En 1048, des marchands originaires de l’ancienne République d’Amalfi, obtiennent du Calife Fatimide du Caire, Al-Mustansir Billah, l’autorisation de bâtir à Jérusalem, un couvent et un hospice, pour y accueillir les pèlerins de toutes confessions.
Par une bulle du 15 février 1113, le Pape Pascal II [i] transforme l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem en un ordre religieux laïc, indépendant et placé sous la tutelle du Saint-Siège. Tous les membres sont liés à l’Ordre par des vœux monastiques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.
Le premier Grand Maître, Raymond du Puy, obtient du Pape Innocent II, en 1130, la transformation en Ordre militaire, sur le modèle du Temple, fondé quelques années auparavant. Il adopte alors pour emblème, la croix à huit pointes qui est toujours aujourd’hui, l’emblème de l’Ordre Souverain de Malte.
Présent en Terre Sainte pendant plus d’un siècle et demi, L’Ordre lutte aux côtés du Temple contre les vagues musulmanes de reconquête. En 1291, le dernier bastion chrétien, Saint-Jean d’Acre, est emporté par le sultan Mamelouk du Caire, Al-Achraf Khalîl[ii], au terme d’un siège sanglant. Les trois ordres de moines soldats ont résisté coude à coude jusqu’au dernier moment : les chevaliers Templiers, Teutoniques et Hospitaliers.
La conquête de Saint-Jean d’Acre – Dominique Papety – Galerie des Croisades du Château de Versailles
Après la chute de Saint-Jean d’Acre, les Teutoniques se replient provisoirement sur Venise tandis que les Templiers renoncent à leur vocation première en rejoignant leurs commanderies d’Europe.
Les chevaliers Hospitaliers, seuls, décident de poursuivre la lutte. Leur Grand Maître Jean de Villiers décide d’installer l’Ordre sur l’île voisine de Chypre où il possède deux commanderies. Il convoque à Chypre un chapitre général de toutes les commanderies de l’Ordre qui approuve l’installation à Chypre pour y poursuivre la lutte contre les infidèles.
L’île de Chypre avait été conquise en 1191 par Richard Cœur-de-Lion avant de rejoindre la troisième croisade. Il l’avait revendue un an plus tard aux Templiers qui l’avaient à leur tour cédée à Guy de Lusignan, en compensation de son titre perdu de Roi de Jérusalem, depuis la prise de la ville par Saladin.
Rapidement cependant, les relations se dégradèrent entre un Ordre puissant et structuré et un royaume encore fragile. Les exonérations fiscales dont l’Ordre bénéficiait en vertu de sa mission de défense de la Chrétienté, étaient difficilement compatibles avec son importance économique dans un royaume encore fragile et peu développé. L’Ordre, qui avait l’interdiction d’acquérir de nouvelles propriétés à Chypre, ressentit rapidement le besoin de rechercher une implantation lui permettant d’exercer son indépendance et sa souveraineté.
En 1305, Foulques de Villaret, identifie l’île de Rhodes, la capitale du Dodécanèse, pour y implanter l’Ordre : l’île est riche et soumise à l’autorité théorique de l’Empire Byzantin. Mais la région, devenue un repaire de pirates et de corsaires fait de plus l’objet d’incursions périodiques des turcs sans que Constantinople n’ait les moyens ou la volonté d’y mettre un terme.
Une expédition est donc organisée en 1306 ou 1307, de concert avec le corsaire génois Vignoli, installé sur l’île voisine de Cos, qui s’empare par surprise du château de Pheraclos. Disposant de cette tête de pont, le Grand Maître se rend dans les capitales européennes y recueillir l’accord des Etats et notamment du Pape, du roi de France Philippe IV Le Bel et du Sénat de Gênes, République active dans la région. Le Pape Clément V, le premier des sept papes qui siégèrent à Avignon, placé dans la confidence, proclame la croisade pour la reconquête de la Terre Sainte. De toutes parts les moyens affluent à Chypre, Gênes et Venise fournissant des galères.
Foulques de Villaret pointe alors l’objectif de Rhodes qui est investie. Le siège de la ville se poursuivra deux ans. En conclusion d’une résistance désespérée, le gouverneur byzantin accepte de capituler le 15 août 1310 sous condition du respect des biens et des personnes, engagement qui sera scrupuleusement respecté, l’Ordre ayant tout intérêt à établir la paix sociale au moment de son installation. Forteresses et châteaux sont rapidement réparés. L’Ordre organise très vite un maillage de tours de guet sur toute l’île. Puis, il complète l’organisation de ses défenses en s’emparant des îles voisines du Dodécanèse qui s’étirent sur cent-cinquante kms le long de la côte turque d’Asie mineure et dont les forteresses sont puissamment réparées et renforcées. Il entre en contact à cette occasion avec Venise, qui occupait quatre de ces îles (Patmos, Astipalia, Karpatos et Kasos) confiées à des familles patriciennes.
Carte créée avec Euratlas Periodis Expert © Euratlas-Nüssli 2010, tous droits réservés
Dès 1301, le Grand Maître Guillaume de Villaret avait créé par décret capitulaire, une organisation de l’Ordre en « Langues », qui reflétait l’origine des chevaliers qui s’étaient engagés et qui regroupait les prieurés et commanderies qui en assuraient la subsistance. Cette organisation avait été confirmée par le Chapitre de Montpellier en 1327. Dès l’origine, ont été créées les langues de Provence, d’Auvergne, de France, d’Espagne, d’Italie, d’Allemagne et d’Angleterre. Il convient de ne pas oublier que la France du quatorzième siècle est une mosaïque de langues avec deux groupes principaux : au nord, la langue d’oïl et au sud la langue d’oc. En auvergne, de nombreux patois locaux se sont développés tirant les uns vers l’oïl et les autres vers l’oc. Cette organisation en « Langues » avait vite évolué vers un découpage administratif et urbain. Ainsi, le centre-ville de Rhodes était-il réparti entre chacune des « Langues », qui disposaient de leur maison et éventuellement, pour les plus importantes, d’une auberge et même d’une église.
En 1462, la Langue d’Espagne est divisée en deux : la langue de Castille, qui intègre le Portugal et la Langue d’Aragon.
Le XIVème siècle est une période d’expansion pour l’Ordre des Hospitaliers qui devient une puissance maritime d’importance. Les chevaliers se transforment en marins et l’Ordre connaît un essor important car sa position géographique lui permet de contrôler le passage des échanges de l’Est vers l’Ouest en prélevant des taxes. L’ordre assure en outre la protection des pèlerins se rendant en terre sainte. De plus, l’Ordre se livre à une guerre de course quasi-permanente contre le commerce Ottoman et Mamelouk, source de grands profits. Ce siècle est également marqué par des batailles maritimes rangées contre les flottes Ottomanes et Mamelouks, dans lesquelles ces dernières, moins aguerries, ont le plus souvent, le dessous.
L’Etat Ottoman (littéralement les fils d’Osman) était né en 1299, d’une politique d’expansion conduite par Osman 1er, un chef de l’une des principautés turques établies en Anatolie centrale depuis le XIème siècle. Son développement constant se fait tout au long du quatorzième siècle, aux dépens de l’Empire Byzantin à l’ouest et de l’Empire Mamelouk à l’Est. Dès 1350, les Ottomans ont pris pied de l’autre côté des Dardanelles et leur expansion est régulière, dès lors, à l’ouest, vers la Yougoslavie actuelle et au nord vers la Valachie et la Hongrie.
Les Chevaliers Hospitaliers entrent très rapidement au contact d’expéditions Ottomanes qui essayent périodiquement de s’emparer de l’île, sans succès.
La fin du siècle est une période de turbulences. Il y a d’abord le grand schisme d’occident avec l’élection de deux papes en 1378 qui va exercer des ravages pendant 42 ans sur les finances de l’Ordre, jusqu’à l’entrée de Martin V à Rome. Les commanderies des différentes Langues prendront prétexte des diverses obédiences pour se soustraire à leurs obligations à l’égard de l’Ordre dont la survie pendant cette période, dépend entièrement du soutien des trois Langues de France. Il y a la croisade contre les turcs d’autre part qui s’achève par l’écrasement de la fleur de la noblesse occidentale par les troupes de Bajazet, à Nicopolis en 1396, bataille dont le Grand Maître des Hospitaliers ne s’échappe que de justesse. Enfin et notamment à l’appel du Basileus Manuel Paléologue, Tamerlan dévaste l’Asie Mineure et écrase Bajazet à la bataille d’Angora le 28 juillet 1402. Bajazet, fait prisonnier décèdera l’année suivante. Ses fils se disputeront le pouvoir, générant ainsi une période d’anarchie, portant un coup d’arrêt de cinquante ans à l’expansion Ottomane.
Ce coup d’arrêt provisoire et la grande réconciliation de l’Ordre après la fin du grand shisme, permet aux chevaliers hospitaliers de renforcer leurs finances et donc leurs défenses et leur flotte. Ils acquièrent le statut d’une puissance souveraine importante en Méditerranée et l’Ordre peut battre monnaie comme tous les Etats indépendants. C’est ce qui lui permettra de repousser à deux reprises, en 1440 et 1444, des assauts de flottes Mamelouks d’Egypte. Le premier assaut qui oppose les forces totalement disproportionnées du Sultan et de l’Ordre se termine par une bataille navale indécise, au terme de laquelle l’escadre Mamelouk se retire. Le second assaut voit le débarquement de 40 000 hommes déterminés qui ravagent l’île et font le siège de la ville pendant deux mois avant de se retirer, minés par la dysenterie et les combats d’arrière-garde. L’Ordre retire de ces deux victoires un immense prestige qui lui permit d’attirer d’occident de nombreux chevaliers pour remplacer ses pertes.
GALLICA – BNF Dessin Anonyme – Grand Maître des Chevaliers de Rhodes
Mais l’Empire Ottoman se redresse. Il se constitue une flotte et une artillerie moderne. Au mois d’avril 1453 enfin, le sultan Mehmed II vient mettre le siège devant Constantinople qui n’est pas parvenue à obtenir le soutien de l’Occident. Une flotte de 120 navires et une armée de 100 000 hommes viennent investir la ville qui est défendue par moins de dix mille hommes. Au terme d’une résistance désespérée, l’empire Byzantin, qui en était réduit peu ou prou à la ville de Constantinople, s’écroule, après plus de mille ans d’existence. Le sultan poursuivra sa politique de conquêtes d’abord vers la Grèce pour éliminer les derniers Paléologue, puis vers la Bosnie. Il conquiert l’Anatolie centrale et défait le royaume de Trébizonde. Il s’empare enfin de la Crimée aux dépens des Vénitiens. Il tourne enfin son regard vers Rhodes, dernier bastion chrétien en Asie mineure.
Le 23 mai 1480, une armada de près de 100 navires débarque vingt mille hommes à Rhodes, qui n’était défendue que par six cents chevaliers Hospitaliers et deux mille hommes amenés en renfort de France, par le frère du Grand Maître Pierre d’Aubusson. La ville est exposée à un bombardement ininterrompu pendant près de deux mois. Le 27 juillet, les janissaires réussissent à s’emparer de la tour de la Langue d’Italie et pénètrent dans la ville. La contre-attaque violente des chevaliers culbute les janissaires qui, épuisés, se retirent vers leur camp, poursuivis par des défenseurs survoltés. Les tentes de Mesih Pacha (neveu de l’ex-empereur byzantin passé au service des Ottomans et élevé à la fonction de vizir par le sultan Mehmed II) sont atteintes et pillées. L’armée turque, démoralisée, se retire alors.
Le récit de ce siège, magnifiquement enluminé, figure dans un manuscrit conservé à la BNF (Section des manuscrits latins n°6067). Il émane de Guillaume Caoursin, qui exerça de multiples fonctions au service de l’Ordre dont celui de vice-chancelier sans jamais en faire partie. D’une grande éloquence il fut toute sa vie, apprécié de l’Ordre et du Pape auprès duquel il assura plusieurs missions diplomatiques.
Guillaume de Caoursin Le Siège de Rhodes Manuscrit Gallica BNF
L’Ordre allait résister encore quarante ans avant de succomber sous l’attaque du Sultan Soliman, qui avait peu-à-peu conquis tous les territoires riverains. L’île est investie le 24 juin 1522. Le siège va durer cinq longs mois de bombardements intensifs, de sapes et de contre-sapes. Il oppose une forte armée turque à seize mille hospitaliers. Une trahison de l’un des chevaliers ayant été déjouée, les défenseurs se résolvent à négocier, d’autant plus que les tours, minées par les bombardements, menacent de s’écrouler.
Soliman, heureux de ce dénouement et sans doute admiratif de la valeur des combattants, accepte le 16 décembre 1522 une reddition honorable : l’Ordre est autorisé à quitter l’île avec ses 160 chevaliers survivants et tous les habitants qui le souhaiteraient (quatre mille d’entre eux choisiront le départ), à condition de se retirer définitivement de la totalité des îles du Dodécanèse.
Dans les premiers jours de 1523, l’Ordre quitte définitivement l’île de Rhodes où il avait exercé son autorité pendant 213 ans.
Son errance va durer sept ans, de l’Italie du sud à la Savoie. En 1530 enfin, à l’instigation du Pape Clément VII, l’Empereur Charles Quint accepte de donner à l’Ordre des Chevaliers Hospitaliers, l’île de Malte, qui est détachée en pleine souveraineté du royaume de Sicile.
Depuis lors, l’Ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem est devenu l’Ordre de Malte.
[i] Cet article est notamment inspiré du livre de Claude Petiet « Au temps des Chevaliers de Rhodes » dont certaines parties sont d’ailleurs consultables sur Google Books. Voir également l’Histoire des Chevaliers de Rhodes par Eugène Flandin 1877 Tours Alfred Mame intégralement disponible sur Google Books. Il convient de noter qu’Eugène Flandin est également un talentueux peintre orientaliste qui a laissé sur ses voyages en Perse et en Turquie une abondante collection de dessins et de peintures remarquables.
[ii] Voir l’article Wikipedia éponyme.
Laisser un commentaire