Le Livres d’Heures, ouvrage de dévotion à caractère laïc[i], apparaît au XIIIème siècle mais il connaît son apogée entre 1450 et 1550. Il doit son nom au désir d’imitation de la vie religieuse de la part des laïcs qui copient l’organisation des offices selon les heures canoniales. Le livre d’heures, plus que tout autre manuscrit de la période médiévale, est un témoin important à la fois des pratiques dévotionnelles des laïcs à la fin du Moyen Age mais aussi de leur vie publique et privée. Les livres d’heures se répandent d’abord en latin dans la haute aristocratie au XVème siècle puis, avec l’avènement du papier et de l’imprimerie, ce sont des livres d’heures avec gravures qui, au XVIème siècle, notamment en France, commencent à toucher toutes les couches de la société.
A l’origine du Livre d’heures
A l’origine du Livre d’Heures, il y a le Psautier, à caractère religieux, suivi des Cantiques (extraits chantés de la Bible), des Litanies (prières aux Saints), des Oraisons et de la Passion de Jésus Christ.
Les livres d’heures, remplacent auprès des laïcs, les bréviaires, missels et autres psautiers à caractère religieux, qui survivent dans le seul monde religieux. Il emprunte ses prières les plus importantes au bréviaire. Mais la particularité du livre d’heures est son indépendance par rapport au cycle liturgique fixé par le bréviaire. En conséquence, le nombre et l’ordonnancement des textes y est très différent d’un livre d’heures à un autre.
Le nom de Livres d’Heures, lui vient de la distribution des prières d’après les huit[ii] Heures de la journée : 1) Matines au milieu de la nuit, soit à Minuit et Laudes à l’Aurore, soit 4 H du matin, 2) Prime à la première heure du Jour soit 6 H, 3) Tierce la troisième heure du jour soit 9H, 4) Sexte, la sixième heure du jour soit Midi, 5) None, la neuvième heure du Jour soit 15H, 6) Vêpres, le soir vers 18 H et 7) Complies, avant le Coucher vers 20H. Ces heures sont dites « canoniales » car elles ont été instituées par les règles ou canons de l’Eglise.
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« Les livres d’heures[i] se composent à l’origine de trois types de textes :
– 1) Les éléments essentiels qui forment le cœur du livre, que sont :
- Le Calendrier,
- Les Psaumes de la Pénitence,
- Les Litanies et les Suffrages des saints
- L’Office des Morts, et
- La prière centrale du livre : l’Office ou Heures de la Vierge.
– 2) Les éléments secondaires, dont certains sont parfois absents :
Les Fragments Evangéliques, La Passion selon Saint-Jean, Les Quinze joies de la Vierge, Les Heures de la Croix et du Saint-Esprit, Les Sept requêtes à notre Seigneur.
– 3) Un troisième groupe comprend notamment : Les Quinze Psaumes graduels, Les Heures abrégées pour les jours de la semaine, Le Psautier de Saint-Jérôme, Les Sept vers de Saint Bernard et des prières indulgenciées.
La grande majorité des prières est copiée sous sa forme latine et rares sont celles qui connaissent une diffusion en langue française, avant l’invention de l’imprimerie[iii]. La pratique dévotionnelle pour un homme du Moyen Age ne se conçoit en effet qu’en latin.
Les images qui accompagnent les livres d’heures sont nombreuses et répondent pour la plupart à des usages codifiés. Elles empruntent leur sujet principalement au Nouveau Testament, l’Enfance et la Passion du Christ étant plus particulièrement représentées. Cependant, le choix iconographique fait par les artistes et les commanditaires est large et des thèmes profanes comme ceux qui accompagnent le calendrier côtoient les sujets religieux.
Le Calendrier
Un calendrier organisé en trois colonnes ouvre traditionnellement chaque livre d’heures.
Chapeautées d’un chiffre, d’une lettre et du nom du mois, ces colonnes possèdent une fonction liturgique bien spécifique. Les deux premières, dans lesquelles sont répétées des chiffres romains nommés « chiffres d’or » (de I à XIX) et des lettres dites « dominicales » (de A à G), servent à déterminer, suivant la décision du premier Concile de Nicée (325), le dimanche de Pâques et toutes les fêtes mobiles du calendrier liturgique. Dans quelques manuscrits une table de calcul est parfois ajoutée afin de simplifier cette démarche complexe, d’autres fournissent plus simplement une liste donnant la date de Pâques pour chaque année. La troisième colonne débute par le nom du mois et son nombre de jours selon le calendrier romain.
Outre différents emplois décoratifs tels que l’inscription de certaines fêtes importantes en rouge, en bleu ou en or, l’enluminure des bouts de lignes et l’ornementation des bordures, certains calendriers reçoivent une illustration abondante, associant généralement les thèmes évoquant la représentation du cycle zodiacal ou les saisons faisant alors intervenir à la fois des occupations nobles et des travaux paysans.
Le mois de Février Les Très Riches Heures du Duc de Berry (1411-1416) Le Calendrier Limbourg Pol, Jean et Hermann (15e siècle) enlumineurs Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda N° d’inventaire Ms65-folio2verso Fonds Miniatures et enluminures H 0,290 L 0,210 Chantilly, musée Condé
Ainsi se côtoient généralement une scène de festin en janvier, le paysan se chauffant devant l’âtre en février, la taille de la vigne en mars, la cueillette des fleurs en avril, la chasse au faucon en mai, le fauchage de l’herbe en juin, la moisson en juillet, le battage des blés en août, les vendanges et le foulage en septembre, les semailles en octobre, la glandée en novembre, l’abattage du porc en décembre.
Ces représentations mettent en place de véritables scènes de genre faisant référence à la culture populaire et présentent une vision idéale des activités agricoles et champêtres.
Calendrier – Horae ad usum Parisiensem [Grandes Heures de Jean de Berry par les enlumineurs Jacquemart de Hesdin, Maître de Boucicaut, Maître du duc de Bedford Achevé en 1409 Département des Manuscrits, Latin 919 Permalien : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b520004510 Bibliothèque nationale de France,
Les extraits d’Evangiles
Les extraits d’évangiles qui suivent régulièrement le calendrier correspondent à des passages distincts de chacun de ces textes. Pour saint Jean, il s’agit du prologue lu lors de la messe de Noël, pour saint Luc du chapitre sur l’Annonciation, pour saint Mathieu de celui racontant l’Epiphanie et pour saint Marc la Pentecôte. Ces textes sont très régulièrement illustrés par les portraits des évangélistes accompagnés de leurs symboles respectifs : l’aigle, le taureau, l’ange et le lion. Présentés souvent comme des copistes au travail, ils sont installés dans un cadre privé, chambre ou scriptorium, écrivant ou tenant leur livre. Cependant saint Jean et saint Luc échappent parfois à ce type iconographique hérité de l’antiquité tardive et largement diffusé à la période carolingienne. Jean est alors figuré sur l’île de Patmos, lieu d’exil ordonné par l’empereur Domitien où la tradition situe la composition de l’Apocalypse et saint Luc, selon un usage remontant au VIIe siècle, est parfois présenté dans sa fonction de portraitiste de la Vierge.
Saint Matthieu, Saint-Marc, Saint-Luc et Saint-Jean Grandes Heures d’Anne de Bretagne Jean Bourdichon MS Latins 9474 BNF 0,300 x 0,195 Peinture sur parchemin 1503-1508.
Les Litanies et les Suffrages des saints
L’évocation des saints ne se résume pas au seul calendrier mais est également développée dans deux groupes de prières nommées litanies et suffrages copiés traditionnellement en fin de codex, le premier étant toujours associé aux psaumes de la pénitence.
Les litanies sont l’une des formes les plus anciennes de la prière liturgique. Il s’agit de l’invocation du nom des saints précédée de la formule « ora pro nobis » (priez pour nous) suivie de suppliques demandant à être libéré du mal et être épargné par la mort subite, particulièrement redoutée à cette époque.
Les suffrages sont des prières plus développées composées d’une antienne, d’un verset et d’une oraison qui doivent être récitées après vêpres ou laudes. Elles débutent traditionnellement par celles à la Trinité, la Vierge, saint Michel archange, saint Jean-Baptiste et les apôtres suivis des martyrs, des saints confesseurs et des saintes.
Dans les manuscrits richement enluminés, des portraits de saints accompagnent les suffrages, associés à leurs attributs traditionnels ou figurés lors d’un miracle ou d’un épisode majeur de leur hagiographie comme saint Martin partageant son manteau, saint Sébastien au corps percé de flèches, sainte Madeleine tenant son pot d’onguent ou sainte Marguerite sortant du ventre du dragon. Tous ces saints et saintes étaient évoqués en des circonstances diverses de la vie quotidienne et étaient traditionnellement associés à des maux particuliers : saint Marguerite, par exemple, était priée pour la délivrance des parturientes et saint Sébastien contre les maladies pesteuses.
Le Martyre de saint Pierre de Vérone Grandes Heures d’Anne de Bretagne. Horae ad usum romanum. Date : 1500(?)-1508 (?) Bourdichon Jean (vers 1457-1521) Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF H 0,300 L 0,190 Paris, N° d’inventaire LATIN9474 Folio179verso Fonds Miniatures et enluminures Bibliothèque nationale de France (BnF)
Les Oraisons à Marie
Les nombreuses oraisons à Marie forment le noyau essentiel du livre d’heures et se déclinent sous plusieurs formes. L’élément dominant demeure l’office (ou heures) de la Vierge qui correspond aux heures abrégées de la Vierge telles qu’elles se présentent dans le supplément du bréviaire. Plus bref que l’office marial destiné aux religieux, il conserve cependant son organisation selon les huit heures canoniales et est structuré en une suite de versets, répons, invitatoires, psaumes, hymnes, antiennes, absolutions, bénédictions et leçons. Le texte varie d’un manuscrit à l’autre en raison de son « usage liturgique » ; le codex est alors désigné en fonction de celui-ci et dit : heures à l’usage de Rome, de Paris, de Rouen, de Besançon ou de Poitiers…
Le fidèle est tenu, à chacune de ces heures, d’interrompre ses activités et de dire à voix basse ses prières qui, hormis celles de matines et complies, commencent toutes par une supplique à Dieu : « Deus in adjutorium meum intende » (« O Dieu, venez à mon aide ») et se poursuivent par une célébration de la gloire de Marie.
Des nombreuses prières qui célèbrent les vertus de Marie, celles débutant par Obsecro te (Je te supplie) et O intemerata (O Vierge pure) sont les plus fréquemment copiées en introduction aux heures de la Vierge.
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Bréviaire d’Isabelle la Catholique British Library Video proposée par le site moleiro.com qui présente par ailleurs une remarquable collection de Livres d’Heures
Les Psaumes
Les psaumes de la pénitence expriment toute la douleur de l’homme devant ses péchés. Au nombre de sept, ils sont empruntés aux Psaumes de David appartenant à l’Ancien Testament et débutent par une prière réclamant la miséricorde divine: « Domine, ne in furore tuo arguas me… » (« Seigneur, que ta colère ne me blâme pas… », Ps. 6).
Si aux XIIIe et XIVe siècles, le Jugement Dernier est plus particulièrement choisi pour illustrer ces textes en une image frontispice, des scènes de la vie de David, comme son combat contre Goliath ou sa prière de repentance à Dieu, s’imposent au XVe siècle.
Le Jugement dernier « Heures de Louis de Laval. – Bourges ou Tours » 1470?-1475? Colombe Jean (1430/35-1493?) Crédit photographique (C) BnF, Dist. RMN-Grand Palais / image BnF Paris, N° d’inventaire LATIN 920 Folio335recto Fonds Miniatures et enluminures Bibliothèque nationale de France (BnF)
Heures de Béthune. Le Roi David et son psaltérion Crédit photographique (C) RMN-Grand Palais (domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojéda H 0,175 L 0,128 N° d’inventaire Ms70-folio1 Fonds Miniatures et enluminures Chantilly, musée Condé
L’Office des Morts
L’office des morts qui vient traditionnellement clôturer le livre est l’un des textes les plus longs de l’ouvrage. Il présente une version identique à celle du bréviaire et est organisé en trois heures : vêpres, matines et laudes, chacune d’elles étant constituée d’une suite de psaumes, de leçons et d’oraisons. Comprenant, comme les heures de la Vierge, d’infimes variations en fonction de son usage liturgique, l’office est principalement constitué de neuf fragments du livre de Job qui doivent être récités à matines.
Exemple de constance et de patience en face des souffrances et des épreuves envoyées par Dieu, Job est ici donné en exemple au chrétien qui affronte la mort. Il le conforte dans son espérance de la résurrection et dans sa foi en la miséricorde divine. Ces prières qui étaient récitées par le clergé dans l’église, sur le cercueil du défunt, étaient destinées, dans le cadre de la dévotion laïque, à être lues quotidiennement en plus de l’office du jour. Les images qui les accompagnent proposent une iconographie très variée. Les scènes de funérailles – messe pour les défunts, procession funéraire et mise en terre – sont très courantes et ne sont supplantées par la représentation de Job sur son tas de fumier qu’à la fin du XVe siècle.
A cette même époque la figure de la mort, squelette drapé dans un linceul et armé d’une lance, est aussi largement représentée selon des compositions diverses.
Le chevalier et la Mort par Jean Colombe[iv] Les Très Riches Heures du duc de Berry, f.90v, Propriétaire Institut de France N° d’inventaire MS 65 musée Condé Photo Article Cosmovisions
Dans le choix des textes, des images, par l’apposition d’ex-libris, d’armes ou de devises, l’inscription des naissances et des morts des proches au sein du volume, le livre d’Heures apparaît comme le bien familial le plus intime et le plus précieux ».
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[i] Cet article est très largement inspiré du travail remarquable réalisé par Pascale Charron, Maître de Conférences à l’Université de Toulouse-Le Mirail, auteure d’un article intitulé « Composition et Iconographie du Livre d’Heures MS 2842 », publié dans ROSALIS, la bibliothèque numérique de Toulouse: ce texte est à vocation beaucoup plus générale que son titre, raison pour laquelle j’ai présenté ici des fragments de l’article, si bien exprimés qu’une reformulation adaptée à mon propos s’avérait inutile. Je me suis contenté de structurer légèrement l’article en plaçant une iconographie différente et en éliminant les caractères spécifiques des manuscrits de la bibliothèque numérique de Toulouse désignés par l’auteure. J’ai également puisé mes informations dans le très intéressant article du site Cosmovisions, établi d’après le livre de François Avril « Très riches Heures de Champagne » Hazan 2007.
[ii] L’article du site Cosmovisions, établi d’après le livre de François Avril « Très riches Heures de Champagne » Hazan 2007, cite respectivement les Six heures des Conventions Apostoliques, les Dix heures de Saint Fructueux, les Neuf heures de la règle de Saint Colomba avant de s’arrêter aux Sept heures des sept dons du Saint-Esprit et des sept principaux bienfaits de Dieu : 1) Matines et Laudes, 2) Prime, 3) Tierce, 4) Sexte, 5) None, 6) Vêpres et 7) Complies. L’article souligne qu’il s’est arrêté au nombre de Sept Heures, car toute Heure proprement dite doit se terminer par une collecte et que les heures de nuit que sont Matines et Laudes n’ont que pour l’une d’entre elles, cette oraison finale.
[iii] Car après l’invention de l’imprimerie, des imprimeurs spécialisés vont faire évoluer le livre d’heures vers le français et le populariser.
[iv] Les très riches heures du Duc de Berry ont été réalisées principalement par les frères Limbourg. Inachevé à la mort des peintres et du duc de Berry en 1416, le duc de Savoie en devient propriétaire et confie l’achèvement à Jean Colombe qui y travaillera de 1484 à 1486 en réalisant 27 grandes miniatures et 40 petites.
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