Le De Mulieribus Claris, écrit en latin par Boccace, constitue la première collection de portraits féminins de la littérature occidentale. Inspiré du De viris illustribus de Pétrarque, rédigé dans les années 1340, cette oeuvre en prose offre les portraits de cent six femmes remarquables à propos desquelles Boccace tire des leçons de morale. Les sujets de ces portraits lui ont été inspirés par des lectures de Suetone, Tite-Live, Pline l’Ancien, ou encore par la Bible ou la correspondance de Saint Jérôme.

Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard FrançaisFrançais 599, fol. 94v, Boccace BNF
L’oeuvre, écrite en latin comme toutes ses oeuvres tardives, a été rédigée en 1362 et dédiée à Andrée d’Altavilla (de Hauteville), soeur du sénéchal du royaume napolitain, son ami florentin installé à Naples, Niccolo Acciaiuoli.
Bien que Boccace ne puisse se défendre d’une misogynie certaine, suite à l’humiliation subie en 1354, qui lui a inspiré le Corbaccio ou Invective contre une mauvaise femme, véritable diatribe contre la perfidie féminine (voir sur ce Bloc l’article sur Boccace), il a pris suffisamment de recul en 1362 pour ne pas laisser ses émotions le dépasser. « Il ne raconte la mort de Pompea Paolina, la femme de Sénèque, qui se tua pour ne point survivre à son époux, qu’à seule fin d’avoir occasion de gourmander les veuves de son temps, lesquelles ne reculaient pas à se remarier « non pas deux ou trois fois, mais cinq ou six« [i].

Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 55, Claudia BNF
On y retrouve cependant fréquemment des propos dépréciatifs sur la faiblesse de caractère des femmes: « parlant d’une certaine Laenea, il remarque que les femmes ne savent tenir secret que ce qu’elles ignorent« . « S’il lui arrive de louer des femmes, il n’entend pas les élever au même rang que les hommes, il a toujours soin de rappeler leur infériorité, et le meilleur éloge qu’il pense pouvoir décerner, est de dire qu’elles ont montré des qualités masculines. Voulant faire éclater la prudence de Sulpicia, il remarque que sa conduite fut d’un homme plutôt que d’une femme. Pour vanter le courage d’Olympia ou de Claudia devant la mort, il écrit qu’un homme n’aurait pas montré plus d’assurance. Peut-être que la supériorité qu’ont montré certaines femmes, vient, dit-il, d’une erreur de la Nature, qui a mis une âme masculine dans un corps féminin. Parlant de l’avarice, il déclare qu’il est plus méritoire pour une femme d’en triompher, que pour un homme, parce que les femmes ont un penchant naturel à thésauriser« .
Mais il convient de noter que certaines des femmes trouvent cependant grâce à ses yeux. Il cite comme l’un de ces exemples excellents, « les femmes des Cimbres, qui, leurs maris ayant pris la fuite, demandèrent aux Romains d’entrer comme recluses dans le couvent des Vestales, et, sur leur refus, se donnèrent la mort après avoir tué leurs enfants« [i].

Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard FrançaisFrançais 599, fol. 69, Assemblée des femmes cimbres BNF
« Le véritable sentiment de Boccace sur la femme se détache très nettement de cette suite de cent-six biographies. La femme intelligente, énergique, indépendante, décidée, est une exception; son naturel est d’être mobile, craintive, crédule, dépensière; son devoir, de veiller aux soins du ménage et à la dépense; son charme, de se montrer enjouée mais d’aspect sérieux, encline aux divertissements, suffisamment honnête pour que sa conquête paraisse une victoire« [i].
L’ouvrage sera traduit en français au tout début du quinzième siècle par un moine humaniste, Laurent de Premierfait qui va lui donner son nom français « Le Livre que fist JEHAN BOCACE, de Certalde, des Cleres et nobles femmes, lequel il envoya à Andrée des Alpes de Florence, comtesse de Haulteville » et dont un grand nombre d’éditions seront réalisées[ii].

Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard 599 2 v presentation du livre à Andrea de Hauteville BNF
Le principe de portraits établis sur des héros réels ou supposés n’est pas nouveau au quatorzième siècle. Petrarque, le premier, Boccace ensuite, se sont probablement inspirés de la publication, au début du XIVème siècle, des « Vœux du paon » de Jacques de Longuyon, roman qui s’inscrit dans le vaste ensemble que constitue la geste d’Alexandre le Grand. L’auteur y établit le concept de neuf héros réels ou supposés, un thème qui va bientôt susciter des imitations. Entre 1373 et 1387, un officier au Parlement de Paris, Jehan Le Fèvre, a peut-être composé le « Livre de Lesce » qui propose à son tour neuf preuses, réelles ou supposées, sans doute inspirées par les nobles femmes de Boccace. Cette oeuvre de Boccace va inspirer, vers 1385, le grand auteur anglais du quatorzième siècle, Geoffrey Chaucer pour The Legend of Good Women et peut-être pour The Cantorbery Tales. Plus tard, dès 1405, Christine de Pisan, va y puiser son inspiration pour sa Cité des Dames et engager la première controverse féministe de la littérature.
Ce genre littéraire de portraits de personnages va connaître un succès croissant à la fin du moyen-âge et au début de la Renaissance.
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[i] « .
[ii] Les diverses éditions du « De mulieribus claris » de Boccace: Bibliotheque Nationale, Paris, fr. 598, fr. 599, fr. 12420, fr. 1120o, fr. 133, fr. 5037; Musée Condé, Chantilly, Ms 856 (562); Bibliothèque Royale, Bruxelles, 9509; British Museum, London, Royal 16 G V and Royal 20o C V; The National Library, Vienna, 2555; The New York Public Library, New York City, 33 (Spencer Collection); The Pierpont Morgan Library, New York, 381; Fragment d’un folio, numéro 290, The Free Library, Philadelphia, U.S.A.
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