ReveLe Pogge fait partie d’un groupe d’érudits florentins, qui traduisent en latin des oeuvres de grec ancien. Sa vie est inséparable de celle des sept papes successifs qu’il a servis. Il a participé à toutes les crises de la Chrétienté pendant le quinzième siècle. Il laisse une oeuvre littéraire d’envergure, entièrement rédigée en latin, mais qui aborde tous les sujets: l’histoire de Florence, la philosophie, la morale, des anecdotes savoureuses, des récits historiographiques. C’est un homme de la première renaissance italienne, qui écrit déjà, certes en latin, mais pour un public, sur des sujets profanes.
La jeunesse de Poggio Bracciolini
Poggio est le fils de Guccio Bracciolini[i]. Il naît en 1380 à Terranuova, petite ville située dans le territoire florentin, non loin d’Arezzo. Son père est un notaire qui a hérité d’une jolie fortune en biens immobiliers, mais que des revers ont contraint à se mettre entre les mains des usuriers qui l’ont progressivement tondu. Joue-t-il à des jeux de hasard ? Il est obligé de fuir ses créanciers.
A sa naissance, Poggio, s’il n’est pas élevé dans la mendicité, se trouve donc dans un état de dénuement extrême, qui ne l’empêche cependant pas de cultiver, comme tous les Florentins de la fin du XIVème siècle, les belles lettres et les poésies de Dante et de Pétrarque.
La ville de Florence encourage les arts libéraux et nombreux sont, à cette époque, les lettrés qui s’y arrêtent. Parmi ceux-ci, Giovanni Malpaghino, plus connu sous le nom de Jean de Ravenne.
Giovanni Malpaghino, est né à Ravenne. Il a quitté son pays dès sa première jeunesse pour s’installer à Venise où il a suivi les leçons de Donato Albasano, célèbre grammairien. L’instruction qu’il en a reçue n’est pas la seule obligation qu’il contracte envers son maître qui le présente à Pétrarque. Ce dernier le reçoit dans sa famille et le dirige dans ses études. En reconnaissance, Giovanni entreprend la copie de ses ouvrages, un genre de travail dont il s’acquitte parfaitement disposant d’une très belle écriture. Pétrarque vante en termes extrêmement flatteurs, dans une lettre qu’il adresse à Jean Certaldo, l’amour du travail, la sagesse et la prudence de son jeune secrétaire. Il cite comme preuve de sa prodigieuse mémoire, que, dans l’espace de onze jours il apprit par cœur ses douze églogues.
Giovanni Malpaghino réside pendant quinze ans dans la maison de Pétrarque jusqu’à la mort de l’illustre poète, en 1374. Puis, il se rend à Padoue, où il réside pendant vingt-trois ans, y enseignant les principes de l’éloquence. En 1397, il est invité à venir en qualité de professeur à Florence où il enseigne les belles lettres : la poésie et la littérature latine. Poggio est l’un des premiers à suivre avec enthousiasme ses cours.
Il se trouve que, de façon concomitante, arrive à Florence, un lettré byzantin, Manuel Chrysoloras (1355-1415), venu comme ambassadeur à Venise et qui a été invité à Florence, par deux savants, Colucio Salutati, chancelier de la république florentine et Niccolo Niccoli, un érudit qui a constitué l’une des bibliothèques les plus prestigieuses du « quattrocento ». Manuel Chrysoloras a été recruté avec un très haut revenu de 250 florins par an, pour enseigner le grec ancien. Poggio, qui arrive à Florence en 1397, précisément, va pouvoir suivre pendant trois ans, pour la toute première fois, en Italie, l’enseignement du grec classique. Car bientôt, son professeur rompt son engagement et repart pour Venise. Poggio décide, deux ans après, de partir pour Rome.
A cette époque, les lettrés qui parlent le grec ancien et qui sont donc capables de traduire des textes grecs en latin, sont très rares en Italie. Le pape Boniface IX (1355-1404) recrute le jeune homme en 1402, comme secrétaire apostolique.
La Chrétienté est alors enfoncée dans les luttes intestines du grand schisme d’occident avec le pape Boniface IX, reconnu par l’Europe du nord et l’Angleterre et l’anti-pape Clément, reconnu par la France. Après plus de soixante-dix ans à Avignon, le pape d’origine française (Pierre Roger de Beaufort), Grégoire XI, a décidé, vingt-six ans plus tôt, de quitter définitivement Avignon et de revenir à Rome, en 1376.

Grégoire XI (départ d Avignon) Girolamo da Benvenuto fresque Ospedale Santa-Maria della Scala à Sienne
Urbain VI : le début du grand schisme d’occident
La mort de Grégoire XI, en 1378, ravive les craintes des Romains, en cas d’élection d’un Français, d’un nouveau départ de la papauté pour Avignon. La question est d’importance : il en va de la prospérité économique de la ville éternelle. Car depuis le départ des papes à Avignon, les Romains ont vu se tarir les pèlerinages annuels aux tombeaux des martyrs et aux basiliques, qui constituaient leur principale source de revenus. Les basiliques ne sont plus entretenues et sont menacées de disparition.
Le clergé et le peuple s’assemblent alors et notifient aux cardinaux qui se trouvent à Rome, à la mort de Grégoire XI, leur intention d’avoir à la tête de l’église un pape italien. Le conclave se tient au milieu des clameurs du peuple, et sous la protection d’une garde de soldats qui lui est dévouée.
Ce conclave est composé de treize cardinaux français et de quatre cardinaux italiens. Malgré le nombre des premiers, soit que la mésintelligence ne règne parmi eux, ainsi que l’assure Platina, soit qu’ils ne fussent effrayés par les clameurs du peuple, comme ils vont le déclarer ensuite, le choix du conclave se porte sur un Napolitain, Bartolomeo, archevêque de Bari. Ce dernier décide de se désigner sous le nom d’Urbain VI. Les cardinaux français, après avoir protesté contre cette élection, et après avoir déclaré qu’elle était un acte de faiblesse qui leur a été arraché par la crainte d’un peuple révolté et furieux, « décident » de s’enfuir de Rome. L’ont-ils vraiment décidé ? Ou bien ont-ils obéi à la diplomatie du roi Charles VI ?
Cependant ils reviennent à Rome quelque temps plus tard et font même leur paix avec Urbain VI, en confirmant son élection. Mais cette réconciliation ne dure guère. Est-ce le caractère ombrageux du pape ? Ou bien les fortes incitations de la diplomatie française ?
Les cardinaux étrangers, quittent Rome de nouveau, et se retirent d’abord à Agnani, ensuite à Fondi, ville située dans le territoire napolitain. Là, soutenus par la protection de la reine Jeanne de Naples, ils réitèrent leur protestation contre l’élection d’Urbain VI, forment un nouveau conclave où ils élisent, fin 1378, le cardinal de Genève, qu’ils proclament comme le véritable successeur de saint Pierre, et qui se donne le nom de Clément VII. La France, alliée à l’Ecosse, au royaume de Naples, à l’Aragon et la Castille, reconnaît immédiatement le nouveau pape, alors que l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark, la Suède, la Hongrie, la Pologne, la Flandre et l’Italie, conservent leur obédience à Urbain VI. C’est le début du grand schisme occidental.
Les cardinaux décident de renverser Urbain VI et engagent des forces militaires essentiellement napolitaines, qui sont sévèrement étrillées par les forces pontificales d’Urbain VI, renforcées par une armée venue de Hongrie, près de Marino, au sud de Rome. Urbain VI a en effet réclamé l’aide du roi de Hongrie. Ces derniers ont une raison supplémentaire d’intervenir: ils veulent punir Jeanne de Naples qui a fait occire son époux, André, frère du roi de Hongrie.
Puis, la reine Jeanne de Naples qui soutenait l’antipape, meurt, assassinée par son concurrent, Ladislas, duc de Durazzo, Naples passant dès lors dans l’obédience d’Urbain VI.
Depuis la mort de Grégoire XI, deux papes vont gouverner la Chrétienté, pendant près de quarante ans (et parfois trois papes), l’un à Avignon et le second à Rome.
A sa mort en 1389, Urbain VI qui s’est fait haïr de tous par un caractère épouvantable et une férocité hors de toute mesure, est peu regretté. Il a pour successeur Boniface IX, napolitain, de la famille Tomacelli, qui n’a que trente ans lorsqu’il est élevé au trône pontifical, en 1389.
L’antipape[ii] Clément VII étant mort à Avignon, en 1393, les cardinaux ultramontains, persistant dans leur rébellion, élisent comme légitime successeur de Saint Pierre, Pierre de Luna, cardinal-diacre aragonais de Sainte Marie in Cosmedin, qui prend le nom de Benoît XIII.
Le revenu que perçoit Poggio, en qualité de secrétaire pontifical est très modeste et lui permet tout juste de survivre. Il reconnaît dans la préface de l’un de ses ouvrages, que l’étude lui a servi quelquefois à tromper les inquiétudes que lui donnait son peu de fortune. Il est donc certain que Poggio consacre, contraint et forcé, tous ses loisirs à l’étude et qu’il fréquente surtout les personnes dont la conversation pouvait éclairer son esprit. Comme à cette époque la culture des lettres excite l’enthousiasme et l’admiration, le talent de l’érudit s’alliait souvent aux qualités de l’homme du monde.
Le pontificat d’Innocent II : Poggio et Leonardo Bruni d’Arezzo
A la mort de Boniface, en 1404, Cosimo de Migliora, cardinal de Sainte-Croix, est élu pape, et prend le nom d’Innocent VII.
Lorsqu’il était à Florence, Poggio avait eu l’occasion de frayer avec un intellectuel qui suivait avec lui les cours de Jean de Ravenne, Leonardo Bruni. Bientôt une étroite amitié devait lier les deux hommes, bien que Léonardo soit plus âgé de dix ans, que son ami. Poggio, à Rome, ne cesse d’évoquer Leonardo en vantant auprès du pape, ses connaissances: pour mieux convaincre le pape, il lui fait lecture, des correspondances de Leonardo. Innocent VII décide finalement d’inviter à Rome Leonardo Bruni, qui arrive le 24 mars 1405, avec une lettre de recommandation dithyrambique, de Coluccio Salutati, chancelier de la ville de Florence.
Mais l’accueil du pape est rien moins que chaleureux. Il reconnaît la compétence du candidat mais il ne veut pas donner un poste important de conseiller à un homme ne disposant pas d’expérience des affaires diplomatiques. Bientôt cependant, une occasion le tire d’embarras : Innocent ayant reçu, certaines lettres du duc de Berry, ordonne aux deux candidats à la fonction, Leonardo d’Arezzo et Jacopo d’Angelo, de proposer leur réponse. Les compositions sont ensuite lues et évaluées par des commissaires nommés par le pontife. Ces derniers, à l’unanimité, se prononcent en faveur de Leonardo Bruni ce qui valut à ce dernier l’emploi de rédacteur des lettres pontificales.
Leonardo s’acquiert par ce succès une grande réputation, car son rival est un savant renommé. Jacopo d’Angelo est natif de Scarparia. Il a étudié la langue latine sous la direction de Jean de Ravenne, comme Poggio et Leonardo. Ayant appris que Démetrius Cydonius et Manuel Chrysoloras avaient entrepris de donner des leçons sur les classiques grecs dans la ville de Venise, il s’y rend aussitôt. Il accompagne Chrysoloras dans son voyage à Constantinople, dans l’unique intention d’y recueillir des manuscrits anciens, et d’acquérir une connaissance plus exacte et plus étendue de la langue grecque. On lui doit la traduction en latin de la « Cosmographie » de Ptolémée et celle des « vies de Brutus et de Pompée » par Plutarque.
Avant son élection, Innocent a fréquemment blâmé l’insouciance et la timidité des pontifes italiens à l’égard de la durée d’un schisme qui provoquait la division et la dilution de la Chrétienté. Mais lorsqu’il accède au trône pontifical, il se rend brutalement compte qu’il est plus facile de trouver des fautes dans la conduite de ses prédécesseurs que de rendre la paix au monde chrétien. De fait il doit faire face à la mutinerie du peuple romain qui cherche à se remettre en possession des forteresses contrôlées par le pape. La situation finit par lui échapper complètement : il prend la fuite le 6 août 1405 pendant que ses troupes qu’il a rappelées, avancent vers Rome à marche forcée. Quelques serviteurs l’accompagnent, parmi lesquels Poggio et Leonardo. Ses troupes renversent rapidement la situation et c’est dans une ville pacifiée qu’il fait son retour, à la fin mars 1406. Son règne est court. Il meurt en novembre 1406 et il est remplacé par Angelo Corraro, patriarche de Constantinople et cardinal de Saint-Marc, qui va prendre le nom de Grégoire XII et qui va régner jusqu’au Concile de Constance, en 1415.
Dès la mort d’Innocent VII connue, les trois principaux dirigeants français, régents du royaume pendant la folie du roi Charles VI, les ducs de Berry, de Bourgogne et d’Orléans, se rendent à Avignon pour supplier Benoît XIII de terminer, par une abdication, le schisme qui trouble la Chrétienté : ils s’engagent en contrepartie, à imposer le même sacrifice au pape Grégoire XII. Benoît XIII, l’antipape, refuse tout-net toute idée de démission. Il se retranche derrière les fortifications d’Avignon qu’il fait renforcer, puis, estimant qu’il n’est plus en sécurité à Avignon, il s’enfuit en Aragon, sa patrie de naissance, à Péniscola.
De leur côté, les cardinaux italiens, à l’unanimité, s’étaient engagés, par avance, à ce que le cardinal qui serait élu pape, démissionne, dans le cas où Benoît XIII déciderait de démissionner.
Devenu pape, Grégoire XII oublie bien vite la foi jurée. Lorsque Benoît XIII fait mine de proposer des discussions pour mettre fin au schisme, Grégoire soulève des difficultés inattendues sur le lieu des rencontres, montrant qu’aucun des deux papes ne fait confiance à l’autre.
Le concile de Pise de toutes les discordes
Quelques cardinaux relevant de l’une et l’autre obédience, se rendant compte du jeu des deux pontifes, décident de se réunir en concile à Pise, en 1409 : ils déposent les deux papes concurrents et élisent un troisième, Pietro Filardo, natif de Candie, qui prend le nom d’Alexandre V. Ce dernier s’est fait connaître, toute sa vie, par son ardeur à résoudre le schisme de l’Eglise et il est l’un des principaux initiateurs du concile de Pise.
Mais les deux papes Benoît XIII et Grégoire XII, refusent de démissionner. Il y a dès lors, trois papes dans la Chrétienté. Le désordre est à son comble.
Poggio et Leonardo, dans toute cette affaire, ont choisi de rester fidèles aux décisions du concile de Pise, tout en prenant du recul. Ils sont retournés à Florence, où Poggio a retrouvé son vieil ami, Niccolo Niccoli.
Cet illustre bibliothécaire de la Renaissance italienne, fils de Bartholomeo Niccoli, qui a été cité au début de cet article pour avoir contribué à faire venir à Florence Manuel Chrysoloras, est né en 1363. Son père le destine au commerce mais Niccolo préfère de bonne heure, l’amour des lettres. Il commence ses études avec Lodovico Marsilio. Puis il se rend à Padoue, dans l’unique intention d’y recopier les ouvrages de Pétrarque. Il rapporte à Florence une copie de « l’Africa » et de différentes œuvres du célèbre poète. De retour à Florence, il fait construire à ses frais un bâtiment pour y abriter la bibliothèque que Boccace avait léguée au monastère du Saint-Esprit à Florence. La maison de Niccoli était ouverte aux professeurs et à leurs élèves. Il mettait généreusement à leur disposition ses livres et abritait volontiers leurs travaux et les discussions littéraires. Poggio, du temps de ses études à Florence, a participé aux joutes littéraires sur Petrarque et Boccace organisées par Niccolo dont il est devenu l’ami.
Revenons à Rome où Grégoire XII, refusant de reconnaître la validité de l’assemblée ecclésiastique de Pise, a excommunié les cardinaux rebelles et s’est retiré à Rimini où il a été accueilli par Carlo Malatesta. Son obédience s’est réduite à la Romagne, quelques villes du royaume napolitain et une grande partie des provinces allemandes.
Benoît XIII, de son côté, ne s’est pas montré plus docile : il a excommunié les cardinaux rebelles réunis à Pise et, après avoir tenu un concile à Perpignan, il s’est retranché dans la forteresse de Paniscola dans la région de Valence. Il a conservé l’obédience de la Castille, de l’Aragon, de la Navarre, l’Écosse, le duché de Bretagne, les îles de Corse et de Sardaigne, et les comtés de Foix et d’Armagnac.
Alexandre V enfin, s’est emparé de Rome, après son élection, mais il a préféré s’installer à Bologne. L’ont reconnu la France, l’Angleterre, la Pologne, la Hongrie, le Portugal, les royaumes du Nord, avec une partie de l’Allemagne et de l’Italie.
Les grandes qualités du pape Alexandre V faisaient espérer qu’il mettrait fin au schisme mais la mort de ce pape, dans le huitième mois de son règne, repose une nouvelle fois la question, avec plus d’acuité, puisqu’il y a désormais trois papes en concurrence. Balthazar Cossa, son successeur, est un homme d’une ambition sans bornes, soupçonné d’avoir empoisonné Alexandre V. Mais à l’époque, pour toute mort que l’on ne parvient pas à expliquer on soupçonne l’usage du poison.
Balthazar Cossa, de la famille des seigneurs de Procida, une île au large de Naples, a fait sa carrière grâce à Boniface IX qui l’a nommé, peu de temps après son arrivée à Rome, à l’emploi confidentiel de camérier privé, dans l’attente de recevoir peu après, la dignité de cardinal de Saint-Eustache. Il est ensuite envoyé à Bologne avec le titre de légat et il montre dans cette fonction des talents politiques et militaires. Il aurait profité de cette mission pour jeter les bases de la fortune qui lui permettra plus tard de briguer le trône pontifical. Quoi qu’il en soit, il est élu, à l’unanimité, le 19 mai 1410. Il prend le nom de Jean XXIII.
A la même époque, Leonardo Bruni d’Arezzo est nommé chancelier de la ville de Florence. Il prend la suite de de son compatriote et ancien professeur, Coluccio Salutati. Il ne conserva cependant pas longtemps cette place, qu’il jugera plus pénible que lucrative. Il démissionnera à la fin de la seconde année pour passer au service de Jean XXIII, retrouvant, à son retour à la chancellerie, son ami Poggio, qui, se calant sur le concile de Pise, était passé du service de Grégoire XII à celui d’Alexandre V puis de Jean XXIII.
Leonardo, peu de temps après son retour au service de Jean XXIII, épouse une jeune fille de qualité d’Arezzo, ce qui devient un sujet de plaisanteries pour son entourage, les mariages étant peu fréquents dans l’entourage des papes.
Jean XXIII n’a pas la confiance des cardinaux et son pontificat est faible. Il convoque un concile à Rome en 1412, qui est un échec. Aussi, quand Sigismond, le roi de Hongrie, qui vient d’être élu empereur du Saint Empire romain germanique le 21 juillet 1411, avec le soutien du pape, demande à ce dernier de convoquer un concile dans une ville impériale, en application des décisions des cardinaux assemblés à Pise, le pape, qui se méfie des doctrines conciliaristes qui placent les conciles au-dessus des papes, aurait bien voulu éluder cette demande et il propose de tenir le concile à Rome.
Mais un évènement imprévu va le chasser de Rome : Ladislas, le roi de Naples, envahit les Etats pontificaux et s’empare de Rome, contraignant le pape à se réfugier successivement à Florence, à Bologne et à Mantoue. Puis il se rend à Lodi où il rencontre Sigismond qui l’accueille avec de grands honneurs et le reconduit lui-même à Mantoue à la tête d’une forte escorte. Le pape, s’est laissé éblouir : dans l’espoir d’obtenir de l’empereur une armée assez puissante pour chasser les Napolitains des terres de l’église, il se décide à convoquer un concile général, et à désigner la ville de Constance pour le lieu de ses sessions
Le concile de Constance : la fin du grand schisme d’occident
Le pape sait fort bien qu’en acceptant de se rendre à Constance, une ville impériale, il risque fort d’en revenir simple particulier. D’ailleurs, la mort de Ladislas ne vient-elle pas, fort opportunément de résoudre la question de l’invasion des troupes napolitaines ? Mais l’empereur a fort intelligemment, disposé ses pions. Il est décidé à en finir et le cardinal Zabarella de Saint –Cosme et de Saint -Damien, plus connu sous le nom de cardinal de Florence, l’un des plus intimes du pape, va régulièrement conforter la décision du pontife, qui arrive à Constance, le 28 octobre 1414. Le pape arrive accompagné de ses principaux serviteurs et notamment Poggio et Leonardo.
Trois objets principaux étaient soumis aux délibérations du concile: la cessation du schisme, la réforme de l’église, et l’extirpation des hérésies. Jean XXIII aurait préféré se concentrer sur le dernier point, toute l’attention du concile.
Jean Huss, le réformateur de Bohême, s’est rendu à Constance, dans le dessein d’y soutenir l’orthodoxie de sa doctrine. Il a annoncé qu’il est prêt à abjurer les erreurs dont il serait convaincu par le concile. Il a cependant eu la précaution d’obtenir de l’empereur un sauf-conduit qui ordonne formellement à tous les princes ecclésiastiques ou séculiers d’Allemagne, de le laisser voyager, séjourner s’arrêter, et revenir librement et en sûreté.
Le pape a cependant décidé de frapper un grand coup : il obtient la condamnation de Jean Huss comme hérétique et l’infortuné est arrêté et emprisonné au monastère des Dominicains. Lorsque l’empereur arrive à Constance pour les fêtes de Noël 1414, il ne peut plus rien pour Jean Huss, qui a été déclaré hérétique. L’empereur, placé ainsi dans l’impuissance d’honorer le sauf-conduit qu’il a délivré, ne se trouve pas dans des dispositions d’esprit favorables au pape, qui est bientôt sommé de résigner la tiare, sous condition que les deux autres papes feraient de même.
Jean XXIII, dont l’empereur exige une lecture publique de l’acte d’abdication, choisit de s’enfuir après avoir sollicité et obtenu le concours du duc d’Autriche. A l’occasion d’un tournoi organisé par ce dernier, le 20 mars 1415, le pape s’enfuit, déguisé en postillon et se rend à Schaffhausen, puis à Laufenburg puis à Fribourg, d’où le pape adresse au concile des prétentions, jugées exorbitantes, et immédiatement rejetées. L’empereur prend une série de sanctions contre le duc d’Autriche qui est placé au ban de l’empire, ses Etats sont envahis de tous côtés, on lui prend plusieurs villes et on lui fait même comprendre qu’il ne pourrait se réconcilier avec l’empereur, qu’en se soumettant d’une manière non équivoque, et en livrant lui-même le pape fugitif. Effrayé, le duc se rend à Constance et, dans une assemblée solennelle du concile, il implore son pardon auprès de l’empereur Sigismond, en remettant à sa discrétion le reste de ses Etats.
Les membres du concile somment alors Jean XXIII à comparaître pour s’expliquer sur les différents chefs d’accusation portés contre lui, sur son refus de répondre soit en personne soit par représentants. Ils procèdent ensuite à un acte de suprématie, en le déclarant d’abord suspendu de ses fonctions pontificales, puis en décrétant et en faisant proclamer sa déposition.
Se voyant abandonné du duc d’Autriche, et à la discrétion de l’empereur Sigismond, le pape consent alors à se soumettre aux ordres du concile. On lui lit sa sentence, on défend aux officiers de sa maison de continuer d’exercer leurs fonctions, puis on l’envoie prisonnier à Heidelberg.
A la même époque, Manuel Chrysoloras, le professeur de grec de Poggio à Florence, de 1397 à 1400, meurt à Constance. Depuis quelques années, il est passé au service du pape Jean XXIII, présenté à ce dernier par Leonardo d’Arezzo. Il a rapidement conquis l’estime du pape qui va lui confier l’organisation du concile de Constance, conjointement avec le cardinal Zabarella de Florence et une délégation de cardinaux. Il meurt le 15 avril 1415 et il est enterré au couvent des Dominicains de Constance. A cette occasion, Poggio rend un dernier hommage à son professeur de grec dans une oraison funèbre.
A la suite de la déposition du pape, Leonardo retourne en Italie, tandis que Poggio reste à Constance, en butte à tous les ennemis du pontife. Il y apprend l’hébreu auprès d’un Juif converti mais il n’en retirera qu’une connaissance très superficielle. Il profite de son temps libre pour se rendre aux bains de Bade, dont il fait un rapport égrillard, dans le style de Boccace. Il revient à Constance pour assister au procès de Jérôme de Prague, un ami de Jean Huss, qu’il avait cru devoir rejoindre, pour l’aider dans sa défense. Voyant le sort de son ami, il s’était enfui mais avait été rattrapé et emprisonné. Interrogé et sans doute torturé, il va lire en plein concile, le 15 décembre 1415, une rétractation de sa doctrine. Mais il n’est pas pour autant libéré, quoique certains cardinaux comme Zabarella, inclinent à l’élargir après sa déposition. Il subit un second interrogatoire auquel assiste Poggio qui, bien qu’il ne partage pas ses croyances, est émerveillé du talent de l’orateur pour défendre ses idées. Le concile le condamne, malgré sa rétractation, à être brûlé vif.
Peu après le supplice de Jérôme de Prague, Poggio reçoit de Guarino de Verone, le traité « De Re Uxoria » réalisé par son condisciple Francesco Barbaro, élève de Manuel Chrysoloras. Guarino de Verone, de dix ans plus âgé que Poggio, a suivi également les cours de Jean de Ravenne et de Manuel Chrysoloras à Florence, avant de partir à Constantinople, pour y recueillir des manuscrits. Rentré en Italie, il va enseigner les belles lettres à Verone, puis Ferrare, jusqu’en 1460.
Poggio ne tarit pas d’éloges sur cet ouvrage en latin, qu’il dit avoir lu en un seul jour. Il va du reste entretenir avec son auteur une longue correspondance, sa vie durant. Francesco Barbaro nait à Venise en 1398. Il se forme auprès de Gasperino Barziza, un élève de Jean de Ravenne, qui lui fait faire de rapides progrès dans l’étude de la langue latine. Guarino de Vérone lui donne les premiers rudiments de la langue grecque classique. D’une intelligence au-dessus de la moyenne, Francesco Barbaro est issu d’une famille de patriciens vénitiens. Il épouse en 1419, Marie, fille de Piero Loredano, procurateur de Saint-Marc, l’une des grandes familles vénitiennes. Il a une si grande réputation d’éloquence et de sagesse que le grand conseil de Venise l’admet au nombre des sénateurs, à l’âge de vingt-et-un an, malgré une loi l’interdisant. Il est nommé podesta de Trévise, un poste où il laisse aux habitants un impérissable souvenir, puisqu’ils s’en souviendront vingt-quatre ans plus tard. Il est ensuite nommé podesta de Vicence puis ambassadeur auprès du pape Martin V. Il mène une très longue carrière diplomatique et occupe les postes les plus prestigieux au sein de la sérénissime, avant de devenir procurateur de Saint Marc.
Ayant appris l’existence de très anciens manuscrits dans des monastères proches de Constance, Poggio s’y rend et parvient à exhumer un certain nombre de manuscrits très importants pour la République des lettres et il reçoit les plus vives félicitations de son ami Leonardo d’Arezzo.
Tous les chrétiens attendent avec impatience l’élection d’un souverain pontife. La mort de Grégoire XII le 18 octobre 1517 est sans doute l’opportunité qu’attendent les cardinaux, qui s’assemblent en conclave, le 10 novembre 1517, et après les dissensions ordinaires, réunissent leurs suffrages sur Otto Colonna, qui prend le nom de Martin V, mettant fin au grand schisme occidental, qui dure depuis quarante ans.
Il reste bien encore Benoît XIII, calfeutré derrière ses remparts de Paniscola qui prétend encore et toujours exercer sa fonction. Mais son obédience est désormais si restreinte qu’elle ne constitue plus qu’un épiphénomène.
Martin V congédie le concile le 22 avril 1418. Pendant trois ans, la capitale de la Chrétienté s’est tenue à Constance avec une population de près de cent mille personnes réunies spécialement pour l’occasion.
Une note, découverte à Vienne donne la composition des personnes déplacées spécialement à Constance, pour l’occasion :
Princes, députés, chevaliers : 2 300
Prélats, prêtres théologiens : 18 000
Laïcs : 80 000
Orfèvres : 45
Marchands détaillants : 330
Banquiers : 242
Cordonniers : 70
Pelletiers : 48
Apothicaires : 44
Forgerons : 92
Confiseurs : 75
Boulangers : 250
Cabaretiers : 83
Vivandiers : 43
Changeurs : 48
Tailleurs : 228
Hérauts d’armes : 65
Jongleurs : 346
Barbiers : 306
Courtisanes 700
Prostituées 1 500
Chacune des dames a reçu pendant la totalité du séjour, plus de 800 florins….
Poggio a perdu, avec la mort du cardinal Zabarella, tout espoir de carrière. Sa proximité du pape déchu, le rend suspect aux yeux du nouveau pape, d’autant qu’une certaine liberté de paroles lui a sans doute aliéné d’éventuels soutiens. Il se retrouve sans emploi quand il suit Martin V jusqu’à Mantoue.
Arrivé là, Il est obligé de fuir précipitamment : souhaite-t-il échapper à une persécution que sa trop grande liberté de parole a attirée sur sa tête ? Il se rend en Angleterre, à l’invitation d’Henry de Beaufort, Evêque de Winchester (qui deviendra cardinal en 1426), qu’il a rencontré à Constance, alors que ce dernier partait en pèlerinage à Jérusalem. Henry de Beaufort (1375-1447) est le fils adultérin de Jean de Gand, le troisième fils du roi Edouard III d’Angleterre. Il est donc le demi-frère du roi Henry IV d’Angleterre et l’oncle de Henry V.

Paul Delaroche Henry de Beaufort interroge Jeanne d Arc en prison The Wallace collection Musee des Beaux Arts de Rouen
Le splendide évêque de Winchester a-t-il voulu épater son trop crédule interlocuteur ? Lorsque Poggio débarque en Angleterre, l’évêque n’a pas de temps à lui consacrer ni peut-être même, le désir. A cette époque, les belles lettres sont pratiquement ignorées de tous, en Angleterre. Poggio peut mesurer la différence entre l’état de développement intellectuel de l’Italie commerçante et industrielle et la quasi-barbarie de l’Angleterre féodale. Il a d’autant plus le mal du pays que ses amis ne cessent, dans leurs lettres, d’évoquer les nouvelles découvertes de manuscrits anciens réalisées par les uns ou les autres.
Pontificat de Martin V : la fin du schisme
Bien qu’il ait fini par obtenir de son protecteur, un petit bénéfice, Poggio regarde assidument vers l’Italie. Lui parviennent alors deux propositions, quasi, simultanément, celle d’Alamano Adimaro, archevêque de Pise et cardinal de Saint-Eusèbe, qui lui propose la charge de secrétaire du pape, et celle de Piero Lamberteschi, qui lui propose d’enseigner les belles lettres avec un engagement de cinq-cents florins sur trois ans. Il incline davantage à cette dernière fonction car il préfère, dit-il, « être un homme libre, plutôt qu’un esclave décoré ». Mais la promesse de Lamberteschi tarde à se réaliser et il se voit dans l’obligation de rejoindre le service de Martin V à Rome.
Pendant tout le séjour, quasiment d’exil, de Poggio en Angleterre, le pape, lui-même, est demeuré exilé de Rome. En effet, une espèce de militaire, mi bandit, mi condottiere, tient alors la campagne romaine, interdisant au pape de revenir à Rome. Il est contraint de se réfugier à Florence qui, après lui avoir fait bon accueil, le traite désormais avec hauteur et condescendance. L’attachement des magistrats de Braccio da Montone (1368-1424) est une source supplémentaire d’humiliation pour le pape, qui n’a bientôt comme unique solution, s’il veut rétablir son autorité sur les Etats de l’Eglise, d’attribuer à ce dernier le titre de vicaire de l’église, et le gouvernement de Pérouse, d’Assise, de Jési et de Todi, en contrepartie du retour au Saint-Siége des villes de Narni, Terni, Orvieto et Orta. Habilement retourné, le condottiere a rétabli l’autorité du pape sur Bologne.
Jean XXIII qui on s’en souvient, avait été emmené prisonnier à Heidelberg, après sa déposition, a négocié sa liberté avec le comte Palatin, en lui remettant une rançon de trente mille pièces d’or. Il est rentré en Italie et tout le monde se prend à craindre le pire. Mais le pape déchu, qui arrive à Florence le 13 mai 1419, se jette aux pieds du pontife, auquel il baise les pieds. Martin V, touché de ce geste, lui offre les dignités de cardinal et évêque de Toscolano. Mais Balthazar Cossa meurt à Florence le 22 décembre 1419. Son ami Cosme de Médicis, lui fait de somptueuses obsèques.
Dès que les Etats pontificaux sont pacifiés grâce à l’action énergique de Braccio da Montone, Martin V peut se rendre à Rome où il fait son entrée le 22 septembre 1420. C’est à cette époque, que Poggio se voit proposer cette fonction de secrétaire du pape. Dès son retour à Rome, il reprend sa correspondance avec tous ses amis et s’efforce de rétablir les relations entre ses amis Niccolo Niccoli et Leonardo Bruni, grâce à l’intervention décisive de son ami, Francesco Barbaro.
Le Concile de Constance avait décidé, dans sa trente-neuvième session, afin de prévenir de nouveaux schismes éventuels et les hérésies à leur naissance, qu’un nouveau concile se tiendrait cinq ans après sa dissolution, que sept ans plus tard, on en convoquerait un troisième, et qu’enfin, des conciles généraux se tiendraient régulièrement, tous les dix ans. A l’expiration du terme prescrit, le Pape convoque donc, à Pavie, en 1423-1424, les représentants des différentes nations catholiques. Mais l’absence d’enjeu et une épidémie de peste, ont raison de la détermination des nations chrétiennes. Le concile ne fait pas le plein de cardinaux. Toutefois, le roi d’Aragon, Alphonse V, profite de l’occasion pour tenter de réveiller le schisme en soutenant les prétentions de son compatriote Benoît XIII, par haine de Martin V qui lui a refusé l’investiture du royaume de Naples, placé sous le contrôle théorique de Rome : Martin V lui a en effet préféré Louis III d’Anjou.
La reine Jeanne II de Naples, après le retour en France de son second époux, en 1419, le comte de la Marche, avait décidé d’adopter Alphonse V d’Aragon, déjà roi de Sicile. Mais, rapidement, Alphonse V a pris un ton de maître provoquant l’indignation de Jeanne II qui a résigné ses précédents engagements au profit de Louis III d’Anjou. Le pape n’a fait que suivre, en l’occurrence, les désirs de son alliée, la reine de Naples.
Alphonse V a cherché à former, au sein du concile de Sienne, un parti contre Martin. Mais le souverain pontife déjoue facilement ses manœuvres en prononçant la dissolution du concile en 1424.
Toutefois, Alphonse V est parvenu à acquérir à ses vues Braccio da Montone, qui se déclare contre le pape, conquiert plusieurs places pontificales importantes avant de venir mettre le siège devant Aquilée. Martin V sollicite de l’aide auprès de Jeanne II, la reine de Naples, qui lui expédie un corps d’armée. Quittant une position favorable, le condottiere Braccio da Montone se jette sur les forces pontificales. L’ardeur un peu trop impétueuse et désordonnée de ses troupes est la cause de son échec. Les troupes pontificales triomphent et Braccio, mortellement blessé, est capturé. Ce qui permet à Martin V d’éliminer toute opposition des Etats pontificaux et de récupérer les villes qu’il avait octroyées au condottiere.
Alphonse V d’Aragon a poursuivi ses tentatives brouillonnes contre le pape Martin V. A la mort de Pedro Martínez de Luna, le pape Benoît XIII, en 1424, il a encouragé les trois cardinaux rebelles, favorables à ce dernier, à désigner un nouveau pape : Clément VIII. Mais Alphonse V lui-même se réconciliera plus tard avec la papauté à Rome, ôtant son dernier soutien au pape de Paniscola.
Reprenant la main, le pape, habilement, attise les rivalités entre Milan et Florence, qui conduisent les deux Etats voisins à une guerre fratricide et ruineuse pendant trois ans, au terme desquels, Florence expédie Leonardo Bruni, en qualité d’ambassadeur, à Rome pour obtenir un accommodement avec Martin V. Leonardo négocie avec habileté en faveur de Florence, car il jouit depuis longtemps d’une faveur remarquable de la part du pontife, qui a cherché à le recruter. Il est remercié par Florence qui le nomme chancelier, à son retour.
Depuis le rétablissement de l’autorité pontificale, en 1424, et la stabilisation de la résidence de la cour pontificale à Rome, Poggio a repris ses études et ses travaux d’écriture. En 1429, il rédige son Dialogue sur l’avarice qu’il transmet pour avis à son ami Niccolo Niccoli, qui lui déclare sans ambages que ce travail est indigne de lui. Mais le critique est redoutable et d’autres amis, comme Francesco Barbaro, lui adressent leurs éloges. Après avoir corrigé les points faibles de son travail, il le rend public. Dans cette œuvre, il critique l’hypocrisie des grands prédicateurs, « qui ne prêchent pas dans la vue d’être utiles, mais seulement pour faire parade d’une vaine éloquence » : « Ils apprennent quelques phrases qu’ils encadrent indistinctement dans tous leurs discours, se servent d’expressions étudiées pour flatter les femmes et les ignorants qui sortent de leurs sermons aussi peu instruits après, qu’avant de les avoir entendus ». Il pourfend les professeurs de droit et les ordres mendiants : « Parcourez la ville, le marché, les rues, et si vous en trouvez un seul content du simple nécessaire, dites que vous avez vu un prodige ». Il dénonce leurs procédés ostentatoires et dérisoires : « ils se vantent, dit-il, d’obéir à l’esprit saint; et cependant ils expliquent si grossièrement le saint évangile au peuple, qu’on ne peut rien comparer à leur folie; le seul d »sir de me divertir m’a souvent engagé à les entendre. Ils se servent de termes si grotesques, qu’ils dérideraient l’homme le plus flegmatique : tantôt ils se dressent sur leurs pieds, comme s’ils allaient s’élancer hors de la chaire, d’autres fois ils montent leur voix au dernier ton de la fureur, et retombent ensuite à l’accent du simple chuchotage. Ils frappent violemment la chaire de leurs mains, éclatent en railleries, et prennent autant de formes différentes que Protée lui-même ; en un mot, ce sont plutôt des singes que des prédicateurs ».
Poggio le lettré, le partisan fervent de la culture, est, on le voit, un ennemi forcené de l’hypocrisie des tartuffes. Une telle attitude ne va pas lui attirer que des amis. La franchise et l’ironie de ses critiques sur l’avarice puis, plus tard, sur l’hypocrisie des moines, est étonnamment moderne. Ce sont les mêmes arguments qui seront avancés un siècle plus tard par Luther avec des conclusions bien différentes.
Pontificat d’Eugène IV : de la légèreté en politique
Martin V meurt le 20 février 1431. Son pontificat est remarquable non seulement par la sortie du grand schisme occidental mais parce qu’il a initié pour Rome une longue période de reprise économique en mettant en œuvre un vaste programme de constructions et de réhabilitations. Il laissera aux Romains, le souvenir de l’un des papes les plus appréciés. Lui succède Gabriele Condulmer (1383-1447), d’une ancienne famille plébéienne de Venise, élevé cardinal-prêtre de Santa Maria in Trastevere en 1426, qui prend le nom d’Eugène IV.
Son avènement constitue l’opportunité pour les Orsini, une des grandes familles de Rome, de prendre leur revanche sur les Colonna, qui ont très largement bénéficié des largesses pontificales au cours du règne précédent. Leurs délations produisent leurs effets : le pape fait arrêter le neveu de Martin V et plusieurs personnes connues pour avoir largement bénéficié des largesses de Martin V et il fait procéder à une enquête sévère contre tous ceux qui étaient connus pour avoir participé aux dons ou aux faveurs de Martin V : des juges nommés par le pape vont condamner ensuite plus de deux cents d’entre eux à l’exécution capitale.
Poggio, qui est témoin de ces exactions augure bien mal de la suite. De fait, les Colonna, persécutés par Eugène IV, vont alors parcourir l’Italie pour obtenir de leur parentèle des soutiens financiers et matériels pour leur confrontation armée avec le pape. Leur tentative de surprendre Rome échoue. Le pape est alors informé que l’archevêque de Bénévent, fils d’Antoine Colonna, et Masio, son frère, méditent secrètement un coup d’Etat. Il les fait arrêter et passer à la question. Masio, livré aux plus extrêmes tortures, avoue que les conjurés avaient résolu de se rendre maîtres du château Saint-Ange, et de bannir de Rome le pape et les Orsini. Masio est immédiatement décapité sur le champ de Flore.
Devenu conscient des problèmes posés par la guerre civile, Eugène IV se résout enfin à traiter avec les Colonna : la paix est signée. Mais ce pape imprudent va susciter, par une analyse sommaire de la situation des difficultés à répétition. Très loin de la politique de son prédécesseur qui s’était posé en juge au-dessus des parties, Eugène IV prend parti et il offense gravement le duc de Milan en appuyant Florence. Le duc de Milan fera savoir au pape, en temps opportun le coût de la légèreté en politique.
Le cardinal Giuliano Cesarini et les Hussites de Bohême
Les affaires d’Allemagne étaient plus graves, pour la Chrétienté. Dès son élection, Eugène IV confirme Giuliano Cesarini (1398-1444), dans sa fonction de légat en Allemagne, où il a été nommé cardinal de Saint-Ange, en 1426 par Martin V et lui accorde les pouvoirs les plus élargis pour convoquer le concile de Bâle.

Cardinal de Saint Ange Giuliano Cesarini Archivio Storico
Poggio est l’ami de Giuliano, le cardinal de Sant’Angelo. Il a pu mesurer à Constance les difficultés pouvant surgir d’un traitement, à la légère, des affaires d’hérésie, sur un peuple brave, passionné et crédule. Il écrit une longue lettre à son ami en l’avertissant « de se défier de son ardeur, d’examiner mûrement le nombre et le courage des troupes qu’il doit conduire à l’ennemi, et de bien prendre garde qu’en voulant terrasser les hérétiques, il ne fasse pas autre chose, que de prendre le loup par les oreilles ».
Frédéric, marquis de Brandebourg, généralissime des troupes envoyées en Bohême, pour lutter contre les Hussites, voulait attaquer ce royaume avec vigueur; mais le succès de son plan reposait en grande partie sur la convergence d’attaques simultanées de plusieurs souverains indépendants les uns des autres. Le duc d’Autriche est le premier à pénétrer en Bohême, mais il recule promptement, constatant que les forces qui devaient l’appuyer ne sont pas au rendez-vous. Le cardinal de Saint-Ange arrive alors à la tête de quatre mille fantassins, pour l’essentiel des recrues sans expérience, et autant de cavaliers. Les Bohémiens accourent en toute hâte et se jettent sur les forces pontificales qui se sont dispersées à la seule apparition des troupes adverses.
Mortellement mortifié, Cesarini est alors en mesure de méditer à leur juste valeur les conseils avisés de Poggio, qu’il a accueillis de prime abord avec légèreté et circonspection. C’est alors que lui parvient une deuxième lettre de Poggio, qu’il accueille très mal, car elle appuie directement sur les blessures morales du légat. Ce dernier rétorque vivement en reprochant à Poggio d’avoir des enfants illégitimes. Dans une lettre pleine d’ironie et de sarcasmes, Poggio fait valoir qu’il est et restera laïque et que rien ne l’empêche d’avoir tous les enfants qu’il souhaite, à la différence de nombre de prélats qu’il connait. La réponse du prélat n’était pas la preuve d’un esprit élevé. D’ailleurs, sa réputation à Rome était celle d’un homme médiocre. Une anecdote avait couru sur son compte, racontée par Poggio, dans ses « Facéties », à l’occasion de sa nomination au sacré collège des cardinaux : « un certain prêtre, appelé Lorenzo, rentra dans sa maison en donnant publiquement des marques de joie excessive. Comme on lui demandait la cause de ses transports, il répondit : Quel bonheur!, s’écria-t-il, puisque Angelotto est nommé cardinal, puisqu’on donne cette dignité à des sots et à des ignorants, je puis espérer de porter le chapeau rouge à mon tour ! ».
Ou cette autre anecdote toujours extraite des « Facéties » : On présenta un jour un enfant de dix ans, remarquable par ses dispositions précoces, au cardinal de Saint-Ange; il lui fit différentes questions; l’enfant répondit à toutes, avec une intelligence et une sagacité extraordinaires. Mais le prélat, au lieu de l’encourager, lui tourna subitement le dos, et dit à ceux qui l’entouraient : Quand les enfants ont tant d’esprit de si bonne heure, leur intelligence décroît avec les années, et à l’âge de maturité, ils ne sont plus que des sots. Le jeune interlocuteur, justement choqué de cette remarque grossière, lui répartit: Si cela est, mon révérend père, vous avez dû être une véritable merveille dans votre enfance ! ».
La soumission par la force ayant échoué, Giuliano Cesarini se résout à utiliser la voie diplomatique. Il propose alors aux Bohémiens de soumettre à la décision du concile général, qui devait bientôt se tenir à Bâle, leurs demandes, et toutes leurs prétentions.
Ouverture du concile de Bâle en 1531
Vue de Rome, la récente conduite du légat ne pouvait qu’inspirer beaucoup d’inquiétude. La déposition de Jean XXIII au cours du concile de Constance constituait un rappel des dangers pouvant ressortir d’un concile non maîtrisé.
Jean de Polmar, auditeur du Sacré-Collège, et Jean de Raguse, docteur en théologie de l’université de Paris, ouvrent donc solennellement le concile à Bâle le 19 juillet 1431, dans le chœur de l’église cathédrale de cette ville. La première session se tient le 14 décembre 1431. Le légat du pape la préside. Il déclare que trois points principaux seraient l’objet de ses délibérations, à savoir l’entière extirpation de l’hérésie, les moyens d’empêcher la guerre entre les princes chrétiens et la réforme de l’église.

Plan de la Ville de Bale 1494 Schedelschen Weltchronik ou Nürnberger Chronik par Hartmann Schedel (1440 à 1514)
Le pape, décidément inquiet de laisser le concile en terre d’Empire, fulmine une bulle déplaçant le concile à Bologne. Au lieu d’exécuter les volontés du pontife, le légat lui adresse ses vives remontrances, tandis qu’une délégation des religieux réunis à Bâle, arrive à Rome pour tenter de fléchir le pape. Parallèlement, une autre délégation a été expédiée à l’empereur Sigismond et au cours d’une seconde session, le 15 avril 1432, des mesures décisives et vigoureuses sont adoptées pour établir l’autorité du concile. On lit et l’on confirme le décret du Concile de Constance, qui portait que tout synode de l’église, légalement convoqué au nom du Saint-Esprit, était un concile général représentant l’église militante et tenait immédiatement son autorité de Jésus-Christ, que tout homme, de quelque dignité qu’il fût, sans en excepter le pape, était tenu de lui obéir en matière de foi, et dans toutes les occasions où il s’agirait de l’extirpation du schisme et de la réforme de l’église, dans son chef et dans ses membres; ils déclarent ensuite que le concile rassemblé à Bâle, ne pouvait pas être légalement, ni dissous, ni prorogé, ni transféré ailleurs, sans le consentement formel de ses membres.
Dans leur quatrième session, qui a lieu le 2o juin, ils décrètent que si le Saint-Siège venait à vaquer par la mort d’Eugène, le chef de l’église serait élu dans la ville même où le concile était rassemblé, et que, pendant toute la durée de ses sessions, le droit de nommer de nouveaux cardinaux était retiré au pape.
Les décisions prises par le concile montrent, décidément, que le pape avait bien raison de s’inquiéter. Poggio écrit une longue lettre au légat dans laquelle il l’exhorte à changer d’attitude : « songez aux regrets qui empoisonneront votre vie, si vous persistez à méconnaître la voix du chef de la religion; vous aurez la douleur de voir employer, à la ruine de l’église, des plans que vous aviez formés pour sa gloire ».
Le pape a bien compris qu’il a déjà perdu la partie, face au concile. Il choisit de régler le problème par concertation avec Sigismond, qui souhaite se rendre en Italie pour se faire couronner empereur du Saint Empire. Ce dernier fait son entrée à Rome le 21 mai 1433 et le 31, il est solennellement couronné dans la basilique du Vatican, alors que Rome fête la fin des hostilités entre Milan et Florence, négociée par le marquis de Ferrare, élevé à la dignité ducale, par l’empereur. Ce dernier écrit alors au Concile de Bâle pour réclamer de nouveaux délais pour Eugène IV.
C’est le moment qu’a choisi le duc de Milan, maintenant que la paix est faite avec Florence, pour envahir les Etats de l’Eglise, avec plusieurs condottieres. La situation est désespérée pour Eugène IV. Il ne peut pas résoudre à la fois les conflits militaires en Italie et la situation compromise de la papauté au concile de Bâle.
Le pape se rend compte qu’il est trop tard : il doit se résoudre à entériner les décisions du concile. Il déclare alors solennellement que, pour éteindre toutes les dissensions, et pour rétablir la paix dans l’église, il confirme les décrets du concile, reconnait sa légitimité, annule, sans aucune réserve, toutes les bulles qu’il a publiées pour condamner ses opérations, et il promet de ne rien entreprendre à l’avenir ni contre l’assemblée, ni contre ses membres. La lettre dans laquelle le pape fait ces importantes déclarations est solennellement publiée à Bâle, le 5 février 1434.
Puis, il donne le gouvernement de la marche d’Ancône, les titres de vicaire apostolique et de gonfalonier de l’église romaine au duc de Milan, payant ainsi très cher une erreur politique commise au début de son pontificat.
Le pape Eugène IV exilé à Florence
Le duc de Milan se retourne contre les condottieres qui engagent des opérations aux portes de Rome. C’est le moment que choisissent les Colonna pour se révolter. Ils appellent aux armes tous leurs partisans et ils soulèvent en peu de temps tout le peuple de Rome. Les rebelles se saisissent de Francesco Condolmieri, neveu du pape, et entourent de gardes le palais pontifical. Mais Eugène IV, déguisé en moine, échappe à leur vigilance; et, accompagné seulement de deux domestiques, descend dans une petite barque qui devait promptement partir pour Ostie. A peine est-il sur le Tibre, qu’on le reconnaît: le peuple s’attroupe sur le bord du fleuve, et fait pleuvoir sur le malheureux pontife une grêle de flèches et de pierres. Eugène ne s’échappe de Rome que par une espèce de miracle, il se retire d’abord à Livourne et de là à Florence.
Les serviteurs du pape se dispersent à leur tour, la plupart ayant décidé de s’embarquer sur de légères barques côtières, affrétées pour Pise, dans l’intention de rejoindre leur maître. Mais ils vont tomber presque tous entre les mains de pirates corses qui vont les dépouiller de tout ce qu’ils ont emporté. Poggio, lui, a choisi la route de Florence. Il va être capturé par le condottiere Piccinino et mis à rançon. Ses efforts pour être délivré sans rançon échouent et il est obligé de s’acquitter, eu égard à sa fortune modeste, d’une très lourde rançon.
Poggio revient dans sa patrie, pour rejoindre le pape, à un moment particulier : celui du bannissement de Cosme de Médicis (voir les articles sur ce Blog Les Médicis : la prise du pouvoir et Une dynastie à la tête de Florence : les Médicis de 1400 à 1600). Poggio est devenu, à Rome, un ami de Cosme de Médicis.
Il adresse à son ami, exilé pour dix ans à Venise, une longue lettre, se terminant par ces paroles prophétiques : « Loin donc de vous plaindre, remerciez la fortune d’avoir déployé toutes vos vertus; elle vous a provoqué à un combat qui vous procurera beaucoup de célébrité sur la terre et une gloire éternelle dans le ciel. Jouissez, le reste de vos jours de cette paix qui est inséparable de la tranquillité de l’âme; en quelque lieu que vous soyez banni, regardez-le comme à votre patrie, le théâtre de votre grandeur, le lieu où vous êtes appelé à exercer vos talents. Plus vous y montrerez de force et de constance, plus votre gloire aura d’éclat. »
Les malheurs de Cosme opposent Poggio, à son arrivée, aux Albizzi qui contrôlent Florence, et à leurs partisans. Ce sera l’origine de sa longue querelle avec Francesco Filelfo (1398-1481).
Filelfo nait à Tolentino, le 25 juillet 1398. Ayant montré, dès l’enfance, un goût particulier pour les lettres, on l’envoie terminer ses études à Padoue où ses progrès sont si rapides, qu’à l’âge de dix-huit ans, il enseigne déjà l’éloquence devant un nombreux auditoire. Il est appelé à Venise pour y donner des leçons de littérature aux jeunes patriciens. Il remplit ses fonctions avec tant de succès qu’on lui confère le droit de bourgeoisie. On lui confie la place de secrétaire de l’ambassade de Venise à Constantinople. Filelfo exerce ces nouvelles fonctions durant environ deux années puis il passe au service de l’empereur de Byzance, Jean Paléologue, qui l’emploie dans les affaires les plus importantes. Il visite, en qualité d’envoyé ou d’agent secret de ce prince, la cour du sultan Amurath II,
Et, en 1423, à Bude, celle de Sigismond, empereur d’Allemagne. Il épouse, à Constantinople, Théodora, fille de Chrysoloras, noble grec célèbre. En 1427, il quitte l’orient et revient à Venise. Comme il a profité de sa longue absence d’Italie, pour se perfectionner dans l’étude de la langue et de la littérature grecques, il s’attend, à son retour dans sa patrie adoptive à y être regardé comme le restaurateur des connaissances littéraires. Mais il est déçu. Huit ans se sont en effet écoulés depuis son premier voyage à Venise et son nom a perdu sa nouveauté. Il paye sans doute également le secret déplaisir que les patriciens de Saint-Marc ont eu de lui voir préférer les honneurs et les récompenses de Paléologue, à leur service. Sans ressources, il commence à subir de sérieuses alarmes de fortune lorsque les Bolonais viennent à son secours en lui proposant de donner des leçons d’éloquence et de philosophie morale dans leur ville, avec un traitement annuel de quatre cents sequins. Filelfo accepte ces propositions avec joie et se rend sur-le-champ à Bologne. Mais à peine est-il arrivé que son traitement est suspendu : Bologne, révoltée, doit soutenir un long siège contre les troupes pontificales.
Niccolo Niccoli et Pallas Strozzi, le tirent de ce nouvel embarras, en lui proposant de quitter Bologne, et de venir exercer ses talents en Toscane. Filelfo résiste quelque temps à ses amis puis, sous la contrainte financière, abandonne son poste à Bologne et se rend à Florence pour donner des leçons sur les classiques grecs et romains, moyennant trois cents sequins par an.
Le matin, au lever du soleil, il explique et commente les Tusculanes de Cicéron, la première décade de Tite-Live, le traité de Cicéron sur la rhétorique, et l’Iliade d’Homère. Après un intervalle de quelques heures, il se met à parler sur Térence, les épitres de Cicéron, et sur les histoires de Xénophon et de Thucydide. En outre, tous les jours, il explique les anciens moralistes.
Filelfo fait de grands efforts pour rester à l’écart des factions rivales qui dominent Florence, ce qui lui permet de porter son revenu à trois cent cinquante florins par an, à la fin de 1432. Malheureusement pour lui, sa morgue et son excessive présomption lui ont aliéné Niccolo Niccoli, froissé par le dédain de Filelfo. Comme Niccolo est un partisan déclaré des Médicis, Filelfo en vient à penser que les Médicis lui sont également hostiles. Il se décide alors à publier contre l’esprit factieux du peuple de Florence, un pamphlet poétique, dans lequel il attaque violemment les Médicis. Non content de cette première provocation, il s’acharne plus particulièrement ensuite contre Cosme, dans une nouvelle satire sur le pouvoir des richesses dans laquelle il essaie de colorer ses injures, d’un vernis sentencieux et philosophique. La réaction de Cosme est élégante et mesurée : il propose de baisser le salaire de Filelfo, qui en appelle alors au Sénat de Florence, pour obtenir satisfaction. Sa haine contre les Médicis ne connaît plus de bornes et il publie une pièce en vers sur la chute du démagogue, lorsqu’il apprend la sentence d’exil prononcée contre Cosme.
Lorsque Poggio arrive à Rome, tous ses amis, qui font partie du clan des Médicis, sont en butte aux insultes quotidiennes de l’audacieux libelliste, qui range aussitôt Poggio parmi ses victimes. Mais l’exil de Cosme qui devait durer dix ans, va s’interrompre au bout d’un an. Il rentre en triomphateur à Florence. Ses ennemis prennent la fuite. Filelfo part précipitamment à Sienne.
C’est le moment que choisit Poggio pour se venger des avanies endurées pendant de longs mois à Florence. Sous prétexte de prendre la défense de son ami Niccolo, il se livre à une vilaine satire dans laquelle il place toutes les injures latines qu’il parvient à trouver. Filelfo qui s’étrangle de rage, réagit par une nouvelle satire.
Les noms d’oiseaux se mettent alors à voler dans une querelle qui ne grandit aucun des deux érudits, mais dans laquelle, Filelfo prend le dessus.
Bientôt, les Romains se lassent de leur révolte contre le Saint-Père. Ils réclament son retour. Ils livrent leurs forteresses à Jean Vitelleschi, évêque de Recanati; qui en prend aussitôt possession, au nom du Saint-Siège.
Eugène IV confie Jean Vitelleschi la responsabilité de pacifier Rome et réduire les Colonna. Vitelleschi a un caractère inflexible, un dévouement total au pape et rien ne paraît le toucher ni l’ébranler. L’orage menace surtout les Colonna et leurs partisans. Le nouveau gouverneur se met à la tête d’un corps de troupes et il va lui-même faire le siège de diverses places appartenant aux Colonna : en l’espace de quelques semaines, il prend et livre au pillage Sabello, Rorghetto, Alba, Citta Lanuvia, Palestrina et Zagarolo. Tous les habitants de ces villes, qui échappent au carnage, sont emmenés à Rome, chargés de chaînes.
A son retour dans la capitale, Vitelleschi fait démolir les maisons des principaux révoltés et, pour frapper de terreur tous les ennemis du pontife, il ordonne de déchirer avec des tenailles rougies à blanc, l’un des auteurs de la rébellion, et de l’attacher ensuite à une haute potence dressée sur le champ de Mars.
Le concile de Bâle s’oppose au pape Eugène IV
Pendant que Vitelleschi rétablit l’ordre à Rome, le concile de Bâle poursuit ses travaux : après avoir employé quelques séances préliminaires à discuter un plan de réunion des églises grecque et latine et examiné quelques autres projets pour hâter la conversion des Juifs, le concile s’occupe des moyens d’épurer les mœurs du clergé : il décrète que les prêtres qui entretiendraient des concubines seraient privés de tout revenu ecclésiastique pendant trois mois et que si après un avertissement formel, ils persistaient dans leur conduite scandaleuse, ils seraient dépouillés de leurs bénéfices.
Un canon très -étendu du concile institue des règlements pour célébrer le culte public avec décence. Il interdit expressément les bouffonneries sacrilèges, ou les fêtes des fous, par lesquelles on profanait les lieux saints le jour des Innocents.
Eugène approuve sans réticence ces mesures. Puis, coup sur coup, deux décrets sont pris pour attaquer directement le pape : le 9 juin, un décret abolit les Annates : la première année de revenus d’un bénéfice, payée au Saint-Siège. Puis, une délibération du 15 mars 1436, défend au pontife de conférer le gouvernement d’une province, d’une ville ou d’un territoire de l’église à aucun de ses parents.
En dépit des décisions du concile, Eugène IV continue de percevoir les Annates, une ressource importante du Saint-Siège et de désigner des parents à des postes de confiance. Le concile de Bâle cite alors le pape à comparaître : on lui reproche de s’opposer à la réforme du clergé, on l’accuse de violer les constitutions ecclésiastiques, de trafiquer des biens de l’église.
C’est l’époque où Poggio choisit de se fixer en Toscane : il achète une maison de campagne à Valdarno. Un décret formel de la Seigneurie de Florence l’affranchit, ainsi que ses enfants, du paiement des impôts et de toutes les autres taxes publiques, une mesure de faveur pour laquelle le retour au pouvoir de Cosme n’est évidemment pas étranger.
Bien que la fortune de Poggio soit modeste, sa demeure attira bientôt l’intérêt des amis des beaux-arts car on y remarque une précieuse bibliothèque et une collection peu nombreuse de statues, qui font l’ornement de son jardin et la principale décoration d’une salle destinée à des rencontres littéraires.
Car Poggio a pris, à Rome, la passion des monuments de la Rome impériale, dont il est devenu l’un des meilleurs connaisseurs. Les savants étrangers de passage, regardent comme un grand bonheur, le privilège de l’avoir pour guide. Il est témoin de toutes les fouilles importantes qui permettent d’exhumer des statues. Il déplore les destructions que subissent continuellement les bâtiments antiques et il croit fermement que, de toutes les statues antiques, ne subsistent alors que six statues importantes, découvertes au début du quinzième siècle.
A l’âge de cinquante-cinq ans, Poggio décide de se marier. Son choix tombe sur Vaggia, âgée d’un peu moins de dix-huit ans, fille de Ghino Manente de Bondelmonti, d’une famille honorable, et il l’épouse dans les derniers jours du mois de décembre 1435. Cette résolution le contraint à abandonner sa maîtresse, dont il a eu quatorze enfants. Il trouve dans les liens du mariage un bonheur inespéré. Plusieurs lettres de sa correspondance familière apprennent que toutes ses espérances de bonheur se réalisèrent, et que le cœur de son épouse lui garda une tendresse inaltérable. Evidemment il ne boude pas son plaisir de déclarer sa nouvelle situation à Giuliano Cesarini, le futur cardinal de Saint-Ange avec lequel ses relations sont redevenues ce qu’elles étaient au début.
C’est vers cette époque que la réputation d’homme de lettres de Poggio, commence à se répandre en Italie. Plusieurs savants célèbres sont si satisfaits des lettres qu’ils ont reçues, qu’ils lui réclament de les faire connaître au public, dans un recueil. Après mille difficultés pour retrouver les lettres disséminées un peu partout, Poggio parvient à les réunir dans un ouvrage manuscrit qui se trouve encore à Florence, dans la bibliothèque Riccardiana.
Le 23 janvier 1437, meurt Niccolo Niccoli, son ami de toujours. Il compose à cette occasion son oraison funèbre, dans laquelle il retrace la vie exemplaire de son ami et la publie.
Le concile de Bâle est transféré à Ferrare, puis Florence
L’autorité du pape est alors gravement attaquée au concile de Bâle. Eugène IV comprend que s’il ne parvient pas à reprendre la main par un grand coup, c’en est fini de l’autorité du pape sur les conciles. C’est désormais le principe même de l’organisation de l’Eglise qui est en jeu. Il faut coûte que coûte transférer le concile de Bâle dans une ville d’Italie, si l’on veut éviter un nouveau schisme.
Mais quel thème pourra être considéré comme suffisamment fédérateur ? C’est alors que se présentent, fort opportunément, des demandes de l’empereur Byzantin, Jean VIII Paléologue, qui, confronté à l’avance des armées turques qui ont totalement circonscrit la ville de Constantinople, cherche des alliances en occident. Il propose au pape, pour prix des cours qu’il cherche à obtenir, la réunion d’un concile avec pour enjeu, la soumission de l’église d’orient à l’église d’occident.
Quel sujet peut être davantage fédérateur que celui-là ? L’empereur Byzantin a mis comme condition que le concile se tienne dans un port de l’Adriatique, pour permettre aux délégués de rentrer rapidement en orient, en cas de difficultés. Cette condition a-t-elle été inspirée par la diplomatie pontificale ? Toujours est-il qu’elle sert bien le pape, en cette occurrence. Car Eugène IV, qui était en passe de devenir, de décision en décision du concile, l’ennemi de l’Eglise, devient d’un seul coup son champion. En septembre 1437, il prend la décision de transférer le concile de Bâle à Ferrare, ville sous contrôle théorique de l’Eglise dans laquelle le vicaire de Rome est le récemment nommé, duc de Ferrare.
Dès que le concile de Bâle est informé de cette démarche des Byzantins, il cherche à la contrôler en votant un budget spécial pourvoyant aux dépenses de voyage de l’empereur et de sa suite de sept cents personnes. Eugène IV qui a bien compris la menace implicite des décisions du concile de Bâle, expédie au Basileus une flotte de galères romaines et de très importantes sommes d’argent, pour lui permettre de voyager avec pompe.
Quel interlocuteur choisir si l’on est empereur ? Le pape ? Ou un concile hétéroclite, en révolte plus ou moins ouverte contre son pasteur ? Car l’empereur est parfaitement informé des manœuvres du concile pour réduire l’autorité du pape. Des manœuvres contraires à ses propres intérêts. Car Byzance a besoin d’un pape déterminé et fort, capable d’impulser une dynamique en occident.
Il se rend à l’invitation du pape, débarque à Venise le 8 février 1438 et arrive à Ferrare, le 4 mars suivant.
Dans leur grande majorité, les délégués de Bâle ont choisi de se rendre à Ferrare. Le pape a beaucoup discuté avec tous les délégués et avec toutes les chancelleries européennes : il a réussi à reprendre la main. Le concile de Bâle, réuni à Ferrare, décide d’annuler toutes les décisions antérieures du concile de Bâle. Pendant ce temps, la minorité des délégués les plus extrémistes, restés à Bâle, a décidé de prendre des sanctions contre Eugène IV, qui est déchu : le concile de Bâle prend en main, le 25 janvier 1438, le gouvernement de l’Eglise, interprétant de façon erronée les décisions du concile de Constance, réitérées au début du concile de Bâle. Le pape Eugène IV rétorque en excommuniant, le 15 février 1438, les délégués réunis à Bâle. Les délégués schismatiques de Bâle répliquent le 25 juin 1438 en déposant le pape Eugène IV.
La France de Charles VII, le plus grand royaume de la Chrétienté, qui vient tout juste de rétablir son intégrité après le sacre du roi à Reims et le recul des Anglais, est, par nature, l’ennemie de tous les schismes. Pourtant, les mesures adoptées à Bâle rencontrent un écho certain en France. Charles VII va négocier son appui à Eugène IV en validant par l’Ordonnance de la Pragmatique Sanction du 7 juillet 1438, un certain nombre des décisions du concile de Bâle. L’enjeu, pour la France est de limiter l’influence du pape dans les diocèses du royaume en rendant la nomination de la hiérarchie ecclésiale indépendante du pape. Un autre enjeu de cette ordonnance est de supprimer le versement à Rome, des Annates, à chaque nomination de titulaire. Eugène IV est placé devant le fait accompli et obligé d’avaler la couleuvre en contrepartie du soutien de la France. La Pragmatique Sanction de Bourges va constituer jusqu’en 1516, un brulot continuel dans les relations entre le Vatican et la France et trouver son issue dans le Concordat de Bologne en 1516, avec François 1er.
Le pape est décidé à tout pour que le concile de Ferrare soit un succès. On retranche du cérémonial pontifical tout ce qui est susceptible de porter ombrage à l’empereur Byzantin. Eugène s’avance à sa rencontre jusqu’à la porte de son appartement, ne lui laisse rendre à la tiare romaine aucun hommage d’humilité, et le conduit à un siège placé à sa gauche. Il s’efforce de donner les mêmes égards dans la fixation des rangs et des places des prélats et courtisans orientaux.
Les discussions préliminaires vont durer dix-huit mois. A la fin de l’année 1438, le concile fait face à une épidémie de peste, tandis que la campagne alentour est battue par le condottiere Piccinino, déjà maître de Bologne, d’Imola et de Ravenne. Le voisinage n’est pas sûr. Le pape, ayant consulté Cosme de Médicis, le nouveau maître de Florence, propose, le 10 janvier 1439, de transférer de Ferrare à Florence le siège du concile.
Pour finir, le 6 juillet 1439, le décret d’Union des églises d’orient et d’occident, signé la veille, est lu en latin, par Giuliano Cesarini, le futur cardinal de Saint-Ange, et en grec par le cardinal Bessarion. Des pressions semblent avoir été exercées par l’empereur sur les signataires. Le traité d’Union ne sera jamais entériné par les communautés orthodoxes, l’église orthodoxe de Kiev, profitant même de cette occurrence pour s’affranchir de l’autorité de Byzance. De sorte que ce Traité restera lettre morte.
Mais le pape Eugène IV est parvenu à rétablir, de façon générale, l’ordre dans la Chrétienté. La minorité schismatique du concile de Bâle, prononce, en septembre 1439, la déchéance du pape Eugène IV et élit pour le remplacer, le duc de Savoie, Amédée VIII, qui prend le nom de Félix V, lors de son intronisation, dans la cathédrale de Lausanne, l’année suivante. Mais cet antipape n’est soutenu que par l’Aragon d’Alphonse V et le duché de Savoie. Il se soumettra formellement dix ans plus tard au successeur d’Eugène IV, Nicolas V.
Retraite de Poggio en Toscane
Pendant que le pape Eugène IV se débat pour rétablir l’ordre au sein de l’Eglise, Poggio a, provisoirement, quitté le service du pape, en 1438, pour s’établir en Toscane et jouir du bonheur familial. Il vient d’avoir un fils, qu’il a dénommé Pierre-Paul. C’est pendant ce séjour en Toscane, que Poggio reçoit une lettre du duc de Milan, Philippe Marie Visconti, qui souhaite, par cette approche indirecte, sonder Poggio sur la possibilité de sortir de la crise entre Florence et Milan, ce qui montre à l’époque que l’estime du maître de Florence pour Poggio, est connue de toute l’Italie.
De sa retraite toscane, il continue sa querelle de loin avec Filelfo, qui, banni de Florence a trouvé refuge à Sienne, puis Bologne, puis, enfin, Milan. Il publie en 1440 un dialogue sur la noblesse, salué par ses pairs, qui a pour interlocuteurs Niccolo Niccoli et Laurent de Médicis, frère de Cosme, le protecteur naturel de Poggio, mort le 23 septembre 1440. Poggio, en faisant ainsi paraître Laurent de Médicis comme interlocuteur dans l’un de ses dialogues, a voulu sans doute perpétuer le souvenir de l’intimité dont il l’avait honoré, tout en rendant hommage à Cosme, le maître de Florence, une manière de dire que Poggio vit dans l’intimité des puissants.
Poggio a pu suivre, de loin, l’évolution de la situation politique du royaume de Naples, lequel est tombé entre les mains du « bon roi René » d’Anjou, comte de Provence. On se rappelle que son grand-père, Louis II d’Anjou, avait été investi du royaume de Naples, à la place d’Alphonse V d’Aragon ce qui avait introduit une inimitié durable entre le roi d’Aragon et la papauté : Martin V puis Eugène IV. René d’Anjou a hérité en 1435 du royaume de Naples, alors qu’il est prisonnier du duc de Bourgogne. Libéré contre rançon par ce dernier, il est accouru à Naples (voir l’article sur ce Blog sur la première guerre d’Italie : l’éblouissement des jardins de Poggio Reale) en 1438 avec une armée. Le roi d’Aragon, Alphonse V, qui contrôle déjà la Sicile, a conquis tout le sud du royaume napolitain et il vient faire le siège de Naples, qui tombe en 1442 aux mains d’Alphonse.
Il n’y a plus donc, désormais, de sujets de litige entre le pape Eugène IV et le roi d’Aragon, qui aide le pape, à pacifier les Etats pontificaux, en chassant les derniers brigands et condottieres qui tentaient de s’y tailler des principautés indépendantes.
Eugène IV meurt le 23 février 1447 dans une Italie pacifiée et une Chrétienté quasiment réunifiée, le dernier antipape, Félix V, faisant deux ans plus tard, sa soumission à l’Eglise. Mais les décisions du concile de Bâle ont affaibli la papauté dont la situation financière est dans le plus grand désordre.
Nicolas V, le pape humaniste
L’élection, le 6 mars 1447, de Tommaso Parentucelli, qui prend le nom de Nicolas V, un humaniste, ami de Poggio de longue date, paraît l’occasion, pour ce dernier, de bâtir une fortune que le service de sept papes consécutifs, pendant près de cinquante ans, n’a pas permis de faire naître.
Nicolas V va rétablir les finances pontificales en quelques années seulement, en tirant les leçons des échecs précédents. Il veille à consolider son emprise sur les Etats pontificaux en s’abstenant de participer aux problèmes affectant les principautés italiennes. Il vie en paix avec ses voisins et lance le grand chantier de la reconstruction du Vatican.
Hardiment, Poggio a expédié à Nicolas V une lettre de félicitations dans laquelle il trace au pape les servitudes qui seront les siennes et le peu de fortune dans laquelle les précédents papes l’ont laissé. Loin d’en vouloir au vieil homme de lettres (âgé de soixante-sept ans), le pape lui fait plusieurs dons généreux, qui clame que le pontife l’a réconcilié avec la fortune. Il se met au travail, d’arrache-pied.
Il publie un « dialogue sur les vicissitudes de la fortune » qu’il dédie au pape, lui faisant remarquer que ce nouveau dialogue comporte de nombreux points communs avec le « dialogue sur le Malheur des Princes », qu’il lui a déjà dédié, avant qu’il ne soit pape.
Dans ce dialogue sur les vicissitudes de la fortune, Poggio et son ami, l’humaniste milanais Antonio Lusco, fatigués de la contemplation des débris de la magnificence romaine, se reposent l’un et l’autre au milieu des ruines du capitole, d’où leurs regards découvrent la plus grande partie de Rome. « Lusco, après avoir un moment jeté les yeux sur le travail destructeur des siècles, s’écrie en soupirant : Est-il rien de plus déplorable que le spectacle d’une cité qui produisit tant de héros et tant de généraux habiles, qui inventa l’art de la guerre, qui fit fleurir les beaux-arts , qui dicta des lois à l’univers, qui fut enfin la reine des nations, et qui, par l’injustice du sort , réduite à la plus humiliante servitude, ne présente plus maintenant que quelques débris pour attester son antique grandeur ? » Sommé par Poggio, Lusco raconte alors quelques grandes tragédies modernes. Le second livre est consacré à l’histoire du grand schisme occidental de 1377 à la mort de Martin V, le troisième contient l’histoire de l’Italie sous le pontificat d’Eugène IV et le cinquième raconte l’itinéraire d’un voyageur vénitien, nommé Niccolo Conti, qui, durant un périple de vingt-cinq années, avait pénétré au-delà du Gange et qui dut abjurer le christianisme.
Peu après la publication de ce savant travail philosophique, Poggio publie un nouveau dialogue, cette fois sur l’hypocrisie, un thème qui lui est cher, en dénonçant le comportement des moines et des prélats qui vivent dans la débauche, tout en affectant une conduite morale rigide. Ce traité qui aurait été sévèrement puni sous le pape précédent, est jugé avec indulgence par Nicolas V qui met à profit le talent de son homme de lettres en lui réclamant une satire contre l’antipape Félix V. Poggio se met au travail en se livrant à une violente critique des extrémistes du concile de Bâle.
Très sagement, Nicolas V va régler la question religieuse en négociant avec Félix V qui est nommé cardinal de Genève, en échange de sa soumission.
Dernières oeuvres
Pour répondre à l’encouragement donné par le pape aux belles lettres, Poggio traduit en latin l’histoire de Diodore de Sicile et la Cyropédie de Xénophon. Il dédie la première au pape et la seconde à Alphonse V, roi de Naples. Mais l’œuvre est très mal reçue à Naples. Poggio comprend rapidement que le responsable est son ennemi, Georges de Trébizonde.
Ce dernier, originaire de Candie, alors territoire vénitien, est un protégé de Francesco Barbaro, l’ami de Poggio, qui lui fait obtenir le droit de bourgeoisie à Venise. Ayant appris le latin, Georges de Trebizonde vient enseigner à Padoue où il succède à Filelfo, puis à Vicence. Là il suscite la violente opposition de Guarino de Vérone, un autre grand ami de Poggio, qui le contraint à partir pour Rome où il est favorablement accueilli par Eugène IV, qui le nomme secrétaire apostolique et lui donne à traduire de nombreux textes grecs en latin. Lorsque Nicolas V accède au pouvoir, il continue à utiliser les compétences du savant en lui donnant des traductions à faire, de grec en latin. Il jouit à l’époque d’une immense popularité en Italie grâce à son enseignement d’Aristote. Malheureusement pour lui, il s’attaque à Platon dans un pamphlet comparant Aristote et Platon, heurtant de plein fouet les convictions de l’école toute puissante de Florence qui jure désormais sa perte. Les hommes de lettres, qui sont devenus nombreux autour de Nicolas V, ont tôt fait de montrer au pontife les erreurs manifestes de ses traduction latines de Platon, et ils sèment le doute sur les compétences réelles de l’insulaire grec. La disgrâce du pape est désormais patente et Georges de Trébizonde est banni de toute l’Italie : il ne doit qu’à la faveur d’Alphonse V de pouvoir être accueilli à Naples.
L’animosité entre les deux hommes a éclaté au théâtre de Pompée à Rome, lieu où les secrétaires du pontife se rassemblent pour corriger entre eux certains papiers de chancellerie : Poggio se permet quelques remarques mordantes sur le style de l’insulaire grec. Ce dernier frappe alors Poggio au visage. S’ensuit un pugilat entre les deux sexagénaires qui débouche sur une promesse de rencontre à l’épée, en champ clos. Qui ne fait aucune victime, peut-être par l’interdiction du pape de laisser deux grands savants se battre en duel ?
En l’année sainte 1450, pendant les fêtes du jubilée à Rome, de très nombreux pèlerins sont venus à Rome rechercher les indulgences plénières. Eclate alors une peste sévère dont le foyer infectieux se concentre dans la ville éternelle, obligeant le pape et toute la cour à fuir. Poggio se réfugie dans son village de naissance, près d’Arezzo. Il en profite pour rédiger son « Livre des contes joyeux ou des Facéties ».
Un avertissement placé à la fin du livre des facéties fait connaître que les officiers de la chancellerie romaine avaient pris l’usage, sous le règne de Martin V, de se réunir dans une salle commune. La plupart des joyeux habitués de cet appartement se montrèrent plus occupés d’historiettes piquantes, de réparties spirituelles que d’entretiens sérieux ou philosophiques. On y rapportait les nouvelles du jour, les anecdotes plaisantes; on y censurait tout, librement. Les sarcasmes de ces rieurs n’épargnaient personne, pas même le souverain pontife. Les principaux membres de la réunion étaient Razello de Bologne, Antonio Lusco, Cincio et Poggio. Les traits piquants et les contes de toute espèce qui égaient la conversation de cette joyeuse compagnie ont fourni en grande partie les matériaux du livre célèbre des « Facéties ».
Le livre des Facéties connaît rapidement une vogue générale et populaire : il se répand à-la-fois en Italie, en Allemagne, en France et en Angleterre.
Au cours de son séjour à Terranuova, en 1450, Poggio reçoit également la visite de Benedetto Aretino, célèbre jurisconsulte, Niccolo de Foligni, médecin reconnu, et Carlo Aretino, chancelier de Florence. Leur conversation lui fournit le matériau d’un ouvrage qu’il intitule « Historia disceptativa convivalis » qu’il dédie, en 1451, au cardinal Prospero Colonna.
En 1453, à la mort de Carlo Aretino, Cosme de Médicis suggère aux Florentins de nommer Poggio Bracciolini, chancelier de Florence, à la suite de ses illustres amis, Niccolo Niccoli et Leonardo Bruni d’Arezzo. Il quitte Rome et le pape Nicolas V qui l’avait comblé d’honneurs, avec un immense chagrin, au mois de juin 1453 et il vient prendre, à l’âge de soixante-treize ans, la charge éminente que lui confient ses compatriotes, qui le nomment immédiatement prieur des arts (priori degli arti).
Dans son discours d’inauguration comme chancelier de Florence qu’il offre au pape Nicolas V, Poggio annonce qu’il a pris la résolution d’employer désormais à l’étude le reste de sa vie.
Il publie le dialogue « De Miseria humanae conditionis », ou « dialogue sur le Malheur de la destinée humaine », qu’il dédie à Sigismond Malatesta, seigneur de Rimini, généralissime de Florence. Ce dialogue, selon Poggio, est la conversation réelle que Matteo Palmerio, Cosme de Médicis, et plusieurs savants, dont lui-même, ont eue ensemble, à l’occasion de la prise de Constantinople par les Turcs.
La publication de l’histoire de Florence, termine la carrière littéraire de Poggio. Son habileté dans la langue latine, les sources nombreuses et abondantes en informations, que la place de chancelier de cette ville met entre ses mains, lui donnent toutes les facilités désirables pour ce travail. Poggio a divisé son « histoire de Florence » en dix livres.
Poggio Bracciolini meurt 3o octobre 1459: on l’inhume le 1er novembre dans l’église de Sainte-Croix. Ses cinq fils légitimes demandent et obtiennent de la Seigneurie que le portrait de Poggio peint par Antonio Pollaiuolo, soit placé dans un bâtiment contigu. Les citoyens de Florence reconnaissants de l’honneur que ses talents ont valu à la Toscane, lui ont érigé une statue placée sur la façade de l’église Santa-Maria del fiore.
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[i] Cet article est issu de l’ouvrage « Vie de Poggio Bracciolini » par W. Shepherd Paris Verdière 1819. En ce qui concerne les différents conciles de Pise, de Constance et de Bâle, on consultera avec intérêt les ouvrages de Lenfant : « Histoire du concile de Constance », « Histoire du concile de Pise », « Histoire de la guerre des Hussites et du concile de Bâle ».
[ii] L’église, qui a réécrit l’histoire, après la fin du grand schisme a pris comme principe que les papes élus à Rome sont légitimes et les autres, illégitimes. Parmi les antipapes, certains ne sont pas reconnus comme tels, ceux qui ne peuvent se prévaloir d’un minimum de légitimité.
Bibliographie des ouvrages de Poggio Bracciolini sur le web fournie par le site de l’Université de Birmingham
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