La bibliothèque Vaticane a été créée physiquement par le pape Martin V. Sixte IV a donné un contenu juridique et un emplacement à la bibliothèque, qui a été mise au service du développement des études littéraires, un exemple bientôt imité partout en Italie, puis en Europe, qui va constituer l’un des accélérateurs de la Renaissance. Elle s’est constituée au moment où la conquête de Constantinople par les Turcs faisait craindre la disparition de tout le savoir antique, patiemment collecté par l’empire chrétien d’Orient. Les premiers préfets de la bibliothèque Sixtine sont des intellectuels de grand savoir, illustrés par des hommes tels que Platina, Inghirami, Philippe Beroalde ou le cardinal Aleandro.
La bibliothèque Sixtine
De tous temps, les papes ont amassé des collections de manuscrits anciens. Mais le premier à créer un espace dédié à ces collections, est Nicholas V, vers 1450[i]. A sa mort, en 1455, la bibliothèque comprend plus de 1100 manuscrits, dont 863 grecs. Les huit armoires réunissant ses collections de manuscrits grecs et latins sont alors placées dans une pièce desservie par une seule fenêtre, qui ne comporte pas de possibilité d’extension.

INHA Florence Bibliotheque Laurentienne Le scribe Codex Amiatinus 1 Folio 5 Armoire Biblioteca Medicea-Laurenziana
Le grand mérite de Sixte IV, en 1471, est de donner une consistance juridique à ce projet dans sa bulle « Ad decorem militantis Ecclesiae » du 15 juin 1475 et de placer les collections dans un espace plus en rapport avec son objet et ses potentialités. Il était initialement question de bâtir un bâtiment spécial, au sein du Vatican. Mais le projet est abandonné.
On décide alors de déplacer la bibliothèque au rez-de-chaussée d’un corps de bâtiments construit par Nicholas V, dont les étages supérieurs allaient être décorés, pour l’un par le Pinturiccio (les appartements Borgia) et pour l’autre par Rafaello Sanzio (les Stanze).

Appartements Borgia Musées du Vatican Bernardino di Betto dit Le Pinturicchio (1454-1513) vers 1494 Fresque de Sainte Catherine d’Alexandrie
L’auteur de l’article décrit ainsi l’apparence des bâtiments à la renaissance : « Le corps de logis élevé sur la plateforme de la colline, et dans lequel Sixte IV installe la Bibliothèque, a, quand on le considère de la cour du Belvedère, un air de forteresse. De ce côté-là, il domine l’ancien vallon qui est devenu le « cortile basso di Belvedere » non seulement de la hauteur de ses trois étages, mais encore de ses imposantes substructions. Du côté sud au contraire, le rez-de-chaussée s’ouvre, presque de plain-pied, sur la cour qui est connue sous le nom de « cortile di Pappagallo », et qui, moins encaissée alors qu’elle ne l’est aujourd’hui, était en ce temps-là ce qu’est de nos jours le cortile « S. Damaso »: la cour d’honneur. C’est là qu’on accédait, par un large escalier, de l’entrée principale du palais, située en contre-bas, à peu près là où est aujourd’hui le « Portone di Bronzo ». L’escalier débouchait sous le portique de Paul II qui borde encore le « cortile del Maresciallo » et on entrait dans la cour par la belle porte de marbre, aux armes de Pie II, qui est encore en place et fait communiquer le « cortile del Maresciallo » avec celui du « Pappagallo » ».
Ce bâtiment comporte, au rez-de-chaussée, quatre salles dont trois étaient destinées, à l’origine, à la bibliothèque. La première salle contient la Bibliothèque latine, et la seconde renfermant la Bibliothèque grecque formaient la « Bibliotheca communis ou publica » ; la troisième s’appelait, par opposition, la « Bibliothèque secrète » : il s’agit de la réserve. Dans cette dernière, sont placés les manuscrits les plus rares et les plus riches. En 1480 apparaît la « bibliotheca addita » ou « bibliotheca nova », qui correspond à la quatrième des salles qui porte tout d’abord le nom de « Bibliothèque pontificale » qui contient les archives pontificales et les registres. Dans l’inventaire de 1512, elle est dénommée « Intima et ultima secretior bibliotheca » et elle semble abriter également alors, les trésors les plus rares.

Plan des salles de la Bibliothèque Sixtine sous SIXTE IV
Le plafond de la bibliothèque publique est orné, à partir de 1475 par Domenico Ghirlandajo et son frère David. Un peu plus tard, Melozzo da Forlì peignait sur la paroi de cette même salle, entre les deux fenêtres qui s’ouvrent sur le « Cortile del Belvedere », une fresque destinée à perpétuer le souvenir de la fondation de Sixte IV. Elle représentait le pape, instituant dans la Bibliothèque grecque, avec la bibliothèque latine en perspective, Platina comme premier bibliothécaire. La fresque est demeurée sur place jusqu’au XIXème siècle jusqu’à ce que Pie VII eut décidé de la reporter sur toile et de l’exposer avec les tableaux restitués par la France en 1815, dans le musée de la Pinacothèque.
Le mobilier de la bibliothèque comprenait « des rangées parallèles de bancs ou pupitres qui occupaient le centre de chaque salle et contenaient, sur deux et quelquefois trois rayons superposés, les manuscrits attachés par des chaînettes de fer à de longues verges de métal; le mobilier de la Bibliothèque secrète comprenait, en outre, des armoires (armarii), disposées le long des murs, des coffres (capsae) placés auprès des pupitres, et des sièges à dossier (spallerae), servant eux- mêmes de coffres; quant à la dernière salle, elle ne renfermait pas d’armoires, mais seulement des pupitres, des coffres, et des spallerae ou « épaulières » ».

Pays-Bas – Bibliothèque aux fers © Erik Kwakkel Université de la Sorbonne

Livres enchaînés Bibliothèque Laurentienne

Mobilier de la Bibliotheque Wells Cathedral Library fondée au XVème siècle
La bibliothèque Sixtine est d’abord un projet de centralisation de la culture du monde, qui vient d’être brutalement bouleversé par la conquête de Constantinople par les Turcs. Il s’agit de sauver le plus grand nombre possible de manuscrits. Tous les émissaires qui partent alors pour quelque direction que ce soit dans le monde, ont pour consigne de ramener des manuscrits pour la Sixtine.
A la mort de Sixte IV, en 1484, la bibliothèque comporte déjà trois mille six cent cinquante volumes dont mille de langue grecque.
Tous les bibliothécaires choisis par les papes successifs, sont des hommes de lettres aux talents multiples, notamment, Platina, pour Sixte IV, Fedro Inghirami pour Jules II, Filippo Beroaldo pour Léon X, puis le dominicain Zénobi Acciajuoli et enfin, Aleandro, qui va exercer jusqu’à 1538.
Les Préfets de la Bibliothèque Sixtine
La notion de Préfet et celle de bibliothécaire apparaissent mais il est possible que celle de préfet soit en fait plus tardive car les spécialistes de la question comme Eugène Müntz[iii] n’en parlent pas à propos des premiers bibliothécaires.
Bartolommeo Sacchi dit Platina
Le premier bibliothécaire désigné par Sixte IV, est Platina (Voir sur ce Blog l’article Platina et l’Academia Romana: humanisme et gastronomie à la Renaissance).
En sa qualité de bibliothécaire, Platina reçoit 120 ducats par an et il est assisté de trois auxiliaires, appelés scriptores, lectores, librarii ou custodes et un relieur, chacun d’entre eux touchant 12 ducats par an. Platina qui s’occupe de son personnel avec sollicitude, parle d’eux comme de simples domestiques. Parmi ces derniers cependant, figure un ancien membre de l’Academia Romana, Démétrius de Lucques. Il dispose également de plusieurs copistes, qui sont payés à la tâche. En 1481, un des custodes, mort de la peste, est remplacé par Jean Chadel, de Lyon.

Copistes au travail © British Library, Harley 4393 f. 6v, Luc
Dès le début, les livres sont enchaînés, comme ils le sont aujourd’hui encore à la Bibliothèque Laurentienne à Florence. Néanmoins, ils sont prêtés à une vaste échelle et les bibliothécaires successifs vont avoir les plus grandes difficultés à les récupérer. La bibliothèque est chauffée en permanence, l’hiver. Elle va exercer une influence prépondérante sur le développement des études, à Rome, bientôt imitée par le reste de l’Italie.
Platina meurt de la peste, le 20 septembre 1481.
Bartolomeo Manfredi, dit Aristofilo
Il est remplacé, le 18 octobre 1481, par le secrétaire du cardinal Roverella, Bartolomeo Manfredi, surnommé Aristofilo, qui est utilisé par Sixte IV pour aller copier plusieurs manuscrits célèbres. L’une des premières décisions d’Innocent VIII, à son avènement, le 12 septembre 1484, est de démettre Aristofilo qui meurt le 17 novembre 1484.
Cristoforo Persona
Cristoforo Persona, prieur de Sainte Balbine, vient remplacer Bartolomeo Manfredi, le 7 novembre 1484. Manfredi doit sans doute sa nomination à la traduction du grec en latin, du « Contre Celse » à partir du meilleur des manuscrits grecs, le « Vaticanus« , ramené de Constantinople, par Martin V, sur le conseil de Theodore de Gaza. Cette traduction, jugée plus tard très médiocre, fut intégrée par Merlin et Erasme, dans leurs éditions latines des « Opera omnia » d’Origène. Persona meurt à la fin 1485.
Giovanni Lorenzo de Dionisiis
Lui succède, le 13 décembre 1485, Giovanni Lorenzo de Dionisiis, de Venise, qui meurt en 1501. Sa biographie a fait l’objet d’un article de Pierre de Nolhac[iv]
Né à Venise, vers 1440, d’une famille obscure, après avoir étudié à l’Université de Padoue, il est probablement attiré à Rome par son compatriote, Marco Barbo, cardinal de Saint Marc, dès 1472. En 1476, il est devenu secrétaire du cardinal. Sa fortune commence avec le pontificat d’Innocent VIII, sous lequel l’influence du cardinal Barbo est considérable. Il succède, le 12 septembre 1484, à Pietro de Noxeto, comme secrétaire du pape et le 13 décembre 1485, à Cristoforo Persona, comme bibliothécaire. Le cardinal Barbo, offre le même jour à la bibliothèque du pape, un beau manuscrit, en parchemin et portant son écusson, des Epîtres de saint Jérôme. Le 12 octobre 1487, Lorenzo obtient » l’abbreviatorato délia minor Presidenza » du collège des Abréviateurs pontificaux. Il est également nommé abbé commendataire de Saint Pierre, au diocèse d’Arbe, en Dalmatie.
Il a reçu d’Innocent VIII un honneur qu’on réserve d’ordinaire, depuis Nicolas V, à des lettrés de profession. Il doit sa nomination, non à des publications, mais à une réputation littéraire et sans doute beaucoup, mais cela, l’auteur n’en parle pas, au soutien du cardinal Barbo. Il habite, du reste, à l’année dans son palais, qui n’est autre que le Palais de Saint-Marc devenu, le Palais de Venise. Ce palais servait de rendez-vous à un grand nombre d’érudits romains. Il semble même que le prélat vénitien ait hérité d’une partie de la clientèle littéraire du cardinal Bessarion. On y rencontrait, par exemple, beaucoup de grecs : Georges de Trébizonde et le vieux Théodore Gaza, le poète Michel Marulle et les deux Rhallès Cabacès. Car Giovanni Lorenzo est un excellent helléniste, qui a suivi les cours de Theodore de Gaza. Il est en correspondance avec l’un des patriarches de l’hellénisme en Italie, Démétrius Chalcondyle, qui lui écrit toujours en grec.

Copiste au travail Jehan Massue, Les Marguerittes hystorialles, France, fin XVe siècle Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 955, fol. 1
Le plus illustre des amis de Giovanni Lorenzo est certainement Ange Politien (voir sur ce Blog l’article sur La naissance de Vénus et le printemps de Botticelli: entre épicurisme et néoplatonisme). Il avait accompagné, en 1484, les ambassadeurs de la Seigneurie venus féliciter le nouveau pape Innocent VIII. Il est reçu à la cour pontificale avec tout l’honneur dû à son talent et à sa renommée. Lors de son séjour à Rome, il fréquente les érudits romains, Pomponio Leto (voir sur ce Blog les articles Platina et l’Academia Romana: humanisme et gastronomie à la Renaissance et l’Academia Romana de Pomponio Leto), Rhallès, Marulle, etc… Giovanni s’est mis à la disposition de son confrère de Florence pour ses recherches à la Vaticane. Le 20 mars 1485, Politien lui écrit pour le remercier de son excellent accueil et l’assurer des bonnes dispositions que Laurent le Magnifique a pour lui.
Jérôme Pauli
L’érudit Vénitien remplit sa mission à la vaticane tant que dure le pontificat d’Innocent VIII. A l’avènement d’Alexandre VI (Rodrigo Borgia), cependant, le 11 août 1492, Ludovic le More, duc de Milan, le fait solliciter d’accorder à Politien la charge de bibliothécaire. Mais Alexandre VI démet Giovanni Lorenzo pour nommer à sa place un de ses protégés, compatriote d’Aragon, Jérôme Pauli, archidiacre de Barcelone, son camérier: c’est dire l’intérêt marqué par Alexandre VI aux livres et à la bibliothèque vaticane. Le nouveau bibliothécaire a publié sous son nom plusieurs traités en latin mais il est certain que certains d’entre eux, notamment le « Provinciale Romanum« , ne sont pas de lui. Sa réputation est donc très équivoque.
Johannes Fonsalida
En 1495, Alexandre VI lui donne pour successeur un autre de ses compatriotes, l’évêque espagnol de Terni, près de Tolède, Johannes Fonsalida, qui meurt en 1498. Ce dernier laisse un souvenir encore plus fugitif que ses deux prédécesseurs dans l’histoire, preuve sans doute, qu’il n’a réalisé aucun travail touchant, de près ou de loin à la littérature ou aux livres.
Nul ne sait qui succède à Fonsalida en 1498, jusqu’à la fin du pontificat d’Alexandre VI, le 18 août 1503. Le nouveau pape, Giuliano della Rovere, est le pape emblématique de la renaissance italienne, celui qui va impulser le plus large développement à l’art. Ce n’est pas le bibliophile le plus compétent, mail il s’est suffisamment intéressé aux livres, pour apporter à la Vaticane quelques manuscrits très rares.
Jules II fait ajouter à la bibliothèque Sixtine plusieurs salles supplémentaires, qu’il fait richement décorer, situées dans la torre Borgia.
Giuliano Maffei de Volterra
Le premier bibliothécaire, nommé par Jules II est Giuliano Maffei de Volterra[v], évêque de Raguse.
Ce dernier est né à Volterra en 1434 et mort à Rome, en 1510, âgé de soixante-seize ans. Il entre probablement en 1445 dans l’Ordre des frères mineurs conventuels, une branche des Franciscains, dans le couvent attaché à l’église de Saint-Jérôme de Volterra, dont la construction est achevée en 1445, et qui dispense des enseignements de philosophie et de théologie. Le jeune et brillant étudiant trouve bien vite, encore adolescent, un protecteur naturel avec Francesco Della Rovere (1414-1484) qui va devenir le pape Sixte IV, qui est nommé Maître Général des frères mineurs conventuels en 1464, puis cardinal, en 1467 et pape en 1471. Giuliano Maffei va passer dès lors sous la protection des cardinaux Bessarion (de 1458 à 1472), Pietro Riario (de 1472 à 1474) et enfin, Giuliano della Rovere (plus tard le pape Jules II, de 1474 à 1503). Il est consacré évêque de Bertinoro le 24 janvier 1477, mais il est peu présent sur son diocèse. Il est signalé au Tribunal de la Pénitencerie apostolique, le plus ancien tribunal de la Curie, où il occupe la fonction de régent, pendant vingt-trois ans, de mai 1480 jusqu’en 1503. Dans l’exercice de sa charge, il va devoir examiner des milliers de pétitions provenant de tous les pays du monde chrétien, ce qui suggère qu’il acquiert une très grande compétence dans toutes les disciplines du droit canon.
Au moment de son avènement, Jules II qui a la plus grande considération pour Maffei, qu’il révère comme un père, cherche à récompenser l’évêque de Raguse qu’il ne peut nommer cardinal car ce dernier a une santé chancelante et il est à moitié aveugle. Maffei est nommé en 1505, bibliothécaire, mais il y a de solides présomptions qu’il n’ait exercé aucune responsabilité réelle, tant sa santé est délabrée. Il meurt en 1510.
Tommaso Inghirami, dit Phèdre
Lui succède, le 17 juillet 1510, Tommaso Inghirami[vi]. Cette fois, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, il s’agit d’un authentique homme de lettres. Inghirami, qui se désigne selon l’habitude des humanistes, par le pseudonyme de Phèdre, est né à Volterra, à la fin de l’année 1470, d’une famille noble patricienne, de Volterra, ayant des ascendances germaniques. Son père, exploite l’alun sur le territoire de la commune de Volterra. C’est un protégé de Julien de Médicis, le frère de Laurent le Magnifique: il est assassiné lors de l’émeute de Volterra du 22 février 1472 (voir l’article sur ce Blog sur Federico de Montefeltro Section II le grand condottiere invaincu): ses biens sont pillés et sa maison placée sous séquestre. Le bébé est conduit à Florence par son oncle et placé sous la protection personnelle de Laurent de Médicis, qui ne tarde pas à constater les donc exceptionnels de son protégé.
En 1483, à l’âge de treize ans, il rejoint Rome à l’instigation de deux de ses oncles, l’un, Antonio Inghirami, est cubiculaire (gardien de la chambre du pape) et secrétaire du pontife et l’autre, Niccolo Inghirami, est vice-légat du pape à Avignon. A Rome, il suit les cours de Pomponio Leto et il rencontre à cette occasion Alexandre Farnese, le futur cardinal, qui deviendra le pape Paul III, qui étudie à Rome avec Pomponio de 1487 à 1489. En 1486, il participe, en qualité d’acteur, aux représentations théâtrales que le cardinal Riario venait de remettre à l’honneur et notamment à celle d’Hippolyte, la tragédie de Sénèque, jouée pour la première fois en plein air dans le théâtre romain en face du Palais Riario au Campo dei Fiori, dans laquelle il interprète, en latin, le rôle de Phèdre. Il va y gagner un tel succès que ce rôle-titre deviendra son surnom. Il se livre ensuite à l’étude des orateurs antiques et il est bientôt compté au nombre des plus grands spécialistes de l’éloquence, dans la Rome moderne.
Il commence, sous le pontificat d’Alexandre VI, une carrière sacerdotale, bien qu’il n’ait jamais pris les ordres. En 1495, il accompagne le nonce du pape, le cardinal Bernardino Carvajal (1456-1523), nonce apostolique, à la cour de l’empereur Maximilien, qu’il rencontre à Milan, le 31 août 1495 et qui le crée comte palatin et poète lauréat, avec le droit de porter l’aigle impérial. Il s’est en effet fait connaître comme poète, notamment par deux poèmes, présentant une valeur politique, rédigés en 1494, à la suite de l’invasion de Rome par les troupes françaises de Charles VIII. Il reste à la nonciature pendant pratiquement deux ans, et se plaint, pendant cette période de l’insuffisance de ses ressources. Il est de retour à Rome, le 1er novembre 1497.
Ses talents d’orateur lui valent d’être désigné, en 1498, pour l’oraison funèbre de Jean d’Aragon (1478-1497), héritier des couronnes d’Aragon et de Castille, au cours de la messe de funérailles solennelles, dans l’église Santissima Trinità degli Spagnoli, en présence du pape Alexandre VI, de onze cardinaux, et d’une foule de diplomates et représentants étrangers.
Il resserre ses liens avec des lettrés de talent comme Raffaele Maffei (1451-1522), Mario Maffei (1463-1537), au cours de réunions littéraires dans les « jardins de Phèdre», ou, en son vignoble sur le Palatin. En 1498, il a succédé à Pomponio Leto, par suite du décès de ce dernier, dans l’enseignement de la rhétorique. Il prend part au conclave pour l’élection de Jules II, en qualité de secrétaire du cardinal Ludovico Prodocatarius, qui décède en 1504. En Mars 1504, Jules II l’a nommé chanoine de Latran, puis Secrétaire du Sacré Collège et secrétaire aux Brefs aux princes. Inghirami semble alors s’être fait une spécialité des oraisons funèbres, présentées en 1504 pour celle du cardinal Ludovico Prodocatarius, ou celle du 5 novembre 1505 pour le cardinal Ascanio Sforza (1455-1505).
En 1505, il est nommé « praepositum » de la Bibliothèque du Vatican, une sorte de bibliothécaire en second, le responsable en titre, Giuliano Maffei, étant trop vieux ou trop malade pour exercer sa fonction. A la mort de ce dernier, il en devient officiellement le préfet, le 17 juillet 1510.
En 1509, avant sa nomination comme préfet de la bibliothèque vaticane, alors qu’il exerce cette responsabilité depuis quatre ans, Raphael peint son portrait en tentant habilement de corriger son strabisme divergent. Erasme rencontre Inghirami au cours de son séjour à Rome: les deux savants entretiendront dès lors des relations épistolaires suivies et une amitié qui ne se démentira pas.

Tommaso Inghirami par Raphael deux copies: l’une au Musée Isabella Stewart Gardner de Boston et l’autre à la Galerie Palatine du Palais Pitti à Florence
Parallèlement, il poursuit avec succès sa carrière d’acteur. Sa présence est prouvée en novembre 1512, dans la scène allégorique représentée dans les jardins du Belvedère, pour la cérémonie rituelle de couronnement des poètes Vincent Pimpinella et Francesco Maria Grapaldo. Il participe à nouveau, en qualité de secrétaire, à l’élection pontificale de 1513, qui aboutit à l’élection de Jean de Médicis, sous le nom de Léon X en mars 1513. Et à l’occasion des jeux de l’Agona et du Testaccio qui précèdent le carnaval de 1513, il monte et fait représenter, toujours en latin, la pièce de Plaute « Poenus« , le carthaginois, dont il fait une nouvelle représentation, le 18 septembre 1513, dans le palais apostolique. Pour le carnaval de 1514, il supervise la représentation allégorique des tableaux sur les vertus présentés par les dix-huit chars de la procession.
Thomaso Inghirami meurt d’un stupide accident le 5 septembre 1516: il tombe de sa mule et il est écrasé par les roues d’une charrette à boeufs lourdement chargée de sacs de grains.
Pietro Bembo, Jacques Sadolet et Didier Erasme de Rotterdam, trois des plus grands lettrés du début du seizième siècle, feront de lui les plus brillants éloges. On cite au XVIIIème siècle parmi les oeuvres d’Inghirami une Apologie de Ciceron contre ses détracteurs, un abrégé de l’histoire romaine, un commentaire sur l’art poétique d’Horace et des Notes sur les comédies de Plaute, tous ouvrages qui semblent avoir été déjà perdus à cette date.
L’avènement de Léon X est pour la Vaticane, le véritable point de départ du développement de la bibliothèque Sixtine. Car Léon X est un amoureux des livres, qui a baigné, dans la Florence de Laurent le Magnifique, dans les livres depuis son enfance.
Philippe Beroalde le jeune
Dès l’annonce de la mort de Tommaso Inghirami, Léon X désigne le même jour, le 5 septembre 1516, son successeur, Philippe Beroalde (1472-1518)le jeune. Philippe Beroalde[vii], le jeune est issu d’une famille noble.
Il est le neveu de Philippe Beroalde l’ancien (1453-1505), connu universellement par ses nombreuses éditions d’auteurs latins, dans des villes aussi diverses que Bologne, Venise, Lyon, Paris et Leipzig, des publications qui, bien que discutables sur le plan littéraire, lui assurent une large renommée en Europe. Philippe Beroalde l’ancien est professeur à l’Université de Bologne puis à l’Université de Paris, en 1476, un séjour d’à peine un an qui lui permet de nouer des contacts avec les humanistes français Robert Gaguin et Jean du Pins, avec lesquels il va rester en correspondance. Son retour à l’Université de Bologne, en 1479, est célébré par un poème de trente versets du poète Battista Spagnuoli, appelé par Erasme le « Virgile » chrétien. Revenu à Bologne, il se marie et participe à la vie politique de la cité. Ses commentaires sur l’âne d’or d’Apulée vont connaître un grand succès, au seizième siècle, avec trois éditions à Venise en 1501, 1504 et 1510 et une autre à Paris en 1512. Son évocation en termes chrétiens des amours de Psyché et de Cupidon, dans le quatrième livre des Commentaires, va exercer une influence profonde sur la peinture de Raphael, au palais Chigi, de Perin del Vaga pour le Castel Sant’Angelo et Giulio Romano pour le « palais du té» à Mantoue.
Philippe Beroalde le jeune fait ses études à Bologne avec son oncle, Philippe Beroalde l’ancien et avec Antonio Codro Urceo (1446-1500), auteur de Silves en vers sur la poétique, inspirées du Politien. En 1498, à l’âge de 26 ans, il commence à enseigner les lettres. En 1502, il est appelé à l’Archiginnasio de Rome (terme d’origine grecque signifiant « l’école », longtemps utilisé pour désigner les Universités de Rome et de Bologne). Il revient à Bologne en 1505, pour reprendre l’enseignement de son oncle, tout en gardant sa résidence à Rome, où il a bénéficié de la bienveillance de Jules II. Il devient en 1506 le secrétaire du cardinal Jean de Médicis: il participe alors au cercle des humanistes qui se réunissent dans les jardins de l’allemand Jean Göritz, pour former ce qu’on a appelé « l’académie Coryciana ».
En 1516, il est nommé par Léon X conservateur des privilèges de l’Église catholique romaine au Castel Sant’Angelo puis, préfet de la Bibliothèque Vaticane, un poste qui lui procure à peine de quoi survivre. Le pape Léon X, qui se montre économe s’agissant de ses serviteurs, dépense par contre sans compter pour acquérir ou copier tous les manuscrits qu’il peut trouver.
La plupart des personnalités littéraires les plus importantes de son époque sont ses amis: outre Pietro Bembo, Bernardo Dovizi da Bibbiena, Johannes Reuchlin, Jacques Sadolet, Marco Antonio Flaminio, Francesco Maria Molza, Girolamo Aleandro et tout le cercle des humanistes qui fréquentaient l’academia Coryciana.
Il meurt à Rome le 30 août 1518.
Zanobi Acciaiuoli
Il est remplacé en septembre par le moine dominicain Zanobi Acciaiuoli[viii], qui décède le 27 juillet 1519.
Né à Florence le 25 mai 1469, Zanobi Acciaiuoli est originaire d’une très grande famille de Florence, aux branches multiples: un Acciaiuoli a possédé le duché d’Athènes pendant un siècle et un autre, Niccolo Acciaiuoli, est devenu grand sénéchal du royaume de Naples. La famille Acciaiuoli est alliée aux Médicis. Zanobi est un érudit élevé à la cour de Laurent le Magnifique, auprès des grands esprits de l’académie néoplatonicienne de Careggi, qui comprend notamment Marsile Ficin, Cristoforo Landino, Ange Politien et Demetrio Greco, Lors de la fuite de Pierre de Médicis, en 1494, il est emprisonné puis libéré quelques mois plus tard. Profondément ébranlé par cette aventure et par les prédications enflammées de Savonarole, il entre dans l’Ordre dominicain, le 8 décembre 1494, une décision qui va exercer une très grande influence sur sa vie.
Car le couvent des dominicains de San Marco a hérité, en décembre 1494, de toute la bibliothèque de Laurent le Magnifique, qui a été pillée. Cette bibliothèque va rester dans ce couvent, à quelques exceptions près, jusqu’en 1508. En 1595, la Seigneurie de Florence et Janus Lascaris (1445-1535), désormais au mieux avec le nouveau régime, réalisent en octobre 1495, l’inventaire de la collection, sous la supervision du chancelier de Florence, Bartolomeo Ciai. Le grand savant et érudit grec est accusé par le spécialiste (E Piccolomini) qui a étudié les tribulations de la bibliothèque Laurentienne, d’avoir commis de nombreuses erreurs et inexactitudes dans les opérations d’inventaire, dont il aurait été … le premier bénéficiaire ! Ce qui peut paraître étonnant quand on constate les grandes compétences déployées par cet érudit avant cette période et après, auprès de Louis XII et de François 1er pour la constitution de la bibliothèque royale de France.
Toujours est-il que Zanobi va s’occuper de la bibliothèque Laurentienne qui l’aide à compléter sa formation en grec et en latin. Il va s’essayer à de multiples traductions de grec en latin pendant près de quinze ans.
Lors de l’élection de Jean de Médicis en 1513, il va à Rome enseigner les belles lettres. Il réside à l’hospice dominicain de San Silvestro Montecavallo, sur le Quirinal. Il prononce un discours à Naples, en 1515, au chapitre général de son Ordre. A partir de septembre 1518, il succède à Philippe Beroalde, comme préfet de la bibliothèque Sixtine. Sa qualité de fidèle des Médicis depuis toujours, le soin continu apporté pendant plus de quinze ans à la bibliothèque Laurentienne, particulièrement chère au coeur de Léon X, lui ont valu, très probablement, cette nomination.
Il meurt le 27 juillet 1519 et il est enterré à la basilique Santa Maria sopra Minerva. Ses oeuvres sont principalement des traductions de grec en latin, et des poésies.
Jérôme Aleandro
Jérôme Aleandro est nommé préfet de la bibliothèque Vaticane le 27 juillet 1519. Il va rester en poste jusqu’en 1538, réalisant le record de durée à ce poste (voir à ce sujet l’article sur ce Blog Cardinal Aleandro: l’Humaniste et le glaive de l’Eglise).
Le cardinal Aleandro incarne l’esprit de la renaissance. Prodigieusement doué, bourreau de travail, il parle cinq langues dont le latin, le grec, l’hébreu, le chaldéen et l’arabe. Ami personnel d’Aldo Manuzzio et membre de l’académie Aldine, il est également celui d’Erasme. Il enseigne pendant cinq ans à l’Université de Paris où il fait découvrir l’enseignement du grec et de l’hébreu. Il est nommé préfet de la bibliothèque Sixtine à Rome puis nonce du pape Léon X auprès de Charles Quint pour obtenir la condamnation de Luther par le Saint Empire Romain Germanique (Edit de Worms). Cet homme d’immense savoir, confronté à Luther, qu’il va chercher à abattre, va appuyer de toutes ses forces une réforme de l’Eglise.
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[i] Voir l’article « La Vaticane de Sixte IV » par Paul Fabre Mélanges d’archéologie et d’histoire tome 15, 1895. pp. 455-483, sur le site Persée.
[ii] Voir l’article « The Vatican Library of Sixtus IV » et l’ouvrage « On the Vatican Library of Sixtus IV » sur le site Archives Internet.
[iii] Voir les deux ouvrages d’Eugène Müntz : La bibliothèque du Vatican au XVème siècle et la Bibliothèque du Vatican au XVIème siècle, toutes deux sur le site Archives Internet.
[iv] Voir l’article sur Mélanges d’archéologie et d’histoire: « Giovanni Lorenzi, bibliothécaire d’Innocent VIII » par Pierre De Nolhac, tome 8, 1888. pp. 3-18.
[v] Voir l’article en italien sur Giuliano Maffei, sur le site Treccani.
[vi] Voir l’article en italien sur Thommaso Inghirami sur le site Trecanni.
[vii] Voir les articles en italien sur Philippe Beroalde le jeune et sur Philippe Beroalde l’ancien sur le site Trecanni.
[viii] Voir l’article en italien sur Zanobi Acciaiuoli sur le site Trecanni.
[ix] Voir la biographie de Jules Pasquier « L’humanisme et la réforme: Jérôme Aléandre de sa naissance à la de son séjour à Brindes (1480-1529) »
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