
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 40v, Réa Silvia et son amant BNF
Il s’agit du quarante-troisième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici le mythe des amours du dieu Mars et de Rhéa Sylvia, la mère de Romulus et Rémus, les fondateurs de Rome.
L’histoire de Rhéa Silvia est racontée par Tite-Live dans le Livre I de l’Histoire romaine[i]. Tout commence par le fils d’Enée, Ascanius, devenu roi après la mort de son père et par le viol de Rhéa Silvia par le dieu Mars:
« Ascagne a pour successeur Silvius son fils, né, je ne sais par quel hasard, au fond des forêts. Il est père d’Énée Silvius, qui a pour fils Latinus Silvius. Celui-ci fonda quelques colonies; ce sont les Anciens Latins. Et depuis ce temps, Silvius resta le surnom commun de tous les rois d’Albe.
« Puis se succèdent de père en fils, Alba, Atys, Capys, Capétus, Tibérinus : celui-ci se noie en traversant le fleuve Albula, auquel il donne son nom, devenu si célèbre dans la postérité. Tibérinus a pour fils Agrippa, qui lui succède et transmet le trône à Romulus Silvius. Ce Romulus, frappé de la foudre, laisse le sceptre aux mains d’Aventinus. Ce dernier, enseveli sur la colline qui fait aujourd’hui partie de la ville de Rome, lui donna son nom. Procas, son successeur, père de Numitor et d’Amulius. lègue à Numitor, l’aîné de ses fils, l’antique royaume de la race des Silvius. Mais la violence prévalut sur la volonté d’un père et sur le respect pour le droit d’aînesse.
« Amulius chasse son frère, et monte sur son trône : et, soutenant un crime par un nouveau crime, il fait périr tous les enfants mâles de ce frère : sous prétexte d’honorer Rhéa Silvia, fille de Numitor, il en fait une vestale; lui ôte, en la condamnant à une éternelle virginité, l’espoir de devenir mère.
« Mais les destins devaient sans doute au monde la naissance d’une ville si grande, et l’établissement de cet empire, le plus puissant après celui des dieux. Devenue par la violence mère de deux enfants, soit conviction, soit dessein d’ennoblir sa faute par la complicité d’un dieu, la Vestale attribue à Mars cette douteuse paternité. Mais ni les dieux ni les hommes ne peuvent soustraire la mère et les enfants à la cruauté du roi : la prêtresse, chargée de fers, est jetée en prison, et l’ordre est donné de précipiter les enfants dans le fleuve.
» Par un merveilleux hasard, signe éclatant de la protection divine, le Tibre débordé avait franchi ses rives, et s’était répandu en étangs dont les eaux languissantes empêchaient d’arriver jusqu’à son lit ordinaire; cependant, malgré leur peu de profondeur et la tranquillité de leur cours, ceux qui exécutaient les ordres du roi les jugèrent encore assez profondes pour noyer des enfants. Croyant donc remplir la commission royale, ils les abandonnèrent aux premiers flots, à l’endroit où s’élève aujourd’hui le figuier Ruminal, qui porta, dit-on, le nom de Romulaire« .
Voici comment l’histoire du viol de Rhéa Silvia est évoquée dans les Fastes d’Ovide[ii].
« Vers 9 à 40: Désarmé, tu sais triompher encore; tu étais désarmé quand une prêtresse te reçut dans ses bras, afin que Rome un jour adorât en toi le père d’une race de héros.
« Silvia, la vestale, qui m’empêche d’en faire le récit ? allait un matin puiser l’eau pour les sacrifices; elle suit le sentier doucement incliné qui la conduit au rivage, et là elle dépose l’urne d’argile qu’elle portait sur sa tête. Fatiguée de la route, elle s’assied, ouvre son sein au souffle des zéphyrs, et répare le désordre de sa chevelure. Tandis qu’elle se repose, l’ombre des saules, le gazouillement des oiseaux, le léger murmure des ondes, tout l’invite à dormir. Le doux sommeil appesantit peu à peu ses paupières vaincues; la main qui soutenait son front retombe sur ses genoux. Mars a vu Silvia, il l’a désirée, il la possède, et, dieu tout-puissant, il fait que la vestale elle-même ignore son larcin.
« À son réveil, la vierge a déjà conçu; déjà elle te porte dans son sein, ô Romulus, fondateur de la ville éternelle. Elle se lève languissante, et ne sait d’où lui vient cette langueur. Appuyée contre un arbre, elle laisse échapper ces mots: « Puisse être pour moi d’un favorable augure ce que j’ai vu pendant mon sommeil! Était-ce un rêve? Mais pourtant, dans nos rêves, les images ont moins de clarté. Je me trouvais près de l’autel de Vesta. La bandelette de laine qui retenait mes cheveux se dénoue et tombe près du foyer sacré! O prodige! à peine elle a touché la terre, que deux palmiers en sortent à la fois: l’un, plus grand que l’autre, étendait sur l’univers entier ses branches vigoureuses, et son feuillage naissant touchait déjà les cieux. Je vois soudain le frère de mon père lever la hache contre les palmiers; son geste menaçant m’épouvante, et mon coeur palpite d’effroi. Le pivert, oiseau de Mars, et une louve combattent pour les arbres jumeaux, et ce secours les a sauvés tous deux. » Elle dit, et en racontant son rêve elle avait rempli son urne; elle la soulève avec effort d’une main mal assurée.
« Vers 11 à 76: Cependant Rémus et Romulus croissaient dans le sein de la vestale, que gonflait de jour en jour le germe divin. L’année poursuivait sa révolution, et pour qu’elle fût achevée, il ne restait plus au dieu de la lumière que deux signes à parcourir. Silvia devient mère: à ce moment, dit-on, les images de Vesta se couvrirent le visage de leurs mains virginales, et pendant l’accouchement de la prêtresse, il est certain que l’autel de la déesse trembla, et que le feu sacré se cacha d’effroi sous la cendre.
À cette nouvelle, Amulius qui, foulant aux pieds la justice, occupait un trône ravi à son frère, Amulius ordonne que les deux enfants soient submergés dans le fleuve; mais le flot, reculant devant un crime, les laisse à sec sur le rivage. Qui ne sait qu’une bête féroce leur offrit ensuite sa mamelle, et que le pivert apporta souvent des aliments à ces créatures abandonnées? Tu ne seras pas oubliée dans mes vers, ô Larentia, nourrice d’un si grand peuple; je dirai, ô Faustulus, quel trésor recèle ta pauvre cabane, et vos noms seront célébrés quand je serai venu aux Larentales; c’est une des fêtes de décembre, de ce mois consacré à la joie des festins.
Les fils de Mars comptaient déjà dix-huit ans; déjà une barbe naissante se mêlait à leur blonde chevelure. Tous les laboureurs et les prêtres venaient se soumettre aux enfants d’Ilia. Souvent on les voyait rentrer dans leurs habitations couverts du sang des brigands, et ramenant aux pâturages leurs boeufs reconquis. Dès qu’ils ont connu le secret de leur naissance, l’idée qu’un dieu est leur père enflamme leurs courages, et quelques cabanes ne sont pas un théâtre digne de si nobles destinées. Amulius tombe percé de l’épée de Romulus lui-même; le sceptre est rendu au vieux Numitor.
Des murs s’élèvent peu redoutables encore, et pourtant il en coûte cher à Remus pour les avoir osé franchir; là où étaient d’épaisses forêts, là où se cachaient les bêtes féroces, une ville commençait à paraître. « Dieu des combats, dit alors le fondateur de cette ville éternelle, si je dois t’appeler mon père (et bientôt il ne sera plus permis d’en douter), je veux que I’année romaine s’ouvre sous tes auspices, et que le premier mois porte ton nom. » Sa volonté s’accomplit: le mois reçoit le nom du père de Romulus, et le dieu agrée ce pieux hommage« .
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[i] Livre I de l’Histoire romaine par Tite Live
[ii] Site de Biblioteca Classica Selecta Enéide, Livre III Rhéa Sylvia. Faculté de Philosophie et Lettres de Louvain à l’initiative de Jean Schumacher.
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