Cet ouvrage de la BNF, a été illustré vers 1485 par Robinet Testard, l’enlumineur attitré du comte Charles d’Angoulême à Cognac. Il s’agit d’une compilation juridique sur les coutumes d’Auvergne, réalisée vers 1440 par Jean Masuer ou Masuyer, chancelier d’Auvergne et conseiller juridique du duc Charles 1er de Bourbon, le grand-père de Louise de Savoie. Il s’agit d’un coutumier privé, rédigé par un praticien du droit mais dépourvu de caractère officiel. La qualité de ce travail l’a cependant largement assimilé à un coutumier officiel, jusqu’à la réalisation en 1510 du Coutumier d’Auvergne, sur commande de Louis XII et du cardinal d’Amboise.
Les coutumiers privés
Les premiers coutumiers privés sont apparus en Normandie à partir du XIIème siècle avec le « très ancien coutumier » et le « grand coutumier« . Son ensuite rédigés avec une influence du droit romain, les coutumes de Vermandois avec « les conseils à un ami » de Pierre de Fontaines en 1250, puis les coutumes de l’Orléanais avec « le livre de Justice et de Plet » en 1260, puis les « Etablissements de Saint-Louis » vers 1270 (coutumes de Touraine-Anjou). Au XIIIème siècle, l’ouvrage le plus remarquable est celui du premier grand juriste français, Philippe de Beaumanoir, qui rédige en 1283, les coutumes du Beauvaisis: « l’ouvrage ne se contente pas de décrire les règles en vigueur dans le comté de Clermont en Beauvaisis, il les apprécie également en les confrontant à d’autres coutumes, aux droits savants ou à la jurisprudence des parlements. Composant une oeuvre très personnelle, Beaumanoir dépasse la simple description, recherche les principes directeurs du droit, et n’hésite pas à élaborer des théories afin d’expliquer certaines institutions médiévales. A ce titre, il est sans doute le premier grand juriste français« .
« La confection de coutumiers privés se poursuit au XIVème siècle avec la « très ancienne coutume de Bretagne » en 1330, le « grand coutumier de France » (île de France) et le « coutumier Bourguignon » glosé, à la fin du siècle. Au XVème siècle, les oeuvres ne sont pas d’une grande originalité dans la mesure où elles font prévaloir la description des usages sur l’esprit critique. De cette production, se détachent seulement la « Somme rural » de Jean Bouteiller, en 1392, et la « Practica Forensis » de Jean Masuer, en 1445, qui expose les coutumes d’Auvergne et du Bourbonnais, mais présente également les théories du droit privé, en s’appuyant sur les méthodes et les principes des juristes savants. Son ouvrage a un tel succès, qu’on l’assimile à une rédaction officielle de la coutume d’Auvergne jusqu’en 1510« [i].
Jean Masuyer : la « Practica Forensis«
Jean Masuyer est né à Riom à la fin du XIVème siècle. Conseiller juridique des ducs de Bourbon Jean 1er (1381-1434) et Charles 1er (1401-1456), chancelier de Riom, avocat à la cour et sénéchaussée d’Auvergne, il est le neveu de Pierre Masuyer, évêque d’Arras, savant professeur en droit décédé à Orléans en 1391. Jean Masuyer a été reconnu comme le plus grand jurisconsulte de son temps. Son livre en latin « Practica Forensis » était cité comme la loi et la coutume d’Auvergne, avant la rédaction en 1510, de la Coutume officielle. Masuyer est mort en 1450 après avoir fait don, en 1449, de sa bibliothèque, à l’abbaye de Saint-Amable.
« Practica Forensis » a été traduit à plusieurs reprises du latin en français. L’exemplaire de la BNF, le manuscrit français 4367, a été traduit à Tours en 1483, par un certain Regneaume. La lecture du manuscrit 4367 de la BNF n’est pas facile. Le lecteur intéressé pourra trouver une autre traduction, celle de Fontanon, en 1576, dans l’édition publiée par Jean Poyet, à Lyon, en 1610. « Mais un juriste digne de foi, Chabrol, dans son commentaire sur la coutume d’Auvergne, souligne que l’on doit lire Jean Masuyer en latin et se défier de la traduction de Fontanon, qui a fortement dénaturé le livre original« [ii].
La coutume officielle d’Auvergne de 1510 par Antoine Duprat
Pendant longtemps, la monarchie a conservé la garde des coutumes et le Parlement de Paris rend la justice en se fondant sur les coutumes. Cependant, l’introduction de la procédure d’appel, sous le règne de Philippe Auguste, qui crée les Baillis ou Sénéchaux qui peuvent recevoir en appel les jugements rendus par les Prévôts (voir l’article sur ce Blog sur le Parlement de Paris), conduit le roi à éradiquer progressivement les « mauvaises coutumes » c’est-à-dire les usages « injustes« , contraires à la raison. En décidant de rédiger les coutumes, le roi sélectionne en réalité les coutumes qu’il choisit de conserver. La tendance centralisatrice en cours, depuis le début du treizième siècle, aboutit avec Charles VII, à l’Ordonnance de Montils-lez-Tours de 1454, et la décision de mettre par écrit toutes les lois du royaume. « En établissant avec certitude le contenu des coutumes, il s’agit d’abréger la durée des procès, d’en rendre l’issue moins aléatoire et de diminuer les frais supportés par les justiciables« [iii]. Mais peu de coutumes sont rédigées en application de cette ordonnance de 1454.
L’ordonnance d’Amboise, signée par Louis XII, en mars 1499, définit une nouvelle procédure: « le roi adresse par lettres patentes aux Baillis et Sénéchaux, l’ordre de procéder à la rédaction des coutumes. Le Bailli s’associe alors des juges locaux et des praticiens, pour élaborer un avant-projet, qui est examiné par des commissaires royaux. Choisis par le roi parmi les membres du Parlement du ressort, ces commissaires ont le pouvoir considérable d’amender l’avant-projet, en y introduisant notamment des dispositions empruntées au droit romain. Le projet modifié est ensuite transmis aux Etats du Baillage, formés de représentants des trois ordres. Ceux-ci se prononcent alors sur chaque article, qui est soit adopté (« accordé »), soit rejeté (« discordé »). L’adoption d’un article requiert la majorité dans chaque ordre et l’unanimité des trois ordres« [iii].
Un document publié par la Sorbonne sur « La rédaction de la coutume d’Auvergne en 1510« [iv] d’après un rôle des Archives nationales décrit ainsi la mise en oeuvre de ce grand projet, caressé par tous les rois depuis Charles VII et réalisé par Louis XII, de rédaction d’un coutumier officiel: « C’est en 1505, qu’une commission composée d’un certain nombre de membres du Parlement, sous la direction, du premier président Thibaud Baillet et de l’avocat-général Roger Barme, fut chargée de publier les coutumes de tous les pays de.France. La coutume de Touraine fut rédigée la première, et le cardinal d’Amboise, à qui elle fut présentée, en signa le procès-verbal le 15 mai 1505. La coutume de Melun ne tarda, pas à la suivre (2 octobre 1506). Puis vinrent successivement celles de Sens (7 mai 1507), de Montreuil-sur-Mer, d’Amiens, de Beauvaisis et d’Auxerre (1507), de Chartres, de Poitou, du Maine et d’Anjou (1508), de Meaux, de Troyes, de Chaumont, de Vitry, d’Orléans (1509), d’Auvergne (1510), de Paris (2 mars 1511), d’Angoumois et de la Rochelle (1513- 1515).
« L’arrivée à Clermont du premier-président (au Parlement de Paris) Antoine Duprat, le 19 juin 1510, la durée dés travaux qui ne sont terminés que le 6 aoùt, date du départ du premier-président, les noms et fonctions des avocats et magistrats qui collaborent à cette tâche, lesquels pour la plupart laissent une trace dons l’histoire d’Auvergne au seizième siècle: les Picot, les Brandon, les Michete, les Mosnier, etc…, la distribution des six exemplaires de la coutume, l’un pour la cour, l’autre au baillage de Montferrand, le tiers à la sénéchaussée d’Auvergne, le quart à Cusset, le cinquième au bailli des montagnes, et le sixiesme es-archés du pays , ces faits et d’autres encore sont ici établis, confirmés et par là ce-simple rôle devient pour la province un utile complément des savants travaux auxquels a donné lieu cette coutume.
Celui des six exemplaires de la coutume qui fut fait et relié pour la Cour est maintenant aux Archives nationales sous la cote X 9218. – C’est un manuscrit sur parchemin, relié et portant pour titre « Les Coustumes tant générales que locales du hardi et bas pays d’Auvergne ». Il est écrit avec un grand luxe : le titre est en lettres d’or, rouges et bleues. Le texte même des Coutumes générales et locales, et la table qui le suit, occupent quarante-quatre feuillets. Puis viennent douze autres feuillets, contenant en détail le procès-verbal de la rédaction desdites coutumes, de la réunion des trois Etats convoqués pour les sanctionner, des oppositions qui s’y produisirent. Le tout est signé du premier-président Duprat, du conseiller Picot et de Meslier, commis-greffier« .
Le « Stile du droit françois », divisé en quarante titres (Fr 4367)
François Avril [v] précise que l’ouvrage, traduit en 1483, par Regneaume, à Tours, fait l’objet d’un manuscrit, également conservé à la BNF (non encore scanné) et conservé à la cote Français 4368. Ce manuscrit a été enluminé par un artiste tourangeau. Le comte Charles d’Angoulême (époux de Louise de Savoie et père de François 1er), fait exécuter, très peu de temps après, une copie de ce manuscrit, décoré de cinq miniatures originales de la main de son enlumineur attitré, Robinet Testard (Fr 4367).

« Stile du droit françois » divisé en quarante titres Folio 1r Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 4367

« Stile du droit françois » divisé en quarante titres Folio 46v Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 4367
Le grand historien de l’art décrit ainsi l’art de Robinet Testard: « avec son graphisme incisif et son trait appuyé, marqué par la gravure, Testard a éliminé dans son interprétation de la scène (peinte par l’artiste tourangeau dans le manuscrit 4368), l’impression d’espace et l’éclairage délicat et vaporeux dans lequel baigne l’image qui lui a servi de modèle. L’effet de profondeur obtenu par la taille décroissante des personnages dans la miniature tourangelle, est abandonné, et l’égale intensité des nuances colorées, repousse les figures au premier plan comme sur une tapisserie. Ce qui préoccupe Testard est la lisibilité de ses compositions qu’il obtient par la fermeté du trait, et un coloris brillant et émaillé, qui l’inscrit dans la lignée des grands enlumineurs de la génération précédente auprès desquels il a certainement été formé, comme le Maître d’Adélaïde de Savoie (n° 63-65 [vi]) et le Maître de Jeanne de Laval (n°66 [vii]).

Maître de Jeanne de Laval, inspirateur de Robinet Testard La Cité de Dieu de saint Augustin, traduit par Raoul de Presles saint Augustin et les aveugles Ms122-folio25verso Chantilly, musée Condé

Maître d’Adelaïde de Savoie Inspirateur de Robinet Testard Heures d Adélaide de Savoie, duchesse de Bourgogne. La Nativité Ms 76 Folio 29r Chantilly Musée Condé
Testard est aussi un ornemaniste plein d’invention et le décor floral de ses marges, garde ici le dynamisme élégant des bordures peintes par le premier de ces artistes, dans certains de ses manuscrits, tel le livre d’heures W.285 de la Walters Art Gallery à Baltimore« .
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[i] Voir le livre « Introduction historique au droit et histoire des institutions » par Éric Gasparini,Éric Gojosso – Google Books.
[ii] Voir l’ouvrage « Curiosités judiciaires historiques, anecdotiques » par Barnabé Warée – Google Books.
[iii] Voir l’ouvrage « Introduction historique au droit et histoire des institutions » par Éric Gasparini et Éric Gojosso, Google Books.
[iv] Voir l’article « La rédaction de la coutume d’Auvergne en 1510 » publié par la Sorbonne.
[v] Dans l’ouvrage « Les manuscrits à peintures en France 1440-1520 » par François Avril et Nicole Reynaud, publié par Flammarion, Bibliothèque Nationale en 1993.
[vi] Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, Français 64.
[vii] « La Boucquechardiere », compilation de « JEHAN DE COURCY ». Français 66.
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