
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 81v, Poppée BNF
Il s’agit du quatre-vingt-treizième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui évoque Poppée (30-65), la seconde épouse de Néron. Tacite raconte sa vie en plusieurs épisodes sur les livres 13 à 16 des Annales.
« Livre XIII
Poppée, la femme fatale
XLV. Une impudicité non moins scandaleuse signala cette année, et fut pour la république le commencement de grands malheurs. Il y avait à Rome une femme nommée Sabina Poppéa : fille de T. Ollius, elle avait pris le nom de son aïeul maternel Poppéus Sabinus, dont la mémoire, plus illustre, brillait des honneurs du consulat et du triomphe ; car Ollius n’avait pas encore rempli les hautes dignités, quand l’amitié de Séjan le perdit. Rien ne manquait à Poppée, si ce n’est une âme honnête. Sa mère, qui surpassait en beauté toutes les femmes de son temps, lui avait transmis tout ensemble ses traits et l’éclat de son nom. Ses richesses suffisaient à son rang ; son langage était poli, son esprit agréable. Cachant, sous les dehors de la modestie, des moeurs dissolues, elle paraissait rarement en public, et toujours à demi voilée, soit pour ne pas rassasier les regards, soit qu’elle eût ainsi plus de charmes. Prodigue de sa renommée, elle ne distingua jamais un amant d’un époux ; indépendante de ses affections comme de celles d’autrui, et portant, où elle voyait son intérêt, ses changeantes amours. Elle était mariée au chevalier romain Rufius Crispinus, dont elle avait un fils, lorsqu’ Othon la séduisit par sa jeunesse, son faste, et la réputation qu’il avait d’être le favori le plus aimé de Néron. L’adultère fut bientôt suivi du mariage.
Néron éloigne le mari Othon
XLVI. Othon ne cessait de vanter à Néron la beauté et les grâces de son épouse, indiscret par amour, ou voulant peut-être allumer les désirs du prince, dans l’idée que la possession de la même femme serait un nouveau lien qui assurerait son crédit. Souvent un l’entendit répéter, en quittant la table de César, « qu’il allait revoir ce trésor accordé à sa flamme, cette noblesse, cette beauté, l’objet des voeux de tous, la joie des seuls favoris du sort. » De telles amorces eurent bientôt produit leur effet. Admise au palais, Poppée établit son empire par les caresses et la ruse : elle feint de ne pouvoir maîtriser son ardeur, d’être éprise de la figure de Néron ; puis quand elle voit que la passion du prince est assez vive, elle prend de la fierté ; s’il veut la retenir plus d’une ou deux nuits, elle représente « qu’elle a un époux, et qu’elle ne peut renoncer à son mariage. Othon tient son coeur enchaîné par un genre de vie que personne n’égale ; c’est lui dont l’âme est grande, le train magnifique, c’est chez lui qu’elle voit un spectacle digne du rang suprême ; tandis que Néron, amant d’une vile esclave et captif sous les lois d’Acté, n’a retiré de ce commerce ignoble rien que de bas et de servile. » Othon fut exclus d’abord de l’intimité du prince, puis de sa cour et de sa suite ; enfin, pour éloigner de Rome un rival importun, on l’envoya gouverner la Lusitanie. Il y resta jusqu’à la guerre civile, et fit oublier par une vie pure et irréprochable ses premiers scandales ; sans frein dans la condition privée, plus maître de lui dans le pouvoir.
Livre XIV Poppée contre Agrippine
I. Sous le consulat de C. Vipstanus et de Fontéius, Néron ne différa plus le crime qu’il méditait depuis longtemps. Une longue possession de l’empire avait affermi son audace, et sa passion pour Poppée devenait chaque jour plus ardente. Cette femme, qui voyait dans la vie d’Agrippine un obstacle à son mariage et au divorce d’Octavie, accusait le prince et le raillait tour à tour, l’appelant un pupille, un esclave des volontés d’autrui, qui se croyait empereur et n’était pas même libre. « Car pourquoi différer leur union ? Sa figure déplaît apparemment, ou les triomphes de ses aïeux, ou sa fécondité et son amour sincère ? Ah! l’on craint qu’une épouse, du moins, ne révèle les plaintes du sénat offensé et la colère du peuple, soulevée contre l’orgueil et l’avarice d’une mère. Si Agrippine ne peut souffrir pour bru qu’une ennemie de son fils, que l’on rende Poppée à celui dont elle est la femme : elle ira, s’il le faut, aux extrémités du monde ; et, si la renommée lui apprend qu’on outrage l’empereur, elle ne verra pas sa honte, elle ne sera pas mêlée à ses périls. » Ces traits, que les pleurs et l’art d’une amante rendaient plus pénétrants, on n’y opposait rien : tous désiraient l’abaissement d’Agrippine, et personne ne croyait que la haine d’un fils dût aller jamais jusqu’à tuer sa mère.
Néron répudie Octavie et épouse Poppée
LX. Néron n’eut pas plus tôt reçu le décret du sénat, que, voyant tous ses crimes érigés en vertus, il chasse Octavie sous prétexte de stérilité ; ensuite il s’unit à Poppée. Cette femme, longtemps sa concubine, et toute-puissante sur l’esprit d’un amant devenu son époux, suborne un des gens d’Octavie, afin qu’il l’accuse d’aimer un esclave : on choisit, pour en faire le coupable, un joueur de flûte, natif d’Alexandrie, nommé Eucérus. Les femmes d’Octavie furent mises à la question, et quelques-unes, vaincues par les tourments, avouèrent un fait qui n’était pas ; mais la plupart soutinrent constamment l’innocence de leur maîtresse. Une d’elles, pressée par Tigellin, lui répondit qu’il n’y avait rien sur le corps d’Octavie qui ne fût plus chaste que sa bouche. Octavie est éloignée cependant, comme par un simple divorce, et reçoit, don sinistre, la maison de Burrus et les terres de Plautus. Bientôt elle est reléguée en Campanie, où des soldats furent chargés de sa garde. De là beaucoup de murmures ; et, parmi le peuple, dont la politique est moins fine, et l’humble fortune sujette à moins de périls, ces murmures n’étaient pas secrets. Néron s’en émut ; et, par crainte bien plus que par repentir, il rappela son épouse Octavie.
Poppée attaquée se défend
LXI. Alors, ivre de joie, la multitude monte au Capitole et adore enfin la justice des dieux ; elle renverse les statues de Poppée ; elle porte sur ses épaules les images d’Octavie, les couvre de fleurs, les place dans le Forum et dans les temples. Elle célèbre même les louanges du prince et demande qu’il s’offre aux hommages publics. Déjà elle remplissait jusqu’au palais de son affluence et de ses clameurs, lorsque des pelotons de soldats sortent avec des fouets ou la pointe du fer en avant, et la chassent en désordre. On rétablit ce que la sédition avait déplacé, et les honneurs de Poppée sont remis dans tout leur éclat. Cette femme, dont la haine, toujours acharnée, était encore aigrie par la peur de voir ou la violence du peuple éclater plus terrible, ou Néron, cédant au voeu populaire, changer de sentiments, se jette à ses genoux, et s’écrie « qu’elle n’en est plus à défendre son hymen, qui pourtant lui est plus cher que la vie ; mais que sa vie même est menacée par les clients et les esclaves d’Octavie, dont la troupe séditieuse, usurpant le nom de peuple, a osé en pleine paix ce qui se ferait à peine dans la guerre ; que c’est contre le prince qu’on a pris les armes ; qu’un chef seul a manqué, et que, la révolution commencée, ce chef se trouvera bientôt : qu’elle quitte seulement la Campanie et vienne droit à Rome, celle qui, absente, excite à son gré les soulèvements ! Mais Poppée elle-même, quel est donc son crime ? qui a-t-elle offensé ? Est-ce parce qu’elle donnerait aux Césars des héritiers de leur sang, que le peuple romain veut voir plutôt les rejetons d’un musicien d’Égypte assis sur le trône impérial ? Ah ! que le prince, si la raison d’État le commande, appelle de gré plutôt que de force une dominatrice, ou qu’il assure son repos par une juste vengeance ! Des remèdes doux ont calmé les premiers mouvements ; mais, si les factieux désespèrent qu’Octavie soit la femme de Néron, ils sauront bien lui donner un époux. »
Livre XV Naissance et mort d’une fille de Poppée
XXIII. Sous le consulat de Memmius Régulus et de Virginius Rufus, Néron reçut, avec les démonstrations d’une joie plus qu’humaine, une fille qui lui naquit de Poppée ; il l’appela Augusta, et donna en même temps ce surnom à la mère. Les couches se firent dans la colonie d’Antium, où lui-même était né. Déjà le sénat avait recommandé aux dieux la grossesse de Poppée et décrété des voeux solennels ; de nouveaux furent ajoutés, et on les accomplit tous. On décerna en outre des prières publiques, un temple à la Fécondité, des combats semblables aux jeux sacrés d’Actium.
Livre 16 La mort de Poppée
VI. Après la fin des jeux mourut Poppée, victime d’un emportement de son époux, dont elle reçut, étant enceinte, un violent coup de pied ; car je ne crois pas au poison, dont plusieurs écrivains ont parlé, moins par conviction que par haine : Néron désirait des enfants et il avait le coeur vivement épris de sa femme. Le corps de Poppée ne fut point consumé par le feu, suivant l’usage romain ; il fut embaumé à la manière des rois étrangers, et porté dans le tombeau des Jules. On lui fit cependant des funérailles publiques, et le prince, du haut de la tribune, loua la beauté de ses traits, la divinité de l’enfant dont elle avait été mère, et les autres dons de la fortune, ses uniques vertus.
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[i] [i] Tacite Annales Livre XIII, Livre XIV, Livre XV, Livre XVI.
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