François 1er vint avec la cour passer les fêtes de Noël 1520 au château de Romorantin. Le 6 janvier 1521, le jour des rois, alors qu’il soupait au château, on vint lui apporter la nouvelle que le Comte de Saint-Pol, qui avait fait construire l’année précédente un bel hôtel de briques dans le centre de Romorantin, avait réuni une joyeuse compagnie dans son hôtel où il avait tiré les rois.
Il avait été désigné le roi de la fève.
François Ier de Bourbon, comte de Saint-Pol, duc d’Estouteville (1491-1545) Jean Clouet (1485-1540) Chantilly ; musée Condé Inventaire n° MN 61 ; 25 (Catalogue R.de Broglie) ; cote PD II (Ancien numéro d’inventaire) © Chantilly, musée Condé, © Service des musées de France, 2012Crédit photo © René-Gabriel Ojéda, Réunion des musées nationaux
Aussitôt, François 1er expédia son héraut d’armes pour défier ce roi qui lui faisait concurrence. Et François 1er, entouré de toute la joyeuse bande de courtisans sortit du Château de Romorantin pour se rendre au centre-ville où était l’Hôtel de Saint-Pol. L’hiver était rude cette année-là et des neiges abondantes avaient recouvert la campagne d’un épais manteau.
Les assiégeants étaient donc certains de ne pas manquer de munitions.
Façade de l’hôtel de la Chancellerie et angle de l’hôtel Saint-Pol à Romorantin – Crédit Photo Ministère de la culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, diffusion RMN-GP Deneux, Henri (Collection) 1925 n° phototype DNX07391 – Référence APDNX07391
Toute autre était la situation des assiégés : le comte de Saint-Pol fit réunir tout ce qui pouvait servir de projectiles : œufs, pommes, tandis que des volontaires sortirent de la maison pour ramasser autant de neige qu’ils le pouvaient.
Le roi et sa bande arrivèrent et commencèrent méthodiquement le siège sous les lazzis et les quolibets des défenseurs. Les boules de neige fusaient de tous les coins et le roi était particulièrement visé.
Le rapport de force était disproportionné car les attaquants avaient autant de munitions qu’ils le souhaitaient alors que les défenseurs vinrent rapidement au bout de leurs projectiles.
Hôtel Saint-Pol (ancien) ou maison dite de François 1er Façade sur rue Photographe Médéric Mieusement Phototype MH0002382 Crédit Photo Ministère de la Culture (France) – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine – diffusion RMN Référence APMH00002382
Aussitôt, la compagnie décida de lancer l’assaut en enfonçant la porte. Le roi bien entendu était au premier rang et on entendait déjà des cris de victoire chez les assaillants lorsque l’un des défenseurs jeta une bûche par la fenêtre, qui tomba sur le menton du roi qui levait la tête à ce moment-là, le laissant inanimé, comme mort.
Aussitôt, le chahut s’arrête et on s’empresse auprès de la victime pour tenter de la ranimer. Mais les efforts sont impuissants et l’on s’empresse alors de ramener le roi, toujours inanimé au château.
Louise de Savoie est informée. Elle fait prévenir en toute hâte les médecins de la cour et elle chasse tous les courtisans. Son fils est installé sur un lit tandis que les médecins lui coupent les cheveux à ras pour panser ses blessures.
Sa blessure au menton est recousue mais elle laisse une vilaine cicatrice.
Les médecins déploient tous leurs efforts, sans succès.
Les premiers bruits sinistres commencent à filtrer et certains ambassadeurs ne peuvent se retenir d’expédier des messagers annonçant l’accident survenu au roi.
Louise de Savoie se fait raconter l’algarade et cherche à établir le nom du coupable.
Enfin, François se réveille. Louise de Savoie commence à lui dire qu’elle fera châtier le coupable. Mais le roi, tout faible et dolent qu’il soit, refuse absolument que quiconque soit puni, faisant valoir qu’il est le seul responsable. Puis il retombe à nouveau dans le coma.
Louise de Savoie va rester à son chevet pendant plusieurs jours, comme vingt ans plus tôt, le 26 janvier 1501, le jour de la Conversion de Saint-Paul où un accident de cheval avait failli emporter son fils âgé de cinq ans.
Pendant ce temps, les médecins désespèrent car ils sont totalement impuissants. L’un d’entre eux laisse-t-il échapper des confidences ? Toujours est-il que le bruit de la mort du roi se répand en Artois, en Flandre et en Espagne, tous pays sous le contrôle de Charles Quint. Mais François 1er est solide et bientôt il revient à la vie.
François Ier Clouet François (vers 1515-1572) (d’après) N° d’inventaire PE 241 Crédit Photo Réunion des Musées Nationaux Chantilly, musée Condé
Comme le raconte Martin du Bellay, quand le bruit de sa mort ne se répand pas, ceux qui veulent moins mentir déclarent qu’il a perdu la vue. En fait personne ne connaît la situation exacte mais tout le monde suppute et cancane.
Le roi est informé de la situation. Il se met alors en scène et convoque tous les ambassadeurs auxquels il s’adresse faible et la tête bandée pour leur montrer qu’il est bien vivant.
A la suite de cet épisode, le roi s’étant complètement remis au bout de trois mois, il laisse pousser sa barbe pour cacher sa cicatrice. Toute la cour décide alors de se mettre à l’unisson et tous les hommes, en solidarité avec le roi décident de se faire couper les cheveux et de laisser pousser leur barbe.
François 1er Atelier de Jean Clouet 1524 Inventaire n°MN 1 ; 16 (Catalogue R.de Broglie) ; cote PD I Crédit photo © Chantilly, Musée Condé, © Direction des musées de France, 2007
Telle est du moins la belle légende née de l’anecdote. Certains disent en effet que, d’après les dessins de Mme de Boisy, réalisés entre 1516 et 1519, François 1er portait déjà la barbe à cette époque. Que l’anecdote soit vraie ou pas, la mode de la barbe dura plus d’un siècle chez les hommes.
Et le coupable, fut-il poursuivi ? Il est certain que non. D’ailleurs, on ignore toujours le nom de ce dernier. Du Bellay ne le cite pas. Des auteurs plus tardifs, sans doute beaucoup mieux informés que Martin Du Bellay, attribuèrent cette blessure au Comte de Montgommery, le père de celui qui tua accidentellement le roi Henri II dans un tournoi. Les deux accidents avaient des points communs et cela suffit apparemment pour suggérer l’idée d’une fatale destinée chez les Montgommery : une idée bien romantique et qui pourrait suggérer l’époque où elle a été formulée. .
Le Comte de Saint-Pol fut-il inquiété après cet épisode ?
Absolument pas. Il était l’un des plus sûrs piliers de la monarchie et le roi lui conserva toute son amitié. Il était le fils cadet de Marie de Luxembourg, la petite fille du Connétable de Saint-Pol qui fut décapité par Louis XI pour trahison. Son frère aîné était le duc de Bourbon-Vendôme : voir à ce sujet l’article Généalogie des Bourbons Vendôme. Son neveu, Antoine de Vendôme, épousa la fille de Marguerite de Navarre, la sœur du roi François 1er et il fut le père d’Henri IV. Un autre de ses neveux fut le premier Prince de Condé. Lui-même eut une carrière brillante.
Armé chevalier par Bayard à l’issue de la bataille de Marignan, il remplace Bonnivet blessé à la tête des troupes françaises faisant retraite, poursuivies par les impériaux du Connétable de Bourbon, passé du service de François 1er à celui de Charles Quint, lors de la campagne d’Italie de 1524. Il réussit à refaire passer les cols à l’armée. Il est capturé lors de la bataille de Pavie. En 1527, il reçoit le gouvernement du Dauphiné en succédant au Marquis de Saluces. Il épouse en 1534 Adrienne d’Estouteville, d’une très ancienne et très riche famille normande, élevée Duchesse d’Estouteville à cette occasion, par la grâce du roi, qui remerciait ainsi les sacrifices de cette famille et récompensait le mérite du Comte de Saint-Pol.
Quant à Louise de Savoie, il est certain que cet épisode lui rappela de douloureux souvenirs. On sait qu’elle était frappée par les présages et très superstitieuse. Un autre article de ce Blog évoque la signification de son Journal mystérieux qui raconte tous les épisodes de sa vie intervenus au mois de janvier, puis, tous ceux du mois de février, etc…[i] De nombreux épisodes heureux ou malheureux de sa vie furent rattachés à la fin de l’année et au mois de janvier : la mort du comte d’Angoulême, l’accident de cheval de François le 26 janvier, la mort de Louis XII et l’avènement de François 1er, son couronnement voulu pour la date anniversaire de sa chute de cheval, puis cette blessure intervenue chez le Comte de Saint-Pol…
Ne pensa-t-elle pas intensément à ce fameux jour de la Conversion de Saint-Paul, le 26 janvier 1501, lorsque son fils faillit mourir d’une chute de cheval en tombant sur la tête ? La convergence des signes (Saint-Paul et Saint-Pol) et le rétablissement de son fils durent lui faire accroire doublement que son fils était béni de Dieu.
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[i] Le journal a été « réécrit » par l’un des premiers éditeurs en replaçant dans une continuité chronologique chacun des épisodes du journal. C’est la version que nous connaissons aujourd’hui dans la plupart des éditions du XIXème circulant sur internet. On ne comprend évidemment pas en lisant le journal chronologique en quoi il est mystérieux : il faut en revenir à la version d’origine qui a suscité de nombreuses prises de parole. J’ai relayé quant à moi, dans ce Blog, celle de Chloé Pardonnaud, Maître de Conférence de l’Université de Rouen, qui, dans un article de 2008, pose la question de savoir si ce journal n’est pas en fait un projet allégorique pour mettre en lumière le destin incroyable de la famille d’Angoulême, favorisée par la Providence. Cette question des relations spéciales de la famille d’Angoulêrme avec la Providence est relayée par un autre article de ce Blog, celui de François de Moulins de Rochefort, auquel Louise de Savoie réclama une Vie de Sainte Madeleine, pour des raisons voisines.
[…] Caravaggio à l’Est de Milan, est emportée le 18 avril 1524, le château pris d’assaut et saccagé. La ville est massacrée et pillée. A la fin Avril, l’armée royale perd son plus fameux capitaine, le chevalier Bayard, Lieutenant général du royaume en Dauphiné, qui est surpris au cours d’une halte, à Rebec, notamment par les Bandes Noires, alors qu’il défendait les arrières de l’armée royale en retraite. Bonnivet, sous prétexte d’une blessure légère, confie alors le commandement de l’armée au comte de Saint-Pol, futur duc d’Estouteville (voir l’article sur ce Blog sur Romorantin ). […]