Semblançay fut le plus éminent représentant de cette bourgeoisie financière, titulaire d’offices publics, qui s’enrichit considérablement à la suite des Ordonnances de 1445 du roi Charles VII. Semblançay devait devenir le plus extraordinaire des Ministres des Finances de la monarchie, sans en avoir ni le titre ni les attributions. Il succomba par manque de transparence.
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La famille de Beaune s’enrichit à la suite des Ordonnances du roi Charles VII de 1445 qui permirent l’essor de cette grande bourgeoisie financière qui allait produire les générations de Jacques Cœur, de Briçonnet, de Jean Bourré et de Jacques de Beaune.
Guillaume Briçonnet (1445-1514), ministre de Charles VIII, cardinal en 1495 Couronne à Reims Louis XII en 1498. Album Louis-Philippe. Crédit photographique Photo (C) Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / image château de Versailles H 0,161 L 0,118 Cote cliché 11-509115 N° d’inventaire LP8.33.2 Fonds Estampes Versailles, Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
Jacques de Beaune est né vers 1465. Il était le fils d’un riche marchand et banquier de Tours que Louis XI avait donné comme argentier au dauphin Charles.
Jean de Beaune est en 1454 un fournisseur de la maison d’Angoulême. Dix ans plus tard, il est l’un des plus riches marchands de France. La raison ? Louis XI avait décidé de s’approprier une fraction du juteux commerce avec l’orient dont Venise détenait le monopole pour les épices et Florence et Lucques pour les soieries exportées sur Lyon.
Il décida, reprenant ainsi une vieille idée que Jacques Cœur avait inspirée à Charles VII, d’affecter annuellement cinq navires[i], officiellement pour le transport des pèlerins en terre sainte mais en réalité pour participer au juteux trafic des épices en concurrençant Venise. Les commanditaires marchands de ces expéditions étaient : Geoffroy le Cyvrier à Montpellier, Jean de Cambrai à Lyon, Nicolas Arnoul à Paris, Jean Plat à Bruges et Jean de Beaune à Tours. Mais les Vénitiens réagirent promptement et ils boycottèrent la ville d’Aigues Mortes au profit de Lyon, obligeant Louis XI à faire machine arrière.
Portrait de Jacques Coeur (vers 1395-1456), surintendant des Finances du Roi Charles VII en 1450 Grignon Jacques dit le vieux (vers1640-après 1698) Crédit photographique Photo (C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Droits réservés H 0,320 L 0,210 Cote Cliché 75-000085 N° d’inventaire invgravures2073 Fonds Estampes Versailles, Musée National des châteaux de Versailles et de Trianon
Il essaya alors de concurrencer Florence dans le commerce de la soie, et il fait venir à Lyon une équipe d’ouvriers de la soie. Mais la corporation italienne de Lyon réussit à les en chasser et ces derniers sont alors affectés à Tours ou Jean de Beaune fournit ses premières soieries écrues en 1470 à cette équipe d’artisans.
Jean de Beaune devient alors l’un des argentiers auxquels le roi Louis XI et le duc de Bretagne font le plus appel. Il marie ses neuf enfants (trois fils et six filles) avec la grande bourgeoisie financière de Bourges et de Tours : l’ainée, Marie, a épousé en 1460 Jean Quetier, un riche marchand de Tours, Raoulette et Catherine ont épousé les frères Guillaume et Jean Briçonnet et les autres sœurs ont fait de plus petits mariages mais toujours avec des marchands de Tours ou de Loudun.
A la fin 1485, Jean de Beaune meurt, suivi de près par sa femme, Jeanne, en janvier 1486. Le partage du testament entre les enfants survivants, ouvert un an plus tard, le 7 janvier 1487, montre un actif de 22 000 livres. Guillaume, le fils aîné, qui est général des finances de Provence et du Dauphiné depuis 1480, hérite du plus beau lot (les propriétés en Vendômois pour 4800 livres). Jacques, le fils cadet récupère lui, l’hôtel de Tours.
Les Beaune sont en pleine faveur : la Régente de France, Anne de Beaujeu n’a pas dédaigné être marraine de la fille de Jean Quetier en 1483.
Anne de Beaujeu Détail du triptyque de la Cathédrale de Moulins par Jean Hey dit Le Maître de Moulins (actif vers 1480-1500).
Jacques a épousé le 17 juin 1482, Jeanne Ruzé, de deux ans plus âgée que lui, et dont la famille fait partie de l’élite bourgeoise tourangelle, avec les Beaune, les Briçonnet et les Berthelot. Il commence sa carrière comme marchand et il est fournisseur des Maisons d’Orléans (futur Louis XII), d’Angoulême (Charles d’Angoulême le père de François 1er) et de la Trémouille. Associé à Jean Briçonnet, il est également fournisseur du roi Charles VIII entre 1490 et 1492.
Trésorier d’Anne de Bretagne
Le mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne est le début de l’ascension de Jacques de Beaune. Première fortune de Tours et depuis longtemps en relation d’affaires avec la Bretagne, Jacques de Beaune devient le Trésorier Général de la duchesse après son mariage, en 1491. De 1492 à 1498, la Bretagne est administrée par le roi Charles VIII et Jacques de Beaune dépend de la Chambre des Comptes de Paris. Il accompagne la reine dans tous ses déplacements et il jouit de sa confiance.
Anne de Bretagne Enluminure de Jean Bourdichon (1457-1521) Gallica BNF Manuscrits Latins 9474 BNF.
Il remplaçe en décembre 1495, Pierre Briçonnet[ii], le frère de son beau-frère Guillaume, comme général des finances du Languedoc, la seconde des quatre généralités de France derrière la généralité de Langue d’oïl. Il abandonne la gestion des affaires de la reine à son fils aîné Jacques. A la Généralité de Langue d’Oc vient alors s’ajouter le Forez et le Beaujolais.
Il entre ainsi dans une corporation de huit dignitaires qui administrent les finances du royaume. Les Finances sont alors dites « ordinaires » ou « extraordinaires ». Les finances « ordinaires » sont les recettes du Domaine royal. Les recettes « extraordinaires » comprennent les impôts directs ou de répartition comme la taille ou la gabelle (taxe sur le sel) et les aides (impôts indirects sur la consommation de telle ou telle denrée).
Les ressources ordinaires sont gérées par les Trésoriers de France. Les ressources extraordinaires le sont par les Généraux des Finances. Il y a quatre Généralités en France : Langue d’Oïl-Guyenne, Normandie, Outre-Seine-Picardie et Langue d’Oc, subdivisées en baillages (ou sénéchaussées) et vicomtés (pour les villes). Les Généraux des Finances ne sont pas comptables : ils sont ordonnateurs : ils reçoivent chaque année des officiers royaux des subdivisions déconcentrées, l’assiette de la taille, du sel et des aides et il leur expédie en retour le relevé de toutes les sommes qu’ils auront à payer au cours de l’année.
Les huit Généraux et Trésoriers forment le Conseil des Finances. Rien ne peut se payer en France, sans l’approbation du Trésorier ou du Général dans leurs zones respectives de compétences.
En 1498, au moment de la mort de Charles VIII, Jacques de Beaune est à Paris et Louis XII le confirme dans son poste de Général de Langue d’Oc et lui ajoute la responsabilité des finances extraordinaires de Provence et du Dauphiné.
Louis XII Jean Perréal, 1514 © Windsor, collections de S.M. la Reine d’Angleterre. Royal Collection Trust / © Her Majesty Queen Elizabeth II 2014
Louis XII reconnait en 1509 « les bons services que lui a faits Semblançay », l’anoblit[iii] avec le titre de Chevalier et lui donne une gratification spéciale de 1812 livres qui s’ajoute à sa pension de 1200 livres par an et à ses gages de 2940 livres par an. Avec plus de 4000 livres par an, Semblançay peut vivre sur un grand pied.
Pierre Briçonnet Général de Langue d’Oïl meurt au service du roi à Lyon le 17 avril 1509 et Louis XII décide de le remplacer par Jacques de Beaune qui devient alors le doyen du collège des Généraux car la Langue d’Oïl est la Grande charge par une tradition qui remonte à Charles V.
Jacques de Beaune a cependant continué de suivre attentivement depuis 1495, l’évolution du domaine d’Anne de Bretagne avec laquelle il reste en étroit contact, malgré la désignation de son fils pour le remplacer. En 1502, la Reine avait désigné ce dernier, avec l’accord du Pape, pour l’élection à l’Evêché de Vannes. Il avait donc dû laisser son poste de Trésorier d’Anne de Bretagne à son beau-frère, Raoul Hurault, qui avait épousé sa sœur Marie.
Raoul Hurault restera six ans Trésorier d’Anne de Bretagne avant de céder la charge, à son tour à Guillaume de Beaune, le second fils de Jacques de Beaune qui montre bien qu’à cette époque, il est le véritable homme fort de cette famille de Gens de Finance.
Trésorier de Louise de Savoie
En 1508, Jacques de Beaune avait trouvé l’occasion d’être agréable à Louise de Savoie en lui cédant les droits de sa famille sur un litige concernant les seigneuries d’Aunay, de Matha et de Maulevrier en Saintonge.
La fortune de Jacques de Beaune s’est constituée par des activités de banque, venues soutenir ses activités de Général des Finances. Il a une véritable maison de banque où se négocient les décharges qui sont de simples billets à ordre tirés sur les receveurs particuliers. Il paie comptant aux porteurs dont il fournit quittance aux receveurs généraux et il recouvre à ses risques. Son bénéfice est le denier douze (100/12=8,25%) que le porteur abandonne volontiers pour s’économiser des déplacements, plus coûteux encore. Il est également banquier de riches particuliers dont il encaisse les revenus et auxquels il prête de fortes sommes.
A la fin de 1514, Jacques de Beaune est le Général des Finances et, en théorie, le Président du Conseil des Finances mais il n’a plus guère d’autorité en réalité, depuis la mort d’Anne de Bretagne, sa bienfaitrice. Il lui faut trouver un nouveau protecteur. Ce sera Louise de Savoie, qui accroîtra encore sa fortune privée et lui fera connaître les honneurs les plus élevés.
Louise de Savoie lui confie d’abord la gestion de son douaire avec le titre de Général de ses Finances, puis celui de sa belle-fille Claude de France, qu’Anne de Bretagne lui avait confiée avant sa mort. Dès lors, Jacques de Beaune ne va plus quitter Louise de Savoie, en sa double qualité de princesse et de Régente du Royaume. Le 9 décembre 1515, Louise de Savoie offre à Jacques de Beaune la Baronnie de Semblançay et Jacques de Beaune devra porter le nom de sa nouvelle terre.
Photo provenant du site France Ballades
Fin juillet 1516, il prête serment à Louise de Savoie pour sa baronnie de Semblançay et il se retire de sa charge de Général de Langue d’Oïl qu’il confie à son fils Guillaume et il devient enfin Gouverneur et Bailli de Touraine. Mais il continue d’administrer la Grande Charge, source de sa fortune de Banquier, sous le nom de son fils.
Photo provenant du site France Ballades
A partir de cette date, Semblançay devient également le Général des Finances particulières du Roi, l’homme de confiance à qui l’on réclame des subsides, que sa fortune importante, ses activités de banquier, son gigantesque réseau relationnel, lui permettent d’obtenir avec la garantie de l’Etat. C’est le particulier au secours de l’Etat, qui va s’appuyer sur l’oligarchie financière dont il est le plus éminent représentant pour donner au roi les subsides dont il a besoin.
Car même si Guillaume de Beaune est Général des Finances de Langue d’Oïl, il ne compte pas aux yeux de ses pairs qui sont tous parents à un degré plus ou moins important soit de Jacques de Beaune lui-même, soit entre eux. C’est un véritable groupe d’intérêts coordonnés par Semblançay qui se met ainsi au service de la monarchie.
Financier du roi
Grâce à ces relais, Jacques de Beaune, Baron de Semblançay, va pourvoir à toutes les demandes financières du roi pendant sept ans jusqu’à 1522. Le roi l’appelle « Mon père » et Louise de Savoie le considère avec l’amitié du Prince pour le plus fidèle serviteur de la monarchie.
Portrait de François 1er Atelier de Jean Clouet H 0,216 L 0,168 Copyright Notice © Musée du Louvre, © Direction des Musées de France, 1999 N° d’Inventaire MI 832 Crédit Photographique © Hervé Lewandowski Réunion des musées nationaux Paris Musée du Louvre Département des Peintures
En 1521, la guerre est partout, en France et en Italie. Semblançay fait parvenir en trois mois 364 000 livres à l’armée d’Italie d’avril à juillet 1521 mais sur ce montant, Lautrec n’en encaisse effectivement que 200 000, ce qui met la puce à l’oreille de la régente qui adresse le 1er novembre 1521, à Robertet, le vieux secrétaire d’Etat de la monarchie depuis plus de 40 ans, une lettre dans laquelle elle fait part de ses doutes en s’interrogeant sur le montant qui revient vraiment à son destinataire des sommes expédiées.
Semblançay se déclare incapable fin octobre 1521 de pourvoir aux 240 000 livres réclamées pour novembre. La position de sa Banque est devenue précaire. Tous ses dépôts ont été utilisés, il n’a plus aucune trésorerie et sa survie financière à court terme dépend de ses emprunts. Or le prêt à intérêts est prohibé et il ne lui est pas possible d’attirer les capitaux privés. Il a donc besoin de recevoir une prompte décharge de tous les capitaux avancés pour la Couronne, qui lui permettrait de renouveler ses lignes de crédit en présentant une garantie solide.
Le problème, c’est que depuis sa prise de fonction en 1515, il n’a procédé à aucun arrêté de compte auprès du roi et de sa mère qui ne sont donc pas du tout au courant des arbitrages qu’il a dû prendre pour honorer chaque année les énormes besoins financiers du roi.
Pourtant le roi lui avait écrit le 27 août 1521, une lettre réconfortante lui indiquant en substance : « ne vous souciez de rien, car je vous satisferai et garantirai de toutes choses ».
Portrait de Louise de Savoie Mère de François 1er Sanguine H 0,290 L. 0,205 Inventaire Numéro d’Inventaire INV 33461, recto Copyright Notice © musée du Louvre département des Arts graphiques, © Direction des Musées de France, 1998 Crédit Photographique © Réunion des musées nationaux Paris Musée du Louvre Département des Arts Graphiques
Semblançay veut alors mettre des conditions à la poursuite de son concours. La Régente lui réclame une lettre qu’elle fera parvenir à son fils « afin que vous et moi parlions le même langage ».
Il veut une garantie du roi pour tous les emprunts souscrits au cours des trois derniers mois. Le 16 octobre, Babou de la Bourdaisière[iv], un contrôleur financier au service de la Régente lui porte un message du roi dans lequel ce dernier, à la prière de sa mère, s’engage à payer ces dettes par priorité à toutes les autres. Mais Semblançay n’est pas satisfait car ce billet n’évoque pas les 587 000 livres que Semblançay aurait avancées au Roi.
Le roi accepte alors de refondre cette garantie pour l’ensemble des 587 000 livres et des emprunts souscrits depuis trois mois, sur la base de quoi, Semblançay peut alors débloquer 240 000 livres.
Semblançay doit alors d’urgence établir la situation de ses créances et de ses dettes. Ses prêts antérieurs à 1521 se montent à 587 000 livres, dont il a reçu la garantie du roi. Ses emprunts sur les trois derniers mois se montent à 240 000 livres dont il a reçu la garantie du roi. Il lui faut cependant recouvrer une somme de 107 000 livres pour reconstituer l’épargne de Madame la Régente dont il a utilisé la trésorerie en début d’année. Quant aux 300 000 écus de Naples[v], ils étaient considérés comme sous la garde de Semblançay, qui n’avait plus d’autre ressource que de réclamer le montant global de ses créances car inévitablement, la perte de 300 000 écus aurait entraîné sa banqueroute.
Méfiance du roi et de sa mère
Il réclame donc, le 28 février 1522, un montant de 1 575 000 livres en règlement à François 1er. Le tort de Semblançay est alors de ne pas expliquer comment se compose cette créance : son manque de transparence causera sa perte. Car ni le roi ni la Régente ne comprennent les affaires de Finances et Semblançay n’ayant pas rendu de comptes annuels, devra dresser en un seul arrêté les séquences de créances et de dettes depuis sept ans.
Telle est l’interprétation d’Alfred Spont dans sa thèse sur Semblançay.
Thèse Alfred SPONT Semblancay ( ? -1527) – La Bourgeoisie Financière au XVIème siècle Paris Hachette 1895 Livre téléchargé sur GALLICA – BNF
On pourra objecter que cette thèse est un peu ingénue car sur quoi porte le litige ? Sur 300 000 écus soit une somme énorme ! Comment penser qu’un financier de la classe de Semblançay ne pense pas plus tôt à se couvrir de ces sommes pour assurer l’équilibre de son bilan ?
Car si le roi et la régente n’y connaissaient sans doute pas grand-chose en matière de Finances il n’en allait pas de même pour Semblançay et sa petite coterie de financiers de haut vol, qui étaient de véritables experts, dont l’intelligence en ces matières permet à tous de s’enrichir considérablement, même après quelques années seulement de service dans leurs charges respectives.
Il y a tout lieu de penser que le système de Banque privée adossé à chacune des généralités n’était pas propre qu’à Semblançay mais était un contraire un système commun à tous les financiers, système qui présentait des risques et qui pouvait de temps à autre générer des impayés ou des créances douteuses, voire irrécouvrables. Comme ces financiers considéraient leur propre caisse et celle de la Couronne comme une seule et même caisse, la gestion en flux de Trésorerie sans arrêté annuel pouvait aboutir à de tels constats sans même que l’on ne réussisse à démontrer de véritable détournement de fonds.
Quoiqu’il en soit, le roi reçoit le mémorandum de son financier et lui en accuse réception sans réagir dans l’immédiat. En avril 1522, alors que la perte de Milan est déjà connue, François 1er s’adresse à Semblançay en termes très chaleureux et les financiers Lyonnais peuvent obtenir du roi des garanties équivalentes à celles obtenues par Semblançay, ce qui leur permet de rouvrir leurs coffres.
Semblançay fut sans doute au moins partiellement à l’origine des ventes d’Offices qui devinrent sous François 1er l’un des modes de financement les plus habituels. Car il recouvrira par ce moyen les cent mille écus avancés pour le duc d’Albany que le roi lui avait demandés d’expédier. A cette époque, une charge de Conseiller au Parlement se négociait entre 2 000 et 2 500 écus : c’est donc une cinquantaine de charges qu’il fallait écouler pour récupérer cette somme et les coûts engendrés par la vente.
Mais les demandes pressantes du roi deviennent de plus en plus difficiles à satisfaire. Lautrec de son côté, dès son retour d’Italie, fut affecté par la Régente à « l’enfournement » de son procès avec le Connétable de Bourbon, preuve que sa confiance en Lautrec n’avait pas été affectée par la perte du duché de Milan.
Le 18 juin 1522, le roi est exaspéré contre les gens de finances qui lui donnent des informations erronées. Il déclare qu’il compte « donner tel ordre au fait des Finances qu’il n’en sera plus ainsi trompé ». Pourtant sa colère n’est pas dirigée contre Semblançay qui conserve apparemment toute sa confiance.
Mais Semblançay mécontente le roi directement lorsqu’il refuse le règlement d’une nouvelle avance au duc d’Albany sans le remboursement préalable d’une créance de 70 000 livres. Le roi s’emporte et lui rappelle qu’il reste entre ses mains les 300 000 écus de Naples et d’autres choses encore. Si Semblançay ne s’exécute pas, le roi l’informe de son intention de s’en prendre à sa personne de sorte qu’il donnera à comprendre à ses services « qu’il ne veuille plus être trompé« .
Semblançay obtempère et le roi se calme rapidement ou paraît se calmer.
Car le Roi et la Régente sont persuadés « d’avoir été trompés depuis deux ans sur leurs finances et qu’ils n’en ont point eu la certitude ni la connaissance qu’ils auraient dû en avoir ». Ils ont en effet constaté à plusieurs reprises, que les sommes reçues ne correspondent pas aux sommes envoyées. Ils souhaitent donc se rendre indépendants des financiers en constituant une réserve métallique qui serait confiée à un responsable unique[vi] et non plus à un ordonnateur comme Semblançay.
Désormais, Semblançay passe de la réserve affichée à la méfiance ouverte : lorsque le troisième quartier de la taille est versé, Louise de Savoie interdit au Général d’Outre-Seine de payer à Semblançay la part qui lui revient (12 375 livres) parce qu’il y a des opérations plus urgentes que le remboursement de Semblançay. Le 2 novembre 1523, le commis de Semblançay, Prévost étant informé qu’on voulait faire de gros emprunts sur ce dernier s’entend avec lui pour forger un bordereau de prêts imaginaires ce qui permet à Semblançay de se soustraire à de nouvelles obligations.
Début décembre 1523, le roi lui demande de dresser l’état des comptes de Madame et exige qu’il fasse figurer les 300 000 écus de Naples dans l’état. Semblançay s’exécute alors et dresse l’état de Madame comme une « recette » de 761 000 livres et une dépense de 53 000. Il devrait revenir à Madame une somme de 708 000 livres mais ces sommes ont été remises aux trésoriers de l’extraordinaire. Dès qu’il obtiendra les remboursements, il pourra verser les fonds entre les mains de Madame…
La chute
Le 28 décembre 1523, la chute de Semblançay est consommée. Le nouveau Trésorier de l’épargne, Babou de la Bourdaisière voit ses pouvoirs étendus de sorte qu’il supplante ceux des Généraux des Finances.
Photo provenant du site France Ballades
Dès lors, le Roi et sa mère vont poursuivre les financiers en cherchant à abattre le premier d’entre eux, Semblançay. On lui fait d’abord le reproche d’avoir racheté pour 80 000 écus la ville de L’Aigle en Normandie au Sire de Penthièvre qui était passé avec le Connétable de Bourbon au service de Charles Quint.
Le 15 avril 1524, Babou de la Bourdaisière est nommé Général des Finances de Madame, en remplacement de Semblançay.
Louise de Savoie lance alors dans son journal un véritable cri du cœur : « L’an 1515,1516, 1517, 1518, 1519, 1520, 1521 et 1522, sans y pouvoir donner provision, nous fûmes continuellement dérobés par gens de finance ». Elle va donc réclamer avec François 1er une reddition des comptes depuis 1515.
La reddition des comptes de 1524
Le 11 mars 1524, les commissaires sont nommés : deux commissaires sont désignés par le Parlement et deux par la chambre des Comptes. Le moins compétent est Jean Salat de la Chambre des Comptes et le plus compétent est Charles Guillard, Président au Parlement de Paris qui tiendra trois ans plus tard lors du Lit de Justice des 24 au 27 juillet 1527, un discours si retentissant devant le roi[vii].
Le 29 avril, Semblançay reçoit l’injonction de se présenter au Conseil du roi. Le 2 mai, il récuse trois des commissaires désignés : Guillaume Badouiller parce qu’il est son ennemi personnel, Jean Salat parce qu’il est le beau-père de Babou de la Bourdaisière et Guillaume Tertereau parce qu’il a sollicité, poursuivi ou défendu de concert avec les fondés de pouvoir de Madame.
On lui répond qu’il devra accepter la Commission en l’état. Le roi lui réclame d’envoyer à Blois dans les trois semaines, les états des finances qui sont entre ses mains. A défaut il sera incarcéré à la Conciergerie du Palais à Paris.
La séance s’ouvre aux Montilz le 6 juin 1524. Semblançay récuse une nouvelle fois les Commissaires. Il lui est répondu qu’il n’est pas là pour être jugé mais pour présenter ses comptes. Il rétorque alors qu’il n’est pas comptable de l’Etat.
Il remet le lendemain un seul état présenté au nom du roi et de Madame en précisant que la volonté du roi et de Madame ne faisaient qu’un. Semblançay est interrogé de près par les Commissaires qui veulent impérativement lui faire présenter deux comptes séparés l’un de la Régente et l’autre du Roi. Mais Semblançay tient bon jusqu’au bout et, pour finir il en appelle à la bonne foi de la Régente qui, tout en précisant le 10 juillet que les deux bourses sont séparées, reconnaît qu’elles sont communes et qu’elle a bien donné des ordres à Semblançay. Elle n’a cependant pas précisé leur affectation et Semblançay aurait dû lui indiquer quelle utilisation il comptait en faire.
La différence des positions se résume finalement à la question des 300 000 écus de Naples que Semblançay intègre dans les dépenses pour le roi alors que Louise de Savoie prétend qu’ils n’y entrent pas. A quoi Semblançay lui répond : faites-vous rembourser par le roi et je vous règlerai.
Le 27 janvier 1525, le jugement est rendu. Il reconnaît la véracité des pièces produites par Semblançay sauf sur un point : l’argent de Naples doit être porté au compte de Madame, qui doit l’en faire acquitter.
Le roi est reconnu débiteur de 911 348 livres et Madame est reconnue créancière de 107 267 livres et des trois cent mille écus de Naples.
Toute cette procédure n’a finalement confirmé aucune des préventions du roi ni de sa mère et d’ailleurs, le procureur désigné par Louise de Savoie fera appel de la sentence. On reproche essentiellement à Semblançay d’avoir confondu les deux patrimoines de Louise de Savoie et de la Couronne même si des instructions semblent avoir été effectivement données par Louise de Savoie d’agir en ce sens. En fait ce qui est réellement reproché à Semblançay c’est de ne pas avoir été suffisamment transparent envers ses donneurs d’ordres.
Implicitement cependant, le tribunal reconnaît qu’il manque 300 000 écus puisque cette somme ne figure pas dans les dettes du roi et que Semblançay doit s’en acquitter auprès de Louise de Savoie. Il reconnaît également qu’il doit payer 107 000 livres à Louise de Savoie.
Mais Semblançay ressort globalement acquitté de ce procès puisque le jugement rendu n’impose pas à Semblançay de régler ces sommes à Louise de Savoie en préalable des sommes que lui doit la Couronne et dont une grosse partie a été garantie par le roi[viii].
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[i] En 1464, le roi remplace les quatre galéasses de Jacques Cœur (l’une avait été vendue et les trois autres étaient désemparées) par quatre nouvelles galéasses : le Saint-Martin, le Saint-Nicolas, le Saint-Louis et la Sainte-Marie. Chaque année, ces galéasses quittent Aigues Mortes pour Rhodes, d’où elles rallieront Alexandrie via Jaffa et Beyrouth. Le but apparent du voyage est le transport des pèlerins à Sainte Catherine du Mont Sion.
[ii] Il était le beau-frère de Guillaume Briçonnet qui avait épousé Raoulette de Beaune, la sœur de Jacques : Guillaume Briçonnet avait revêtu la robe à la mort de sa femme et il était devenu Evêque. Il devint plus tard cardinal et Charles VIII lui confia la haute main, la « surintendance ? » sur les Finances de la Couronne. Pierre Briçonnet avait quitté la Généralité de Langue d’Oc, pour prendre celle de Langue d’Oïl, où il remplaça Denis de Bidaut élevé à la Présidence de la Chambre des Comptes.
[iii] Il fut anobli le jour d’Agnadel car Jacques de Beaune avait accompagné le roi en Italie. Son neveu, Thomas Bohier, l’avait été deux ans auparavant, en vue de Gênes, lors de la reprise de cette ville par Louis XII.
[iv] Babou de la Bourdaisière fut d’abord Grenetier du roi à Bourges en 1504, argentier du roi Louis XII en 1510, puis Trésorier de France (Ressources du domaine royal) en 1520, et il était également commis au maniement des fonds de l’extraordinaire des guerres au moment de sa nomination au Trésor de l’Epargne.
[v] Il s’agissait de versements de trois fois cent mille écus réalisés par Charles Quint pour le rachat des droits de François 1er sur Naples. François 1er avait cherché à sécuriser cette épargne en la confiant à Madame. Cette dernière avait autorisé Semblançay à puiser dans ses fonds personnels lorsque ceux de la Couronne étaient insuffisants. Par cette autorisation, Semblançay s’était pensé autorisé à considérer les fonds personnels de la Régente et ceux du roi comme une seule et même caisse. Mais la Régente n’avait jamais donné l’autorisation de puiser sur l’épargne des 300 000 écus. De sorte que le roi et elle étaient convaincus que cette épargne était toujours disponible alors qu’elle avait été utilisée depuis longtemps sans que Semblançay n’attire l’attention du roi ou n’obtienne de lettre de garantie. De fait, Semblançay se trouvait engagé envers la Couronne ou Louise de Savoie à hauteur de 300 000 écus !
[vi] Point de départ de l’administration du Trésor
[vii] Voir sur ce sujet l’article dans ce Blog sur le lit de Justice de 1527.
[viii] Cet article a été rédigé à partir de la Thèse d’Alfred SPONT Semblancay ( ? -1527) – La Bourgeoisie Financière au XVIème siècle Paris Hachette 1895 Livre téléchargé sur GALLICA – BNF et à partir de l’article Louise de Savoie et Semblançay Paulin Paris Revue Historique Tome 18 fasc. 1 (1882), article téléchargé sur Jstor.
[…] Que l’on a vu, voir l’article sur ce même Blog sur « les Gens de Finances : Semblançay et la bourgeoisie financière » : Jean Salat était l’un des quatre commissaires chargés de vérifier la reddition des […]