
Boccace De mulieribus claris Traduction Laurent de Premierfait Illustrations Robinet Testard Français 599, fol. 24, Mort de Procris BNF
Il s’agit du vingt-sixième portrait de la galerie des cent-six Cleres et nobles femmes de Boccace, qui aborde ici le mythe des amours de Cephale, fils d’Hermès et de Hersé et de sa femme Procris, fille d’Erechthée et de Praxithéa, au Livre VII des Métamorphoses d’Ovide (vers 661 à 865).
Voici le résumé de cette histoire particulièrement complexe par le site Mythologica.fr [i] : Eos convoite Cephale. C’est une déesse. c’est la fille de Gaea, l’esprit de la Terre, et d’Hypérion (Titan, fils d’Ouranos, qui était l’esprit du Ciel). Fille d’une lignée d’esprits purs, il ne faut pas s’étonner si l’esprit évince le mortel dans sa personnalité. Sa sœur est Séléné, la Lune, et son frère est Hélios, Dieu de la Lumière, souvent confondu avec leur cousin Apollon. Elle est immortelle, elle garde sa beauté et sa jeunesse, ceci malgré d’innombrables grossesses mais ses pouvoirs divins sont très limités : elle a toute les peines du monde à réussir ses aventures de cœur.
Aurore est amoureuse de Cephale et elle conçoit un plan diabolique.
Elle glisse le venin de la jalousie dans la tête de Céphale, en lui insinuant que Procris n’est pas une épouse fidèle et que n’importe quel homme, avec un peu d’or, peut accéder à son corps (c’est le thème de la jalousie, repris par Shakespeare dans Othello). Confiant, Céphale promet à Eos de la rejoindre si sa femme le trahit. Pour tester la fidélité de son épouse, il la laisse le transformer en Ptéléon, séduisant jeune homme, qui fait une cour pressante à Procris, qui se refuse pourtant à ses avances. Mais un jour, celle-ci finit par céder devant les bijoux offerts par le persévérant Ptéléon qui, sous les yeux effrayés de Procris, redevient Céphale.
Céphale outragé chasse sa femme Procris qui est ulcérée d’un tel stratagème. Elle s’enfuit vivre dans la montagne loin de la compagnie des hommes pour se vouer à Artémis et à la chasse. Céphale, quant à lui, accepte d’être l’amant d’Eos.
Quelques temps plus tard, Céphale retrouve Procris et, plein de remords, la supplie de revenir. Mais Procris refuse et, pour le punir, devient la maîtresse du roi de Crête, Minos. Minos, grand libertin, avait tellement excédé sa femme Phasiphaé avec ses infidélités, qu’elle lui avait jeté un sort : il éjaculait serpents, scorpions et autres bêtes venimeuses, ce qui condamnait à une mort certaine, ses maîtresses. Procris lui trouva la parade avec, selon les versions un préservatif en vessie de chèvre ou une potion préparée par Circé. Pour la remercier, Minos lui offre à Procris les cadeaux qu’Artémis lui avait faits, à savoir Laelaps, le chien qui rattrape toujours sa proie et un javelot qui ne manquait jamais sa cible.
Après une nuit passée en toute sécurité avec Minos, Procris, de peur d’encourir la vengeance de Pasiphaé, se déguisa en garçon et s’enfuit. Forte de ces cadeaux, Procris entreprit de prouver que Céphale lui aussi pouvait être faible. ils se réconcilièrent mais Procris, minée par la jalousie, crut que Céphale rencontrait toujours secrètement Eos, alors qu’il ne faisait que chasser avec ses présents. Elle se cacha dans un fourré. Céphale, la prenant pour du gibier, la tua accidentellement car il détenait un javelot magique qui atteignait toujours son but. Banni pour ce meurtre, Céphale se réfugia chez Amphitryon, pour y être purifié.
Voici comment s’exprime Ovide, qui reprend à son compte les différents récits d’Homère, d’Hesiode, de Pausanias ou encore d’Apollodore, tout en inventant sa propre voie: « Ces récits et plusieurs autres, du jour ont rempli la durée. Le soir est donné à la joie bruyante des festins, et la nuit au repos du sommeil. Déjà le Soleil, à l’orient, était remonté sur son char. L’Eurus soufflait encore, et s’opposait au départ des Athéniens. Les deux fils de Pallas se rendent auprès de Céphale, et l’accompagnent chez le roi. Mais Morphée sur les yeux d’Éaque épaissit encore ses pavots. Phocus reçoit les députés d’Athènes, tandis que Télamon et son frère rassemblent les phalanges qui doivent s’embarquer. Le jeune prince conduit Céphale et les Pallantides dans l’intérieur du palais, et s’assied auprès d’eux. Il remarque dans la main de Céphale un javelot dont le bois lui est inconnu, et qui est armé d’une lame d’or. Après qu’on a parlé d’objets indifférents : « J’aime, dit-il, et la chasse et la solitude des forêts. Je ne sais cependant de quel bois est fait le javelot que vous portez. Le frêne est d’une couleur plus sombre, le cornouiller est plus noueux. J’ignore de quel arbre on l’a tiré; mais je n’en vis jamais de plus beau ».
« Vous en admirerez moins la beauté que l’usage, dit un des Pallantides. Il ne manque jamais le but; jamais le hasard ne le dirige; et de lui-même il revient sanglant dans la main qui l’a lancé ».
« Alors, plus curieux, Phocus demande d’où vient ce javelot; qui lui a donné tant de vertu; et quel est l’auteur d’un si rare présent. Céphale le satisfait; mais il rougit de dire à quel prix il obtint ce dard; et s’affligeant au souvenir de la mort de son épouse, ses yeux se remplissent de larmes, et il parle en ces mots :
« Qui le croirait ? ce javelot, ô fils d’une déesse, est la cause de mes pleurs, et m’en fera longtemps répandre, si longtemps le destin prolonge encore mes jours. Ce javelot a perdu Céphale et son épouse; et plût aux dieux que je n’eusse jamais reçu ce funeste présent ! Le nom d’Orythie, enlevée par Borée, est venu peut-être jusqu’à vous, Procris était sa sœur. Si l’on compare leur beauté, leur caractère, Procris était plus digne d’être enlevée. Érechthée, son père, m’unit à elle par l’hymen. L’amour nous unit par un plus fort lien. On me disait heureux : je l’étais sans doute; et je le serais encore, si les dieux l’avaient ainsi voulu.
« Le second mois s’écoulait depuis notre hyménée, lorsqu’un matin l’Aurore vermeille, chassant devant elle les ombres de la nuit, me voit tendre des toiles aux cerfs timides, sur le sommet toujours fleuri du mont Hymette, et malgré moi m’enlève sur son char. Qu’il me soit permis de le dire, sans offenser cette déesse, sa bouche ressemble à la rose du matin; elle tient l’empire riant qui sépare l’ombre et le jour; elle se nourrit de la céleste rosée : mais j’aimais Procris; Procris était dans mon cœur; le nom de Procris était toujours dans ma bouche. J’alléguais à l’Aurore, et la foi des serments, et l’amour de Procris, et ses derniers embrassements, et ceux qui m’attendaient à mon retour; et je plaignais de son lit la triste solitude. La déesse s’indigne : « Ingrat, s’écrire-t-elle, cesse tes plaintes, et retourne à Procris; mais si je lis dans l’avenir, tu voudras ne l’avoir pas revue ». Et, soudain, avec colère, elle me chasse de sa présence.
« Tandis que je reviens, je réfléchis sur les derniers mots de l’Aurore. Je commence à former des soupçons sur la foi de mon épouse : sa beauté, son jeune âge, les autorisent; sa vertu les défend. Mais cependant j’avais été absent; et la déesse, que je quittais, m’offrait elle-même un exemple peu rassurant. Hélas ! on craint tout quand on aime. Je me décide à faire mon malheur. Je veux tenter la fidélité de Procris par des présents. L’Aurore favorise ce désir insensé. Elle change mes traits; je le sens. J’arrive dans Athènes, sans être reconnu. J’entre dans mon palais. Tout y respirait l’innocence et la vertu. On y voyait le deuil profond de mon absence.
« Ce fut par mille artifices, que j’obtins d’être admis auprès de la fille d’Érechthée. À sa vue, interdit et confus, je voulus renoncer à mon dessein. Je fus tenté de me découvrir de tout avouer, et de l’embrasser. Elle était triste, mais jamais la tristesse ne parut avec tant de charmes. Elle n’était occupée que du désir de me revoir. Jugez, prince, quelle était sa beauté, puisque la douleur même en relevait l’éclat. Que vous dirai-je ? combien de fois sa pudeur s’effaroucha-t-elle de mes aveux ! combien de fois me dit-elle : « J’appartiens à un seul, en quelque lieu qu’il soit; c’est d’un seul que j’attends mon bonheur. » Quel mortel raisonnable n’eût été satisfait d’une telle épreuve ! Insensé ! je poursuis; j’aigris moi-même mes blessures. J’augmente mes offres, mes présents, et je promets tant, qu’à la fin elle me paraît incertaine, et je crois l’avoir vaincue : « Perfide, m’écriai-je, dans un amant déguisé reconnais un époux outragé, témoin de ton parjure. »
« Procris ne répond rien. La honte et le dépit semblent étouffer sa voix. Elle fuit un injuste époux, et ses indignes artifices. Irritée contre moi, détestant tous les hommes, elle errait sur les montagnes, et suivait les exercices de Diane. Son absence redouble la violence de mes premiers feux. J’implore mon pardon; je m’avoue coupable; je confesse que l’offre de tant de biens, de tant de trésors, m’eût fait moi-même succomber.
« Cet aveu désarme sa colère, et venge sa pudeur. Elle revient, et les années s’écoulent sans voir s’altérer notre bonheur. Et comme si c’eût été trop peu de se donner elle-même, elle me fait présent d’un chien que Diane a nourri. En le lui cédant, la déesse avait dit: « Aucun autre ne l’égalera dans sa course rapide ». Elle me donne en même temps ce javelot que je porte à la main.
« Si vous voulez apprendre ce qu’est devenu le chien de Diane, écoutez : vous serez sans doute étonnés de ce prodige.
« Le fils de Laïus avait pénétré du Sphynx l’énigme jusqu’alors impénétrable; et, renonçant à proposer ses oracles obscurs, le monstre s’était précipité du haut de son rocher. Thémis, voulant venger sa mort, envoya dans les champs thébains un nouveau monstre qui les remplit du carnage des troupeaux et des pasteurs. La jeunesse des environs s’assemble. Nous tendons au loin nos toiles. Mais le monstre agile les franchit d’un saut léger, et s’élance au-delà des barrières. On détache les limiers; ils courent : mais, plus prompt que l’oiseau, il fuit les trompe, et les évite.
« On demande à grands cris Lélape : c’est le nom du chien que m’a donné Procris. Déjà, le cou tendu, Lélape se débat dans les liens, qui l’arrêtent. Il est libre, il s’élance; on ne l’aperçoit plus. La poussière qu’il élève sur ses pas seule indique sa course. Nos yeux le cherchent, et ne le trouvent pas. Moins rapides sont et le dard que lance un bras nerveux, et la pierre qui s’échappe en grondant de la fronde agitée, et la flèche légère que de son arc le Crétois fait voler.
« Une colline s’élève au milieu de la plaine. Je monte sur son sommet, et là j’admire cette course merveilleuse. Tantôt le monstre rapide est au moment d’être pris; tantôt il paraît s’échapper à la dent de Lélape. Il fuit par cent détours. Il vole, et décrivant de vastes cercles dans la plaine, il trompe ainsi l’impétuosité de son ennemi. Lélape le presse, l’atteint, le touche, on dirait qu’il le tient : il ne tient rien; sa gueule s’ouvre pour le saisir, et ne mord que du vent.
« J’ai recours à mon javelot, et tandis que ma main s’apprête à le lancer au monstre, je détourne un moment les yeux; je les reporte ensuite dans la plaine. Mais, ô prodige ! je vois et le monstre et Lélape en marbre transformés. L’un semble fuir; on dirait que l’autre aboie. Sans doute un dieu, s’il est vrai qu’un dieu fut présent à ce combat, les jugeant tous deux égaux en adresse, en courage, ne voulut point décider entre eux la victoire. «
« Ainsi parle Céphale, et il se tait à ces mots. « Mais quel est, dit Phocus, le crime de ce javelot ? » L’Athénien répond : « C’est du sein de ma félicité même qu’est né mon malheur. Je vous entretiendrai d’abord de ces temps trop tôt écoulés, dont le souvenir me sera toujours cher; de ces temps où Procris était heureuse par moi, où j’étais heureux par elle. Nous avions les mêmes penchants, un même amour nous unissait tous deux. Elle m’eût préféré au puissant Jupiter. Vénus elle-même n’eût pu me rendre infidèle. Nos cœurs brûlaient de deux flammes égales.
« Dès que le Soleil dorait de ses premiers rayons le sommet des montagnes, j’allais chasser dans les forêts, mais seul, sans compagnons, sans coursiers et sans limiers, sans toiles et sans filets; j’étais assez fort de mon javelot. Quand le Soleil embrasait la terre de ses feux, las de carnage, je cherchais la fraîcheur et l’ombre; j’appelais les vents légers, qui, dans les vallons, tempèrent la chaleur du jour. J’implorais, j’attendais les Zéphyrs. C’était le délassement de mes travaux.
« Je chantais souvent, il m’en souvient encore : « Viens, sois-moi favorable, Aure, à la fraîche haleine; glisse-toi dans mon sein; apaise les feux dont je brûle; plusieurs fois je t’ai dû cette faveur ». Peut-être ajoutais-je encore d’autres paroles qui pouvaient paraître exprimer les désirs d’un amant. En effet, je disais souvent : « Aure, tu fais mes plus chères délices, tu me ranimes, tu me soutiens. Tu me fais aimer les bois et les lieux solitaires. Que par ma bouche soit toujours respirée ta douce et bienfaisante haleine ! »
« Un témoin indiscret entend ces paroles ambiguës. Il croit que ce nom d’Aure, que j’appelle tant de fois, est celui d’une Nymphe dont je suis épris. Sur ce faux indice d’un crime imaginaire, il va trouver mon épouse, et le téméraire lui rapporte les discours qu’il a surpris. L’amour est crédule. Procris pâlit, et tombe évanouie. Revenue enfin à elle-même, elle accuse son malheur, et le Destin cruel, et la foi de son époux. Elle s’afflige d’un crime supposé; elle craint ce qui n’est pas; elle s’effraie d’un nom qui n’a aucun objet réel. Infortunée ! elle gémit, comme si elle avait une rivale. Cependant, elle doute encore. Elle se flatte qu’on a pu la tromper. Elle refuse de croire au rapport qu’on lui a fait; et si elle ne voit elle-même l’infidélité de son époux, elle ne pourra le croire parjure.
« L’Aurore du lendemain avait chassé les ténèbres de la nuit. Je sors, je cours dans les forêts; et, me reposant sur l’herbe tendre des travaux de la chasse, je chante : « Aure aimable, viens me soulager. Fais-moi sentir ta douce haleine ! » À ces mots, je crois entendre je ne sais quels cris plaintifs : « Viens, ajouté-je, Aure, chère à mon coeur ! » Un bruit léger murmure encore dans le feuillage qui s’agite. Je ne doute point que ce ne soit une proie, et je lance mon dard inévitable… C’était Procris. Le dard s’était enfoncé dans son sein. Hélas! s’écria-t-elle. Je reconnais la voix de mon épouse. Éperdu, égaré, je vole auprès d’elle. Je la vois mortellement atteinte, et baignée dans son sang. Je la vois retirer de son sein ce javelot que j’avais reçu d’elle. Je soulève dans mes bras criminels ce corps qui m’est plus cher que le mien… Je déchire ses tissus, je ferme sa blessure; je veux arrêter son sang qui s’écoule avec sa vie. Je la presse de vivre. Je la conjure de ne pas me laisser coupable de sa mort.
« Mais déjà ses forces l’abandonnent; et, mourante, par un dernier effort elle m’adresse ces mots : « Au nom de notre hymen, par tous les dieux du ciel, et par ceux de l’éternelle nuit où je vais descendre, Céphale, si j’ai mérité quelque reconnaissance de toi, je te conjure par cet amour cause de mon trépas, par cet amour qui vit encore en moi lorsque je péris, que jamais Aure ne me remplace, et ne souille ma couche nuptiale ! »
« Elle dit, et je reconnais enfin qu’un vain nom a causé cette erreur si fatale. Je me justifie; mais, hélas ! de quoi sert cette tardive lumière ! Elle succombe, et ses forces épuisées se perdent avec son sang. Tant que ses yeux s’ouvrent encore au jour, elle les tient fixés sur moi. Elle exhale enfin sur mes lèvres son âme infortunée, et j’y reçois son dernier soupir. Mais, sûre que je vivais toujours pour elle, elle semble avec moins de douleur descendre chez les morts. »
« Le héros, en pleurant, racontait ainsi ses malheurs; et Phocus et les Pallantides pleuraient en l’écoutant. Cependant Éaque s’approche avec Télamon et Pélée, et les soldats qu’ils ont rassemblés. Céphale reçoit ces guerriers, et se prépare à les conduire au combat« .
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[i] Site de Mythologica,fr article Cephale.
[ii] Ovide – Les Métamorphoses – Livre VII Traduction (légèrement adaptée) de G.T. Villenave, Paris, 1806.
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