréatrice de la femme, dans la tradition de l’épithalame, même si Mars est endormi de la petite mort, à ses côtés.
Le grand peintre de Florence des années 1480
Au cours de ces années 1480, Botticelli a atteint désormais la consécration. Il est le peintre le plus illustre de Florence. Un acte de l’époque donne quelques informations sur la famille de Sandro. Son père est toujours vivant : il a quatre-vingt-six ans en 1482, trop vieux pour travailler. Sa mère est morte et la sœur de cette dernière, Monna Vangelista, âgée de soixante-dix ans, la belle-sœur de Mariano, gère la grande maison familiale de la Via Larga (à côté de celle de Sandro), qui s’est élargie de nombreux enfants et petits-enfants. Son frère aîné, Giovanni, a désormais soixante ans et sept enfants, dont l’aîné, âgé de dix-neuf ans, est à Rome, auprès du banquier Salviati. Le frère puîné, Antonio, vit à Bologne : il est âgé de cinquante-cinq ans et il vend des livres dans sa librairie tout en exerçant sa profession d’orfèvre. Il a trois enfants dont deux garçons, dont l’un deviendra peintre. Le plus jeune frère de Sandro, qui a quarante et un ans, est toujours à Naples.
En 1480, Giovanni Tornabuoni et Antonio Vespucci, sont expédiés par la république de Florence, en ambassade auprès du pape della Rovere, Sixte IV, qui a pris une part si importante à la conjuration des Pazzi, ayant abouti au meurtre de Julien de Médicis (voir l’article de ce Blog qui raconte ces événements Les Médicis : la prise du pouvoir). Les envoyés de Florence évoquent en termes si enthousiastes, l’Adoration des Mages de l’autel de l’église Santa Maria Novella, que Sixte IV invite Botticelli à venir peindre à fresque, à Rome, une nouvelle chapelle du palais du Vatican, qu’il vient de faire construire, la chapelle Sixtine : un contrat est signé le 27 octobre 1481, entre Giovannino dei Dolci et les quatre peintres sélectionnés par le pape Alessandro di Mariano (Sandro Botticelli), Cosimo Rosselli, Domenico Tommaso (Ghirlandajo) et Pietro Perugino. Les quatre peintres sont invités à réaliser, sur les murs de la chapelle, dix fresques, sur des sujets de l’ancien et du nouveau testament, que les quatre peintres vont se partager (Voir sur ce Blog l’article sur Pinturichio, le mal aimé).
Botticelli s’est vu affecter trois sujets : la tentation du Christ, les épreuves de Moïse et la punition des rebelles, Korah, Dathan et Abiram, qui inspirera, quelques années plus tard, le Pinturichio, pour sa peinture de la dispute de Sainte Catherine d’Alexandrie.
Ces sujets imposés ne paraissent pas le domaine dans lequel notre peintre florentin se sent le plus à l’aise mais il va tout de même parvenir, par la variété de son imagination, la diversité des visages, le souci des détails, l’expression des sentiments et son intensité émotionnelle, à proposer un travail qui concurrence largement ses compétiteurs. Le pape Sixte IV se déclarera d’ailleurs, satisfait et il va largement récompenser Botticelli.
Le peintre a désormais près de quarante ans. Qu’en est-il de sa vie sentimentale ? Une anecdote savoureuse est racontée à ce propos par l’anonyme Gaddiano (un recueil anonyme de biographies sur des artistes florentins, rédigé vers 1540) qui met en scène Tommaso Soderini, un cousin de Laurent le Magnifique, le meilleur ami de Botticelli qui s’évertue à le convaincre de se marier. Sandro lui rétorque : « je vais te raconter ce qui m’est advenu l’autre nuit. J’ai rêvé que j’étais marié et cette idée toute simple n’a pas cessé de me hanter, à telle enseigne que je suis resté éveillé toute la nuit. Depuis lors, le même cauchemar s’est imposé à moi la nuit dernière et ne voilà-t-il pas que me voici tout à plein réveillé et courant par la ville, comme si j’étais devenu fou ! A cette réponse, Messer Tommaso comprit qu’il ne pourrait utilement planter sa graine sur un tel terreau ». Julia Cartwright en profite pour tracer le portrait suivant de Botticelli : « un plaisant compagnon, le meilleur des maîtres et le plus affectionné des amis, avec un cœur tendre et caressant, une véritable espièglerie, empli de sympathie pour les élèves les plus prometteurs, doux et gentil avec les petits enfants, dépensant avec largesse et donnant avec générosité, vigoureux dans son amitié autant que dans sa haine, profondément croyant, haïssant la dissimulation et l’hypocrisie, passionné pour les grands tribuns politiques et pour les causes perdues : tel était Sandro Botticelli, le peintre favori de Laurent le Magnifique » (Julia Cartwright The Life and Art of Sandro Botticelli).
Dès le mois d’octobre 1482, bien que les fresques ne soient pas achevées au Vatican, avant août 1483, Botticelli est rentré à Florence où la Seigneurie vient de lui confier la tâche de peindre à fresque un hall dans le palais de la Seigneurie de Florence. Ghirlandajo, Perugino, et l’élève de Botticelli, Biagio Tucci, sont associés à ce travail qui ne semble pas avoir été réalisé avant 1487. Car Laurent le Magnifique a immédiatement appelé toute l’équipe des artistes de la Sixtine pour la décoration de sa villa de Lo Spedaletto, près de Volterra, entre 1483 et 1484. Cette villa qui a jadis appartenu à l’ordre des Hospitaliers de Sienne, a été reconstruite dans le goût du jour. Laurent viendra y profiter de son climat au cours des dernières années avant sa mort. A sa mort en 1492, il abandonnera la villa à sa fille Maddalena, qui sera l’épouse du neveu du pape Innocent VIII, Francesco Cybo et la mère de la duchesse Caterina de Camerino.
Les preuves de la réalisation de fresques à la villa médicéenne de Lo Spedaletto, sont apportées par un rapport rédigé par un envoyé milanais du duc de Milan Ludovic le More, auprès de Laurent le Magnifique. Ce prince, qui avait accueilli à sa cour Léonard de Vinci, sur la recommandation du maître de Florence, demande à son envoyé de lui indiquer les noms des plus grands peintres de Florence. Ce dernier rapporte les noms des artistes employés par Sixte IV à la chapelle Sixtine et aux fresques de Lo Spedaletto. Les sujets traités par les artistes concernent la mythologie gréco-latine à travers, notamment, du poème du Politien sur les amours de Mars et de Vénus. Malheureusement, la villa a été la victime, au début du XIXème siècle d’un grave incendie, qui a détruit l’ensemble des fresques.
Le cycle des fresques de la villa Lemmi ou Tornabuoni de la via Chiasso Macerelli à Careggi a eu davantage de chance, car deux des fresques de Botticelli, aujourd’hui au Louvre, ont subsisté. Les peintures ont été réalisées en début d’année 1486, à l’occasion du mariage, en juin 1486, de Lorenzo Tornabuoni, (cousin germain de Lucrezia Tornabuoni, l’épouse de Laurent le Magnifique), avec la très belle Giovanna degli Albizzi.
Pendant que Ghirlandaio est chargé des fresques de la chapelle, Botticelli, sur la demande expresse de Lorenzo, s’occupe lui, des peintures de la pièce de réception de l’étage noble de la villa. Les fresques, très endommagées à la suite d’un sinistre quelconque, ont été recouvertes d’une couche de chaux, puis redécouvertes en 1873 et acquises par le Louvre, en 1882.
Les deux époux, ainsi glorifiés par Botticelli, vont connaître une fin tragique car, quelques années plus tard, Giovanna va mourir en accouchant de son troisième enfant et Lorenzo, qui a conspiré, en 1497, pour le retour de Pierre de Médicis, chassé de Florence en 1494, sera mis à mort de façon ignominieuse par ses ennemis politiques, malgré les interventions en sa faveur et notamment, celle de Savonarole.
L’année suivante, en 1487, Botticelli, qui s’est, décidément, fait une spécialité de peindre à l’occasion des mariages, va illustrer celui de Pier Francesco Bini et de Lucrezia, la fille de Francesco Pucci, l’un des plus fervents partisans du maître de Florence. Botticelli est chargé, par Laurent le Magnifique, de peindre quatre cassoni (caissons) avec des scènes inspirées de l’histoire de Nastagio degli Onesti contée dans le Decameron de Boccace. D’après Julia Cartwright, il va faire les dessins des cartons mais confier la réalisation des travaux à des élèves qu’il supervise, pendant que lui-même est occupé à réaliser la fresque du palais de la Seigneurie, dont il a retardé l’exécution depuis trois ans. Les trois panneaux sur bois figurent aujourd’hui au musée du Prado à Madrid, le quatrième caisson, celui des Noces de Nostagio, étant exposé au Palazzo Pucci à Florence.
La mort de Laurent le Magnifique, en 1492, va interrompre les travaux de Botticelli sur la mythologie pour les Médicis. Botticelli va pouvoir revenir aux peintures religieuses, par lesquelles il s’est fait connaître, en réalisant, pour de riches commanditaires, quelques-uns des plus importants chefs-d’œuvre de la peinture, de tous les temps.
Il est difficile de retracer une chronologie de ces peintures car Sandro a peint des madones toute sa vie. Quelles sont celles qui appartiennent aux années 1480 ? Et celles des années 1490 ? On reconnaît facilement celles des premières années: elles se ressemblent et leur corps est démesurément allongé avec des genoux placés très bas par rapport au haut du corps. Ces petits défauts se corrigent avec le temps et les madones des années 1480 révèlent la plénitude de l’artiste, au sommet de son art.
Seules des appréciations stylistiques, liées à l’évolution de la maturité artistique de Botticelli, permettent aux experts des datations approximatives.
Une des seules madones de toute l’œuvre de Botticelli, pouvant faire l’objet d’une datation précise est celle de la Gemalde Galerie de Berlin, la Madone Bardi, peinte en 1485 pour la chapelle des Bardi, dans l’église Santo Spirito de Florence. Un livre de comptes retrouvé dans les archives Guicciardini permet d’identifier les règlements effectués en faveur de Sandro pour 75 florins d’or, le 3 août 1485, dont trente-cinq florins pour rémunérer son travail et le reste pour les frais de réalisation de l’œuvre. Le détail le plus caractéristique de cette œuvre semble être ce bébé qui semble bouger dans tous les sens, capturé par l’œil de l’artiste, au moment où il tend ses bras vers sa mère, une attitude qui tranche avec le caractère hiératique et immobile des personnages. Julia Cartwright estime que c’est le bébé le plus vivant et le plus joyeux du grand peintre de madones qui soit jamais parvenu jusqu’à nous.
Une autre madone caractéristique de cette période est celle avec des saints, de la Galleria dell’Accademia de Florence, peinte selon Julia Cartwright, un ou deux ans après, pour l’église Saint Barnabé. Il y a somme toute, peu de différences entre ce tableau et le même sujet traité quinze ans plus tôt, si ce n’est l’harmonie des tailles des personnages dans le dernier tableau, ce qui est surprenant. A tout prendre cependant, le caractère systématique de l’orientation de la tête des personnages, en sens inverse de celui de la vierge dans le tableau des années 1485, donne par contrecoup au tableau des années 1470 un air de fraîcheur et de spontanéité saisissant. Sans doute la madone de l’Accademia a-t-elle été moins travaillée que celle des Offices, par un Botticelli qui consacre peut-être moins de temps à son intervention personnelle, pour les sujets qui l’intéressent moins, et davantage à celui de l’encadrement de ses élèves. La ressemblance de ces personnages, et notamment de la vierge et des saints barbus, sur la gauche du trône de la vierge, Saint Barnabé et Saint Ambroise, avec d’autres peintures antérieures, mais surtout l’absence de cette vie qui habite le pinceau du maître, milite pour une réalisation du tableau, essentiellement par les élèves du maître.
La beauté néoplatonicienne
On va retrouver toute l’âme de Botticelli dans la Madone à la grenade, du musée des Offices : le tondo (aphérèse du mot rotondo), ce cercle qui symbolise la perfection, a été commandé pour la salle d’audience du Palazzo Vecchio, sans doute en 1487. Tout dans ce tableau est parfait, de la composition du groupe, des visages différents des anges, qui encadrent la madone dans une joyeuse sarabande, de celui de la vierge, si proche de celui de la naissance de Vénus, du bébé vivant et joyeux, des couleurs sublimes.
Quelle différence avec le tableau précédent de la galleria dell’Accademia, peint la même année ! Quand le sujet de l’harmonie habite le peintre, il devient sublime. Et il n’est jamais si habité que quand il doit peindre la perfection de la vierge. Cette recherche de la beauté est fondamentalement néoplatonicienne et montre la façon dont Botticelli illustre les propos sur l’art du grand philosophe néoplatonicien, Marsile Ficin.
Dans son remarquable article sur Marsile Ficin[viii], Jacques Darriulat expose les principales caractéristiques de la beauté, décrites dans sa Théologie platonicienne, dans laquelle il s’attache à démontrer l’unicité de la philosophie platonicienne et de l’amour de Dieu : « La beauté elle-même, qui naît de la symétrie, de l’harmonie et de la correspondance parfaite des parties dans le tout, est l’image d’un cosmos organisé dans lequel aucun élément ne peut être considéré isolément mais seulement dans son rapport harmonique avec l’ensemble. Le parfait accord de la beauté avec elle-même n’est donc que l’image de l’harmonie cosmique en laquelle se réfléchit la gloire du créateur ». Plus loin, il cite un autre passage : « La beauté du monde qui est le signe d’une sympathie du sensible avec l’intelligible, est source de lumière et de splendeur : La lumière est une sorte de divinité, reproduisant dans le temple de ce monde la ressemblance avec Dieu. La lumière qui se répand sur toutes les créatures de Dieu est une certaine splendeur de la clarté divine ». Plus loin encore, Jacques Darriulat conclut : « Reprenant une opposition qu’il a lue dans le Banquet, Ficin incarne la beauté du monde visible dans la figure de la Vénus terrestre et la beauté du monde intelligible dans celle de la Vénus céleste ».
Comme le souligne Caroline Combronde[ix] : « la propension (de l’artiste) à corriger la nature, à perfectionner l’œuvre divine, demande donc une référence au beau transcendant, idéal (…) Le renversement de la Renaissance ne consiste donc pas pour Ficin à ajouter une dimension esthétique au Platonisme. Ce dernier la possède déjà. La «révolution» est la suivante: avec Ficin, on ne pourra plus désormais susciter une question, éveiller un thème, quel qu’il soit, sans passer par l’art. Il est le medium de toute connaissance et, semblable à l’Éros platonicien, est sans cesse en chemin entre deux degrés de réalité“.
On a l’impression que le pinceau de Botticelli, dans sa recherche de la perfection de la Vénus céleste, la Vierge, suit pas à pas, le discours du grand philosophe, comme il a suivi les poèmes du grand Politien, pour les scènes mythologiques, cinq ans plus tôt. Mais, à la différence des poèmes du Politien, qu’il s’est attaché à simplement interpréter, transposer dans la peinture de la Naissance de Vénus et du Printemps, dans sa recherche de la perfection, Botticelli s’attache à démontrer l’unicité de la lumière de la Vénus céleste et celle de la Vierge, montrant par là qu’il s’est singulièrement rapproché de Marsile Ficin, à l’heure où il réalise ce tableau. Sa démarche est illustrative de la méthode du grand philosophe : Botticelli est devenu le « medium » de Marsile Ficin.
Je pense que, fondamentalement le génie de Botticelli réside dans cette capacité à transposer dans le monde de la peinture les théories complexes des grands intellectuels de l’académie de Careggi, devenue l’université de Florence. Il n’a nul besoin d’être lui-même un savant, il n’a du reste aucune formation sérieuse et il a sous la main les meilleurs experts du monde. Mais il a une sorte d’instinct qui lui permet d’illustrer une pensée complexe, de saisir l’image qui résume une longue phrase et qui en prolonge la portée par le sens additionnel que l’art y ajoute. C’est sans doute ce que l’on peut appeler le génie.
Le génie de Botticelli va culminer avec la Madone du Magnificat, du musée des Offices, dont on ignore la date précise de réalisation.
S’agit-il d’une œuvre réalisée pour les Médicis en 1481 ? Car la forme ronde des tondi, s’incorporait particulièrement bien dans les chambres, ce qui suggère un sujet religieux pour une dévotion privée. Certains auteurs ont voulu voir dans les anges qui entourent la vierge, la fratrie du jeune Laurent de Médicis.
Mais si l’on admet l’idée que le tondo sert à illustrer l’image de la perfection, dans une vision clairement néoplatonicienne, alors il doit se situer plutôt dans une proximité avec celui de 1487 de la vierge à la grenade. Cependant, la madone du Magnificat souligne davantage les caractéristiques du monde réel : le paysage derrière, les anges qui ont tous des positions différentes, dans un désordre ordonné. Si la clé de lecture est le chemin néoplatonicien, alors, la vierge du Magnificat devrait se situer avant celle de la grenade, mais après ses sujets mythologiques, donc vers 1486 ou 1487.
Devons-nous suivre Julia Cartwright, qui estime que le merveilleux accueil du public, révèlerait un retour à la ferveur religieuse, qui daterait l’œuvre des débuts de Savonarole (1494-1495) ? On peut objecter que si le tondo devait avoir un usage de dévotion privée, pour les Médicis, qui en seraient les commanditaires et les propriétaires initiaux, le public n’aurait pu avoir connaissance de l’œuvre, qu’après le départ des Médicis, en 1494, ce qui pourrait expliquer, en effet, l’accueil enthousiaste du public. Mais cela signifierait également que le tableau aurait été acquis avant le départ de Pierre de Médicis de Florence, c’est-à-dire avant 1494 et, plus probablement, avant la mort de Laurent le Magnifique, en 1492, car il est notoire que le fils aîné de Laurent, Pierre, qui lui succède en 1492, n’a entretenu aucune relation avec les anciens serviteurs de son père.
En tout cas, le tableau a été peint intégralement par Botticelli : on reconnaît partout la patte de l’artiste dans un dessin admirable, des couleurs chatoyantes, il s’agit de l’œuvre qui symbolise sans doute le plus complètement toute sa carrière et qui restera, au regard de l’éternité, son chef d’œuvre.
Ce tableau va susciter des imitations infinies, des copies de toutes sortes, que l’on retrouve dans plusieurs musées du monde. Ce tableau va susciter un retour à l’inspiration religieuse de la part de nombre de ceux qui s’étaient alors spécialisés dans les sujets mythologiques : comme par exemple la madone du Lichtenstein par Jacopo del Sellajo ou la madone de Raffaellino del Garbo.
Quand l’on compare le génie, il n’y a pas d’autre mot, de ces peintures avec d’autres comme la madone Bardi, on a l’impression qu’il ne s’agit pas du même artiste. Il ne peut s’agir, à l’évidence, que d’oeuvres amorcées par Botticelli mais largement réalisées par des élèves.
Julia Cartwright cite comme de cette période, des années 1494-1497, le tableau du couronnement de la vierge, aujourd’hui à la Galerie de l’Académie, à Florence, parce qu’il était destiné à l’église-couvent de Saint Marc, où était Savonarole. Mais il n’y a aucune parenté de style avec le précédent dans ce tableau, qui a été daté par d’autres, des années 1489-1490 et qui aurait été commandé par l’Art de la laine, la puissante corporation de Florence. Il est certain que la puissance financière de l’art de la laine, lui permettait de s’intéresser à toutes les églises de Florence en toutes époques ; le fait qu’entre toutes les églises, le commanditaire ait retenu le couvent-église de Saint-Marc, où prêche Savonarole, depuis 1490, milite pour un choix dicté par la présence de Savonarole, dont les prêches enflammés attireront alors toute la population florentine. Ce qui pourrait être un indice pour dater l’œuvre entre 1490 et 1494.
Ce qui est certain c’est que toute préoccupation intimiste semble être absente de ce tableau à la composition académique, un peu superficielle, bien dans le goût du temps, qui semble refléter davantage la personnalité des commanditaires que le choix du peintre. Ce tableau connaît un accueil enthousiaste du public, comme du reste, tous les tableaux de Botticelli, au fur et à mesure de leur exposition au public. Il n’est pas certain que ce tableau aurait été autant adulé s’il avait été peint par un illustre inconnu, bien qu’il possède d’incontestables qualités de dessin et de couleurs et cette farandole d’angelots, qui commence à devenir caractéristique du grand peintre.
D’ailleurs, l’amitié de Laurent le Magnifique pour Botticelli est notoire : le peintre, tout comme le poète Politien et le philosophe Ficin, a abondamment illustré la mise en majesté du Magnifique et servi la propagande visant à illustrer le bon gouvernement de Florence. Est-ce en récompense de ses bons et loyaux services qu’il est retenu, le 4 janvier 1491, pour faire partie, avec les deux frères Ghirlandaio et les miniaturistes Gherardo et Monte di Giovanni, de la commission réunie pour réaliser les mosaïques de la chapelle de Saint Zénobe, le premier évêque de Florence ? Mais le travail est interrompu par la mort du Magnifique, le 4 avril 1492. Il sera repris dix ans plus tard par Sandro Botticelli qui livrera deux peintures sur les principaux épisodes de la vie de Saint Zénobe, aujourd’hui à la National Gallery, à Londres : le style de ces peintures est assez éloigné du toucher délicat du grand peintre, ce qui milite pour une réalisation par des élèves, sous une direction assez lâche du grand artiste. Quant à Ghirlandaio, il va réaliser une fresque conventionnelle pour le Palazzo Vecchio de Florence sur son premier évêque.
Après la mort du Magnifique, Botticelli ne travaillera plus pour la branche des Médicis au pouvoir. Tous les anciens amis de Laurent seront rapidement refroidis par la folie et la violence de l’héritier qui va dresser contre lui, les meilleures volontés, ce qui aboutira à son bannissement de Florence, lors de l’irruption de Charles VIII en Toscane.
Mais Botticelli reste en contacts étroits avec le cousin de Laurent, Lorenzo di Pier Francesco, dit le Poppolano, qui, depuis que Laurent lui a offert en 1482, la naissance de Vénus et le Printemps, est resté un collectionneur avisé des peintures de Botticelli. Quelques temps après son mariage, vers 1485, Lorenzo lui a réclamé l’illustration d’un manuscrit sur parchemin, de la divine comédie de Dante. Ce travail, brièvement commencé au moment du départ de Pierre de Médicis, en 1494, restera inachevé, quelques années plus tard, sans doute en raison de la difficile adaptation de l’artiste à cette oeuvre, bien que l’artiste ait démontré, en plusieurs occasions ultérieures, un sens certain de la peinture à miniature.
En 1498, l’année de l’exécution de Savonarole par le pape Alexandre VI Borgia, Botticelli est documenté comme habitant toujours dans sa maison de la via Nuova. Son père est mort, de même que son frère aîné, Giovanni. La maison familiale appartient désormais à ses neveux Benincasa et Lorenzo Filipepi. Son frère Simone est revenu de Naples vers 1491 et il a acquis trois ans plus tard une maison de campagne, dans les faubourgs de Florence, où il habite avec Sandro, quand il ne réside pas en ville, chez ses neveux.
La Calomnie d’Apelle
La proximité des frères Filipepi avec Savonarole, leur vaut, lors de l’exécution du moine, d’être inquiétés. Simone s’enfuit à Bologne chez son frère orfèvre, tandis que Botticelli, protégé par Lorenzo il Poppolano, reste à Florence. C’est à cette époque que Botticelli va peindre la calomnie d’Appelle.
Cette œuvre, que le peintre a offert à Antonio Segna Guidi, banquier de Florence qui vient d’être nommé en 1497 à la tête de la Monnaie pontificale par Alexandre VI Borgia, est-elle une justification du peintre dénoncé en 1502 auprès des autorités florentines pour actes de sodomie sur l’un de ses jeunes collaborateurs ? Ou bien, s’agit-il de dénoncer l’injustice de la condamnation du moine Savonarole en 1498 ?
La calomnie d’Apelle de Cos, renvoie à une peinture du IVème siècle avant JC, aujourd’hui disparue, mais résumée par le poète Lucien de Samosate, dans ses Dialogues : Apelle est accusé faussement d’avoir participé à une révolte contre le roi Ptolémée IV. Arrêté, il est emprisonné et retenu prisonnier jusqu’à ce que le calomniateur, pris de repentir, dénonce son rival à la cour, comme l’instigateur de la calomnie. Le sujet de la calomnie d’Apelle avait été popularisé cinquante ans plus tôt, par le traité d’Alberti sur la peinture (De pictura) et le sujet de l’allégorie, peint à plusieurs reprises, est désormais bien connu du public, qui sait y reconnaître les codes.
Le tableau de Botticelli, daté par nombre d’auteurs, de la période 1494-1495 est, pour Julia Cartwright, clairement élaboré en réaction à la mort de Savonarole.
Le tableau de la calomnie d’Apelle se lit à partir du centre vers la droite, puis à gauche. Un jeune homme dont la nudité symbolise l’innocence, qui joint ses mains en prière, est tiré par les cheveux, par une femme, richement habillée, la Calomnie, qui brandit une torche, symbole des mensonges, qu’elle répand sur son passage. Cette femme est entourée par deux dames de compagnie, la Fourberie et la Séduction, qui tressent les cheveux de leur maîtresse, en les ornant de roses, le symbole de la pureté, pour mieux masquer leurs intentions. Devant elle, un homme sombre, habillé de haillons, a tendu le bras vers le juge (ou bien le roi ?) : c’est la Haine, qui semble jurer au juge la vérité de la calomnie.
Devant lui, assis sur un trône, le juge a des oreilles d’âne : c’est une référence explicite au roi Midas, qui, sommé de juger qui, d’Apollon ou de Marsyas était le meilleur musicien, a choisi Marsyas et se vit attribuer, par la vengeance d’Apollon, des oreilles d’âne. Autour de lui, deux femmes se penchent à ses oreilles pour déverser leur fiel : ce sont le Soupçon et l’Ignorance.
Le juge-roi a la main tendue, sous celle de la Haine, semblant chercher à imposer le silence pour prendre une décision définitive. L’innocence adresse une prière muette au ciel en joignant ses mains. Sur la gauche du tableau, une femme nue, qui a perdue toute son attractivité, androgyne, pointe le doigt vers le ciel semblant attendre une réponse de Dieu : c’est la vérité toute nue. A ses côtés, se tient une vieille femme laide et le visage caché qui baisse les yeux : c’est le Repentir.
La scène se déroule sous les yeux des statues immobiles, croisant des personnages extraits d’épisodes mythologiques et bibliques qui semblent chuchoter et commenter la scène. Dans cette noble enceinte où se croisent les héros et les Dieux, un crime va se perpétrer, empruntant le visage de la Justice.
Toute vérité ne peut provenir que de Dieu, semble dire le tableau, affirmant ainsi une croyance sincère dans une justice immanente, qui doit inspirer le repentir.
Situer en 1494-1495 la réalisation de ce tableau n’a aucun sens. En revanche, si l’action qui déclenche ce tableau est l’exécution de Savonarole, en 1498, alors l’allégorie prend tout son sens car adresser un tel tableau à un haut fonctionnaire du pape, ne peut avoir qu’un seul sens : espérer que le pape, qui a condamné Savonarole, pourra contempler l’œuvre et lui inspirer un repentir pour les calomnies qui ont entraîné l’exécution de Savonarole. C’est un message militant et politique, adressé indirectement au pape, via une œuvre d’art.
Toutes les lignes de la chronique rédigée par Simone, le frère de Botticelli, expriment la profonde conviction que cet homme que Florence a rejeté et qui a été condamné, était un prophète envoyé par Dieu. Dans les Giornate, rédigées par Lorenzo Violi, le jeune notaire qui a rassemblé tous les sermons de Savonarole, figurent plusieurs allusions à l’académie des artistes sans emploi, qui se réunissent dans l’atelier de Sandro Botticelli, et disputent à propos des sermons du religieux. Simone rapporte ainsi dans sa chronique, cette conversation, tenue le 2 novembre 1499 : « Alessandro di Mariano, mon frère, l’un des excellents peintres de notre cité, étant chez lui, vers huit heures du soir, a relaté l’entretien qu’il a eu avec Doffo Spini, concernant le sort de Fra Girolamo (Savonarole). Sandro, sachant que Doffo avait été l’un des principaux juges présents lors du procès, l’a adjuré de dire, au nom de la vérité, quels crimes avait avoué le moine pour subir un tel châtiment. Doffo lui avait alors rétorqué : Sandro, dois-je vraiment te dire la vérité ? Nous n’avons jamais trouvé chez lui aucun péché capital ni véniel. A quoi Sandro avait rétorqué : pourquoi dans ces conditions, vous attacher à sa condamnation à mort ? Si nous n’avions pas condamné ce prophète et tous ses amis, le peuple se serait révolté : il aurait saccagé nos maisons et nous aurait massacrés » ! (Julia Cartwright The Life and Art of Sandro Botticelli).
Qui pourrait douter que le tableau ne soit l’illustration du sermon de Savonarole sur le psaume Quam Bonus : « le vin est fort, le roi est fort, les femmes sont plus fortes encore, mais la Vérité est plus puissante que tout et elle finira par s’imposer » (Julia Cartwright The Life and Art of Sandro Botticelli).
Avec ce tableau de la Calomnie d’Apelle, Botticelli ne fait que reproduire ce qu’il a fait avec les poèmes du Politien ou les discours de Ficin sur la beauté : transposer, renouveler le message de l’écrit à travers une expression picturale qui en amplifie la portée.
La fin de la vie de Botticelli est placée sous le signe du mysticisme à côté de récits didactiques et allégoriques comme l’histoire de Virginie à la Galerie Morelli de Bergame, la mort de Lucrèce au musée Gardner de Boston, ou bien les panneaux sur la vie de Saint Zénobe, dont le principe avait été arrêté sous Laurent le Magnifique en 1491, qui lui sont réclamés par les rares clients qui continuent de s’adresser à lui.
L’œuvre la plus importante de cette fin de vie est la Nativité mystique de la National Gallery.
Botticelli meurt dans le dénuement en 1510, à l’âge de soixante-dix-huit ans, totalement oublié par ses contemporains. Il faudra attendre le XIXème siècle pour que ses œuvres soient redécouvertes par l’historien de l’art britannique John Ruskin (1819-1900) [x].
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[i] Cet article a été essentiellement rédigé à partir de l’ouvrage « The Life and Art of Sandro Botticelli » par Julia Cartwright, London 1904, livre Archives Internet. Mais il s’est également inspiré des ouvrages suivants sur Sandro Botticelli : « Sandro Botticelli » par Emile Gebhart, Hachette Paris 1908, Livre Archives Internet, « Sandro Botticelli and the Florentine Renaissance », Yukio Yashiro, 1929, The Medici Society, London, livre Archives Internet, Volume 1 , Volume 2 , Volume 3 , « Botticelli Biographie critique » par René Schneider, Paris, Renouard, Livre Archives Internet.
[ii] Fra Filippo Lippi est né à Florence en 1412 et mort à Spolète en 1469. Orphelin à l’âge de deux ans, il est recueilli chez les Carmes de Florence. Il y rencontre Masaccio qui termine la décoration de la chapelle du couvent et dont il devient le plus illustre de ses élèves. Encore novice, il abandonne son couvent à l’âge de dix-sept ans. Un jour où il s’était trop aventuré en mer, avec quelques amis, leur barque est capturée par des corsaires barbaresques. Il est emmené comme esclave : il a la chance de tomber entre les mains d’un maître éclairé, dont il fait le portrait et qui lui accorde alors la liberté au terme de dix-huit mois de détention. Après un passage à Naples, il revient à Florence où il réalise pour le maître-autel de l’église Saint-Ambroise, le tableau du Couronnement de la Vierge qui inspire à Cosme de Médicis une telle admiration, qu’il prend Lippi en affection et lui confie plusieurs travaux. Mais Lippi a une passion dévorante pour les femmes. Chargé de peindre le maître autel de l’église de Sainte Marguerite de Prato, il aperçoit la fille d’un nommé Buti de Florence, que l’on amène, contre son gré au couvent : il en tombe instantanément amoureux et insiste tellement auprès des religieuses qu’il obtient que la jeune femme lui serve de modèle pour la vierge. La beauté de Lucrèce, c’est le nom de la jeune fille, finit de le bouleverser. Il l’enlève et les deux amants s’enfuient de Florence pour parcourir, dans de continuelles alarmes, pendant plusieurs années, les chemins de l’Italie. Pour finir, il obtient du pape, grâce à l’intervention personnelle de Cosme de Médicis, une dispense pour se marier. C’est alors que le caractère inconstant du moine se révèle : il refuse de l’épouser et Lucrèce s’estime très heureuse de pouvoir retourner dans son couvent, après avoir mis au monde, en 1457, un fils, Filippino, qui deviendra à son tour, un grand peintre. Fra Filippo Lippi est l’un des plus grands peintres de sa génération.
Biographie universelle, ancienne et moderne, ou histoire, par Michaud Volume 24 page 545.
[iii] Andrea del Verrocchio, né en 1435, mort en 1488, commence par des études scientifiques en s’adonnant à la géométrie. Désespérant de trouver dans cette activité ses moyens de subsistance, il se reconvertit dans l’orfèvrerie où ses œuvres sont bientôt remarquées par ses concitoyens et par le pape Sixte IV qui lui confie la réalisation de plusieurs figures d’apôtres en argent, pour la chapelle pontificale du Vatican. Il découvre à Rome les statues antiques qui déclenchent une véritable passion pour la sculpture. Après quelques essais sur des figurines en bronze qui soulèvent l’enthousiasme, il se tourne vers le marbre et il réalise pour François Tornabuoni, le mausolée érigé en l’honneur de son épouse. De retour à Florence, il exécute plusieurs ouvrages pour le compte des Médicis, dont un mausolée en bronze de Jean et Pierre de Médicis et pour Laurent le Magnifique, la restauration d’une sculpture antique représentant Marsyas et deux têtes en bronze représentant Alexandre le Grand et Darius. A Florence, au cours des années 1460, il se diversifie dans la peinture où il acquiert également une renommée considérable. Il aura à son actif d’avoir formé des élèves aussi prestigieux que Lorenzo di Credi, le Perugino et Léonard de Vinci. Après 1475, il délaisse la peinture pour se consacrer exclusivement à la sculpture. Il meurt à Venise en 1488, d’une fluxion de poitrine attrapée lors de la fonte de la monumentale statue en bronze de Bartolommeo Colleoni que la république sérénissime fera élever sur le campo des Saints Jean et Paul, à Venise, face à la basilique de San Zanipolo. Au moment où Botticelli pourrait avoir été son élève, dans les années 1470, Verrocchio est au sommet de son art de la peinture. Botticelli pourrait y avoir fait la connaissance de Léonard de Vinci.
Biographie universelle, ancienne et moderne, ou histoire, par Michaud Volume 48 page 283.
[iv] Antonio del Pollaiuolo, né en 1429, mort en 1498, est un des plus grands orfèvres, peintres et graveurs du Cinquecento. Son père le place, très jeune, comme apprenti chez l’orfèvre sculpteur Lorenzo Ghiberti, le sculpteur des portes du baptistère de Florence, où il se taille rapidement une solide réputation dans l’art de ciseler les émaux et monter des pierres précieuses. Ghiberti lui offre sa chance en lui confiant l’exécution d’un feston auquel il travaillait, un ouvrage dont le jeune apprenti s’acquitte avec une telle perfection qu’elle attire sur lui l’éloge de ses contemporains. Il profite de cette popularité en partant installer une boutique d’orfèvre qui est immédiatement très fréquentée. Il décide de faire concurrence à Maso Finiguerra qui s’était rendu célèbre par des vases d’argent ciselé, réalisés pour l’église Saint-Jean, et se voit préféré pour la qualité supérieure de ses dessins. Il réalise alors plusieurs bas-reliefs en or, en argent qui vont orner la plupart des églises de Florence. Répugnant à poursuivre son travail d’orfèvre, il regarde la peinture où il cherche désormais à se diversifier : il se rapproche de son frère Pierre, que leur père avait placé comme apprenti, chez le peintre Andrea del Castagno. Dès lors, les deux frères vont travailler ensemble la peinture, jusqu’à la fin de leur vie. Antonio, qui va affirmer son génie dans la peinture va réaliser ce que l’on regarde comme son chef d’œuvre et comme l’une des œuvres les plus marquantes du siècle, le tableau de Saint Sébastien, dans la chapelle des Pucci, vers 1475. C’est donc auprès d’un artiste au sommet de son art que Botticelli vient parfaire sa formation entre 1467 et 1470.
Biographie universelle, ancienne et moderne, Volume 35 par Michaud p 199.
[v] Le Politien : Homme de lettres célèbre, né le 14 juillet 1454 à Monte Pulciano, petite ville de Toscane. D’après le dictionnaire Michaud, Ange Politien serait le fils du docteur Benoit Ambrogini de Monte Pulciano. Son père l’envoie étudier à l’université de Florence : il y a apprend les lettres latines auprès de Cristoforo Landino, les lettres grecques avec Andronic de Thessalonique, la philosophie platonicienne avec Marsile Ficin et celle d’Aristote avec Jean Argyropoulos. En 1473, Laurent de Médicis, devenu son prince, le prend à son service en tant que secrétaire particulier et, deux ans plus tard, le nomme précepteur de ses fils Pierre (le futur Pierre II de Médicis 1472-1503) et Jean (le futur pape Léon X 1475-1521). L’épouse de Laurent, Clarisse Orsini lui est hostile : elle n’accepte pas ses vues particulières sur l’éducation de ses enfants. Ecarté de ses fonctions de précepteur, il quitte Florence en 1479. Il est rappelé par Laurent l’année suivante, qui lui offre un poste à l’Université, à Careggi. Devenu à l’âge de vingt-cinq ans, le 29 mai 1480, professeur de poétique et de rhétorique à l’université de Florence, Agnolo Ambrogini ou Ange Politien, va faire une carrière fracassante, bousculant toutes les hiérarchies intellectuelles. Politien est un professeur brillant dont les émoluments vont rapidement augmenter, en passant de 100 florins par an à plus de 450 florins dix ans plus tard alors que ses remplaçants dans les différents postes occupés ne dépassent pas 150 florins. Est-il particulièrement brillant ? Ou particulièrement bien vu ? Sans doute un peu des deux car Laurent lui confie, en sus de ses responsabilités à l’Université, des travaux particuliers. Dès ses premiers cours, répondant à un désir secret de Laurent, il rompt avec la tradition de Landino, la vieille école de l’humanisme, en proposant la rhétorique de Quintilien au lieu de l’éloquence de Cicéron et en remplaçant Virgile par Stace, découvert cinquante ans plus tôt par Le Pogge, Poggio Bracciolini (1380-1459). Ange Politien, humaniste de la nouvelle vague, comme Pic de la Mirandole, conteste la manière dont Landino[x] commentait les auteurs antiques en privilégiant l’approche néoplatonicienne. Son engagement militant, le conduit donc à s’opposer, à peu près à l’époque où il termine ses Stances, à l’école néoplatonicienne. Or cette époque est celle où Sandro Botticelli travaille pour Lorenzo di Pier Francesco (1463-1503) auquel le Politien dédiera une épigramme latine, la silve Manto (peinture des animaux à la saison des amours), en 1482. Le Politien est donc à l’époque tout proche de Botticelli, plutôt en opposition avec l’école néoplatonicienne, et soutenu de fait par Laurent le Magnifique. Des études récentes[xi] ont du reste établi que Politien était à l’époque fortement inspiré de l’Epicurisme et du modèle poétique de l’auteur latin Lucrece. Jean-Marc Mandosio dans son article sur l’enseignement d’Ange Politien note par ailleurs qu’ «en plaçant son premier cours universitaire sous le signe de la philologie pure, étrangère, en somme, à la tradition de sa propre ville, il accomplit un acte novateur qu’il est difficile de séparer du cadre de la politique culturelle alors mise en œuvre, par Laurent le Magnifique, ce qui semble indiquer que, dès 1480, on commençait à considérer l’expérience Ficinienne comme périmée ». Soucieux d’innover, Le Politien se montre résolument moderne par sa façon d’utiliser l’imprimerie : il remet à son imprimeur ses leçons les plus significatives pour démultiplier les lecteurs de ses textes qui sont rendus facilement accessibles. Bousculant les hiérarchies universitaires, il décide de sa propre initiative d’enseigner Aristote, chose en principe interdite à un professeur de rhétorique et de poétique. La mort de son protecteur en 1492, interrompt les incursions littéraires de cet intellectuel de génie qui décède à l’âge de quarante ans le 28 septembre 1494. Voir l’article de Jean-Marc Mandosio « Un enseignement novateur. Les cours d’Ange Politien à l’université de Florence (1480-1494) ».
[vi] Jane C., LONG, « Botticelli’s Birth of Venus as Wedding Painting », Aurora (Woodcliff Lake, N.J.), Vol. 9 (2008), p. 1-27 citée dans l’article d’Elysa Lachapelle La Naissance de Vénus de sandro Botticelli : la représentation d’un mythe.
[vii] La naissance de Vénus et son arrivée sur la terre sont décrites dans les quarante vers des Stances 99 à 103 de Politien (traduction du poème en italien par Aby Warburg) Aby Warburg La Naissance de Vénus & Le Printemps de Sandro Botticelli – Etude des représentations de l’antiquité dans la première renaissance italienne.
[viii] Jacques Darriulat : Marsile Ficin.
[ix] Caroline Combronde Article « Les platoniciens de l’art à la Renaissance », Revue Philosophique de Louvain. Quatrième série, tome 97, n°2, 1999. pp. 268-288.
[x] Le site Rivages de Bohême, extrêmement complet, présente l’œuvre exhaustive de nombreux artistes avec des commentaires précis et succincts. Ma démarche de ce site est quelque peu différente : je cherche à donner une vision d’abord historique, mais également stylistique en résumant un livre du XIXème siècle présentant, à mon sens, une grande pertinence, comme celui de Julia Cartwright, pour cette biographie de Botticelli. Je ne donne donc pas toute l’information mais j’essaie de réaliser des focus, quand je le peux, en utilisant toutes les références puisées dans mes recherches historiques. Les deux démarches sont, je crois, complémentaires.
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