On sait que Louise de Savoie était très superstitieuse. Son journal commence par des dates de naissance précises des principaux protagonistes de son époque comme si on avait voulu dresser leur horoscope. Et elle continue d’égrener les nouveaux personnages tout en appuyant sur leurs date de naissance avec une précision chirurgicale jusqu’à parler de l’accident survenu à François son fils, en 1501, tombé d’une haquenée que lui avait offert le maréchal de Gié. On pense que les mémoires vont s’engager et on apprend la mort, le 24 octobre 1502 de son petit chien Hapeguai…

Louise de Savoie Ch.Beauregard ?
Le « Journal » de Louis de Savoie: une énigme depuis 500 ans
Le « Journal » de Louise de Savoie recouvre des événements survenus entre les années 1459 et 1523. D’après Chloé Pardonnaud[i], le terme « journal » serait apparu dans la première édition de ce texte, celle de Samuel Guichenon en 1660[ii].
Le journal, ainsi qualifié, échappe à toutes les classifications du genre.
Il est en effet ordonné sans « aucune continuité chronologique ni cohérence narrative, ni souci de qualité littéraire. Il est divisé en douze rubriques : la première regroupe tous les événements survenus en janvier, la seconde, tous ceux survenus en février, etc… A l’intérieur de ces rubriques, les faits sont globalement classés dans l’ordre chronologique, couvrant une période de quatorze années de 1508 à octobre 1523»[iii].
D’après l’auteur de l’article, le premier auteur à avoir formulé l’hypothèse que l’écriture de ce journal aurait débuté à partir de 1515, est Henri Hauser[iv] : Louise aurait noté, au bas du calendrier de son livre d’heures, les dates de certains événements. En 1522, elle aurait dicté ses notes à un secrétaire qui les aurait réparties entre douze cahiers[v] en fonction du mois où s’étaient produits les faits.
Henri Hauser a rappelé en 1904, que le texte que nous pouvons lire aujourd’hui du « Journal de Louise de Savoie » est celui qui résulte du reclassement effectué par les premiers éditeurs, qui « déroutés par l’étrange collection de faits consignés par la régente, ont démantelé le texte original pour le remettre dans un ordre chronologique ».
Certes, les mémoires que nous pouvons lire aujourd’hui sont intéressants, malgré leur caractère sec et impersonnel, par ce qu’ils portent la signature de Louise de Savoie. Mais combien plus mystérieux sont les cahiers d’origine, organisés comme l’horloge de Sapience[vi] en douze mois, soulignant que ce qui est important, ce n’est pas le fait, mais le mois au cours duquel les faits sont consignés.
L’orloge de sapience. – Paris : Anthoine Vérard, 1493 – Auteur Suso, Heinrich von Berg Réserve des Livres rares Vélins 359 – Folio N3V – BNF
Les inexactitudes orientées du journal
Et c’est justement ce qui a interpellé Chloé Pardonnaud. Quelles sont les motifs qui inspirent cette organisation singulière ? Car elle note en outre de curieuses inexactitudes du Journal alors que Louise, par les lettres qu’elle a laissées, connaissait bien la date exacte. Elle note également que Louise effectue plusieurs retours en arrière, qui, tous, se passent entre décembre 1518 et 1519, l’année des Elections impériales. Louise donne peu de détails sur les évènements qu’elle relate : « à l’évidence, si elle réduit à mémoire plusieurs choses, ce n’est pas simplement pour en garder la mémoire ».
Maximilien 1er, Empereur (1459-1519) du Saint Empire Romain Germanique, par Albrecht Dürer (1471-1528) daté 1519 Huile sur bois H 0,740 m L 0,615 n° d’Inventaire GG 825 Kunsthistorisches Museum Vienne.
Henri Hauser, suivi par Myra Orth[vii], suppose que ce sont des préoccupations astrologiques qui ont présidé à la rédaction de ce texte. En effet « la précision des dates à l’heure près, fournissait une matière toute préparée pour les tireurs d’horoscopes »[viii]. L’auteur souligne que si des événements néfastes surviennent à une certaine date du mois, des événements bénéfiques surviennent aux mêmes dates pour les compenser et au-delà.
Mary Holban et Mary Beth Winn[ix], suggèrent que le père des Moulins[x] n’est pas étranger à la redaction du Journal de Louise de Savoie, et qu’il y aurait au moins collaboré.
Mary Holban a cependant émis un doute sur une interprétation centrée uniquement sur l’astrologie car cette explication n’est valable que pour les onze dates figurant en tête des rubriques mensuelles.
Chloe Pardonnaud retient certaines observations de Mary Holban tout en tirant sa propre conclusion : « s’il paraît certain que le Journal est l’œuvre d’un esprit superstitieux qui cherche à établir des liens mystérieux entre les faits, en revanche, il ne semble absolument pas sûr que c’était un support destiné à être examiné par des astrologues».
S’agit-il vraiment de Mémoires historiques ?
L’auteur a été impressionnée dans son analyse par une hypothèse empruntée à Marc Fumaroli[xi] selon laquelle Louise de Savoie se « serait enracinée dans la conviction d’avoir une relation spéciale avec la fortune et la Providence divine, d’en recevoir des faveurs et des lumières particulières et personnelles auxquelles le reste du royaume n’a point d’accès et qu’il ne soupçonne même pas ». Pour Fumaroli, la dévotion particulière de Louise de Savoie pour François de Paule, introduit chez la mère du roi « un mysticisme qui a pour premier mérite, celui de lui faire croire impavidement à sa propre prédétermination terrestre ».
D’où cette hypothèse lumineuse[xii] de Chloé Pardonnaud : Et si le Journal était destiné à rassembler les éléments de preuve permettant d’établir le lien privilégié des Orléans-Angoulême avec la fortune ? La dimension allégorique serait alors le champ réel de l’exercice ! Les faits ne seraient-ils réunis qu’à la seule fin de démontrer que la branche des Orléans Angoulême a été choisie pour régner et que le roi François 1er est particulièrement digne de la distinction de la Providence ?
Evidemment, il n’y a aucune preuve en faveur de cette hypothèse. Mais l’auteur constate cependant que l’objectif du journal n’est pas de traiter des événements historiques qui se passent au même moment que sa rédaction.
Chloé Pardonnaud cite à l’appui de sa réflexion, deux exemples de lettres contemporaines en se positionnant par rapport à deux dates bien précises dans le Journal.
Tout d’abord, elle constate que dans le journal les faits relatifs à Octobre 1521 font l’objet de six mentions concernant le mois d’octobre ce qui est un record statistique. C’est alors le début d’une crise financière aigüe pour le royaume. Louise de Savoie s’inquiète dans une lettre adressée à Robertet, un des parents par alliance [xiii] de la famille d’Angoulême; de sommes que Semblançay devait adresser en Italie et qui ne seraient pas parvenues au vice-roi de Milan, le maréchal de Lautrec[xiv]. Semblançay invoqua d’ailleurs pour sa défense que ces sommes auraient été remises à Louise de Savoie[xv].
Portrait de Florimond Robertet provenant de la Bibliothèque Abbé Grégoire à Blois
Or ces soucis financiers qui furent très importants pour Louise et pour le royaume sont totalement absents du journal. A la section septembre 1521 il n’y a rien. A la section octobre 1521, il y a par contre six mentions faisant apparaître des victoires de François 1er avec en rapport, à chaque fois, une proximité avec des abbayes (donc avec Dieu ?) ou le respect de serments (donc sacrés ?). L’auteur en déduit donc que le journal ne rend pas compte des faits historiques : il tend à réécrire l’histoire !
Thèse Alfred SPONT Semblancay ( ? -1527) – La Bourgeoisie Financière au XVIème siècle Paris Hachette 1895 Livre téléchargé sur GALLICA – BNF
Chloe Pardonnaud poursuit l’analyse avec une autre observation judicieuse concernant le parti pris de Louise de Savoie de taire le rôle important qu’elle tendait à prendre dans les affaires de l’Etat : pendant la période où Louise exerce la Régence[xvi] de la France pendant que François 1er est parti en Italie pour sa campagne de Marignan, elle n’évoque à aucun moment dans le Journal cette responsabilité qui serait un élément très important pour toute autre personne.
Louise note en revanche concernant Juillet de l’année 1514, qu’elle échappa de justesse à un accident qui aurait pu entraîner sa mort : son plancher s’effondra brutalement. Elle en réchappa miraculeusement, du moins le prétend elle, sans doute pour souligner l’influence de la Providence ?
Elle ne se met jamais en scène dans son Journal, pour l’influence politique qu’elle pourrait avoir mais comme une intermédiaire entre ses interlocuteurs et le roi, seul décideur. Chloé Pardonnaud souligne que c’est également la stratégie poursuivie par Anne de France et Marguerite d’Autriche : parce que l’exercice du pouvoir par une femme est ressenti comme illégitime, elles savent être plus efficaces si elles avancent masquées[xvii].
Marguerite d’Autriche, Vers 1490 Hey Jean (actif vers 1480-1500), dit le Maître de Moulins (C) The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais / image huile sur bois Dim H 0,327 L 0,230 Etats-Unis, New-York, Inv 1975.1.130 The Metropolitan Museum of Art
La contribution fondamentale de cet article de Chloé Pardonnaud est d’avoir fourni une explication globale et crédible à ce qui restait, il faut bien le dire, depuis cinq cents ans, comme l’un des grands mystères de la Littérature.
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[i] Chloé Pardonnaud est l’auteur de l’article « L’histoire dans le mystérieux journal de Louise de Savoie » paru dans le livre Les Femmes et l’écriture de l’histoire par Sylvie Steinberg et Jean-Claude Arnould, publication des universités de Rouen et du Havre en 2008. Cet article m’apparaît de loin, le meilleur, parmi tous les articles parus dans cet opuscule.
[ii] Chloe Pardonnaud précise que Louise n’avait pas cru nécessaire de donner un titre à son journal. Mais une écriture plus récente précise : « Extraits de mémoires escrits à la fin de chaque moys du calendrier de certaines heures extrêmement bien écrites à la main en petits feuillets d’un vellin fort net et joly que l’on tient estre venues de la mère du grand Roy François». Ce Journal s’apparentait à des Mémoires dans le sens que lui donnera le Grand Siècle, à partir de la publication des Mémoires de la reine Marguerite en 1630, à savoir que l’on y enregistre « un certain nombre de faits afin de s’en souvenir », ce qui en fait une définition proche de celle d’un journal.
[iii] Ibid
[iv] Henri Hauser « Le journal de Louise de Savoie » Revue Historique Tome LXXXVI 1904. Selon Marie Holban, (article « Le journal de Louise de Savoie et François de Moulins » Revue roumaine d’histoire Tome XXVIII, 4, 1989) citée par Chloé Pardonnaud, ce n’est qu’au cours des six premiers mois de 1519 que Louise de Savoie aurait commencé à rédiger ce journal car ce n’est qu’entre la bataille de Marignan et l’élection de Charles Quint à l’Empire, que Louise de Savoie aurait appelé son fils « mon César ». Cet argument n’est pas à mon sens péremptoire mais il présente l’intérêt de fixer une date limite, celle de 1519. La probabilité à mon avis se situe donc entre les deux dates de 1515 et 1519.
[v] D’après Henri Hauser, cité par Chloé Pardonnaud, « ces cahiers étaient préparés pour recevoir la notation d’événements postérieurs. Des raisons inconnues auraient empêché Louise de donner suite à ce projet ».
[vi] Titre «L’orloge de Sapience » d’une œuvre éditée en 1493 par Anthoine Vérard, l’imprimeur du Comte d’Angoulême et de Louise de Savoie. Voir à ce sujet l’article sur Anthoine Vérard sur ce même blog.
[vii] « Francis du Moulin and the Journal of Louise de Savoy » The sixteenth century journal Tome III 1982.
[viii] Hauser cité par Chloé Pardonnaud.
[ix] Auteur par ailleurs d’une étude remarquable sur Vérard à laquelle je fais largement référence dans mon article sur Vérard dans ce même Blog.
[x] Précepteur de François 1er dans la jeunesse de ce dernier puis nommé Aumônier du roi en 1519. Il est probable que Louise a au moins fait appel aux souvenirs de ce dernier.
[xi] Préface de Marc Fumaroli à l’ouvrage de Anne-Marie Lecoq « François 1er imaginaire – Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance Française ». Paris. Macula. 1987.
[xii] J’ai moi-même été fortement marqué par cette observation dans l’interprétation du personnage de Louise de Savoie que j’ai donnée dans mon roman « L’Ombre du Connétable ».
[xiii] Louise avait arrangé le mariage de l’une des filles adultérines de son époux, Charles d’Angoulême avec le beau-frère de Florimond Robertet. Ce dernier était l’un des plus fidèles appuis de la Couronne ayant servi trois rois depuis Charles VIII pendant près de quarante ans. Robertet qui était particulièrement intègre a été désigné comme le « père des secrétaires d’Etat » au XIXème siècle. Quant à Semblançay, Louise de Savoie avait assuré elle-même l’élévation de Charles de Beaune, le Général des Finances de Langues d’oïl (la plus grande généralité de France) qu’elle avait fait baron de Semblançay en 1515. Ce dernier qui gérait auparavant la fortune d’Anne de Bretagne s’est vu confier à la mort de cette dernière en 1514, tous les actifs de Louise de Savoie et ceux de Claude de France, duchesse de Bretagne puis ceux de la Couronne à partir de 1515. Pendant des années, la gestion de Semblançay n’a attiré que des louanges. A partir de 1521 cependant, Louise, qui était une fine gestionnaire, commença à se méfier de Semblançay tandis que Florimond Robertet, quoique toujours très en faveur, commençait à se désengager, compte tenu de problèmes de santé. C’est cette méfiance envers les procédés de Semblançay qui transparaît dans les lettres de Louise au fidèle serviteur de la monarchie.
[xiv] Lautrec qui ne put solder ses troupes à temps en perdit d’après certains le duché de Milan. En réalité il semblerait que sa gestion particulièrement cassante des Milanais suscita une révolution qui le chassa de Milan. Toujours est-il que cette affaire fut exploitée par les adversaires de Louise de Savoie, dont le Connétable de Bourbon, attaqué au même moment par cette dernière sur la question de l’héritage de sa femme Suzanne. Mais ceci est une autre histoire que je m’efforcerai de raconter dans un autre article.
[xv] Ce qui est possible car le procès de Semblançay deux ans plus tard fit apparaître que ce dernier avait prêté plus d’un million de livres à François 1er mais emprunté plus de sept cent mille à Louise de Savoie qui était donc, indirectement, la première créancière de l’Etat, à son corps défendant. En fait il sera principalement reproché à Semblançay, lors du procès de 1523, d’avoir confondu les comptes publics de l’Etat et ceux, privés de Louise de Savoie. Bien que le problème soit lié à une mauvaise organisation des finances publiques, qui furent partiellement remaniées en 1523, il semblerait cependant que la raison plus profonde résidait dans la pénurie extraordinaire de toute l’Europe en signes monétaires : il n’y avait pas suffisamment d’or et d’argent en circulation dans une économie où le crédit était assimilé à de l’usure et donc prohibé par l’Eglise.
[xvi] Louise a été nommée officiellement Régente du Royaume fin juin 1515, sans les sceaux qui sont partis avec le roi, c’est-à-dire avec des fonctions réduites à l’expédition des affaires courantes et à son « ministère » des Affaires Etrangères. Mais c’est la première fois dans l’histoire qu’une femme était officiellement déclarée Régente dans le Royaume. Il y eut deux précédentes Régentes de fait avec Blanche de Castille pendant la minorité de Louis IX et Anne de Beaujeu pendant celle de Charles VIII. Mais dans ces deux cas, ces femmes se sont imposées pour assurer la Régence car elles détenaient le contrôle sur l’héritier du trône. A ma connaissance, c’est la première fois, en France (mais pas la dernière) où une femme s’est vue confier officiellement en terre salique, la conduite des affaires.
[xvii] C’est, il faut le noter, l’un des « Enseignements à ma fille » d’Anne de Beaujeu, un livre que cette dernière composa pour sa fille Suzanne de Bourbon et qui devait devenir le livre de chevet du Connétable de Bourbon après 1523 et son changement d’allégeance, sa trahison. Cette remarque de Chloe Pardonnaud m’a énormément influencé pour le portrait que j’ai tracé de Louise de Savoie dans mon roman, L’Ombre du Connétable, d’autant plus que Louise de Savoie a été placée dans sa jeunesse sous la responsabilité d’Anne de Beaujeu, à une époque où cette dernière n’avait pas encore rédigé son livre mais où elle en appliquait déjà probablement les maximes.
Bonjour,
Je pense que vous voulez parler de François de Paule et non de Côle. J’en parle dans mon roman car c’est lui qui a prédit à Louise de Savoie qu’elle aurait un fils et que ce fils serait roi. Louise de Savoie était imprégnée d’Astrologie et elle était convaincue, à la suite de cette prédiction, réalisée, que sa famille était particulièrement favorisée par la fortune. J’ai du reste écrit un article sur ce Blog, sur le Journal de Louise de Savoie, que vous avez peut-être lu, dans lequel je précise que le journal a probablement une justification allégorique. Je parle brièvement de François de Paule dans mon article sur Amboise (lien http://autourdemesromans.com/le-retour-du-roi-charles-viii-a-amboise-les-balbutiements-de-la-renaissance/) où j’évoque en une dizaine de lignes la relation entre Louise de Savoie et le saint ermite qu’elle a fait canoniser d’urgence après l’accession de son fils au trône (instruction du dossier par le vatican en 4 ans seulement grâce à la pression extraordinaire de Louise de Savoie: c’est un des dossiers de canonisation les plus rapides de l’histoire). Ceci dit Louise de Savoie avait des astrologues: n’oublions pas qu’à l’époque, l’astrologie était considérée comme une science. Tous les seigneurs de l’époque consultaient des astrologues. Et Louise de Savoie, plus que tous les autres. Peut être a-t-elle eu par la suite un astrologue appelé François de Côle ?
Bien cordialement
Gratien
Bonjour
Si cela vous intéresse j’ai rédigé un article sur François de Paule.
http://autourdemesromans.com/francois-de-paule-fondateur-de-lordre-des-minimes/
Bien cordialement
Gratien