
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 36, Didon BNF
Il s’agit du quarantième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici, poursuivant son voyage avec l’Eneide de Virgile, Didon, la reine de Carthage.
Le comte Philippe de Ségur dans son histoire de Sicile et de Carthage, rapporte les circonstances de la fondation de Carthage par Didon[i]; « Didon qu’on appelait aussi Elissa, eut pour bisaïeul Isthobal, roi de Tyr, père de Jésabel. Le mari de Didon se nommait Acerbas, Sicherbas ou Sichée: c’était un prince considéré par ses richesses et pour ses vertus. Le frère de Didon, Pygmalion, roi de Tyr, lâche et cruel tyran, assassina Sichée afin de s’emparer de ses biens. Didon trompa son avarice, s’embarqua avec les trésors de son époux et un grand nombre de Tyriens qui lui étaient dévoués.
Elle descendit en Afrique, près d’Utique, ancienne colonie des Phéniciens. Elle y acheta un terrain où les habitants d’Utique l’aidèrent à bâtir une ville qu’on nomma Carthada (ville neuve). Des relations fabuleuses disent qu’on lui céda autant de terres qu’en pourrait renfermer la peau d’un boeuf et, qu’ayant divisé cette peau en lanières extrêmement minces, elle parvint par ce moyen à entourer l’espace de terre très étendu où elle bâtit la citadelle, qu’on nomma pour cette raison Byrsa (peau de boeuf).
Un prince voisin, Jarbas, roi de Jetulie, la menaça de guerre si elle ne consentait pas à l’épouser. La reine, ne voulant ni violer sa foi, ni exposer son peuple, demanda du temps pour répondre, offrit un sacrifice aux mânes de Sichée, monta sur un bûcher, se poignarda et périt dans les flammes.
L’histoire d’Enée et Didon racontée par Virgile n’est qu’une fable, imaginée par ce poète, pour flatter la vanité romaine. Le prince troyen ne pouvait connaître cette reine, puisque Carthage fut bâtie trois cents ans après la prise de Troie« .
Le long poème de Virgile fait une place essentielle aux amours de Didon et Enée, suivis de la fin tragique de Didon. Le site de la Biblioteca Classica Selecta, l’Enéide, présente un résumé des épisodes des Livres I et IV du poème de Virgile[ii] :
« Énée et Achate, parvenus sur une colline proche de la ville, sont cachés dans leur nuage: ils voient s’édifier une ville moderne et imposante, en proie à une activité fébrile, comparable à celle d’une ruche. Ne pouvant s’empêcher de comparer sa situation à celle de ces heureux Tyriens, Énée, sans être vu, se mêle à la foule. Tout en attendant la reine au pied du temple, Énée en examine diverses représentations, qui figurent des scènes de la guerre de Troie. Ce spectacle, témoignant de l’admiration et de la compassion à l’égard des héros troyens, ranime son courage. Sont évoqués les combats devant Troie, mais surtout les déboires troyens : massacre au camp de Rhésus et mort de Troïlus, un fils de Priam, vaine démarche des suppliantes troyennes auprès de Pallas, et enfin démarche de Priam auprès d’Achille, obtenant la restitution du cadavre d’Hector. Quelques scènes évoquent ensuite l’action d’Énée à Troie, les armées venues de l’Orient et les Amazones.
« Énée, toujours invisible, aperçoit Didon venant s’installer sur un trône devant le temple, et découvre une reine puissante, respectée, résolue, équitable et efficace. Soudain, heureux autant qu’effrayés, Énée et Achate reconnaissent quelques-uns de leurs compagnons rescapés en train de s’avancer en suppliants vers la reine, au milieu des protestations de la foule. Le vieil Ilionée, leur porte-parole, implore la bienveillance d’une reine protégée de Jupiter et éprise de justice. Lui demandant sa protection, il l’informe sur leur aventure et la rassure sur leurs intentions. Surpris de l’hostilité rencontrée, il finit par évoquer la possibilité d’un châtiment divin, et surtout le retour possible de leur chef, le juste, le pieux, le vaillant Énée. Il demande comme seule faveur de pouvoir réparer les navires, afin de gagner l’Italie avec Énée, ou sinon, la Sicile, où ils sont assurés d’un bon accueil. Didon alors les rassure, justifiant l’accueil hostile des Libyens par la jeunesse de son royaume. Elle promet aux Troyens de faciliter leur départ pour l’Italie ou la Sicile, mais leur propose plutôt de partager le pouvoir avec elle, souhaitant comme eux le retour d’Énée vivant.
« Réconfortés par cette vue, Énée et Achate sont tentés de révéler leur présence ; soudain, le nuage disparaît et Énée apparaît miraculeusement transfiguré. Il se présente alors à Didon, la remercie pour sa compassion et sa bonté, et lui souhaite la bénédiction des dieux, avant de serrer les mains de ses compagnons retrouvés. Revenue de sa stupeur, Didon se montre avertie des malheurs des Troyens et disposée à les secourir. Décrétant des actions de grâces aux dieux et faisant livrer des animaux aux Troyens restés sur le rivage, elle introduit ses hôtes dans le palais où se prépare un somptueux festin.
« Énée charge alors Achate de retourner aux navires et d’en ramener Ascagne et des présents, parures princières sauvées du sac de Troie, qu’il destine à Didon. Entre-temps Vénus imagine un stratagème pour protéger Énée contre Junon et demande le concours de son fils Cupidon, le puissant dieu de l’Amour. Elle lui suggère de se substituer momentanément à Ascagne afin d’inspirer à Didon une passion brûlante pour Énée, tandis qu’elle emportera Ascagne endormi à Chypre. Cette suggestion est immédiatement adoptée.
« Didon accueille les Troyens dans un cadre luxueux où se déroule un fastueux banquet, tant par les mets que par le nombre des serviteurs. Les présents des Troyens et le jeune Iule / Cupidon émerveillent les nombreux Tyriens présents mais surtout la reine, qui tombe sous le charme de Cupidon déguisé, jouant son rôle à la perfection. Didon procède ensuite aux libations à l’aide de la coupe ancestrale des Tyriens et invoque solennellement Jupiter, Bacchus et Junon, saluant ce jour comme une fête pour Tyriens et Troyens ; la coupe se transmet aux convives, tandis qu’un poète savant chante les phénomènes astronomiques et les origines des vivants. Passionnément amoureuse, Didon cherche à prolonger la fête, posant à son hôte mille questions sur Troie, et l’invitant enfin à raconter la chute de la ville et ses propres aventures.
« Didon confie à sa soeur Anne son amour pour Énée, tout en affirmant son désir de rester fidèle au souvenir de Sichée, son premier époux. Anne l’encourage à céder à cet amour pour un hôte envoyé par les dieux, et ce dans l’intérêt de Carthage et pour sa propre gloire ; elle finit par triompher des dernières réticences de Didon. Didon par des rites et des sacrifices cherche à rendre les dieux favorables à son projet, sans réussir à apaiser la passion douloureuse qui l’obsède secrètement. Négligeant toutes ses activités, elle cherche à convaincre Énée de s’installer définitivement à Carthage.
« Junon propose à Vénus d’unir Didon et Énée, dans l’intérêt des deux peuples. Sans être dupe de la ruse de Junon, dont le seul but est d’écarter les Troyens d’Italie, mais confiante dans les promesses de Jupiter, Vénus ne s’oppose donc pas au stratagème de Junon qui est de provoquer la rencontre des amants dans une grotte. Dès l’aube s’organise une chasse grandiose ; les plus nobles des Carthaginois escortent leur reine somptueusement parée, tandis que les Phrygiens et Iule accompagnent Énée, comparé à Apollon. Pendant le joyeux déroulement de la chasse, très excitante pour le jeune Ascagne-Iule, un orage survient, qui force tous les participants à chercher refuge dans toutes les directions. Didon et Énée s’abritent dans la même grotte ; et en présence de Tellus, de Junon… s’accomplit un simulacre de mariage, auquel Didon adhère sans aucune réserve, inconsciente du malheur qui l’attend.
« La Renommée, toujours à l’affût, répandant partout le vrai et le faux, divulgue à travers la Libye la liaison de Didon et Énée. Finalement la nouvelle parvient à Iarbas, le prétendant éconduit de Didon ; fou de rage, le roi, fidèle adorateur de Jupiter, reproche au dieu cette situation imméritée. Jupiter, sensible à la prière de Iarbas, dépêche Mercure à Carthage pour rappeler à Énée que son destin est de fonder un empire en Italie. Aussitôt Mercure s’équipe et s’envole vers la Libye, en passant par le mont Atlas. Découvrant Énée occupé à l’embellissement de Carthage, Mercure lui transmet, sans ménager ses reproches, le message de Jupiter, puis disparaît dans les airs. Frappé de stupeur et décidé à obéir, Énée se demande comment faire comprendre à Didon sa décision. Il ordonne à ses compagnons ravis de préparer secrètement le départ.
« Didon, avertie par son intuition d’amante et par la Rumeur, se déchaîne. Elle accuse Énée de perfidie, cherchant ensuite à l’apitoyer au nom de leur amour, puis à le retenir au nom du bon sens. Ensuite, elle évoque successivement sa situation de femme trahie et abandonnée, leur engagement, ses titres à la reconnaissance d’Énée, les menaces de ses ennemis, la perte de sa réputation, son regret de n’avoir pas un enfant d’Énée. Énée, cherchant à maîtriser une réelle émotion, exprime d’abord à Didon sa reconnaissance éternelle, puis se justifie en spécifiant qu’il n’a jamais eu l’intention de dissimuler sa fuite ni de prétendre au statut d’époux. Enfin, il rappelle qu’il rejoint l’Italie pour suivre les ordres du destin, qui lui sont manifestés par des oracles, une vision d’Anchise, la conscience de sa responsabilité envers Ascagne, et enfin par Mercure lui-même, envoyé par Jupiter.
« Didon, pleine de rage, reproche à Énée sa cruauté, son insensibilité ; se sentant abandonnée, elle évoque ses bienfaits à l’égard d’Énée et se révolte contre les ordres divins. Ayant perdu tout espoir, elle se résigne finalement, maudissant Énée et laissant pressentir son propre suicide, avant de disparaître dans sa chambre. Énée, malgré son désir de consoler Didon, s’en va encourager ses compagnons sur le rivage s’activant au départ. La vue de ces préparatifs accable Didon qui tente une ultime démarche : elle charge sa soeur Anne, qui jouit de la confiance d’Énée, d’aller lui rappeler l’attitude amicale de Didon à l’égard des Troyens et de le supplier seulement de postposer son départ, pour lui laisser le temps de mourir de chagrin. Anne, très affectée, intervient vainement auprès d’Énée, qui reste inébranlable, comme un chêne au milieu de la tempête.
« Didon songe à mourir, suite à des présages sinistres et à l’appel de Sychée qu’elle croit voir en songe ; en outre, d’anciennes prédictions, le sentiment de sa solitude et de sa culpabilité la rendent comparable à Penthée ou Oreste. En dissimulant son plan à Anne, Didon, sur les conseils d’une sorcière très puissante, feint de vouloir guérir sa passion par la magie. Et quand elle lui ordonne de dresser un bûcher pour y brûler les souvenirs laissés par Énée, Anne obéit sans pressentir la destination réelle du bûcher. Aidée par la prêtresse, Didon accomplit une série de rites magiques et invoque les dieux dans une atmosphère annonciatrice de mort.
Didon, le seul être à ne pas jouir du repos de la nuit, reprise par son délire amoureux, en proie à la colère, passe en revue, dans une sorte de monologue intérieur, les possibilités, de toute manière inacceptables, auxquelles elle est réduite : soit recourir à ses prétendants africains, naguère repoussés, soit partir seule avec les Troyens et leur obéir, soit les poursuivre avec son armée. Sa seule issue est la mort, qu’elle estime avoir méritée et qu’elle se donnera par le fer, non sans reprocher à Anna de l’avoir poussée à trahir sa fidélité à Sychée.
« Pendant ce temps, le fantôme de Mercure apparaît en songe à Énée, lui enjoignant de s’en aller au plus vite pour éviter une possible réaction hostile de Didon. Énée s’empresse de faire part aux siens de l’ordre du dieu et les Troyens, sans plus tarder, quittent Carthage par la mer. Lorsqu’elle se rend compte du départ des Troyens, la reine laisse exploser dans un monologue débridé son dépit et son impuissance à agir par la force ; elle se reproche ensuite son manque de clairvoyance et son regret de ne pas avoir anéanti Énée et les siens, laissant pressentir sa mort comme un moyen désespéré de vengeance. Puis, elle invoque toute une série de divinités liées à la vengeance (et à la magie ?) : le Soleil, Junon, Hécate, les Furies, et les dieux d’Élissa ; elle prononce alors contre Énée des malédictions (qui se réaliseront en partie), avant de maudire tous les Romains, les descendants d’Énée, ce qui évoque les guerres puniques et Hannibal.
« Après avoir chargé la nourrice Barcé d’aller chercher Anne, soi-disant pour accomplir rituellement la cérémonie magique, Didon escalade le bûcher et, s’attendrissant un moment à la vue des objets qui y étaient posés, sans dissimuler plus longtemps ses intentions, elle retrace les réussites et les malheurs de sa vie, puis maudit à nouveau Énée, et prétend se venger de lui par sa mort. Alors, sous les yeux de l’assistance, elle s’écroule sur l’épée d’Énée. La nouvelle, répercutée par la Renommée, gagne toute la ville qui réagit comme devant un désastre national. Anne accourt désespérée et tente de sauver ou de soulager Didon, lui reprochant sa dissimulation et protestant de son affection et de sa fidélité. Mais Didon est expirante, et malgré ses efforts ne peut plus que gémir.
« Cette mort non naturelle se faisant attendre, Junon, apitoyée, délègue Iris, chargée de couper le cheveu qui retenait Didon à la vie, rite incombant normalement à Proserpine. Une fois le cheveu tranché, la vie de Didon se dissipe dans les airs« .
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[i] Histoire de Sicile, de Carthage et des Juifs, par comte Louis-Philippe de Ségur, Bruxelles 1822, Google Book.
[ii] Site de Biblioteca Classica Selecta Enéide, Livre I Arrivée d’Enée à Carthage. Faculté de Philosophie et Lettres de Louvain à l’initiative de Jean Schumacher.
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