Tout le monde connaît le génie de la peinture et de l’architecture. Mais que savons-nous du premier conservateur des ruines antiques, de l’archéologue, du précurseur de la topographie et de la méthode de mesure qui a jeté les bases du dessin d’architecture moderne ?

Le forum romain Du Perac I Vestigi dell Antichita di Roma Stephano du Perac Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art, collections Jacques Doucet
La problématique de la lettre de Raphael apparaît dans mon roman « Les Roses de Camerino« . Le présent article a pour objectif d’en donner davantage au lecteur.
Il aura fallu l’arrivée de Raphael à Rome en 1508, sous le pontificat du pape Della Rovere, Jules II, pour que l’artiste commence à s’intéresser de façon régulière aux antiquités[i].
Comme tous les artistes depuis Mantegna (voir l’article de ce Blog sur Mantegna, le premier peintre du monde), il a copié de façon anecdotique à Sienne ou à Florence, un bas-relief ou un marbre antique, comme ce groupe des Trois grâces mais il ne s’est pas encore vraiment intéressé à l’art antique.
« A Rome, tout change comme par enchantement : le tendre et religieux peintre de madones se passionne pour les héros du paganisme. Il crée l’Ecole d’Athènes, le Parnasse, ces éblouissantes visions du monde grec. Désormais l’antiquité classique n’a pas de champion plus ardent. Après s’être inspiré d’elle en artiste, Raphaël l’étudie en archéologue : c’est à elle que sont consacrées ses dernières pensées. La restitution de la Rome antique forme, concurremment avec la Transfiguration, le couronnement de cette brillante carrière, si tôt interrompue » (Eugène Müntz, doc. cité).
Les sources d’inspiration
Les sources dans lesquelles Raphael va puiser son inspiration, sont celles décrites par Francesco Albertini (1469-1510), le secrétaire du cardinal Fazio Santoro, à Rome, dans son « Opusculum de mirabilibus novae & Veteris urbis Romae », considéré par Stinger[ii], comme « le guide le plus populaire de la Rome antique au XVIème siècle ».
« Du temps d’Albertini, c’est-à-dire en 1509, on voyait des vestiges de fresques plus ou moins considérables dans les thermes et dans les jardins de Salluste et de Titus. On apercevait aussi des traces de peintures dans les ruines situées sur le Quirinal, ainsi que dans celles qui avoisinaient l’église Saint-Pierre-ès-Liens. Sur le Palatin, la villa d’inghirami (Phèdre de Volterra), un des plus chers amis de Raphaël (voir sur ce Blog l’article sur Tommaso Inghirami, dit Phèdre: humaniste et acteur de theâtre de la renaissance) avait plusieurs de ses parois entièrement couvertes de fresques. Albertini cite encore un tombeau de la via Salaria orné des figures de Cérès et de Bacchus, ainsi que de pampres et d’amphores. Raphaël lui-même, dans son rapport à Léon X parle des peintures des thermes de Dioclétien, qu’il oppose à celles du temps de Trajan et de Titus. On sait quel parti il tira des charmantes décorations découvertes de son temps dans les thermes construits par le dernier de ces empereurs. Mais on oublie trop qu’à cet égard qu’il ne fit que suivre l’exemple de Morto da Feltro, le véritable inventeur des grotesques, du moins au témoignage de Vasari. Peut-être le maître urbinate étudia-t-il aussi les peintures, aujourd’hui encore conservées, de la pyramide de Cestius ? » (Eugène Müntz).
Raphael puisa également son inspiration dans les mosaïques : « Dans les Loges, les fameux rinceaux peuplés d’écureuils, de souris, d’oiseaux sont copiés, le doute n’est pas possible, sur les mosaïques absidales de Sainte-Marie-Majeure » (Eugène Müntz).
Au-delà, c’est dans les très nombreuses sculptures exposées dans les musées de Rome, que Raphael va puiser son inspiration et notamment à L’Antiquarium (voir sur ce Blog l’article sur L’Antiquarium, le jardin d’un pape esthète de la Renaissance) et au Capitole, les deux musées en plein air de Rome.
L’Antiquarium ne comptait encore « que peu de monuments, mais presque tous, des chefs-d’œuvre : l’Apollon du Belvédère, le Laocoon, le Torse, l’Ariane (alors connue sous le nom de Cléopâtre), la statue de l’impératrice Sallustia Barba Orbana, représentée sous la figure de Vénus, le Commode, le Tibre. Sous Léon X, le Nil, ainsi que deux statues d’Antinous vinrent s’ajouter à ces merveilles. André Fulvio qui les décrivit en 1513, nous apprend que toutes les sculptures étaient rangées clans le Belvédère autour d’une fontaine. Les unes, d’après un témoignage postérieur, semblent avoir été exposées en plein air, les autres étaient placées dans des niches » (Eugène Müntz).
Le musée du Capitole dont la fondation remontait à Sixte IV était déjà riche de pièces, souvent tronquées et à la valeur artistique assez largement inférieure à celle du musée du pape.
Ce n’est que trente ans après que l’on a songé à créer un office spécial pour la conservation et la surveillance des antiquités, et encore cet emploi fut-il au commencement bien modeste. Francesco de Botti, qui fut, pour la première fois, en 1540, chargé de la garde et de l’entretien des statues du Capitole et du Vatican, ne recevait que deux ducats de traitement par mois. Le gardien de la colonne Trajane était mieux rétribué, quoique ses fonctions n’exigeassent pas des aptitudes bien spéciales : il recevait quatre ducats par mois.
Mais les musées les plus riches étaient les collections privées : « Il n’y avait plus guère de prélat, de diplomate, de grand seigneur, de banquier qui ne recherchât avec ardeur tout ce qui rappelait l’antique splendeur romaine : statues, bas-reliefs, gemmes, médailles, et jusqu’aux inscriptions. Au premier rang brillait le musée réuni au palais de Saint-Marc par le cardinal vénitien Dominique Grimani. Ses collections, qu’il transporta plus tard dans sa ville natale et qui, à sa mort, en 1523, devinrent le noyau du Musée de Saint-Marc, comprenaient à la fois les spécimens de la statuaire et ceux de la glyptique. Nous savons qu’en 1505 il montra aux ambassadeurs vénitiens une masse prodigieuse de statues de marbre et une foule d’autres antiquités trouvées dans sa vigne » (Eugène Müntz).
Raphael s’est, de façon certaine, inspiré de ces statues antiques notamment pour la Diane d’Éphèse et le Sacrifice du taureau. « Nous trouvons en effet ces deux compositions représentées dans les Loges », les statues correspondantes étant rapportées dans un manuscrit de Claude Bellièvre de Lyon, à la BNF.
« Tout poussait Raphaël à s’inspirer de ces modèles, et ses propres aspirations, et les conseils de son entourage. Le plus dévoué de ses protecteurs, celui qui fut pour lui comme un second père, Bramante, avait fait de l’antiquité l’étude de toute sa vie. La plupart des monuments de l’ancienne Rome avaient été mesurés et dessinés par ses soins. Lomazzo, auquel nous devons ce renseignement, a encore vu ces dessins, alors dispersés dans toute l’Italie. Un élève de Bramante, Antonio Labacco, confirme ce témoignage en nous montrant son maître imitant, à diverses reprises, un temple situé près du Forum, sur l’emplacement de l’église Saint-Adrien. Raphaël était tout fraîchement débarqué à Rome que déjà l’architecte en chef de Saint-Pierre mettait à l’épreuve ses connaissances en matière d’archéologie : ayant fait exécuter des copies du Laocoon par plusieurs sculpteurs, il lui demanda de se prononcer entre les concurrents. Le Sanzio déclara que le travail de Jacopo Sansovino se rapprochait le plus de l’original, et son arrêt fut ratifié par un connaisseur illustre, le cardinal Dominique Grimani » (Eugène Müntz).
Plusieurs des amis de Raphael, étudient les antiquités en amateurs, collectionneurs, voire archéologues : c’est le cas de Pietro Bembo et de Baldassare Castiglione (voir sur ce Blog les articles sur Pietro Bembo : la religion de l’amour et Baldassare Castiglione, le parfait courtisan au service de la cour d’Urbin). C’est en leur compagnie que Raphael visite la villa de Tivoli en 1516. « Peut-être l’artiste entra-t-il alors en relations avec l’archéologue Andréa Fulvio, avec lequel nous le verrons, dans la suite, préparer sa grande restitution de la Rome antique. Ce qui est certain c’est que Fulvio publia peu de temps après, en 1517, chez Mazzocchi, à Rome, un recueil numismatique dont les gravures, fort soigneusement exécutées, devaient être du plus grand secours aux artistes amenés à s’occuper de l’iconographie grecque ou romaine » (Eugène Müntz).
L’étoffe d’un archéologue : la conservation des monuments de Rome
Une anecdote rend compte du caractère exceptionnel de Raphael parmi ses contemporains : « Jules II, dans son ardeur à remplir le Vatican de créations nouvelles, avait donné l’ordre à son peintre favori de détruire les fresques de ses prédécesseurs. Raphaël dut obéir mais il voulut du moins que toute trace de ces compositions, si importantes pour l’histoire des arts, ne fût pas perdue, et il fit copier une partie des peintures de Piero della Francesca. Quelle belle leçon donnée à cette bande de démolisseurs acharnés, à ces Vandales qui s’attaquaient alors aux plus vénérables monuments de la Rome païenne ou de la Rome chrétienne ! Si l’exemple de Raphaël avait été suivi, si ses principes avaient triomphé, nous posséderions du moins une image, fût-elle sommaire, de tant de chefs-d’œuvre perdus sans retour » (Eugène Müntz).
Le 27 août 1515, un bref de Léon X conférait à Raphael la surintendance générale des monuments antiques de Rome. Le pape, en autorisant Raphaël à prendre au milieu des ruines les pierres et les marbres nécessaires à la construction de Saint-Pierre, lui ordonnait en même temps de réserver soigneusement tout ce qui pouvait intéresser les arts ou les lettres, et frappait d’une amende de cent à trois cents ducats d’or quiconque ne livrerait pas à l’Urbinate, les matériaux précieux, quiconque aussi anéantirait ou mutilerait des inscriptions. Voici le texte de ce Bref dont la rédaction semble avoir été inspirée par Raphael :
« Il est de la plus grande importance pour les travaux du temple romain du Prince des Apôtres, que les pierres et le marbre dont il nécessite une grande quantité soient obtenus facilement dans des endroits rapprochés de nous. Et puisque nous savons que les ruines romaines en fournissent abondamment; que presque tout le monde y prend les marbres de toutes sortes, pour les employer à des constructions dans Rome ou aux alentours ; qu’il en est de même des matériaux qu’on trouve en creusant la terre ; nous te nommons, vu que tu as reçu de nous la direction des travaux, inspecteur en chef de tous les marbres et pierres qui seront déterrés dès ce jour à Rome ou à la distance de dix milles alentour, afin que tu les achètes, s’ils peuvent servir aux travaux du temple.
Nous ordonnons donc à chacun, de quelque condition qu’il soit, de famille noble et haute en dignité ou d’origine moindre et infime, qu’il ait à te prévenir avant tout, en ta qualité d’intendant supérieur, de tous les marbres et de toutes les pierres en tous genres qui seront découverts dans la circonférence que nous avons indiquée. Celui qui n’aura pas obéi à cet ordre dans le délai de trois jours sera passible d’une amende de cent à trois cents ducats d’or, selon ta volonté…
En outre, vu qu’il nous a été rapporté qu’on se sert inconsidérément de morceaux antiques de marbre, sur lesquels se trouvent des inscriptions qui contiennent souvent des choses mémorables et qui mériteraient d’être conservées pour le progrès des lettres et pour l’élégance de la langue latine, mais qui sont perdues de la sorte , nous ordonnons à tous ceux qui exercent la profession de tailleur de pierre à Rome, de ne point briser ou scier de pierres portant des inscriptions, sans ton consentement, sous peine de la même amende, s’ils désobéissent à nos ordres.
Rome, ce 27 août, dans la troisième année de notre pontificat ».
Raphael a-t-il été désigné Conservateur des ruines de Rome, comme certains l’ont prétendu ?
Il est difficile d’aller jusque-là. Et ce n’est d’ailleurs que vingt-cinq ans plus tard, que l’on va désigner Francesco de Betti, pour assurer la surveillance des musées du Capitole et du Vatican, moyennant deux ducats par mois. Et puis, est-ce vraiment de la conservation d’antiquités que d’être autorisé à puiser des marbres pour les affecter au chantier de la basilique ?
En effet, la reconstruction de la basilique Saint Pierre suivant les plans de Bramante puis de Raphael, exige des quantités énormes de marbre, que le pape autorise Raphael à puiser dans la cité antique. La nouveauté, c’est qu’il s’agit d’un privilège exclusif, alors qu’auparavant, tous allaient se servir comme bon leur semblait. Et ce privilège exclusif lui permet de choisir les marbres à utiliser, en fonction de leur intérêt archéologique.
Mais Raphael, tout en poursuivant la construction de Saint-Pierre, va se prendre au jeu et tenter de préserver ce qui peut l’être en se livrant à un vrai recensement des bâtiments antiques de Rome.
Le Recensement des Antiquités de Rome
Accompagné de Baldassare Peruzzi et de son assistant, Antonio Sangallo le jeune, il va s’efforcer de faire le relevé systématique des monuments antiques de la ville de Rome[iii].
Comme le note l’auteure de l’article, Monique Chatenet, « la question est la suivante : comment rendre compte sur les deux dimensions d’une feuille de papier, des trois dimensions d’un monument, avec suffisamment d’exactitude, pour qu’on puisse le reconstruire virtuellement ? Les principes préconisés par Raphael sont la triangulation à l’alidade pour la prise des mesures sur le terrain et surtout, pour la restitution graphique, le relevé géométral en plan, coupe et élévation. Un relevé est dit géométral quand il représente un objet avec ses dimensions exactes, sans tenir compte des déformations de la perspective, en plan ou section horizontale, dont certaines parties situées au-dessus (voûtes) ou au-dessous (sols), peuvent être représentés par projection orthogonale, en coupe (section verticale) et en élévation (façades).
Aujourd’hui encore, cette méthode reste à la base de tous les modes de représentation spatiale, assistés ou non par ordinateur. Or, si elle n’a pas été inventée par lui, Raphael est le premier à la mettre en œuvre aussi systématiquement et à l’imposer pour représenter l’architecture. Reprise par Serlio et Vignole dans leurs traités et en France, par Philibert Delorme et Jacques Androuet du Cerceau, cette méthode devait se généraliser au cours du seizième siècle, pour devenir la méthode, par excellence, de représentation de l’architecture.
Qu’apporte ce procédé à l’espace architectural ? Une chose essentielle : il offre de passer sans perte d’information, ni déformation, de l’espace tridimensionnel de la construction, à celui, bidimensionnel de la feuille de papier, et vice-versa. Ce que cherchait Raphael, c’était de transmettre les formes de l’architecture antique à tous ceux ayant accès à ses relevés et donc, de diffuser « la bonne architecture ». Enfin, cette méthode permet de rendre compte avec précision, du nouveau langage de l’architecture, basé sur l’emploi des cinq ordres de colonnes, où la mesure est essentielle car chaque ordre repose sur un jeu exact de proportions ».
Raphael va dessiner et peindre avec ce procédé, un grand nombre de bâtiments de Rome. Le résultat de ces travaux va être présenté dans sa célèbre lettre à Léon X, en 1519, prévue pour servir de dédicace à un ouvrage sur les monuments de Rome, qui ne sera jamais publié.
Voici quelques extraits particulièrement remarquables de cette lettre.
«(…) Ayant donc étudié, examiné, mesuré ces antiquités avec soin et persévérance, et, après une lecture assidue des bons auteurs, ayant comparé les œuvres d’art avec les écrits, je puis bien penser avoir acquis quelque connaissance de l’architecture antique. Cela me procure, d’une part, une vive joie par l’appréciation de ces magnifiques choses; mais, d’autre part, je ressens un profond chagrin quand je vois, semblable à un cadavre, cette noble cité, autrefois la reine du monde, aujourd’hui pillée et déchirée si misérablement. (…)
Mais pourquoi nous plaindre des Goths et des Vandales, et de tant d’autres ennemis acharnés, quand ceux qui auraient dû protéger en pères et en tuteurs les pauvres restes de la vieille Rome ont depuis longtemps contribué à sa ruine et à son pillage ! Combien de papes, Très-Saint Père, qui possédaient la dignité de Votre Seigneurie, mais non pas son savoir, son esprit et sa grandeur d’âme, combien de papes n’ont-ils pas laissé anéantir des temples antiques, des statues, des arcades, et d’autres superbes constructions, qui furent la gloire de leurs fondateurs ! Combien n’y en eut il pas qui permirent que, pour extraire de la terre de pouzzolane, on fouillât les fondations, ce qui amena bien vite l’écroulement des édifices eux-mêmes ! Que de statues et d’autres sculptures antiques ont servi à faire de la chaux ! car je puis bien m’enhardir à affirmer que toute cette nouvelle Rome que nous voyons actuellement dans sa grandeur et sa beauté, avec ses palais et ses églises, a été entièrement bâtie comme elle est là avec de la chaux faite de marbre antique.
Je ne saurais penser sans un profond chagrin que, depuis mon arrivée à Rome, — il n’y a pas encore douze ans, — on a détruit tant de beaux monuments, comme la Meta, l’arcade à l’entrée des Bains de Dioclétien, le Temple de Cérès dans la Via Sacra; une partie des ruines du Forum, brûlée il y a peu de jours, et dont les marbres ont été convertis en chaux; la plus grande partie de la basilique du Forum, et tant de colonnes, d’architraves et de belles frises ! C’est une honte pour cette époque, d’avoir toléré de pareilles choses, et on pourrait dire en vérité qu’Annibal et les autres ennemis de Rome n’auraient pas pu agir plus cruellement. (…)
Il vous appartient, Très-Saint Père, de veiller à ce que les derniers vestiges de cette antique mère de l’Italie, témoin glorieux de la valeur et de la puissance de ces esprits divins dont le souvenir enflamme encore parfois nos esprits, ne soient pas anéantis ou endommagés par des méchants et des ignorants. (…)
On ne trouve à Rome que trois espèces d’édifices : premièrement, les bons antiques depuis les premiers empereurs jusqu’à la dévastation de Rome par les Goths et autres Barbares, secondement, les édifices de la période du gouvernement des Goths et des cent années suivantes et enfin, ceux qui furent élevés depuis cette époque jusqu’à nos jours. (…)
Donc, après avoir spécifié quels sont les édifices antiques de Rome dont nous voulons nous occuper, il nous reste à indiquer le procédé que nous avons employé pour mesurer et dessiner ces édifices, afin que ceux qui veulent étudier l’architecture sachent comment s’y prendre sans hésiter. « Nous devons ajouter que, dans les descriptions qui suivent, nous n’avons pas été guidés par l’a peu près et la simple pratique, mais bien par des principes précis. « Je n’ai appris nulle part jusqu’à présent que l’art de mesurer avec la boussole, dont nous nous servons habituellement, ait été pratiqué chez les Anciens : je le considère donc comme une invention des modernes, et, pour ceux qui ne le connaissent pas, je vais indiquer explicitement comment il en faut user.
Et comme, à mon avis, beaucoup se trompent en dessinant des édifices, qu’au lieu de représenter en architectes ils représentent en peintres, j’expliquerai maintenant sur la manière dont je pense qu’il faut procéder pour comprendre correctement toutes les mesures et savoir retrouver sans erreur tous les membres de l’édifice.
Le dessin des édifices se divise donc en trois parties : la première est le plan, ou plutôt le dessin plan, la deuxième l’élévation intérieure avec ses ornements. Le plan est ce qui divise tout l’espace plan du lieu destiné à l’édifice, c’est-à-dire le dessin des fondations de l’ensemble de l’édifice quand il a atteint le niveau du sol. Cet espace, même s’il est en pente, doit être rendu plan de façon que la base de la pente ait sa ligne parallèle à celle des divers niveaux de l’édifice. Et à cette fin, il faut prendre comme repère la ligne horizontale menée au droit de la pente et non la ligne de la pente, afin que tous les murs soient perpendiculaires à la première ; on appelle ce dessin le plan, comme si — à la manière de l’espace qu’occupe la plante du pied, et qui est le fondement du corps tout entier — ce plan devraient être le fondement de l’édifice tout entier.
Si l’édifice est rond, ou si l’on veut montrer deux faces d’un édifice carré, il ne faut pas, comme certains, diminuer la profondeur de leurs dimensions, en réduisant la taille de ce qui s’éloigne de l’oeil ; la diminution des éléments dessinés a pour conséquence de couper les rayons pyramidaux de l’oeil ce qui relève de la perspective et appartient au peintre mais non à l’architecte ; en effet, ce dernier ne peut en tirer aucune mesure exacte, ce qui est nécessaire à un praticien à qui il incombe d’obtenir les mesures parfaites de la réalité, et non celles qui apparaissent à la vue et ne sont pas réelles. C’est pourquoi les mesures du dessin d’architecte ont pour caractéristique d’être toujours, pour tous les côtés, obtenues à partir de lignes parallèles. Et si les mesures relevées alors sur un édifice à plan rond, ou bien à plan rectiligne, mais de forme triangulaire ou autre s’éloignent, ou plutôt diminuent, on les retrouve aussitôt dans le dessin du plan, et de même pour ce qui diminue en plan, tels voûtes, arcs, triangles : leurs dessins en élévation en donnent un rendu parfait. Pour cette raison, il est toujours nécessaire de disposer des mesures exactes, en paumes, pieds, doigts et grains, jusque dans leurs plus petites parties.
« … Bref, avec ces trois manières, on peut très exactement dresser le plan de toutes les parties d’un bâtiment, à l’extérieur et à l’intérieur. Nous avons suivi cette route, ainsi qu’on peut le voir dans la marche de notre ouvrage. Et afin qu’on saisisse mieux encore le procédé, je joins ici le dessin d’un édifice pris d’après les trois différents modes ci-dessus décrits«
Baldassare Castiglione, l’ambassadeur du marquis de Mantoue, Francesco Gonzague, a-t-il contribué à la rédaction de cette lettre ?
Gruyer et Müntz estiment que non, en dehors de quelques corrections de pure forme, jugeant que l’auteur du Livre du Courtisan, n’aurait pu adopter un langage aussi vrai et engagé ni manier des concepts aussi techniques.
En revanche, Gruyer note que deux amis de Raphael ont dû jouer un rôle dans le travail du Surintendant sur les Antiquités de Rome : d’une part « l’antiquaire Andrea Fulvio, qui apportait le même zèle à préserver de la destruction les vestiges de l’ancienne Rome. Il importerait surtout de ne pas oublier le savant traducteur de Vitruve, le vénérable Fabius de Ravenne, que Raphaël avait recueilli chez lui, qu’il entourait des soins les plus tendres et qu’il consultait en toutes choses » (F.A.Gruyer Raphael et l’Antiquité Tome 1).
Que sont devenus les dessins des monuments de Rome par Raphael ?
Nul ne sait ce qu’ils sont devenus. On sait que l’un d’entre eux a été gravé par Mercantonio Raimondi, le célèbre graveur avec lequel Raphael a beaucoup travaillé. Le grand historien de l’art Winckelmann, rapporte dans ses « Notices sur l’architecture des anciens » : « J’ai devant les yeux des dessins du « grand Raphaël, d’après le temple antique d’Hercule à Cora, très« consciencieusement mesuré, car il avait moins souffert alorsqu’au« jourd’hui… (…). Ces dessins se trouvaient, ainsi que d’autres encore d’après des édifices antiques, dans le musée du célèbre M. de Stosch, et formaient un volume de vingt « et quelques feuilles. » On ignore absolument ce qu’est devenu ce trésor. Peut-être se retrouvera-t-il un jour, et viendra-t-il jeter quelque lumière sur le sujet qui nous occupe. — On voit chez lord Leicester, à Holkham (Norfolk), un cahier de dessins de Raphaël, qui appartint au XVIIe siècle à Carle Maratte, et dans ce cahier sont dix-huit feuilles de dessins d’architecture. Ce sont des soubassements, des chapiteaux, des corniches, des compartiments à soffites, des bases de colonnes, des consoles, des autels, des frontons, des bas-reliefs, une vue du temple de la Sibylle, à Tivoli, et divers monuments copiés d’après l’antique. Mais dans tout cela, rien ne rappelle directement les monuments romains. — Parmi les dessins d’architecture qui restent de Raphaël, il importe de rappeler aussi la façade aux cariatides de la villa Mattei, gravée par Marc-Antoine Raimondi » (F.A.Gruyer Raphael et l’Antiquité Tome 1).
Toutefois, un article de Philip J Jacks sur le Simulachrum de Fabio Calvo, sur Jstor, indique que des copies de trois des dessins de Raphael auraient été trouvées à la Bibliothèque civique Benedetto Passionei de Fossombrone (dans les Marches, près d’Urbin, la ville natale de Raphael). Ces dessins, authentifiés comme une production de l’atelier de Raphael dans les années 1520, pourraient-ils donner à penser que son parent moine, son exécuteur testamentaire d’Urbin, en aurait hérité ?
De nombreux successeurs de Raphael ont caressé ce beau rêve de redonner vie à la Rome antique. Les dessins de Raphael ont été perdus. Il faudra attendre la publication en 1653 des dessins d’Etienne du Perac[iv] (voir sur ce Blog l’article sur la Destruction de la Rome antique à la Renaissance) pour retrouver la première tentative organisée de gravure systématique des monuments de Rome. Mais entre la mort de Raphael et le moment où ces gravures ont été réalisées, la moitié des bâtiments encore debout ont été détruits.

Mont Palatin du Perac I Vestigi dell Antichita di Roma Stephano du Perac Bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art, collections Jacques Doucet
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[i] Cet article est issu de la publication d’Eugène Müntz Raphael Archéologue et historien d’art A Quantin Paris 1880 Source Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, 4-Z-2001 (2) Livre Gallica BNF, dont il reprend de larges extraits. Il s’appuie également sur les deux ouvrages de F. A. Gruyer Raphaël et l’antiquité. Tome 1 et Tome 2.
[ii] Charles Stinger The Renaissance in Rome, Livre Google Books cité notamment par Wikipedia dans son article sur Francesco Albertini,
[iii] Cette partie de l’article est inspirée du livre Construire l’espace au XVIe siècle: actes du XIVe colloque du Puy-en-Velay Publications de l’Université de Saint Etienne 2008 Etudes réunies et présentées par Marie Viallon Article Construire l’Espace au XVIème siècle de Monique Chatenet Paragraphe sur l’espace topographique de Raphael p16.
[iv] I Vestigi dell’antichità di Roma raccolti et ritratti in perspettiva con ogni diligentia da Stefano du Perac Bibliothèque numérique de l’INHA.
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